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La quête du bonheur partagé à travers la triade éthique africaine Luba-Kasaî

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

LA QUÊTE DU BONHEUR PARTAGÉ À TRAVERS

LA TRIADE ÉTHIQUE AFRICAINE LUBA-KASAÏ

Thèse

Sylvain Tshikoji Mbumba

Doctorat en philosophie

Philosophiae doctor (Ph. D.)

(2)

LA QUÊTE DU BONHEUR PARTAGÉ À TRAVERS

LA TRIADE ÉTHIQUE AFRICAINE LUBA-KASAÏ

Thèse

Sylvain Tshikoji Mbumba

(3)

Résumé

Trois tendances polarisent le débat philosophique en Afrique. La première tendance considère la redécouverte des traditions et coutumes africaines comme la seule voie pour faire advenir le développement et le bien-être des peuples. Cette position est apparue dogmatique pour autant qu’elle fonde sa démarche sur des cultures repliées sur elles-mêmes. La deuxième tendance, elle, proclame le vide de la rationalité et de la pensée dans les traditions africaines, et annonce par-là la conversion à la science et à la technologie occidentale. Cette position est aussi dogmatique parce qu’elle nie à l’Afrique toute forme de rationalité. La troisième prend la voie de la réconciliation entre la tradition et la modernité, en mettant à l’avant-plan le dynamisme des cultures africaines porté par le souci d’ouverture et d’intégration des schèmes de progrès de la modernité. Pour les tenants de cette tendance donc, la tradition et la modernité doivent s’interpréter et s’impliquer mutuellement pour une vitalité sans faille. Mais à bien voir la question, ce débat est demeuré théorique et les différentes tendances ont éludé la vraie question de l’existence humaine des peuples africains qui, à notre sens, reste celle du bonheur partagé. Ces tendances auraient dû partir des cas concrets tirés des traditions et coutumes africaines pour étoffer une philosophie cohérente susceptible de faire hâter le développement et le bien-être des peuples.

Concret et pratique, le présent travail propose une réflexion sur l’éthique du bonheur partagé cultivée par le peuple Luba-Kasaï, avec ses implications sociales et politiques dans la vie de tous les jours. L’enjeu consiste à montrer que, chez le peuple Luba-Kasaï, la visée éthique de l’existence humaine est le bonheur. Loin d’être individuelle, la quête du bonheur partagé concerne aussi toute la communauté (famille, clan, village) et passe par les médiations institutionnelles et symboliques. Car pour être possible, le bien-vivre doit dépasser le face à face des relations individuelles et s’étendre à la dimension transpersonnelle, sociale et institutionnelle. Cette perception du bonheur régit l’organisation sociale, notamment en permettant à chaque membre de s’accomplir socialement, en favorisant la participation de tous à la gestion de la Cité et du bien commun. Ce qui nécessite l’instauration des structures politiques et sociales adéquates, respectueuses des droits, de la dignité humaine et des libertés. Ce travail a aussi comme objectifs de montrer que l’avènement du bien-être de l’Afrique ne dépend pas uniquement du processus de conversion au modèle occidental

(4)

comme le seul dont l’Afrique ait besoin pour son développement. Il s’agit de montrer la nécessité de la voie de la réconciliation capable d’articuler dynamiquement la modernité occidentale et la tradition africaine, le principe d’ouverture, d’intégration et d’universalisation permettant l’enrichissement dans la réciprocité ; montrer, à partir de la culture luba-kasaï, que dans les pays africains, chaque culture doit trouver les socles éthicophilosophiques du développement harmonieux et d’une heureuse organisation étatique.

(5)

Abstract

For sometime, most intellectuals have agreed that the African philosophical debate has evolved around three tendencies.

The first propensity has been that the promotion of traditions and local cultures is the unique and sole venue that would yield the development as well as the happiness of nations. Such a bias has proven to be dogmatic as it is rooted in the belief that people need to be self-reliant.

The second proclivity claims that there is no rationale in the idea of relying solely on African traditions, when it is possible to evolve into a synergic symbiosis that includes both modern science and technology. The latter is also quite dogmatic, as it invalidates any shape or form of African rationality.

The third current attempts to propitiate traditions and modernism, while putting forward the exhilaration of African customs, and being cognizant of the need to maintain openness and integration of the betterment that a contemporary society might infuse. In this respect, traditions and modernism must symphonize and assimilate their values in order to sustain their essence.

However, when applying the sniff test, this debate has remained fruitless; these theories have eluded the question of addressing the existence of African nations, which, from our stand point, remains one of shared happiness. These predilections should have utilized concrete examples from African customs, in order to enhance a coherent philosophy that would propel the development and the happiness of nations.

A more practical approach is proposed and illustrated in these writings, which bring forth an ethical rationale of the shared happiness we find among the People of Luba heritage, despite its socio-political implications. Within the ethnic Luba-Kasai, the human goal of everyday living is happiness.

Far from being individually centered, the search for a shared happiness is the concern of the entire society (family, clan or village), extending through institutional and symbolic mediation.

(6)

This perception of happiness runs the social organization, allowing the contribution from as well as the participation of each individual, to the management of the city and the commonwealth. This requires the integration of social and political structures that would advance everyone’s rights, dignity and liberty. We therefore insist that the oncoming realization of African happiness does not rest uniquely on an occidental conversion model. It will become a reality when we coalesce western contemporary systems, African traditional values, openness, integration that would lead to reciprocal and mutual enrichment.

It is only within such premises, starting within the Luba-Kasaï tribes, that each African nation, each African culture, will find the missing ethical and philosophical links to a more harmonious societal organization.

(7)

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Sigles et Abréviations ... xiv

Remerciements ... xvii

Introduction générale ... 1

1. La problématique... 1

2. Un rappel de la chronologie historique luba ... 4

3. Le champ de la recherche ... 7

4. La méthode... 9

5. Le contenu de la thèse ... 11

PREMIÈRE PARTIE LA PERSONNE ET SON IDÉAL DE BONHEUR ... 15

Introduction ... 15

CHAPITRE PREMIER LA VIE COMME BONHEUR SUPRÊME ... 16

1. La vie : Moyo ou Bukole ... 16

a) La vie : un bien désirable ... 16

b) Une chose sacrée ... 17

c) Un bien à protéger... 18

d) Les causes de la diminution de la vie ... 19

2. Les éléments constitutifs du bonheur ... 20

a) La procréation ... 20

b) La progéniture abondante... 23

c) Les biens matériels ... 25

3. La sagesse de la vie pratique ... 27

a) Les règles générales ... 27

b) Un style de vie ... 29

c) Un art éducatif ... 30

d) Une vie juste ... 31

CHAPITRE DEUXIÈME LA MORT ET LE CYCLE DU BONHEUR ... 34

1. L’antériorité et l’universalité de la mort ... 34

a) Une réalité inéluctable et imprévisible... 34

b) Une expérience personnelle ... 35

2. Le caractère absurde de la mort ... 37

a) Un scandale ... 37

b) Une interpellation aux humains ... 39

c) Le recours à Dieu contre la mort ... 41

d) La vie et le bonheur après la mort ... 42

(8)

b) L’intercession des vivants pour les morts ... 46

c) L’intercession des morts pour les vivants ... 47

CHAPITRE TROISIÈME DIEU MAWEJA : RÉVÉLATION, CRÉATION DU MONDE ET SOURCE DE TOUT BIEN ... 49

1. La révélation de Dieu Maweja ... 49

a) L’affirmation de la révélation ... 49

b) Les lieux de la manifestation de Dieu ... 50

c) Le Dieu de nos ancêtres ... 53

d) La médiation de l’art plastique ... 54

2. La création du monde ... 56

a) Le mythe adja et la relation cosmique ... 56

b) Le nœud de l’acte de la création ... 58

3. La source de tout bien ... 60

a) La bonté de Dieu et la magnificence de l’homme ... 60

b) La providence divine ... 61

CHAPITRE QUATRIÈME LA PERSONNE, L’INDIVIDU ET LA MEMBRALITÉ... 64

1. La personne : valeur, force vivante et totalité ... 64

a) Une valeur irremplaçable ... 64

b) Une force vivante... 64

c) Une totalité indivisible ... 67

2. L’individu et la philosophie du nom ... 70

a) L’individu comme un mystère ... 70

b) Le nom comme lieu du dévoilement de la personne ... 71

c) Les catégories de noms ... 72

3. La membralité et sa symbolique ... 78

a) La symbolique de l’univers ... 79

b) La symbolique de la toile d’araignée ... 79

c) La symbolique du cercle avec des anneaux... 80

d) La symbolique de la chance ... 80

e) Le carrefour de purification ... 81

f) La symbolique du nombril noué ... 81

Conclusion ... 83

DEUXIÈME PARTIE LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN ET LA VISÉE DU BIEN-VIVRE... 85

Introduction ... 85

CHAPITRE PREMIER LES EXIGENCES ÉTHIQUES DE LA VIE BONNE ... 87

1. Le sentiment d’appartenance et d’attachement ... 87

a) L’attachement fusionnel ... 87

b) L’identité narrative ... 88

c) La fraternité humaine et l’amitié ... 89

d) L’harmonisation de la relation ... 90

e) L’attachement à l’espace mythique originel ... 91

(9)

