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a) Une règle sociale et un droit d’aînesse

La parole de la bienveillance va jusqu’à imposer le respect comme l’une des garanties de la vie commune. Pour les Luba-Kasaï, vivre en communauté c’est savoir respecter la personne d’autrui, ses aspirations profondes, ses droits fondamentaux et sa dignité inaliénable. Dans la vie pratique, cette vertu du respect considère la personne dans toutes ses dimensions. Elle la considère comme la sève sans laquelle la vie commune perd toute son ardeur et tout son sens. Indistinctement, cette vertu semble s’appliquer à toutes les catégories des membres de la communauté de destin. Jeunes comme adultes sont tenus à la pratique rigoureuse du respect. Dans le langage tout comme dans les gestes, la vertu du respect mutuel reste de rigueur. En témoigne le dicton tel que :

Buta bunemeka Mpanda Mpanda unemeka Buta. Littéralement, Buta l’aîné, respecte le puiné et Mpanda le puiné, respecte l’aîné.

Cette règle tire sa source dans la considération du rang qu’occupe l’aîné dans la famille, elle constitue un facteur majeur d’union et de communion. C’est ainsi que l’aîné est à la place d’honneur ; il est en quelque sorte le chef naturel et garant de l’unité de la famille. Comme le suggèrent les proverbes et dictons tels que :

Kua Mukulu nku diba nansha bakuamba kaana : Même si l’aîné a une intelligence moyenne, il mérite bien ce respect.

Menji nkabuji ka Kapumbu, pa apanga Mukulu Muakuni wa muleja : la sagesse est comme un bouc, si l’aîné le manque le puiné les lui donne, ou lui montre.

Mais pour mériter ces égards, le Mukulu, l’aîné, est tenu de remplir adéquatement son rôle, en respectant les autres, en les écoutant, en s’oubliant soi-même et en pardonnant. Il doit faire doublement attention pour ne pas décevoir les attentes de la communauté. Le respect du droit d’aînesse scelle aussi la hiérarchie dans la pratique de cette vertu :

Tshitunji katshitu tshipita nshingu bule : les épaules ne dépassent jamais le cou.

Matshio ka atu apita mutu bule : les oreilles n’atteignent jamais la hauteur de la tête.

Cette règle est de rigueur, la déroger c’est déroger à une règle sociale nécessaire, c’est être vide de l’éthique même de la réciprocité et de la bienveillance. Particulièrement, le puiné est appelé à intégrer cette règle sociale dans sa vie de tous les jours, à avoir des égards par rapport à ceux qui ne sont pas de son époque. Par exemple, les enfants sont tenus à regarder non seulement leurs parents avec respect, mais également à suivre les recommandations qui leur sont données. Les parents et les aînés pour autant qu’ils soient considérés comme des garants de la vie et de la relation, ils prennent le respect qui leur est donné comme un droit. En effet, il n’existe pas de classes sociales dans la société baluba. Mais au sein de chaque famille, de chaque clan, Diku, l’ordre de naissance confère à certaines personnes plus de privilèges et d’avantages que les autres. Il s’agit là du droit d’aînesse qui est fondé sur l’ordre naturel des choses : les hommes n’étant pas nés le même jour, l’aîné de la famille ou Muana-a buta, Muana Mukulu occupe une position privilégiée par rapport à ses frères et sœurs puînés.

