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a) L’interrogatoire

Dans l’univers luba, toute personne est convaincue que l’épreuve du jugement dernier n’est qu’un passage nécessaire pour franchir les portes d’une nouvelle vie et du bonheur. Ainsi ils sont sereinement préparés à affronter le jugement et d’accepter le verdict qui en découle. Sa famille et les sympathisants l’assistent et l’accompagnent dans ce moment de dure épreuve.

Comme le suggère encore L-V. Thomas, « une coutume africaine bien répandue, le jugement consiste en un interrogatoire du cadavre lors duquel se défend le défunt. C’est-à-dire les hommes choisis de la famille ou du clan procèdent à l’interrogation du cadavre »29. Cette

interrogation devient plus sévère si la personne n’a pas vécu en parfaite harmonie avec Dieu, avec les lois de la vie bonne et avec les membres de sa communauté d’être.

Comme le dit Mabika Kalanda, dans l’univers luba « cet interrogatoire du cadavre prélude déjà à celui que le défunt subira le jour même de sa présentation devant Dieu »30. Il ne s’agit

pas d’une punition ou d’un rejet basé sur l’émotion, mais d’un processus normal qui permet à l’individu de s’affranchir du mal, de la souffrance et d’entreprendre une nouvelle vie et espérer un bonheur sans fin. En interrogeant le défunt on s’assure que sa défense servira à le laver de ses malveillances, de ses angoisses et ses peurs. Chez les Luba-Kasaï donc, le défunt ou la défunte se doit de répondre et de se justifier devant une longue série des questions :

Pourquoi as-tu mangé la chair humaine par sorcellerie ou par ensorcellement ?

29 L-V. Thomas, « Une coutume africaine : l’interrogatoire du cadavre », Bulletin de la société de thanatologie 6/1 (1972), p. 1-25.

Pourquoi as-tu volé le bien d’autrui ?

Pourquoi as-tu couché avec la femme d’autrui ?

Pourquoi as-tu couché avec le mari d’autrui ?

Pourquoi as-tu jeté un mauvais sort aux autres membres de la communauté ?

Pourquoi as-tu dit des mensonges et caché souvent la vérité ?

Pourquoi as-tu médit des autres et gâcher ou souiller leur réputation ? Pourquoi n’as-tu pas partagé tes biens avec les autres ?

Pourquoi es-tu resté égoïste toute ta vie ?

Pourquoi as-tu toujours semé des troubles parmi les hommes ?

Le défunt se défend :

Meme Nkongolo, muana wa Kalala Nkole, tshiena muangata mukaji wa mukuetu nansha, tshiena muiba to, tshiena muena mupongo to, tshiena muena dishima to, tshiena mubenga muntu to, tshiena mupula lumu lua muntu nansha. Ndi bu Mwanza Nkongolo udi kayi wenzela bakuabo bibi nansha.

Ce qui signifie : Moi, Nkongolo le fils de Kalala Nkole, je n’ai pas couché avec la femme d’autrui, je ne suis ni un voleur ni un jeteur des mauvais sorts (sorcier), je ne suis ni un menteur ni un fauteur des troubles parmi les humains, je sais partager, je suis comme un véritable Mwanza Nkongolo, un Arc-en-ciel qui ne fait aucunement de mal à personne.

Cet interrogatoire et cette défense traduisent l’idée de la vie juste que nous avons évoquée précédemment. C’est que pour les Luba-Kasaï, « Mujangi, Mukishi Mubi », une mauvaise âme ne peut connaître le nouveau cycle de la vie et de bonheur, il est celui contre lequel les hommes se prémunissent. Seule une bonne âme au cœur blanc peut connaître la joie de la réincarnation et du bonheur éternel. Autour de ce défunt bienheureux, qui a réussi à l’épreuve de l’interrogatoire et du jugement, les hommes et les femmes célèbrent et partagent ce cycle de bonheur dont bénéficie leur frère ou leur sœur, leur mère, leur père, leur oncle ou leur

d’égal que le Caolin qui reste un symbole très fort de paix, de purification, de vie et de bonheur partagé. La mort est donc célébrée dans cet univers non seulement comme une circonstance de tristesse, mais également de joie et de reconnaissance. On est triste par le fait de la perte d’un être cher, mais on est aussi heureux parce que notre frère ou notre sœur rejoint les ancêtres et Dieu Maweja a Nangila, Dieu aimant.

b) L’intercession des vivants pour les morts

Chez les Luba-Kasaï, le cycle du bonheur de la personne n’est pas bouclé, car la vie de l’homme ne meurt pas. L’homme ne tombe pas dans le vide et dans l’oubli, il se reprend et s’offre une nouvelle vie ainsi que le relève Mabika Kalanda : « le soleil disparaît chaque soir, mais luit à nouveau chaque matin. La lune disparaît chaque mois pour réapparaître. De même, la vie de l’homme ne tombe pas dans le néant même après le dernier jugement »31. Ainsi pour

qu’il ne tombe pas dans l’oubli, surtout quand il s’agit d’une âme juste, les vivants intercèdent et demandent à Dieu son admission dans la compagnie des bienheureux ancêtres. Pour s’en assurer, on appelle de vive voix, en son nom, le défunt ou la défunte l’invitant à répondre lui aussi à cet appel. Cette réponse du défunt ou de la défunte supposée affirmative est un signe manifeste que la personne est bel et bien arrivée et accueillie dans le « Kala Kakombe », la cour splendide de Dieu, c’est-à-dire dans le bonheur, ce que semble exprimer ce chant :

Bueshayi Muanetu eu lelu eu, ee ! Les autres membres répondent en rythme et en cadence : « Mu kaloba ka Bankambua ee ! Nuenu Batatu muangatayi, ee ! Batatu, Abuela lelu eu mu Kala Kakombe bimpe, ee ! Asankemu ne bena mutshima muimpe ee ! Muanetu wikisha ne bakane nebe ee ! Nshikidilu watuakuila tuetu bietu panuapa.