a) L’idée de la réciprocité et de la sollicitude ... 93 b) La réciprocité luba ... 95 c) La reconnaissance du bienfait ... 97 d) Le mode utilitaire... 99 e) La bonté ...101 f) La marque de gratuité ...102

3. La solidarité positive et le partage...103

a) Le profil de la solidarité ...103

b) Le projet social de la solidarité...105

c) Les apories de la solidarité ...107

CHAPITRE DEUXIÈME L’ÉTHIQUE DU DISCOURS ET LA QUÊTE DE L’ALTÉRITÉ ...109

1. La constance et la cohérence...109

a) Le discours comme lieu de la socialité ...109

b) La fidélité à la parole donnée ...110

c) La cohérence de la parole ...112

d) La consistance du discours ...113

2. Le discours et l’épreuve de la vérité ...114

a) La vérité comme acte de libération ...114

b) Le refus du meilleur argument ...116

3. Le discours et la pluralité des rationalités...117

a) La circularité ontologique ...117

b) La limitation de l’esprit critique ...119

4. La parole de la bienveillance ...121

a) L’expression de la fraternité ...121

b) La sympathie et la compassion ...121

c) Les dérives de l’interaction ...123

5. Le respect mutuel ...125

a) Une règle sociale et un droit d’aînesse...125

b) Le respect dû aux plus jeunes et aux personnes âgées ...127

6. La parole d’autorité ...128

a) Les prérogatives du tenant lieu ...128

b) Le mauvais usage de la parole d’autorité ...129

CHAPITRE TROISIÈME L’ÉTHIQUE SEXUELLE ET LA FAMILLE CONJUGALE 134 1. L’institution du mariage et la promotion du bonheur...134

a) Le mariage : cadre idéal de la pratique de la sexualité ...134

b) Le Dibaka, une tâche et une exigence...135

2. Les règles sociales et la transmission de l’éthique sexuelle ...136

a) Les prohibitions ...136

b) Le paradigme de la virginité de la fille ...137

c) Les aspects des règles sociales ...139

d) Les canons de transmission ...141

3. Le Gage d’alliance et la dignité de la femme ...143

(10)

4. La polygamie sous la forme polygynique ...145

a) La polygamie reconnue comme une valeur ...145

b) Les raisons de la pratique de la polygamie ...147

c) Le phénomène de la bureaugamie ...149

d) La polyandrie ...151

e) La responsabilité partagée ...152

f) L’éducation des enfants ...153

CHAPITRE QUATRIÈME QUELQUES VERTUS ET PRATIQUES SOCIALES ...155

1. Le travail et la persévérance ...155

a) Le travail : un principe d’autonomie ...155

b) La sensibilisation au travail à travers les chants...157

2. La loi de l’hospitalité ...158

a) L’hospitalité envers l’étranger ...158

b) Quelques apories ...159 3. L’anticipation et la prévention ...161 a) L’obsession de l’avenir ...161 b) La précaution ...162 c) La prévention et la protection ...162 4. La prudence et la patience ...163

a) La prudence : un art de jugement ...163

b) La vertu de la patience ...166

5. L’intelligence et le triomphe du bon sens ...169

a) Le cycle de Kabundi le sage ...169

b) Le cycle de Kabuluku : les preuves de bon sens ...170

c) Le conte du Crapaud et de l’Épervier ...171

d) Le sage philosophe ...171

e) La réserve langagière, l’écoute et le silence ...172

Conclusion ...176

TROISIÈME PARTIE L’ÉTHIQUE POLITIQUE ET LA MÉDIATION INSTITUTIONNELLE ...177

Introduction ...177

CHAPITRE PREMIER L’ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE ...178

1. Les aspects de la notion de la responsabilité ...178

a) L’aspect moral ...178

b) L’aspect juridique ...180

c) L’aspect civil et politique ...181

2. Les pôles de référence politique ...182

a) Le citoyen ...182

b) La communauté politique...183

c) La gestion du bien public ...187

d) La violence légitime...188

(11)

CHAPITRE DEUXIÈME LES PRINCIPES POLITIQUES ET LA GESTION DU

POUVOIR ...193

1. La participation et le partage du pourvoir...193

a) Le pouvoir : un bien à repartir ...193

b) La justice politique ...194

c) La dimension horizontale du pouvoir ...195

2. L’alternance politique ...197

a) La voie optimale du bien-être ...197

b) L’indétermination du projet sociétal ...198

3. Le pouvoir et l’organisation ...202

a) La trilogie : volonté-pouvoir-ordonnancement ...202

b) Le siège du pouvoir ...204

4. La discussion et l’antagonisme positif ...206

a) L’espace public démocratique ...206

b) La vertu du conflit ...207

c) Les instances de discussion ...208

d) L’unité et le consensus politique ...209

CHAPITRE TROISIÈME L’INSTITUTION ET LA PROMOTION DU VIVRE-ENSEMBLE ...212

1. L’institution et l’équilibre social ...212

a) Le sens et le contenu de l’institution...212

b) L’équilibre social ...213

2. Les structures institutionnelles ...214

a) La structure familiale comme base institutionnelle ...214

b) Les structures socio-politiques ...215

3. Les critères d’éligibilité pour être Chef (Mukalenga) ...217

CHAPITRE QUATRIÈME LE DROIT ET LES DROITS DE LA PERSONNE ...220

1. L’essence du droit ...220

a) Le Bende : une nature primordiale de l’homme ...220

b) Dieu : Nzuji munene contre l’injustice ambiante ...221

c) Les coutumes et les us ...222

2. Le droit et la loi commune ...224

a) La théorie clanique ...224

b) La loi comme garantie de la liberté ...225

c) La loi comme garantie de la dignité ...227

3. La norme du droit et des droits ...228

a) La personne comme norme ...228

b) La sémantique éthique luba du droit ...229

4. Les principes fondamentaux des droits ...231

a) Les préceptes éthico-juridiques ...231

b) L’aphorisme politicojuridique ...232

c) Le caractère inaliénable des droits ...233

d) La respectabilité de la vie et de la dignité humaine ...233

(12)