Ce droit d’aînesse est donc héréditaire. Il n’est pas nécessairement lié à l’âge. Il peut revenir au jeune frère au sein de la famille (Diku). De la sorte, l’enfant peut détenir son droit d’aînesse de son père ou de sa mère. Cela revient à dire que les enfants nés du père détenteur du droit d’aînesse obtiendront le même droit à leur naissance par rapport au reste de la famille clanique (Diku). Avec leurs descendants, ils constituent la lignée aînée. Toutefois, parmi eux, certains enfants ont traditionnellement plus d’autorité et de privilèges que les autres. En l’absence du père, c’est le fils aîné qui le remplace. L’aîné de la lignée vient en première position par rapport à ses frères et sœurs puînés et au reste de la famille. De même, en cas de polygamie, la première femme qu’on appelle « Muadi-Mukulu » ou encore « Mukaji Muadi » a la préséance sur ses coépouses. Ses enfants viennent en première position par rapport aux

enfants d’autres femmes (nés du même père). Une sorte de hiérarchie de respect s’établit entre les enfants en fonction de l’ordre d’arrivée de leur mère dans la famille. Mais cette hiérarchie n’est pas visible dans les rapports entre les enfants qui doivent se respecter mutuellement en fonction de leur âge. Elle ne se fait sentir que dans les rapports entre les vivants et les morts et dans toutes les manifestations où les ancêtres sont censés intervenir. Dans ces manifestations, c’est l’aîné qui doit présider toutes les cérémonies des « Milambu » offèrent aux ancêtres et aux morts. On lui offre également les dots des filles des frères ou sœurs puînés :

Biuma bia Mulambu ou Milambu, c’est-à-dire les dots de l’offrande.

b) Le respect dû aux plus jeunes et aux personnes âgées

Inversement, les parents et les aînés sont eux aussi tenus à la pratique de la vertu de respect par rapport aux plus jeunes. Ceux-ci bénéficient aussi des mêmes droits et de la même considération. Car il y va de l’harmonisation de la relation et de l’équilibre social dans l’ensemble de la communauté. C’est une sorte de marque du savoir-vivre-ensemble, du savoir-être et de la recherche du bonheur partagé. Cette marque s’étend aussi au respect de toute personne vivant dans une situation délicate selon son âge avancé ou selon qu’elle a une malformation physique ou mentale. Il s’agit du respect dû aux personnes âgées et aux personnes vivant avec une certaine déficience. La personne âgée du fait du trésor de la sagesse qu’elle incarne et qu’elle possède mérite une attention particulière. Pour le peuple Luba-Kasaï, la vieillesse n’est pas une raison de maltraitance, mais une raison de reconnaissance et de bienveillance. Il en va de même pour toute autre personne ayant une sorte de déficience. Ici il est strictement interdit d’insulter, de maltraiter ou de s’en moquer. Dans les gestes comme dans les paroles, celui qui manque de respect à cette catégorie de personnes encourt une malédiction de la part de Dieu Maweja et des ancêtres. Ainsi que le confirme ce dicton :

Kuseki Mulema upanga kufua disu wa tshibuka mokolo : ne te moque pas ou ne rit pas d’une personne âgée ou d’une personne avec déficience, si tu ne perds pas ton œil, tu finiras par te casser la jambe.

sont conviés à leur apporter secours dans les différentes circonstances et à leur garantir tous les droits et toute la dignité. Au regard du caractère impératif de cette règle, on peut dire qu’il s’agit d’une perspective déontologique de l’agir luba. Elle vise aussi bien l’humanité de l’homme que la personne elle-même. Il s’agit du respect de l’humanité de la personne. Celle- ci commande par sa nature propre le respect. Le respect dû à la personne âgée, aux malades ou à une personne vivant avec un handicap, répond ici, chez les Luba évidemment, à la règle d’Or : « Ne fais à autrui ce que tu détesterais qu’il te soit fait ». La vertu du respect interdit de faire du mal à autrui, de lui faire un tort ou de lui enlever la vie. Cette règle sociale est donc intransigeante à telle enseigne qu’elle apparaît comme l’un des fondements indispensables de la morale luba visant l’équilibre social et le bonheur, partant le maintien naturel de l’harmonie des rapports entre les membres avec toute la communauté de destin. Elle est une marque de sollicitude, de sympathie, de bienfaisance et d’affection. Car elles sont toutes un seul et même vécu. Cette vertu s’applique aussi dans l’exercice de la parole d’autorité.