• Aucun résultat trouvé

dimension migratoire

4. Mobilité et nouvelles technologies

Beaucoup de débats prennent place dans l’actualité sur l’impact des réseaux sociaux du web, notamment sur leur rôle dans les révolutions arabes. Ce raccourci semble caricatural et nécessite un recul critique. Sans tomber dans l’illusion d’un monde nouveau et ainsi éviter tout déterminisme technologique, il est utile de prendre en considération les changements qu’opèrent les nouvelles technologies sur les pratiques et les représentations de l’espace. En outre, cette approche s’avère cruciale pour l’étude des mobilités étudiantes.

4.1. Le web : un élément d’un dispositif relationnel complexe

dans la mobilité

Les réseaux sociaux du web représentent un élément d’un dispositif complexe au cœur de la problématique générale de la mobilité internationale des étudiants marocains. Les réseaux développés sur le web, ainsi que l’utilisation des sites web dédiés aux migrants, permettent d’intégrer des éléments supplémentaires et devenus indispensables à la compréhension des trajectoires individuelles et collectives des migrants. L’approche complémentaire entre les constructions transnationales et les communautés numériques permettent alors une précision des pratiques et réseaux jusqu’à poser la question des impacts spatiaux (Proulx et al., 2008). Cette recherche questionne d’abord la place des pratiques du web dans les réseaux sociaux des étudiants marocains, la structuration et l’organisation de ces réseaux ainsi que la manière dont ils s’inscrivent dans l’espace. La connectivité transforme-t- elle le rapport à l’espace ? En tant que réseaux sociaux, nous nous demandons également si et comment ils font ressource pour les étudiants en mobilité.

Dans un contexte global de mobilités généralisées, de nombreuses transformations sont intervenues dans le rapport des migrants à l’espace et aux liens, notamment par le développement des nouvelles technologies laissant entrevoir la possibilité d’une certaine ubiquité. L’analyse des migrations a ainsi évolué de l’immigré déraciné (« la double absence » d’A. Sayad, 1999) au migrant circulant jusqu’au migrant « connecté » (Diminescu, 2005) et à « la double présence » (Dufoix, 2003). Il est ainsi de moins en moins possible de penser le lien social en dehors des technologies de l’information et de la communication (TIC). La multi-appartenance et l’hypermobilité des migrants entraînent une évolution permanente des réseaux, renouvelant ainsi leur perception de l’espace. E. Leclerc (2011) parle d’une révolution spatiale des TIC. Cette approche s’insère au cœur des problématiques étudiées par les humanités digitales. Pluridisciplinaire, ce mouvement émergent est à l’intersection des sciences sociales et des technologies numériques17. Au sein de la géographie, des recherches sur le cyberespace ont balisé les questionnements sur la nouvelle appropriation de l’espace à partir des usages Internet (Bakis, 2001 ; Valentin, 2010).

      

17

Exemple de l’émergence et de l’intérêt de ces recherches : dans le cadre de l’initiative d’excellence de l’université de Bordeaux (IDEX) de 2012 est prévue la création de l’Institut des humanités digitales de Bordeaux (IHDB). De même, le laboratoire junior « NHumérisme » a été créé en avril 2013 à l’ENS de Lyon.

Les théories de la migration s’accordent sur le fait que les migrants, dans la mobilité internationale, sont à l’origine d’une culture de lien (D. Diminescu, 2005). Celle-ci est d’autant plus visible avec le développement des nouvelles technologies de communication. Les étudiants sont connectés et ne sont pas en rupture avec leur pays d’origine, le migrant connecté devient l’icône de la mobilité. Les étudiants, comme le reste des migrants, ne renoncent pas aux réseaux d’origine, élargissent et approfondissent ces réseaux par des liens interpersonnels tissés en chemin. C. Licoppe (2002) interroge les modalités d’entretiens des sociabilités par les nouvelles technologies selon différentes échelles et fait le lien entre la distance spatiale et la distance relationnelle.

Si la géographie s’est largement renouvelée sur l’analyse des espaces de circulations et des territorialités mouvantes dans la migration, nous proposons ici un renouvellement des questionnements géographiques et du positionnement théorique faisant le lien entre les migrations, les réseaux de sociabilités et les pratiques web. Nous adoptons un positionnement qui rend compte des transformations du rapport des migrants à l’espace et aux liens dans un contexte d’une société hypermobile où l’environnement est augmenté par l’utilisation des TIC. Les migrants « connectés » gardent toujours le contact avec le pays d’origine, leur réseau social d’origine, mais peuvent élargir leurs relations en dehors de leur groupe d’appartenance. Nous adoptons ici la définition de connectivité établie par D. Diminescu. La connectivité est utilisée comme un analyseur global des réseaux techniques et sociaux, qui peut donc vérifier l’aptitude du migrant disposant de terminaux informatiques à fonctionner dans des réseaux différents (Diminescu, 2005). Nous proposons un traitement géographique de cette connectivité à partir de la spatialisation de ces réseaux sociaux du web. Cette notion peut faire l’objet d’un traitement géographique.