5. Les droits de la personne ...235

a) Le corpus des droits humains ...235

b) Les dispositions garantissant le vivre-ensemble ...237

c) Les droits économiques ...238

d) Les droits successoraux...240

e) Les droits culturels ...241

CHAPITRE CINQUIÈME LE DEVOIR DE LA JUSTICE ET DE LA RESTAURATION ...247

1. Le code de justice ...247

a) La loi première ...247

b) Le code pénal...248

2. Les situations aggravantes ou atténuantes ...253

a) Les situations aggravantes ...253

b) Les situations atténuantes...254

c) La résignation de l’individu incriminé ...255

3. La restauration et la réconciliation ...256

a) Les conditions de la restauration ...256

b) Le règlement pacifique des conflits ...258

c) La sanction ou la démarche de redressement ...259

4. Les niveaux d’injustice et les modes de réparation ...260

a) Les niveaux d’injustice ...260

b) Le statut juridique de la réparation ...262

Conclusion ...264

QUATRIÈME PARTIE L’ÉTHIQUE DU BONHEUR PARTAGÉ LUBA-KASAÏ, LA TRADITION ET LA MODERNITÉ ...266

Introduction ...266

CHAPITRE PREMIER LA CRITIQUE DE LA TRADITION ET DE LA MODERNITÉ ...267

1. Le procès de la tradition africaine ...267

a) L’héritage spirituel ...267

b) La rupture et la vie de la raison ...268

c) Le procès de la tradition ...269

d) Notre (pro) position ...271

2. La crise morale africaine ...272

a) Les contradictions internes des coutumes ...272

b) Les incohérences de la tradition africaine ...274

c) Les choix responsables ...279

3. La critique de la modernité ...280

a) L’image de la modernité ...280

b) La critique africaine ...281

c) La valeur de la critique africaine ...282

d) L’option radicale : le meurtre du père ...283

(13)

a) La mission évangélisatrice et modernisatrice ...286

b) La résistance des Luba contre la mission évangélisatrice ...291

c) Les conséquences directes de l’action de la modernité...293

5. La mutation technologique ...295

a) L’engouement pour les nouvelles technologies...295

b) La crise des technologies nouvelles ...297

c) Les conséquences directes de la crise ...298

CHAPITRE DEUXIÈME LA FONCTION DE L’HERMÉNEUTIQUE PHILOSOPHIQUE ...301

1. Le procès herméneutique ...301

a) La philosophie comme réflexion et appropriation ...301

b) La contingence culturelle ...303

2. La responsabilité historique ...304

a) La conscience de la responsabilité historique ...304

b) L’équilibre entre les sagesses ...306

c) Les conditions de l’équilibre ...307

CHAPITRE TROISIÈME L’UNIVERSALISME ÉTHIQUE ET LA MÉDIATION CRITIQUE ...309

1. L’universalité comme unité plurielle ...309

a) L’universalité : réalité partagée, forme et esprit ...309

b) L’universalité de fait et la vocation à l’universel ...310

c) Le caractère universel de l’éthique luba du bonheur ...312

2. La médiation critique et le projet pour l’humanité ...313

a) La médiation critique ...313

b) Un projet pour l’humanité ...315

c) Pour une humanité égale ...318

d) Vers une anthropologie nouvelle ...319

Conclusion ...325

Conclusion générale ...328

1. Le piège des idéologies inutiles ...333

2. Les aspirations profondes ...336

3. Les axes prioritaires du bonheur et du développement ...339

ANNEXES ...345

CARTE GÉOPOLITIQUE : République Démocratique du Congo ...345

CARTE-LINGUISTIQUE : Représentant les quatre langues nationales : Lingala, Kikongo, Tshiluba et Swahili...346

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Sigles et Abréviations

A.R.S.C: Académie Royale des Sciences Coloniales AMOZA : Association des Moralistes Zaïrois

B.J.I.D.C.C: Bulletin des Juridictions Indigènes du Droit coutumier Congolais B.T.A : Bulletin de Théologie Africaine

C.E.D.AF : Centre d’Études et de Documentation Africaines CELLA : Centre de Littérature et Linguistique Appliquée CELTA : Centre de linguistique Théorique et Appliquée

CEPSI : Centre d’Études des Problèmes Sociaux Indigènes (devenu CEPSE Centre d’Études des Problèmes Sociaux et Économiques)

CERDAF : Centre de Recherche et de Documentation Africaines CERP : Centre de Recherches Pédagogiques

CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique CRA : Cahiers des Religions Africaines

CRISP : Centre de Recherches et d’Informations Sociopolitiques CSRP : Cadre stratégique de croissance et de réduction de la pauvreté

FCK : Facultés catholiques de Kinshasa (devenues Université Catholique au Congo) FTC : Faculté de théologie catholique

FTCK : Faculté de théologie catholique de Kinshasa

G20 : Groupe de vingt (comprenant les pays riches et émergents) G7 : Groupe de sept (pays hautement industrialisés ou riches) IRCB : Institut Royal Colonial Belge

MRAC : Musée Royal d’Afrique Centrale

NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement NICO : Éthique à Nicomaque

NORAF : Nouvelles Rationalités Africaines

OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement Économique OMC : Organisation mondiale du commerce

OMD : Objectifs du millénaire pour le développement ONU : Organisation des Nations Unies

P.U.F: Presses Universitaires de France P.U.K: Presses Universitaires de Kinshasa P.U.L: Presses Universitaires de Louvain P.U.Z: Presses Universitaires du Zaïre PA : Présence Africaine

PPTE : Pays pauvres très endettés REA : Revue d’Études Africaines RJC : Revue Juridique du Congo RPA : Revue de philosophie africaine RPK : Revue philosophique de Kinshasa ULB : Université Libre de Bruxelles UNAZA : Université Nationale du Zaïre Vol : Volume

(15)

À mes chers parents Henri Mbumba wa Mupoyi Kantu Bernadette Mbombo wa Katshingu ka Lutendu

(16)

« La vie qui est mienne, est aussi fondamentalement ma vie après ma mort, elle est ma vie dans le clan, ma communion substantielle avec les ancêtres, les vivants, et ceux à venir, elle est aussi ma participation aux autres vies de l’univers naturel, aux réalités ou forces, elle est enfin mon union à la source de vie, le Père de tout bien, Dieu » (Elungu pene Elungu, Tradition africaine et

(17)

Remerciements

La réalisation de cette dissertation doctorale a bénéficié du concours et de la contribution scientifique, morale et financière des uns et des autres, chacun à sa manière. C’est pourquoi, je suis tenu du devoir de reconnaissance pour tous ceux et toutes celles qui y ont pris activement part. À tout Seigneur, tout honneur. Ma reconnaissance s’adresse en tout premier lieu au Professeur Thomas De Koninck, qui a bien voulu assumer la promotion de cette thèse. Sa rigueur et ses orientations m’ont fait découvrir en lui un véritable maître. Ce travail est votre œuvre. Beaucoup d’autres éminents professeurs, en l’occurrence Messieurs Jean-François de Raymond de l’Université Paris IV Nanterre, Lomomba Emongo de l’Université de Montréal (Québec-Canada), Luc Langlois et Richard Dufour de l’Université Laval (Bibliothécaire), m’ont apporté des conseils justes. Tout cela m’a fortement édifié dans mes recherches. Je leur suis infiniment reconnaissant. Dans la même perspective, je remercie le professeur Benoît Okolo Okonda de la faculté de philosophie et lettres de l’Université de Kinshasa et de l’Université Saint-Augustin de Kinshasa, qui m’a apporté des précieux conseils et ses connaissances en philosophie africaine. Je dis également toute ma gratitude au professeur Mabiala Mantuba Ngoma de l’Université de Kinshasa et Directeur à la Fondation Konrad Adenauer Stiftung, pour ses encouragements et son soutien à mon projet de recherche et de publications.

Je voudrais dire toute mon indéfectible reconnaissance à ma chère épouse Jeannette Kabiona Mbumba et à tous nos chers enfants, Stanislas Lukumuena Mbumba, Clara Mbombo Mbumba, Perla Tshibola Mbumba et Ariel Henri Mbumba, pour leur présence discrète et leurs encouragements.

Puissent leurs Excellences Mgrs Stanislas Lukumuena Lumbala et Laurent Lupenzu Muabilayi, le Révérend Abbé Christophe Bomba Tshilumbayi, les Révérends Pères Bernard Ilunga wa Mbedi, Léopold Kalubende Nkashama, Célestin Muyembi Nkole, Épiphanie Thomas Boonga, Mesdames et Messieurs Médard Mbuyal Mangal, Marcel Kayumbi, Sophie Leclerc et Johanne Langevin, trouvent dans ce travail un meilleur témoignage de ma profonde gratitude pour leur soutien et leur amitié.

(18)

mes parents, mes frères et mes sœurs. Tout particulièrement, je garde fraîche la mémoire de ceux qui sont déjà partis et qui jouissent du bonheur des ancêtres et de Maweja a Nangila (Dieu aimant).

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Introduction générale

1. La problématique

La question de cette recherche s’insère dans la problématique globale, pour les peuples d’Afrique, d’une vie harmonieuse et d’un épanouissement global arrimé aux traditions et coutumes et nourri aux mutations profondes, qui affectent le monde contemporain. Cette quête peut-elle prendre la voie d’emprunts et ignorer les réalités propres à l’Afrique ? L’échec des plans d’action et des projets de développement n’est-il pas dû entre autres, au manque de considération de l’impact de cultures et traditions africaines sur notre perception du bien-être ?

