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Les transformations historiques de la présence des étudiants étrangers selon les nationalités

Conclusion – L’épreuve de la méthode

4. Les étudiants marocains en France : la première population estudiantine étrangère

4.1. La France et les étudiants étrangers : les maghrébins comme composante principale

4.1.1. Les transformations historiques de la présence des étudiants étrangers selon les nationalités

Dans la première moitié du XXème siècle, on observait une forte domination des étudiants européens. En 1920, 88,4 % des étudiants étaient originaires de pays d’Europe. « Il s’agit là de la forme classique et traditionnelle de la mobilité internationale des étudiants, à savoir leur mobilité régionale » (Latrèche, 2003, p. 138). Ces mobilités s’expliquent surtout par l’appartenance à une même aire culturelle, et sont héritières des pratiques du Moyen-âge.

La fin des années cinquante et le début des années soixante ont été marqués par un fort afflux d’étudiants originaires des anciennes colonies et territoires français d’Afrique et d’Asie. Ces mobilités sont issues d’un cadre historique particulier liant la France et ces territoires. « Ce mouvement, qui synthétise au mieux la nature des liens de dépendance, résulte de l’imbrication d’un ensemble de facteurs » (Latrèche, 2003, p. 139). Les universités françaises servent alors à palier le manque d’offre de formation dans les pays d’origine. Le facteur de la langue a tenu une place tout à fait singulière dans les mobilités étudiantes. Cette période est

abordée dans la perspective générale de la coopération au sens d’aide au développement (Borgogno, Steiff-Fénart, 1999). La France a également la volonté de maintenir une zone d’influence. Le parallèle peut être fait avec les autres migrations. « La distribution des flux d’étudiants étrangers selon leur origine géographique conduit à souligner leur parallélisme avec les migrations de travail originaires des mêmes pays » (Vollenweider-Andresen, 1995, p.10)47. En effet, à partir de ces années, le nombre de migrants provenant des anciennes colonies et territoires français a connu un essor incontestable.

Au cours des trente dernières années, le nombre d’étudiants étrangers dans les universités françaises a considérablement augmenté, passant de 35 038 en 1971-72 à 216 286 en 2012-2013. Le nombre d’étudiants étrangers a augmenté plus rapidement que le nombre d’étudiants français. Ainsi en 1984-85 le pourcentage d’étrangers atteint-il un premier pic (14,1 %) ; puis il diminue (8,6 % en 1996-1997) et reprend son ascension à partir des années 2001-2002. Pour l’année 2012-2013, les étudiants étrangers dans les universités représentent 14,8 % du total des étudiants et 12,1 % de l’ensemble des étudiants quand on inclut les classes préparatoires, les écoles d’ingénieurs et l’ensemble des formations.

Tableau 11 - Evolution des effectifs et représentation des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur en France, 1971-2012

Etudiants étrangers 1971-72 1976-77 1984-85 1990-91 1998-99 2001-02 2003-04 2007-08 2012-13 Dans les universités 35038 96409 133484 136306 122142 159463 200588 211731 216286 % étrangers 6,6 11,9 14,1 11,5 8,6 11,4 13,7 15,3 14,8 Total étudiants étrangers 41686 107375 149399 161148 149295 196706 245298 266448* 289274 % étrangers 7,1 11 13,7 9,4 7 9,1 10,9 11,9 12,1

Source : Ministère de l’Education Nationale, 2008 et Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 2013

*donnée pour 2008-2009

L. Vollenweider-Andresen (1995) a procédé à un examen détaillé de l’évolution des effectifs annuels d’étudiants étrangers selon leur origine géographique sur la période 1971- 1995. Trois phases se distinguent, qui mettent en avant des courants migratoires étudiants différents.

