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a) Le travail : un principe d’autonomie

Autant pour toute question existentielle, autant les questions du travail et de la vertu de la persévérance se trouvent exprimées à travers les contes, les proverbes, les chants et les arts. Les Luba attachent une importance au travail, car selon eux, le travail est une garantie de la vie, de l’autonomie et du bonheur partagé. Le travail dans ce contexte est lié non seulement à la vie individuelle, mais également à l’épanouissement de toute la communauté de destin. Les Luba-Kasaï pensent que c’est un manque de responsabilité pour un adulte qui ne s’engage pas à produire par son travail. Ne dit-on pas que le travail anoblit l’homme ! La tradition luba-kasaï propose que l’on compte avant tout sur ses propres forces. Elle stimule le goût du travail, l’esprit de mieux faire, d’être utile, de produire pour être pris avec considération et pour accéder au bonheur. Elle récuse la paresse et la dépendance comme le témoigne ce proverbe :

Bidi muetu tenta wikale ne tshieba bieba : Même s’il y a l’abondance dans ta famille, mais tu devras avoir ce qui t’est propre.

Les Luba-Kasaï ont aussi prévu des enseignements pour former les jeunes générations à la conscience de la valeur du travail et à celle de la persévérance à travers les fables et les contes. En témoigne le conte populaire de « Kadima Ntonko et de Kadima Minu ».

Le conte met en présence deux individus dont l’un est paresseux et l’autre assidu au travail, qui nourrissaient du projet de bonheur. Seulement, à la différence que le premier était, lui, réellement engagé à cultiver son champ bien qu’à petits pas alors que le second était resté dans le projet sans aucun engagement concret sur le terrain. À la récolte, conclut le conte, le Kadima Ntonko récolta autant des vivres alors que le Kadima Minu qui, lui, en resta au projet qui n’en finissait pratiquement pas. Le Kadima Ntonko était donc arrivé à réaliser son bonheur et le Kadima Minu gisait dans la misère et la pauvreté.

Le conte met en exergue non seulement l’idée de la valeur du travail assidu et persévérant, mais également celle du pragmatisme. Ceci revient à dire que dans cette culture, le bonheur

intellectuel ou spirituel, de l’endurance. Comme le montrent ces quelques expressions proverbiales :

Bilengele mbiasa mukelende : les bonnes choses (le bonheur) sont entourées des ronces et d’épines.

Kutshini mukuna bule, bualu kumutu kua mukuna ke kudi Njila : ne crains pas des yeux la hauteur de la montagne, car c’est au sommet que tu trouveras le chemin, c’est-à-dire le bonheur.

Tshisululu tshia budimi, mbudikadidi : la sueur du front (travail) est une marque d’autonomie, d’indépendance, de liberté et de bonheur.

Malgré l’exaltation de la valeur du travail on observe tout de même que, dans la société luba, il existe des hommes et des femmes adultes sans engagement au travail passant leur temps à l’oisiveté. La paresse et la dépendance existent autant qu’il y a des hommes. Pourtant, la conscience que le travail est la clé de voûte du développement humain, de la meilleure existence et du bonheur partagé reste aussi vive. En témoigne également cet autre conte populaire de « Kakaji Kakulu », la vielle femme ou encore de « Tshiluma Tshikulukulu », le vieil homme grabataire.

Le conte met en scène un jeune homme désireux d’avoir le trésor et qui s’engagea dans un long et pénible voyage. Après plusieurs jours et au bout du chemin, il rencontra une ignoble petite vieille femme. Celle-ci paraissait sale parce qu’elle était vêtue des linges, et qui apparemment était restée autant des jours sans prendre un bain. Le jeune homme lui exposa son désir de trouver le trésor. Cette dernière lui répondit qu’il n’était pas si simple d’y accéder. Le jeune homme insista de plus belle. Ainsi, après avoir constaté le courage, l’endurance et le sens de responsabilité du jeune homme, la vieille femme lui proposa de la laver de sa langue : Shi shi shi ku ulaka, balakila ki mbafua, disait-elle. Le jeune homme brava cette conditionnalité avec détermination. Arrivé ce point, le conte conclut que la porte du trésor, c’est-à-dire du bonheur, s’ouvrit et le jeune homme en sorti satisfait.

Tout comme le conte de Kadima Ntonko et de Kadima Minu, le conte de Kakaji Kakulu ou Tshiluma Tshikulukulu, traduit également la conscience du travail et de la pratique des vertus de l’endurance, de la persévérance et du courage pour affronter des besognes répugnantes, au bout desquelles on attend une meilleure récompense, c’est-à-dire le véritable bonheur. La conscience du travail est un engagement à donner un véritable sens à sa propre vie et à celle

de sa communauté. On peut même dire que les Luba-Kasaï ont cette conscience que rien sur la terre des hommes n’est aussi facile : Panu apa mpakole ; tout bonheur et tout honneur exigent nécessairement de l’effort et de la détermination. Dans ce sens, il n’est pas une corvée, mais bien une nécessité humaine naturelle et sociale, un destin à la fois commun et individuel qu’il convient de transformer en véritable destinée.

b) La sensibilisation au travail à travers les chants

Comme dans toutes les situations, la conscience de la vertu du travail passe aussi à travers bien des chants. Les parents sont en première ligne, car il s’agit de la survie de la communauté. En témoignent les chants populaires tels que :

Bua Muntu kupeta tshiakudia akuata mudimu anianga mashi ende : si tu veux gagner la vie et le bonheur, il convient de travailler.

Tshisululu tshia budimi tshia ka ndisha. Mema Kukola, kusela ne kulela anu bualu bua budimi : le travail du champ m’a fait grandir, m’a permis de fonder une famille et m’a amené le bonheur.

Cette sensibilisation au travail de la terre traduit aussi leur attachement et leur communion avec la terre et même avec toute la nature comme une véritable source de bonheur. Les Luba évoquent les animaux pour exprimer cette valeur du travail et du pragmatisme :

Nkashama udi wende mudima ke udi unianga tshienda tshiseba : le Léopard qui cherche trouve toujours une proie, un bonheur.

Nsolo wendenda ngudiadia musuasua : la poule qui gratte trouve toujours de quoi se nourrir, son véritable bonheur.

On peut donc dire que, les proverbes-nshinga ou les chants populaires évoqués dans cette situation expliquent deux types d’individus. D’un côté, l’individu paresseux qui crève de faim, de misère et de pauvreté et, de l’autre, l’individu qui cherche avec détermination, courage et persévérance trouve nécessairement de quoi vivre, le Tiakani, c’est-à-dire le bonheur. Ainsi vivre pour les Luba-Kasaï, c’est avoir un travail. Celui-ci est considéré non seulement comme un signe de stabilité, une sorte de maturité et de responsabilité, mais également comme un véritable destin qui bien assumé peut-être transformé en véritable

connaître le véritable bonheur, les jeunes générations ont le devoir d’assumer aussi cette leçon de la sagesse luba-kasaï de la vie, car leur destinée en dépend énormément. Mais en dépit de cette sagesse, on observe qu’il existe dans cette communauté des personnes adultes qui sont oisives, qui se contentent du moindre effort pour vivre ou qui dépendent plus de leur famille. Autant qu’on trouve des paresseux dans cette société traditionnelle, autant le Luba moderne a perdu tout le sens de l’effort et du travail. Le sous-développement du continent noir et la pauvreté s’expliquent aussi par ce manque de conscience de l’importance du travail. Pourtant, c’est par le travail qu’il peut être possible d’accéder à la meilleure vie, au bonheur partagé et au véritable développement des peuples et des nations africains.