Face à cette impasse s’impose une alternative : soit, se recentrer sur les traditions et cultures africaines et les revisiter pour en dégager une philosophie réfléchie de la vie et une politique du bien-être des peuples et du développement des nations ; soit, prendre en compte l’émergence d’une nouvelle culture résultant d’un processus de déstructuration-restructuration des cultures et traditions au contact de la civilisation occidentale et de la rationalité technoscientifique toujours en plein essor.

Cette double exigence suscite un débat qui met en procès trois tendances philosophiques. Une première tendance représentée par Alioune Diop, considère la redécouverte de la culture africaine comme le seul schéma pour faire advenir le développement et le bien-être des peuples en Afrique1. Mais cette thèse ne pourrait satisfaire puisqu’un développement basé sur l’héritage d’une culture repliée sur elle-même tournerait à court. Et nous ne pouvons ignorer la modernité d’où nous vient l’idée même du développement. À l’opposé de la première, la deuxième tendance représentée par Marien Towa et Elungu Pene Elungu, soutient que l’avènement du développement et du bien-être de l’Afrique dépend du processus de conversion à la science et à la technique modernes qui fait aujourd’hui la puissance des sociétés occidentales et même des sociétés émergentes. Par exemple, Towa affirme : « Les traditionalismes immobilisent la tradition et obstruent la révolution africaine et le

(20)

développement »2, et Elungu, lui, soutient que : « La tradition et la modernité sont des réalités monolithiques inconciliables »3. Mais une tendance qui exclurait l’âme africaine comme un

des repères essentiels est vouée aussi à l’impasse. En effet, bien qu’épanouissant et libérateur de parole et d’action, le modèle occidental de développement est considéré comme un développement « top down » puisque ne favorisant que l’élite politique et la recherche effrénée du capital qui fait peu de cas de la personne humaine. Par ailleurs, jusque-là mal appliqué par les Africains et leurs dirigeants politiques, ce modèle n’a pas facilité l’émergence d’une véritable politique du bien-être et du développement pour le continent. D’où la troisième tendance qui paraît conciliatrice des deux premières perspectives. Elle propose l’ouverture à la modernité occidentale et à la rationalité technoscientifique comme une garantie et comme un instrument nécessaire à l’élaboration d’une nouvelle politique du bien-être social et économique de l’Afrique contemporaine, le monde moderne restant une fondamentale — et même indispensable — possibilité pour le développement de l’Afrique. Dans cette perspective, l’héritage culturel traditionnel africain devrait être enrichi de la rationalité technoscientifique moderne à l’œuvre dans les schémas de développement empruntés aussi bien par les sociétés occidentales dites développées d’Europe et d’Amérique, ou encore d’Asie centrale et d’Asie du Sud-est. À titre d’exemple, l’axiomatique 22, « La culture, la tradition est la rampe indispensable du développement », formulée par Nkombe Oleko, présuppose que la tradition est une totalité dynamique ouverte aux autres cultures. Elle facilite le développement qui à son tour s’en nourrit pour réussir4. Dans la même optique

Okolo Okonda affirme : « Il y a une circularité : la tradition a besoin de la rationalité technologique pour son assomption et celle-ci fait appel à la tradition pour son épanouissement, et le dynamisme qui affiche une ouverture à l’intégration sont non seulement arrimés, mais ils sont aussi justifiés »5. Ainsi, la tradition et la modernité doivent

2 M. Towa, Essai sur la problématique de la philosophie dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1971, p. 80-112.

3 A. Elungu Pene Elungu, Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 68-79. 4 F. Nkombe Oleko, Pour une axiomatique du développement, Kinshasa, Nouvelles Rationalités Africaines (NORAF), 1986, p. 75-76. Voir aussi : M.H. Ba, Vie et enseignement de Tiemo. Le signe de Bandiagara, Paris, Présence Africaine, 1980, p. 56-58 : « La tradition ne s’oppose pas au progrès ; elle le recherche, elle le demande ».

5 B. Okolo Okonda, Pour une philosophie de la culture et du développement. Recherche de praxis et d’herméneutique africaines, Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1986, p. 89-101. Lire aussi : V.Y.

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s’interpréter et s’impliquer mutuellement pour une vitalité sans faille. Mais cette tendance a aussi ses limites, pour autant qu’elle fasse allégeance aux auteurs étrangers, alors qu’elle devait puiser dans les traditions et coutumes africaines pour lancer un véritable projet de développement intégré. Mais à bien voir les choses, ce débat philosophique est demeuré théorique et les différentes tendances ont éludé la vraie question de l’existence humaine des peuples africains qui, à notre sens, reste celle du bonheur partagé. Ces tendances auraient dû partir des cas concrets tirés des coutumes et traditions africaines pour élaborer une philosophie cohérente susceptible de faire hâter le développement et le bien-être des peuples.

Pratique et concret, le présent travail voudrait prouver le dynamisme de la tradition à partir d’un peuple, d’une tribu : les Luba-Kasaï. Pareille étude consiste à montrer que chez le peuple Luba-Kasaï, la visée éthique de l’existence humaine est le bonheur. Le bonheur reste non seulement une quête individuelle, mais il concerne aussi les autres membres, ainsi que les médiations institutionnelles et symboliques. Car le bien-vivre ne saurait être possible qu’en dépassant le face à face des relations entre les individus pour s’étendre à la dimension transpersonnelle, sociale et à la vie institutionnelle. Cette perception du bonheur oriente l’organisation de la vie, notamment en permettant à chaque membre de s’accomplir socialement, en favorisant la participation de tous à la gestion de la cité et du bien commun, et en occasionnant des structures politiques et sociales justes, ouvertes au respect de la vie, des droits, de la dignité humaine et des libertés politiques individuelles. Cette étude a aussi comme objectifs d’affirmer que : l’avènement du développement et du bien-être de l’Afrique ne dépend pas uniquement ni absolument du processus de conversion au modèle occidental, comme le seul dont l’Afrique ait besoin pour déclencher son développement. Il s’agit de montrer plutôt la nécessité d’une voie de réconciliation capable d’articuler dynamiquement la modernité (à l’Occidental) et la tradition africaine, le principe d’ouverture, d’universalisation, de médiation critique et d’intégration permettant l’enrichissement dans la réciprocité ; montrer, à partir de la culture luba-kasaï, que dans les pays africains ou émergents, chaque culture doit trouver en elle-même les socles éthicophilosophiques du développement harmonieux et d’une heureuse organisation étatique.

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Mais la meilleure compréhension de cette étude ainsi que de ses objectifs invite à évoquer brièvement la réalité historique de ce peuple avant de circonscrire le champ de la recherche.

2. Un rappel de la chronologie historique luba

La chronologie de l’histoire luba est linaire et se présente en deux étapes essentielles. L’étape de la royauté et l’étape de l’occupation du Kasaï. En effet, la genèse de la royauté luba serait le fait d’une femme dénommée Cimbale Banda. Dépositaire d’un pouvoir surnaturel, elle aurait rassemblé autour d’elle plusieurs clans dont les plus remarquables sont les Kanyoka, Songwe, Lunda et Luba. Le dynamisme éprouvé par ces clans royaux justifie le principe d’unification et de cohérence entre les trois principaux clans : Songwe, Kabeya et Ngandu a Mukadi. Ces trois clans royaux se seraient aussi succédés au pouvoir, et certainement plus d’une fois. Mais avec l’avènement de Kongolo, le royaume prend une autre dimension. Il s’illustre d’abord par l’évincement de son prédécesseur, ce qui lui a valu une grande popularité, en suite par la création d’un cérémonial de prestige au cours duquel il se fait introniser sur une peau de léopard, à l’ombre du feuillage de l’arbre prestigieux « Mumbu ». Ce geste sera retenu désormais comme faisant partie du cérémonial d’intronisation et l’arbre « Mumbu », associé déjà à l’ancêtre Cimbale Banda, deviendra l’un des symboles de la royauté. Créateur du cérémonial royal, Kongolo passe donc pour être l’initiateur de la véritable royauté luba, le Bulopwe. Désormais tous les successeurs Balopwe porteraient deux annaux appelés par les noms des deux héros fondateurs : Cimbale et Kongolo. Kongolo donna une plus grande extension géographique à son pouvoir, imposant sa suprématie à des chefferies périphériques dont l’organisation était moins élaborée. Cette situation justifie le fait que cette nouvelle réalité politique devait être qualifiée d’empire, puisqu’elle dépassait les limites du petit royaume connu jusque-là. La suite du règne de Kongolo allait apporter d’autres événements qui mèneront cette structure politique à son apogée. Mais les choses ne se passeront pas de cette manière. Survint Kalala Ilunga (le général de guerre), le héros triomphant qui en vint à évincer et à dépasser son oncle Kongolo, personnage déjà prestigieux dans son contexte. Le vainqueur de Kongolo installa sa capitale à Munza et régna sur le nom de Mwena Munza. Un nouvel ordre politique était né, plus impressionnant et plus élaboré que le précédent. C’est donc Kalala Ilunga qui s’est employé à étendre les frontières du royaume luba au point d’étendre son influence dans toute la région comprise entre

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Mbuji-Mayi, le Sud Maniema et la Luvua, même si celui-ci n’arrivait pas à contrôler tout cet empire avec efficacité.