- La période 1971-1984 se situe dans le prolongement de ce qui a été remarqué à partir de la fin des années cinquante, à savoir un afflux d’étudiants provenant des anciennes colonies. La progression la plus importante est celle des étudiants originaires du Maghreb (+ 563 %, surtout du Maroc et d’Algérie), suivi des étudiants originaires des pays d’Afrique noire

      

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francophone (+ 353 %), alors que les effectifs des étudiants européens augmentent plus faiblement (+ 217 %). Les pays d’Asie du Sud-est, quant à eux, voient leur effectif diminuer (- 20 %).

- Les années 1985-87 voient le nombre d’étudiants étrangers en France décroître (-7%), alors que les effectifs d’étudiants français augmentent (+ 6 %). La diminution est surtout importante parmi les étudiants originaires du Maghreb (- 10 %) et de l’Asie du Sud-est (- 13,2 %). La régression de l’accueil d’étudiants provenant du Maghreb est à mettre en lien avec les raisons internes à chaque pays, notamment l’évolution des systèmes d’enseignement supérieur, mais également avec les politiques mises en place par la France pour l’accueil des étudiants étrangers48.

- De 1988 à 1994, mais que nous pouvons poursuivre jusqu’à aujourd’hui. Ici on observe l’émergence d’un « marché universitaire européen ». Globalement, les effectifs d’étudiants étrangers sont en constante progression. Contrairement aux périodes précédentes, l’augmentation des effectifs concerne surtout les étudiants originaires des pays du continent européen (+ 59 % alors que + 3 % pour les étudiants originaires d’Afrique). Plusieurs raisons expliquent ces évolutions d’origines des étudiants. Tout d’abord la construction d’un cadre spécifique de coopération universitaire entre les pays européens, le programme Erasmus, a largement contribué à faciliter les mobilités étudiantes. Puis, la chute du mur de Berlin a permis une augmentation considérable de la mobilité des étudiants provenant d’Europe de l’Est. Enfin, cette évolution « renvoie à un recentrage européen de la politique française de coopération internationale en matière d’enseignement supérieur » (Vollenweider-Andresen, 1995, p. 19). Pendant la période 1988-94, seuls trois groupes d’étudiants originaires de pays en développement voient leurs effectifs s’accroître : les Algériens (+ 79 %), les Sénégalais (+ 25 %) et les étudiants d’Asie du Sud-est (+ 64 %).

L’accueil des étudiants étrangers suit l’évolution des politiques et des représentations (Borgogno, Streiff-Fénart, 1997). En France, il existe plusieurs logiques et plusieurs instances de décision qui, selon les époques, interagissent différemment :

Une logique proprement universitaire dans laquelle les étudiants étrangers, comme la population universitaire générale, sont soumis à la « mission de transmission des connaissances et de certification de ces connaissances par la délivrance de diplômes qui incombe aux universités » (Borgogno, Streiff-Fénart, 1997, p.74). Ce sont alors le Ministère en charge des universités et les établissements universitaires qui prennent en charge la gestion des étudiants étrangers.

Une logique de gestion des relations internationales « selon laquelle l’accueil d’étudiants étrangers touche aux intérêts politiques, économiques ou diplomatiques de la France » (Idem, p. 74). A travers cette logique, la France veut témoigner de sa place dans le

      

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Obligation de visa pour les étudiants non ressortissant de la CEE à partir de 1986, justification de moyens d’existence suffisants, obtention d’une préinscription dans une université française (qui sera en pratique impossible si la filière existe déjà dans le pays d’origine).

monde (par exemple grâce au maintien de la francophonie dans les anciennes colonies). Ce sont alors les ministères des affaires étrangères et de la coopération qui jouent un rôle dans l’attribution des bourses aux étudiants étrangers. Elles sont plus ou moins en lien avec la première logique, à partir d’une sélection sur critères universitaires.

Une logique d’administration du territoire national et de gestion des populations, liée à la question générale de l’immigration. Les étudiants étrangers représentent une catégorie particulière d’étrangers, dont la gestion est assurée par le Ministère de l’intérieur qui fixe des conditions d’entrée et de séjours.