Ce qui signifie : Introduisez notre frère ou notre sœur aujourd’hui ! Dans la région des aïeux ! Vous, nos ancêtres, nos ancêtres recevez notre juste ! Conduisez-le auprès de son Créateur ! Sur la terre, il a mené une vie juste et bonne ! Qu’il soit aujourd’hui admis dans la cour splendide de Dieu ! Qu’il s’y réjouisse avec les gens de bon cœur ! Frère ou sœur, Oncle ou Tante ou encore un grand parent repose-toi en paix avec les justes comme toi ! Intercède pour nous aussi qui sommes encore ici-bas (sur la terre) !

Ce chant a toute son importance dans la mesure où il traduit l’idée de « Kala Kakombe », qui apparaît être comme le ciel, là-haut où résident Dieu et les bonnes âmes des ancêtres et où on jouit du véritable bonheur. À l’opposé, il y a le « Kandondo ka bulaba ou buloba » qui est apparemment le shéol, l’enfer32. En témoigne ce cri lancé par les Luba dans des différentes

circonstances de la vie :

Kayi kayée-kayée : Kayée ! Katubengele : -Kafua ! Tuetu penyée : Muluée ! Kayée Kayée Kayée : Kayée ! Ce qui signifie : Quiconque nous en veut qu’il meure ! Et nous, là-haut !

Ce cri de Kayée Kayée ou le chant d’intercession ouvre la voie au vœu de l’homme de vivre pleinement. Ce désir permanent ne peut pas connaître de trêve, encore moins de fin. Ce qui revient à dire que la personne humaine dans l’univers luba est une sorte d’intentionnalité vers, une quête et une reconquête de la plénitude de la vie et du bonheur.

c) L’intercession des morts pour les vivants

En adressant des prières à Dieu pour les âmes des morts, on a l’impression que les vivants implorent l’intercession pour leur propre voyage et leur propre vie qu’ils envisagent déjà paisible d’auprès de Dieu. Ou encore en pleurant le mort, les Luba pensent qu’ils se pleurent eux-mêmes. Ainsi disent-ils :

Kudila Mufua, nku didila

La sollicitation du défunt ou de la défunte augure l’idée de la médiation des ancêtres et de tous les hommes de bon cœur morts, mais aussi celle des vivants pour le repos des âmes bienheureuses. Ce vœu se traduit par une expression luba devenue célèbre et emblématique, à savoir :

Tuakuilangane ba Moyo bakuila Bafua : il est bon que les vivants intercèdent pour les morts, mais également les morts intercèdent pour les vivants.

À bien voir les choses, on a l’impression qu’il y a comme une sorte d’interdépendance mutuelle qui marque la vie des individus et celle de la communauté d’être. Les vivants sont

appelés à soutenir les morts par leur geste de reconnaissance en organisant le deuil et la sépulture. Les morts sont aussi conviés à intercéder pour leurs frères et sœurs restés sur la terre. Certes, les Luba manifestent une maigre sympathie pour la mort, car elle un mal répugnant. Mais ils ne laissent personne sans larmes ni sépulture. Mêmes les hommes condamnés ont droit au respect. Le rite de la sépulture non seulement rend à nouveau la personne présente et la restitue à la communauté à laquelle elle appartient en droit, mais aussi lui ouvre le chemin de la rencontre aussi bien avec les ancêtres qu’avec Dieu-Maweja. Car il s’agit du respect de la dignité même de la personne humaine. Comme le dit Th. De Koninck :

Plus étonnant encore, si c’est possible, est le respect des morts, illustré dès la nuit des temps par les premiers humains, qui ensevelissent leurs morts selon des rites confirmés par leurs traditions ancestrales. Pourquoi est-on encore aujourd’hui ému jusqu’à l’approbation devant la décision de la jeune Antigone (dans la grande tragédie de Sophocle qui porte son nom), de refuser, au péril de sa propre vie, de laisser là sans larmes ni sépulture, pâture des oiseaux ou des chiens, le corps de son frère Polynice, pourtant dénoncé comme traître, et de défendre son droit à la sépulture, son appartenance à une commune humanité, au nom de lois non écrites, inébranlables, des dieux ? Le mort à l’état de cadavre n’étant plus, et entièrement à la merci des forces naturelles, les vivants ont à son endroit un devoir sacré, celui d’assurer que, tout cadavre qu’il soit, il demeure membre de la communauté humaine. Le symbole du rite de la sépulture le rend de la sorte à nouveau présent »33.

Les Luba-Kasaï sont convaincus que, même sans visage, leurs ancêtres et toutes les autres personnes sont des personnes qui ont loyalement vécu une vie vertueuse, juste et bonne, ils appartiennent à leur communauté, et de ce fait, ils peuvent jouer le rôle de mandataire auprès de Dieu. En même temps, en s’engageant dans la lutte pour son accomplissement, la personne s’ouvre ainsi à celui qui s’offre à elle pour exaucer ce vœu, à savoir Dieu Maweja a Nangila, le Dieu aimant ou le Dieu de toute bonté. Le chapitre qui suit exploite cette place qu’occupe Dieu dans la recherche de la vie et du bonheur partagé.

CHAPITRE TROISIÈME

DIEU MAWEJA : RÉVÉLATION, CRÉATION DU MONDE

ET SOURCE DE TOUT BIEN