Par l’usage et les pratiques liés à Internet, l’espace virtuel devient un support des relations sociales mobilisées dans la migration, espace de socialisation (par la communication, la communauté) et espace de ressources (culturelle, économique et sociale), ayant des traductions concrètes dans l’espace physique. Cette approche impose donc de prendre en considération les discontinuités spatiales et temporelles, l’organisation réticulaire de l’espace, la relativisation des distances, le rôle des nouvelles technologies dans l’apparition et l’entretien des réseaux. Nous proposons ainsi de dépasser les oppositions classiques : mobile/immobile ; là-bas/ici ; présent/absent ; distance/proximité ; centre/périphérie ou réel/virtuel. Il s’agit également de situer la dimension online dans la construction de trajectoires individuelles et collectives, l’analyse du web devenant indispensable dans l’étude géographique d’une population en mobilité.

4.2. Les TIC génératrices de proximité en relativisant la

distance et la séparation

Les réseaux sont soumis à une recomposition continue, notamment par les TIC, laissant émerger de nouvelles pratiques sociales, dynamiques et inédites. Les usages des TIC permettent-ils d’assimiler le web à un producteur de lien social qui réorganise les réseaux ? Le positionnement ici est différent par rapport à celui des défenseurs de la disparition des distances grâce à Internet. Il y a nécessité de produire une grille de lecture permettant l’interprétation géographique des usages des TIC.

E. Eveno (2004) nous rappelle que pour bien comprendre la nature des usages des TIC, « il faut aussi les lire dans l’espace et en lien avec les évolutions sociales qui réorganisent les espaces ». Il est donc nécessaire de contextualiser l’usage des TIC par les étudiants marocains par rapport à l’ensemble des éléments qui tendent à structurer leur mode d’organisation sociale. Ceci interroge sur le rapport à l’espace et au lien. Dans ce cadre, les TIC sont considérées comme un continuum social entre les espaces sociaux construits dans le monde réel et ceux construits et entretenus dans le monde virtuel. Il s’agit alors d’approfondir l’analyse des « e-pratiques » des migrants : quel impact d’internet sur les pratiques migratoires ? Quel est le rôle de la connectivité dans la relation mobilité / communication ? Les TIC offrent-elles la possibilité de conquérir de nouveaux espaces de socialisation par des sociabilités développées en ligne (continuum social et construction identitaire) ? Autant de questions sur lesquelles la réflexion et la méthodologie porteront.

Le contexte de l’avènement des TIC et de l’utilisation des sites web par les migrants a entraîné la remise en cause des modes de contacts entre l’individu et le collectif, entre le pays d’origine et le pays d’accueil, par un rétrécissement de l’espace. Le paradigme du migrant connecté prend aujourd’hui de l’ampleur dans les recherches en réinterrogeant le rapport de la communauté à l’espace et aux liens, les TIC offrant une capacité inouïe de stockage de l’information ou d’échanges. Cette recherche géographique sur les mobilités internationales des étudiants marocains s’applique à rendre compte spatialement de l’ensemble des réseaux qui tendent à structurer l’organisation sociale des étudiants. Cette population qualifiée est supposée avoir un large accès aux TIC. Au-delà des échanges par e-mails, textos et autres messageries instantanées, les étudiants ont une pratique des sites web qui peuvent être de différentes natures (communautaires, étudiants, professionnels…), avec des usages variés (communication, information, culture) et dans différentes logiques (sociale, économique ou culturelle).

Les TIC sont alors liées à la mobilisation des ressources professionnelles, sociales et humaines en situation migratoire. Le « nouveau terrain virtuel » se révèle être un espace inédit de sociabilités, il apparaît ainsi comme un des moyens de transmission d’une culture de la mobilité. Etre connecté permet l’accès à des ressources qu’on ne pourrait atteindre autrement. Notre orientation théorique considère donc les TIC comme de nouveaux espaces de sociabilités et dépasse la seule fonction de l’instrument de communication.