L’occupation du Kasaï constitue une autre réalité historique luba, particulièrement contestée. Pourtant, l’exode qui est à la base de ce peuplement massif du Kasaï est considéré comme l’événement le plus marquant qui aurait succédé à l’instauration de l’empire. C’est que, confinés jusque-là dans le Katanga central et septentrional, les Luba vont à présent émigrer vers l’Ouest au point de donner lieu au clivage culturel reconnu encore aujourd’hui entre les Baluba Shankadi du Katanga et Luba (Lubilanji, Lulua et Luntu) du Kasaï : les uns parlant le Kiluba et les autres le Tshiluba ou Ciluba. Mais quelles sont les causes de cet exode ?

Les historiens, à l’instar d’Isidore Ndaywel, affirment que la première vague des migrations constituée des Luba Lulua, Konji, à laquelle on associe les Songwe et les Kanyoka, serait partie à cause de dissensions d’ordre politique entre Kalala Ilunga et Kongolo ; la seconde aurait suivi la première suite à la famine qui a sévi dans le pays. Cette vague était constituée des Luba Lubilanji6. Le récit recueilli par Mabika Kalanda évoque particulièrement le

manque du consensus et l’accord sur le partage de l’héritage politique7. Mais ce qui reste

important à souligner est que, dans ces pérégrinations vers le Kasaï en quête des nouvelles terres, les différentes populations de culture luba se réclament toutes d’un lieu mythique — Nsanga a Lubangu — lieu de passage ou d’origine avant d’essaimer dans toute la région du Kasaï. On parle aussi de Nsanga a Lubangu qui pourrait être soit une localité alors située aux environs de Kamina (au Katanga central), ou mieux encore un arbre portant des entailles8.

Avant l’arrivée des migrants, les terres du Kasaï n’étaient pas inoccupées. Des grands groupes des populations bantoues s’y trouvaient déjà. La région centrale était occupée par les Kete et les Bindji ; au Sud-ouest, il y avait les Salanpasu tandis que les ancêtres des Luba Lulua actuels étaient un peu plus à l’Ouest. Au nord, il y avait les Pende, puis les Lele et les Kuba, voisinant avec les Tetela qui occupaient le Nord-Est. Les Kanyoka occupaient la

6 I. Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Louvain-la-Neuve, Duculot, Afrique Éditions, 1997, p. 142.

7 A. Mabika Kalanda, Baluba et Lulwa. Une ethnie à la recherche d’un équilibre, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, 1959, p.89.

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région entre les cours moyens de Lubilanji et de Mayi. Sur la rive gauche de la Mbuji-Mayi actuellement occupée par les Bakuanga et les Bakwa Dishi, les Bindji furent bousculés par les nouveaux vénus et dispersés, dans toutes les directions9.

Constituée et organisée politiquement, l’ethnie luba s’est implantée profondément dans les deux régions du Kasaï de l’Ouest et du Sud-est. Il s’agit des actuelles provinces du Kasaï Occidental et du Kasaï Oriental. Mais en dépit de cette organisation politique, l’histoire des Luba-Kasaï ne présente pas une figure aussi importante dans la lutte contre l’esclavagisme, la traite, la colonisation-décolonisation et le pouvoir des missionnaires, à l’instar de Simon Kimbangu (un personnage Kongo au Bas-Congo) ou d’Emery Patrice Lumumba (un personnage Tetela au Sud-Kasaï). Les Luba ont participé à des mouvements généraux de contestation et de revendication face au pouvoir colonial des blancs et leur occupation économique dans le pays. Ils ont aussi pris part au mouvement politique général de lutte pour l’indépendance du Congo. À certains mouvements révolutionnaires de lutte pour l’autonomie politique ou après l’indépendance et de l’organisation de la nouvelle république, on associe souvent non seulement les personnages tels que Kimbangu, Lumumba, Mulele, Gizenga, Kamitatu Masamba, Kasa-Vubu, Adoula, Kimba et Tshombe, etc. mais aussi Claudel Lubaya, Luakabuanga et Kalonji Ditunga, dont l’ambition était de faire du Sud-Kasaï un état autonome. Par exemple Kalonji revendiqua la révision de l’article 7 de la loi fondamentale du 30 juin 1960 fixant le nombre de provinces à 6, pour qu’il soit porté à 7. La plupart de ces personnages ont participé à la table ronde organisée à Bruxelles pour l’octroi de l’indépendance et l’organisation de l’État Indépendant du Congo. Mais la faiblesse de cette nouvelle organisation était qu’elle résultait des manipulations politiques nées des solidarités tribales et des oppositions apparues à la décolonisation. Apparemment, la solidarité tribale était plus solide que la solidarité idéologique, et le réseau idéologique qui a pu intégrer le réseau tribal a ainsi bénéficié d’une solidité plus grande. À cette période, deux partis politiques ont pu dominer au Kasaï, notamment : Le MNC l’aile de Kalonji Ditunga au Sud-Kasaï et l’UNC de Claudel Lubaya au Sud-Kasaï central. Reste que c’est autour de ces formations politiques, des coutumes et de la langue que l’unité politique du peuple Luba s’est édifiée.

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3. Le champ de la recherche

Mener une étude sur une ethnie aussi étendue et nombreuse que l’ethnie luba n’est pas une entreprise aisée. Ce groupe constitue l’un des grands ensembles ethniques (bantous) de l’Afrique centrale. Les ressortissants de cette ethnie se retrouvent dans diverses contrées de la République, représentant un vaste territoire irrigué par de nombreux cours d’eau dont les plus importants sont le Lomami, le Lualaba, le Sankuru, la lulua, le Kasaï (qui prête son nom au peuple et au territoire) et le fleuve Congo. La langue de communication est le Tshiluba (ou Ciluba), l’une des quatre langues nationales. À la suite de multiples migrations et des brassages culturels, cette langue a subi plusieurs influences et, naturellement, s’est développée en plusieurs dialectes dont les remarquables ressemblances font l’unité du grand groupe Luba-Kasaï.

L’ethnie luba étant très vaste, notre étude portera sur les deux provinces du Kasaï, notamment le Kasaï Occidental et le Kasaï Oriental, régions ayant le Tshiluba comme langue de communication et partageant les mêmes coutumes et traditions. Plus précisément, il s’agit des Luba-Lubilanji appelés « Bakua-Kalonji » dont les Bakuanga, et les Bena-Mpuka, aussi appelés respectivement Bena-Mutu a Mukuna et les Bena Tshibanda, de la région du Kasaï Oriental (Chef-lieu Mbuji Mayi), les Luba-Lulua, appelés Bena Lulua dont les Bena Mutombo et les Bakua-Katawa, du Kasaï Occidental (Chef-lieu Kananga) et les Luntu appelés communément Bakua Luntu résidents au Kasaï Occidental. Les autres ethnies notamment Kete, Lele, Kuba, Pende, Chokwe, Bindji, Songwe, Kanyoka, Tetela, Salanpasu, etc. des deux Kasaï ont appris le Tshiluba au contact des Luba. Elles ne seront pas prises en compte dans ce travail parce qu’elles constituent des groupes socioculturels distincts ayant aussi leurs langues propres, leurs coutumes et traditions10.

