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Le Gage d’alliance et la dignité de la femme

a) La structure bipolaire de la nature humaine

Le combat mené par les féministes et les différentes organisations de défense des droits des femmes a toujours consisté à restituer à la femme toute sa dignité et toute sa place dans la société en tant que personne. Ce combat est souvent dirigé contre une conception traditionnelle et rétrograde, qui considère la femme comme étant un être inférieur au service de l’homme, refusant par ce fait même toute complémentarité. Pourtant, en considérant l’humanité dans sa structure bipolaire, à savoir l’homme et la femme, on peut affirmer que l’un a besoin de l’autre et vice versa. Du fait que tout être humain est sexué, c’est-à-dire structuré particulièrement dans son être relationnel, dans son besoin radical de rencontre, de don de soi et d’amour, on ne peut plus parler de ce besoin propre à la personne comme d’un besoin abstrait, sans lien avec le sexe affectif de l’individu. En effet, chaque sexe spécifie l’activité de la personne, donne une coloration, une impulsion et une affectivité propre à son mode d’aimer et de vivre en société. Ce qui s’affirme ici, nous semble-t-il, c’est l’harmonie du vivre-ensemble qui repose naturellement sur la complémentarité de deux sexes. Pareille complémentarité défie toute banalisation de la dignité de la femme et du beau sexe. De ce

d’avoir privilégié de façon absolue le point de vue masculin, qui n’est qu’un point de vue particulier, qu’un mode particulier, en ne voyant pas en lui un mode sexué, ait nié la sexualité comme une structure bipolaire ou alternative.

L’absolutisme du point de vue de l’homme nie la nature même de l’homme dans la mesure où il fait de celui-ci un monstre qui ne peut vivre que comme un être unique. Or, lorsqu’on conjugue la vie de l’homme au mode sexuel, en tant que personne, ce point de vue ne tarde pas à se fondre dans la structure sociale qu’implique son existence. Dans cette perspective, les Luba-Kasaï ne peuvent qu’affirmer l’harmonie et la complémentarité des sexes comme d’un véritable accomplissement de l’acte même de la création qui élèvent à son comble toute l’humanité. Selon la cosmogonie luba, Dieu Maweja créa l’homme et la femme, et leur confia tout l’univers, et il créa toute chose en paire, masculin et féminin, droit et gauche, l’eau et la terre ferme, etc. La discrimination d’un sexe par rapport à un autre est vue dans cette communauté comme un acte ignoble de répugnance.

Les affirmations qui sont de nature à dégrader la femme et l’institution du mariage contrastent avec la perception africaine du rapport de l’homme avec la femme. Comme nous l’avons montré auparavant, dans la culture luba particulièrement, la femme est à la source de la vie et du bonheur aussi bien pour elle-même, pour l’homme que pour toute la communauté de destin. À ce titre, elle jouit pleinement de sa dignité, du respect et de la protection. La vie sexuelle devient ainsi un moment de la rencontre des humanités, de l’assomption de la relation interpersonnelle, de l’harmonie des êtres humains et du bonheur partagé. Étant donné que le destin de l’homme est toujours lié à celui de la femme, la discrimination ou la dégradation de la femme est considérée comme une violation de l’acte même de la création. La femme est l’égal de l’homme en droits et en dignité ; sa dignité est la dignité humaine et non une dignité de second rang. Elle vaut ce que vaut celle de l’homme.

b) La dot comme gage d’alliance

Les Luba considèrent la dot non seulement comme un gage d’alliance, mais également comme un moment de la reconnaissance de la fonction créatrice de la femme et du dynamisme relationnel engendré par ce lien affectif entre elle et son partenaire égal à elle. Dans cette culture, la dot est d’une part, un geste symbolique de reconnaissance posé par le jeune homme

et les membres de sa famille à l’endroit de la famille de sa fiancée et, d’autre part, elle est un gage d’alliance entre les deux familles. Ensemble, les deux familles forment une communauté de vie et de destin, et en faisant ainsi elles participent et partagent le bonheur des jeunes unis dans l’amour et l’affectivité pour toujours. Loin d’être une sorte de prix d’achat de l’épouse, comme pour « Tshintufier » la femme, c’est-à-dire rendre la femme comme une chose qu’on achète, la dot offerte et acceptée de bonne foi constitue la prise de possession juridique de la fécondité de l’épouse au profit du clan de son époux, c’est-à-dire une appropriation de la source de vie et de bonheur que porte toujours en elle la jeune femme. En fait, l’enjeu de la dot ne consiste pas à se faire de la fortune comme dans un trafic ou dans un commerce de marchandises, mais à créer une alliance durable entre les familles et de permettre la transmission de la vie et du bonheur. À ce propos Yezi affirme :

Lors de la donation de la dot, il se scelle une alliance dont l’enjeu et le fruit escomptés sont une question de vie à transmettre et une relation communautaire à (r) établir plus que des richesses à augmenter ou de deux conjoints à unir en société privée et solipsiste, fermée sur elle-même. Par la dot, l’homme et la femme se sentent ainsi reconnus comme deux êtres égaux en dignité et en droits, et forment une sorte de cellule de vie et de bonheur88.

De ce fait, ils sont désormais adultes et coresponsables pour transmettre la vie aux autres, aussi abondante que possible. En bref, ce qui reste important à souligner ici, c’est l’attention et l’assistance que toute la communauté de destin offre à la femme comme des véritables garanties, comme des meilleures possibilités d’épanouissement et de promotion d’une vie totalement heureuse et digne de son nom. Elle lui permet de jouir réellement de son bonheur, de sa dignité et de ses droits.