De ce fait, une réflexion émerge sur la notion de communauté. Peut-on considérer les étudiants marocains comme faisant partie d’une même communauté (ici, virtuelle) ? La communauté étant entendue ici comme fondée sur des relations sociales et moins sur une

proximité spatiale. En d’autres termes, la communauté, même si elle n’est pas une contiguïté spatiale, peut être entretenue par l’usage et les pratiques des TIC sur des espaces différenciés, ce sont les communautés réticulaires, liées à l’usage des réseaux. Mais il faut ajouter que l’aspect social développé grâce aux TIC peut également avoir des impacts spatiaux (rencontres, circulations…). Superposition d’espaces sociaux réels et virtuels : les frontières ne sont pas figées. On peut alors se demander comment l’un structure l’autre, et vice versa. Et quelles sont les traductions spatiales de ces structurations en miroir ?

L’espace virtuel peut donc être étudié en tant que générateur de capital social, il fait le lien entre différents réseaux et différentes ressources et permet en partie d’échapper aux contraintes des distances spatiales. Ainsi, nous pouvons nous demander si le territoire référence de cette population migrante ne serait pas celui à l’intérieur de l’espace virtuel, réinventant l’espace national d’origine et intégrant l’espace d’accueil, le tout formant le marqueur spatial d’une certaine identité collective.

« Le fait d’investir dans la reproduction des relations sociales en ligne est l’expression d’une stratégie que le migrant adopte pour satisfaire un besoin social en termes de sociabilité, support émotionnel, culturel, opportunité de travail ou autre. Le réseau virtuel observé se constitue en espace initial (et initiatique) d’une nouvelle socialisation, d’accoutumance à la société d’accueil et au statut impliqué par l’errance. Le recours répété aux repères de l’univers d’origine, l’index des sujets abordés témoignant de l’intérêt des débats et des disputes à ce sujet, assure paradoxalement l’ancrage progressif et balancé dans le nouvel univers social, celui du pays d’accueil. » (Nedelcu, 2002 (1), p.162).

4.3. Ubiquité versus mobilité. Le réel intègre le virtuel

Le développement des pratiques web semble mener à une évolution paradigmatique : l’espace géographique est modifié par une nouvelle relation à la distance et par l’émergence de nouvelles pratiques. Nous considérons les TIC comme ayant un fort potentiel de restructuration de l’espace géographique et de recomposition des relations entre les espaces. Le développement des pratiques liées à Internet crée de nouveaux rapports aux espaces, et, selon nous, la multiplication des réseaux permet une évolution des territoires de référence (ville d’origine et ville d’accueil) et par là, une recomposition des territoires. Autrement dit, nous voudrions introduire l’idée d’une géographie de l’information du web basée sur les acteurs, leurs pratiques et les liens qu’ils entretiennent et développent par le web.

Différentes recherches en sciences sociales et communication ont constaté que les identités sont fondées aussi bien online que offline. Les principaux travaux sont le fruit de recherches sociologiques sur les communautés numériques (Proulx, 2008 ; Casilli, 2010) et certaines plus précisément sur les communautés de migrants sur le web (Diminescu, 2005 ; Nedelcu, 2009).

L’analyse des pratiques du web incite le chercheur à changer d’échelle à toutes les étapes de la réflexion. L’imbrication des échelles met au jour de nouveaux questionnements,

notamment sur l’idée de mobilité virtuelle. La possibilité d’être mobile derrière l’ordinateur permet à l’usager de se situer physiquement à un endroit et de partager et de se sentir ailleurs. La mobilité est ainsi remise en débat via l’opérateur matériel de l’ordinateur. Nous pouvons considérer l’existence d’un méta-environnement entre les deux endroits connectés puisqu’il y a un partage mais pas avec les cinq sens. Cet espace serait alors comme suspendu et partagé dans l’idée d’une resynchronisation perpétuelle de l’espace et du temps.

Les pratiques web incitent également à la révision du concept d’imaginaire migratoire développé par G. Simon. Dans la mesure où la migration évolue avec les nouvelles technologies, la construction d’un imaginaire n’est plus un fantasme mais est construit dans le lien via l’opérateur technique qu’est l’ordinateur. Ainsi le discours relatif à l’imaginaire de la migration se déplace en fonction des outils et des technologies modifiant l’entretien des liens. Nous relativisons toutefois l’ubiquité puisqu’elle n’est pas « vraie » dans le sens où il y a aussi des effets d’éviction et d’exclusion, ce qui justifie le travail sur les sociabilités.

Les pratiques virtuelles sont repositionnées comme totalement intégrées au réel dans la superposition du réel physique et de la réalité propre du virtuel. Les impacts sont tangibles en termes de réseaux, de circulations, de projet d’avenir. Et ces pratiques jouent un rôle dans l’ancrage local.

La question du lien entre les réseaux sociaux numériques et traditionnels est essentielle (plutôt fermeture et canaux ou ouverture et réseaux) et fera l’objet d’une réflexion théorique en lien avec l’empirie.

Outline

Documents relatifs