10 M. Guithrie, The classification of the Bantu Languages, Londres, 1948 et The Bantu Languages of Western Equatorial Africa, Londres, 1953 : Selon sa classification, le Tshiluba (Ciluba) est une langue bantoue de la zone L, précisément L20-40. De même que dans les langues de la zone H, celles de la zone L ont pour particularité la paire « mu/ba » comme marque du singulier et du pluriel. Par exemple : « mu-ntu » (singulier)/ « ba-ntu » (pluriel), « mu-kongo » (singulier)/ « ba-kongo » (pluriel), « mu-yaka » (singulier)/ « ba-yaka » (pluriel). Selon cette flexion, on dira « mu-luba » pour le singulier et « ba-luba » pour le pluriel. Avec la colonisation, et donc la francisation, le problème se pose de savoir quelle marque du singulier/pluriel maintenir quand on insère un mot bantou dans une phrase en français. Par exemple, faut-il dire (écrire) « le mukongo »

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L’éthos culturel luba-kasaï charrie des notions corrélatives qui loin d’être opposées constituent son unité intrinsèque. Par exemple les notions de la vie, de l’homme, de Dieu, de la mort, de la communauté, de l’hospitalité ou de la solidarité, etc. présentent entre elles des corrélations à ce point évidentes que l’on ne peut dissocier l’une des autres. Il y a une symétrie, telle que l’évocation de l’une des notions en appelle à une autre, ou aux autres.

Soulignons également que, la pertinence de notre recherche sur les pratiques sociales et politiques luba-kasaï ne tient pas nécessairement au fait de la différenciation de ces pratiques avec les autres cultures bantoues congolaises ou africaines, mais plutôt dans le vécu quotidien et ordinaire de ce peuple. C’est donc à dessein que nous ne procéderons pas à des comparaisons dans ce travail, entre les peuples, les civilisations, les cultures, les traditions et les coutumes. Néanmoins nous pouvons suggérer quelques exemples qui marquent la différence entre la culture luba et les autres cultures de la République Démocratique du Congo. Par exemple dans le processus de donation de la dot. Chez les Bakongo, la dot est, d’une part, négociée entre les oncles paternels et maternels de la fille, et d’autre part entre ces parents de la fille avec les parents de son fiancé. Ces négociat ions sont appelées « le Kinzonzi ». À l’issu de ce Kinzonzi, chaque partie reçoit sa part de dot. Chez les Baluba, la dot ne se négocie pas, elle est proposée à travers une liste des biens exigés selon les coutumes et les us. Le fiancé et sa famille peuvent donner ce qui est possible à offrir. Cette pratique se fonde sur les principes tels que :

• Mutshi udi ku bianza ke utu ushipa Nyoka : le bâton qu’on a à la main est celui qui sert à tuer le serpent. Ce qui signifie, on peut donner ce qu’on a en dot, en dépit de la quantité des biens exigés par la famille de la fille. • Ku buku nkudiala, ce qui signifie que la donation de la dot ne se termine

pas, elle se poursuit même après plusieurs années de mariage. Car la fille donnée en mariage n’est pas considérée comme vendue à la famille de son fiancé.

Ces faits sociaux constituent des marques de différenciation entre les peuples, mais elles ne seront pas prises en compte dans cette recherche.

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4. La méthode

Pour mener à bien cette étude, il nous semble plus que nécessaire de colliger un certain nombre des matériaux scientifiques disponibles et même indispensables à cette élaboration. Les matériaux colligés doivent se prêter à l’analyse, à la critique historique rigoureuse et à l’interprétation. Deux moments méthodologiques correspondent aux deux préoccupations essentielles du travail. Le premier moment est celui de la lecture de la tradition et de la culture luba-kasaï en vue de dégager une synthèse éthique et politique. Une pareille entreprise se place au sein d’un environnement bibliographique donné, mais aussi dans un immense champ de proverbes, de sagesse populaire, de légendes, de mythes, de récits, de contes, de fables, de dictons, de chants, d’œuvres d’art plastiques, ou encore mieux d’histoire. Ici nous voudrions dépasser le cadre purement ethnologique et nous poser la question de l’existence, de la formulation et de l’universalisme éthique au regard des philosophes comme Paul Ricœur, Hans Jonas, Hans Georg Gadamer, Peter Kemp, Karl Otto Appel et Jürgen Habermas. Bref, il s’agit d’une démarche herméneutique. Le deuxième moment méthodologique est celui de la recherche des incidences et des perspectives modernes. Ici une synthèse de grands interprètes de l’Afrique contemporaine sera nécessaire pour trouver des points d’ancrage pour une fécondation mutuelle entre la tradition, la modernité et la culture luba-kasaï sur le projet du bonheur partagé. Il s’agit là d’interpréter le monde africain, l’univers luba-kasaï, de lui donner toute sa valeur de manière à en tirer une éthique du bonheur partagé. Celle-ci se propose d’expliquer et de comprendre, d’interpréter les problèmes existentiels des sociétés traditionnelles, ceux des hommes et de leurs démarches pour une société plus heureuse, ainsi que de leur vécu quotidien dans le monde moderne actuel.

Bien que fondamentalement un travail à caractère philosophique, cette recherche touche plusieurs disciplines scientifiques dont les sciences sociales, c’est-à-dire l’anthropologie et la sociologie, la morale, le droit, la linguistique, la psychanalyse, la psychologie, l’histoire, la théologie et la philosophie. Chaque discipline a son originalité et privilégie sa propre méthode d’analyse et d’interprétation des données. Le fait de remarquer ces différentes disciplines intervenir dans la présente étude, évoque naturellement la fécondité et la nécessité de recourir à « La méthode architectonique et triangulaire » que proposent Bongo-Passi

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Moke Sangol et Tshibalabala Kankolongo11, par ailleurs reprise et appliquée avec succès par bien d’autres chercheurs et philosophes faisant les études sur les cultures anciennes.

En raison de l’immensité du champ de réflexion, nous nous sommes rendus à l’évidence que la seule méthode philosophique, réflexive ou critique ne suffit pas. C’est pourquoi il nous est apparu impérieux de recourir à cette autre méthode qui vise une analyse épistémique des différentes sciences en présence. Grâce à elle, nous sommes arrivés à coordonner et à utiliser judicieusement plusieurs perspectives constructives et structuralistes, appropriées à chaque discipline impliquée dans cette recherche, pour ensuite recourir à la démarche philosophique, réflexive et critique, c’est-à-dire herméneutique. Comme le dit Tshibalabala Kankolongo, forts de ce fond méthodologique, nous avons entrepris un « voyage du préphilosophique au philosophique, de la méthode constructive à la méthode réflexive, du monde de la pensée implicite à celui de la pensée explicite et du phénoménal au nouménal »12. Dès lors, nous sommes conscients que notre travail comporte plusieurs aspects. Nous utiliserons donc la méthode herméneutique en tant que méthode d’analyse critique rigoureuse et contrôlable. Elle nous permettra d’interpréter les coutumes et tradition luba-kasaï à la lumière des questions actuelles du bonheur partagé et du projet de progrès ou du développement du continent noir, que se posent les sociétés africaines émergentes d’aujourd’hui.

Les proverbes, les contes, les mythes, les chants populaires, les dictons, les fables, etc. seront repris en Tshiluba et seront traduits en français de manière à donner une idée exacte du sens qu’ils véhiculent. Pour cette raison nous procéderons souvent à une traduction littérale, en prenant évidemment soin de préciser les nuances de la signification selon les différents contextes de communication. Notre interprétation sera donc adaptée au contexte et en rapport avec la ligne de notre étude. Cependant, il n’a pas été facile de traduire certains mots en

11 W. Bongo-Pasi Moke Sangol, « Architectonique et triangulaire : particularité méthodologique en philosophie africaine », Annales de la faculté des lettres et sciences humaines 6-7 (2006-2007), Kinshasa, PUK, 2008, p. 95-111 ; W. Bongo-Pasi Moke Sangol et A.-B. Tshibalabala Kankolongo, « Les particularités méthodiques d’une recherche sur les interdits en milieu luba-kasaï (R. D. Congo) », Annales de la Faculté des lettres et sciences humaines 6-7 (2006-2007), Kinshasa, PUK, 2008, p. 203-217.