Selon les époques et les contextes internationaux, les logiques peuvent se recouper ou au contraire s’opposer.

Dans la phase de l’après-indépendance, la formation des étudiants étrangers se fait dans une perspective d’aide au développement et de coopération. Le contexte des années 1970 d’une crise internationale va altérer cette représentation positive des étudiants étrangers. Ainsi, « le caractère tacite d’aide au développement, que revêtait jusqu’ici l’accueil de ces migrants, apparaît brutalement en pleine lumière pour être aussitôt dénoncé comme synonyme d’une « charge » désormais privée de signification » (Borgogno, Streiff-Fénart, 1997, p. 79). Les étudiants étrangers apparaissent non plus comme des vecteurs dans le prestige de la France, mais comme une menace. La troisième logique, citée plus haut, s’affirme désormais de plus en plus nettement par la remise en cause de la finalité de la migration étudiante, et s’inscrit dans l’ensemble des mesures prises à partir de 1974. Dans le cadre de la logique universitaire, la France met en avant le coût trop important de l’accueil d’étudiants étrangers et le risque de dévalorisation des universités françaises. Les années 1980 marquent l’introduction d’un marché de la formation dans la perspective de la construction européenne. « Cette nouvelle conception de la coopération qui met en avant l’équivalence des valeurs, la réciprocité des échanges et la compétitivité, conduit à en redéfinir à la fois les partenaires, les modalités et les fondements éthiques » (Borgogno, Streiff-Fénart, 1997, p. 83). La France passe alors de l’invocation de la « tradition d’accueil » à la « tradition multiséculaire d’échanges intellectuels dans l’espace européen », où Paris figure être l’un des pôles centraux. On observe alors une « européanisation » croissante du public universitaire étranger par une recomposition de la migration étudiante autour du modèle du marché européen.

Signalons que depuis 2007, la France a mis en place un dispositif pour faciliter et simplifier les procédures d’inscription des étudiants étrangers en France. La France a mis en place un dispositif d’un groupement d’intérêt public dénommé « CampusFrance » en 2007 dans le cadre du projet de création d’une agence de mobilité universitaire initié en 200649. Ce

      

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Cette nouvelle structure est issue du groupement d’intérêt public constitué en 1998 entre l’Etat (représenté par les ministères des Affaires étrangères et européennes, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, de la Culture et de la communication, le secrétariat d’Etat chargé du commerce extérieur) et 191 établissements d’enseignement supérieur publics et privés, auxquels se sont ajoutés deux nouveaux membres : le Centre français pour l’accueil et les échanges internationaux (Egide) et le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous).

0 20 000 40 000 60 000 80 000 100 000 120 000 1996‐1997 2003‐2004 2007‐2008 2012‐2013

groupement a pour objectif d’appuyer le développement de la mobilité universitaire et scientifique internationale, de concourir à l’amélioration de l’attractivité et la mobilité universitaire et scientifique, de concourir à l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étudiants étrangers en France. On dénombrait 143 espaces Campus France au 1er janvier 2009 répartis dans 80 pays (en Asie, Amérique, Europe, Moyen-Orient et Afrique). Les adhérents de CampusFrance comprennent 229 établissements d’enseignement supérieur dont 75 universités, 46 écoles d’ingénieurs, 36 écoles de commerce et 40 autres écoles supérieures et instituts. L’objectif officiel est de faciliter les procédures d’inscription, de permettre une meilleure information sur les dossiers et de s’assurer que les étudiants s’engagent dans des parcours de réussite. En réalité, ce dispositif permet aussi une sélection des étudiants (une frontière supplémentaire) en donnant son accord ou son refus à l’inscription en fonction de critères socio-économiques. Certains étudiants vus en entretien reviennent sur cette procédure parfois qualifiée de discriminante ou d’obscure.

4.1.2. Le public universitaire étranger en France : situation actuelle et importance

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