12A.-B. Tshibalabala Kankolongo, Les interdits traditionnels africains luba-kasaï. De la morale de commandement à l’éthique de la responsabilité, Allemagne, Éditions Universitaires Européennes, 2011, p. 312-316.Vue la complexité des coutumes et traditions africaines, cette méthode semble la mieux adaptée à notre

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français. Nous nous sommes ainsi contentés de les reprendre comme tels en Tshiluba.

En abordant, pour les peuples d’Afrique, la question du bien-vivre et du vivre-ensemble dans des institutions justes, nous réaliserons une synthèse herméneutico-éthique et politique que nous réactualiserons dans des systématisations nouvelles pour la rendre plus efficiente en rapport avec le contexte de la modernité technoscientifique ou de l’ordre mondial actuel. Nous chercherons aussi à dégager une signification de l’éthique du bonheur partagé enfouie dans les coutumes et tradition luba-kasaï. Ceci nous épargnera naturellement de tous les risques de spéculations évasives et d’en rester à l’incantation.

5. Le contenu de la thèse

Cette étude se déclinera en deux articulations majeures. La première consistera dans un examen rigoureux et complet de la triade éthique de la sagesse de la tradition luba-kasaï, en explicitant la question de l’existence humaine, comme quête d’une vie totale, abondante et accomplie, avec ses implications sociales et politiques dans la vie de tous les jours. La seconde articulation consistera à dégager de la triade ce que l’on peut considérer comme la philosophie du bonheur partagé luba-kasaï à travers les proverbes, les contes, les mythes, les fables, les dictons, les chants populaires, les arts plastiques, ainsi que la dimension symbolique qui par la pratique et l’observation des interdits et prohibitions favorise l’équilibre social et incite à la meilleure prise de conscience de la responsabilité historique mutuelle.

Selon cette articulation, nous subdivisons l’étude en quatre parties. Les trois premières portent sur la triade de l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï tandis que la quatrième cherche à situer cette éthique dans le débat philosophique global entre la tradition et la modernité et à indiquer, à travers une formulation d’une nouvelle anthropologie, quelques pistes de solution aux défis contemporains auxquels font face le monde actuel et les sociétés africaines montantes.

La première partie tente de mieux comprendre l’idée de la personne et son idéal de bonheur, en déterminant le statut de la personne en fonction de l’idée qu’elle se fait elle-même de la vie et du bonheur partagé. Le premier chapitre de cette partie tâche de mettre en évidence

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la vie comme un bien suprême, la pratique des règles de la sagesse, de la vie juste et la possession des biens matériels essentiels à la vie. Le deuxième chapitre met en exergue la mort comme une voie vers le bonheur qui ne finit pas ; il pose les questions de l’universalité de la mort, de son caractère inéluctable et absurde et affirme la maigre sympathie des humains pour la mort. Le troisième privilégie l’idée de la révélation de Dieu au peuple luba, de la création du monde et de Dieu lui-même comme la source de tout bien. Le dernier chapitre évoque l’idée de la personne comme un mystère qui ne peut se dévoiler par le nom qui le lie à ses ancêtres, de sa membralité et de la symbolique qui explique les avantages de la cohésion, de l’unité et de respect mutuel entre les membres de la communauté d’être.

La deuxième partie met en lumière le fait que, dans la culture luba du Kasaï, l’individu est toujours déjà membre de la communauté de destin, car c’est en elle qu’il acquiert sa vie et son bonheur. Le premier chapitre montrera que, comme lieu d’épanouissement et d’expression de talents, la communauté de destin met à l’avant-plan le sentiment d’appartenance et d’attachement à sa terre et aux membres de sa famille et de la communauté. Le deuxième cherchera à ressortir les exigences éthiques du vivre-ensemble et de la promotion du bonheur partagé. Le troisième chapitre posera le discours comme une recherche de l’altérité et comme lieu d’éclatement de la pluralité des rationalités. Car exprimer sa pensée est une manière de vivre le bonheur. Le quatrième chapitre mettra en évidence l’éthique sexuelle, l’institution du mariage, la vie conjugale et l’observation des interdits sexuels comme lieu d’apprentissage de la vie, de la reconnaissance mutuelle, de la responsabilité, de l’acquisition de la maturité et du partage du bonheur. Le cinquième chapitre avancera l’idée que la pratique des vertus permette aux individus de promouvoir l’équilibre social et le bien-être pour chacun et pour toute la communauté de destin.

La troisième partie aborde des questions touchant l’éthique politique et la médiation des institutions publiques. Elle veut montrer que la quête du bonheur partagé ne peut réussir que moyennant la médiation institutionnelle qui ouvre son champ aux tiers et aux citoyens membres de la cité historique et éthique. Il s’agit de montrer, dans son premier chapitre, la pertinence de la préservation ou de la restauration de l’ordre public et de la justice sociale grâce auxquels les citoyens réalisent l’épanouissement de leur vie, de leurs droits, de leurs libertés politiques individuelles et de leurs talents. Sur ce fond de droits, le deuxième

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chapitre vient greffer les grands principes de la culture et de la praxis politique luba-kasaï qui, en fait, privilégient la participation de tous à la gestion du pouvoir et du bien commun, le devoir de la justice et du respect des droits et des libertés de chaque citoyen, la promotion de la bonne organisation des institutions publiques. Par la même occasion, le troisième chapitre montrera le cadre juridique nécessaire au maintien de l’ordre et du respect de la loi commune, tout cela compris comme socle du bonheur partagé. Le quatrième chapitre mettra en lumière les mécanismes de réparation et de restauration de la vie après l’injustice commise à la hiérarchie ontologie : Dieu Maweja, les ancêtres, les parents-morts et les ainés. Il définit aussi le cadre juridique qui justifie ces pratiques de réparation et de restauration et ouvre la voie à la reprise du projet rompu de la recherche du bonheur.

À partir de l’éthique du bonheur partagé luba, la quatrième partie cherche à planter au cœur du débat philosophique la question du rapport entre l’éthique du bonheur partagé luba, la tradition et la modernité dans toutes ses articulations (philosophie, arts, science et technique). Le chapitre premier met en évidence l’idée du procès de la tradition africaine en montrant son côté rationnel, mais aussi les contradictions internes qui la dénaturent et effritent son intensité ou plutôt son intentionnalité créatrice de sens et de signification pour les peuples et les nations africaines. L’incohérence de certaines coutumes ne permet pas une meilleure adaptation de la tradition dans le contexte actuel. Ce chapitre prend également la mesure du choc et les réactions que la rationalité et la civilisation occidentales ont provoquées chez l’homme africain en général et Luba-Kasaï en particulier et la réorientation que cela a suscitée. La rationalité occidentale a apporté le développement, mais elle a aussi détruit les cultures et traditions africaines. À l’issu de ce débat, le deuxième chapitre pose au carrefour de la tradition et de la modernité l’herméneutique philosophique de manière à établir un dialogue entre les deux pôles, c’est-à-dire il définit le rôle du philosophe qui consiste à réaliser une fusion entre les valeurs de la tradition et des acquis de la modernité. La fonction herméneutique est de plier la technique et la science aux objectifs humains. Il s’agit de réaliser une synthèse herméneutique entre le rationnel et le raisonnable. Certes, la rationalité technoscientifique est au service de l’humain, mais elle doit s’autodomestiquer en freinant ses ardeurs et conquêtes qui dénaturent l’humanité. Le chapitre troisième relie à la fonction herméneutique la question de la conscience de la responsabilité historique, de l’universalisme

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occasion, il montre aussi que, en tant que telle, l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï apparaît comme une œuvre de création humaine se fondant sur la tradition passé-présente et future. Et par le fait que son objet est l’humain, elle peut prétendre à l’universel ou plutôt elle peut être universalisable. Et se fondant sur sa praxis sociale du vivre-ensemble, du respect de la vie comme bien suprême, de l’organisation institutionnelle des communautés, l’éthique du bonheur partagé luba peut résoudre certains problèmes que se posent les peuples d’Afrique d’aujourd’hui.

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PREMIÈRE PARTIE

LA PERSONNE ET SON IDÉAL DE BONHEUR

Introduction

Cette première partie tâchera d’élucider l’idée que le Luba-Kasaï se fait non seulement de la vie et du bonheur partagé, de la sagesse de la vie pratique dont l’observation des règles conduit à une vie épanouie, mais aussi de l’importance de la relation comme moyen efficace de maintenir l’équilibre social et l’harmonie entre les membres de la communauté de vie. Il sera donc question de montrer que le désir de l’homme luba, c’est la vie réussie et le bonheur. Ce désir concerne la personne dans sa totalité et requiert aussi la possession des biens indispensables à sa réalisation. Être de besoins, le Luba-Kasaï croit qu’il n’y a pas de véritable bonheur sans la possession abondante des choses ou des biens matériels. En ce sens, le bonheur devient coextensif à la vie, si bien que même après la mort il le retrouve auprès de Dieu de toute bonté et des ancêtres. De ce point de vue, le sens de l’existence reste le véritable désir, le vœu permanent d’une vie qui ne finit pas, qui ne meurt pas. Par la même occasion, il sera aussi question d’expliquer que, chez le Luba-Kasaï, le désir du bonheur et de la vie vise à la fois l’accomplissement individuel et celui de la communauté de destin. Cette « membralité » explique toute autre relation qui remonte à la lignée fondatrice de la famille, du clan, de la tribu, de l’ethnie ou de la grande communauté. C’est ainsi qu’on expliquera également le sens du nom donné à un enfant comme un signe de bonheur et de vie parce que faisant référence à ce chaînon de relation dont les racines sont les pères et les mères, et au-delà d’eux les fondateurs du clan et les Bankambua (les ancêtres), les Bakole (les initiés) ou encore les Bakulu (les aînés).

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CHAPITRE PREMIER

LA VIE COMME BONHEUR SUPRÊME

1. La vie : Moyo ou Bukole

a) La vie : un bien désirable

Dans la langue Tshiluba, la vie est appelée « Moyo ». Elle est le bien par excellence. C’est pourquoi elle fait l’objet du souhait le plus ordinaire et le plus courant entre les membres de la communauté. Cet imaginaire dicte, par exemple, les formules de salutations telles que : « Moyo au ! », que la vie soit avec toi ; soit avec vous ! « Moyo weba au ! », que la vie soit avec toi ! On ajoute : « Ne Bukole » ou « Udi ne Bukole », « Udi ne dikanda (singulier) ou « Udi ne makanda (pluriel) : avec force. Cet imaginaire montre que, pour les Luba-Kasaï, être heureux c’est d’abord vivre et vivre pleinement avec force. Être heureux, c’est posséder d’abord la vie. Dans cette perspective, l’essence de la vie définit l’essence même de la personne. Sans la vie, l’existence n’est pas possible, et de ce fait, n’est point possible la présence sur la terre. En témoigne l’expression :

« Kuikala ne Moyo », être avec la vie, ou encore mieux être vivant.

Comme « Moyo », la vie de la personne peut s’accroître, augmenter, devenir forte ou tout simplement s’affaiblir jusqu’à s’éteindre. Pour les Luba, être fort, c’est fortifier sa vie, c’est la rendre abondante et épanouissante. Devenir faible, c’est en réalité connaître une sorte de déchéance de la vie, c’est perdre en soi cette possibilité d’être, c’est en fait « Kuangula lufu », trouver la mort.

Mais cette vie n’est pas synonyme de « Bukole », la force. Cela ressort, notamment, de cette affirmation à propos d’un malade grave ou d’un vieillard grabataire déjà affaiblit : « Udi ne Moyo, apo kena ne makanda to », il est avec la vie (il a la vie), mais il n’est pas avec la force (il n’a pas de force), ou encore cette autre au sujet d’un individu mordu mortellement par le serpent : « Yeye uvua mua kuikala mufua, kadi udi ne Moyo ne dikanda » : il serait mort, mais il est avec la vie et la force. Ainsi donc, pour obtenir en abondance et en plénitude ce bien désirable et même la force qui l’accompagne, l’individu Luba doit s’adresser uniquement à Dieu.

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b) Une chose sacrée

Dans l’imaginaire culturel luba-kasaï, tout ce que peut entreprendre la personne vise la promotion de la vie et de la vie qui dure. Car la vie forte, intense et totale est considérée comme quelque chose de sacrée. Cela en fonction de deux raisons fondamentales. D’abord, à l’instar de tout autre bien, la vie est un don précieux reçu de Dieu. Ce don est identifié avec la fin en vue de laquelle s’accomplissent toutes choses. Il est le but que vise l’activité humaine dans toute sa globalité ; il est une des forces spirituelles remarquables de la personne. Dans son individualité, chacun aspire à ce bien qu’il est tenu de promouvoir aussi bien pour lui-même que pour sa communauté tout entière. Elle est même la raison fondamentale de toutes les prières et de toutes les invocations adressées à Dieu et aux esprits. En témoigne une prière telle que :

Mvidi Mukulu Mulopo wani umpesha Moyo. Ngikala mukole. Mona tshiuma ne bubanji. Mbake, Ndele : Seigneur Dieu, donnes-moi la vie et la force de la vie. Que je sois fort, que je vois les richesses et les avoirs. Que j’épouse, que j’engendre13.

Cette prière traduit le désir permanent de la vie. Dans cette optique, la vie apparaît pour l’individu Luba-Kasaï comme le plus grand bonheur, le seul bonheur désirable ; il veut posséder la vie, la puissance infinie de la vie.

Ensuite, la deuxième raison est que, d’une part, la vie est un bien partagé par Dieu lui-même, qui en est la source, les ancêtres et les hommes ; d’où l’obligation au respect strict, à la soumission inconditionnelle et à la reconnaissance parfaite à Son égard et à l’égard des ancêtres. D’autre part, l’homme Luba vit ce bonheur comme un être social, conscient du rôle que jouent l’autre et la communauté de destin dans l’acquisition même de son propre bien. Car autant la vie est un bien précieux et sacré pour lui, autant le désir de cette même vie habite tous les autres membres de sa communauté. D’où il est également tenu au devoir du respect de la vie de l’autre, de tout un chacun.

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c) Un bien à protéger

Chez les Luba, autant la vie est un bien désirable, autant est détestable toute force qui handicape et qui détruit la vie. Le Luba-Kasaï sait qu’une force peut être plus forte qu’une autre, et peut paralyser sa vie au point de le rendre incapable d’agir ou encore de le détruire totalement. Mais la vie elle-même subsiste. Cela revient à dire que, selon le peuple Luba-Kasaï, aucune force de la nature créée par Dieu ne peut se donner le droit d’enlever la vie à une autre personne fut-elle faible ou étrangère. De ce point de vue donc, la vie comme un bien précieux et sacré doit être protégé contre des intentions perverses et destructrices. Mais dans la pratique, malgré son recours à Dieu, l’homme Luba-Kasaï semble être conscient qu’il n’est pas à l’abri des influences malveillantes qui viennent perturber souvent le cours normal de la vie et du désir du bonheur. Ainsi que l’affirment également T.A. Fourchet et H. Morlighem :

La personne vivante se trouvant en harmonie et en relation avec Dieu, avec son ascendance, avec les membres de son clan ou les membres de sa famille et avec ses propres enfants, avec tout ce qui existe en dessous ou au-dessus, considère que tout cela contribue à l’épanouissement et au renforcement de la vie. Ainsi, la vie comme un bien sacré se doit d’être protégée de toutes les forces maléfiques ou des intentions malveillantes14.

Lorsqu’une personne subit pareille atteinte, on dit qu’elle est une personne sans vie réelle et sans bonheur ; elle est intérieurement diminuée en raison du manque manifeste de la force de vie. Cette personne est un « Muntu mutupu », un « Muntu wa patupu », un « Muntu wa tshianana », un homme ou une femme vide, sans perspective et sans raison de vivre et d’exister. Bref, c’est une personne morte, « Muntu mufua ». Il ne s’agit pas d’une mort physique, mais d’une mort symbolique, on peut dire même spirituelle.

On la déplore, et en même temps, on cherche à connaître les raisons de cette souffrance et de cette diminution. Car, chez les Luba, la personne est censée être toujours forte et puissante, un signe manifeste de sa présence sur la terre et de son plein épanouissement.

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