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dimension migratoire

2. Les réseaux sociaux, socle des mobilités

Comment rendre compte de la mise en relation entre les lieux dans la mobilité internationale ? Les réseaux sociaux nous permettent de saisir ce qui fait lien, de rendre visible les proximités invisibles et d’interroger la construction de la mobilité étudiante internationale, provisoire et éphémère, à partir des réseaux sociaux élargis et connectés.

Il n’est pas question de succomber à la tentation de voir du réseau partout, de céder à la ferveur réticulaire sans justification. Nous avançons au contraire la nécessité de penser les réseaux sociaux de la mobilité dans la défense d’un concept scientifique qui fait sens pour comprendre une population particulière. L’approche par les réseaux sociaux en mobilité permet d’interroger l’espace dans le mouvement ainsi que les formes de socialisation

      

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Référence au Brain drain et au brain gain (revoir introduction générale). Certains pays ont même mis en place de véritables politiques d’incitation au retour, mais il s’agit surtout de l’exemple des pays asiatiques, tels la Corée du Sud ou aujourd’hui la Chine. En ce qui concerne les pays du Maghreb, nous aborderons ultérieurement l’expression d’une volonté récente de récupération des jeunes qualifiés (chapitre 8).

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entretenues et (re)crées en mobilité. Il s’agit alors de prendre en compte la complexité des rapports sociaux en dehors des catégories duales local/global ; ici/ailleurs ; centre/périphérie ; réel/virtuel… et d’analyser l’inscription des espaces dans une dynamique plus relationnelle en prenant en considération le côté éphémère de la pratique des espaces par les étudiants. Cette problématique générale de la recherche permet l’analyse de l’inscription spatiale des réseaux sociaux étudiants. Le réseau social s’apparente pour nous à un ensemble d’acteurs reliés par des interactions sociales qui peuvent être de différentes natures et utiliser différents supports (nous entendons ici l’ensemble des réseaux sociaux : familiaux, associatifs, amicaux, d’école, web…). Notre démarche est de comprendre comment s’insèrent les individus en mobilité dans des réseaux sociaux, les liens existants au sein de ces réseaux (la structuration des réseaux à partir des interactions entre les individus) et d’interroger le rapport à l’espace.

2.1. Une lecture dynamique et spatiale des réseaux sociaux dans

la mobilité

2.1.1. S’emparer des relations sociales en géographie

L’analyse des réseaux sociaux n’est pas nouvelle. Quelques sociologues reconnus ont marqué cette discipline : G. Simmel en est le précurseur (1908), J.-L. Moreno (1933) objective la dynamique du groupe avec les sociogrammes, J. A. Barnes introduit le terme de « réseau social » en 1954, S. Milgram (1967) démontre l’effet du « petit monde » et les six degrés de séparation, M. Granovetter (1973) évoque la force des liens faibles.

Ces quinze dernières années, nous observons un tournant géographique qui tend à reconsidérer l’espace comme une dimension, parmi d’autres, du social. La dimension spatiale rend compte de la complexité des rapports sociaux, d’autant plus dans la mobilité internationale qui implique une multiplication des rapports individuels et collectifs à l’espace. La géographie sociale s’applique à mettre en avant les processus de spatialisation et de territorialisation de la sphère sociale (Di Méo, 1998). Il s’agit alors de voir en quoi les mobilités contribuent à l’émergence de nouveaux rapports à l’espace, et en quoi la spatialisation des réseaux sociaux est révélatrice de ces rapports. Le rapport entre les pratiques sociales et l’espace se fait par l’approche de l’ensemble des réseaux pratiqués avant, pendant et après la mobilité. Quelle est la place de l’espace dans les considérables transformations des réseaux ? Par l’approche des réseaux sociaux en tant qu’objet de recherche, on peut apprécier le rôle des acteurs animant ces réseaux, le rôle de ces derniers dans la structuration et la recomposition des réseaux. Les réseaux révèlent l’existence de connexions entre les différents points d’un espace discontinu. Les réseaux constituent alors la morphologie sociale (Castells, 1998). Ils représentent le meilleur outil opératoire pour rendre compte dans une large mesure du fonctionnement social et spatial. Les réseaux permettent une diversité d’échanges reliant des lieux complémentaires. Le réseau a donc une capacité de mise en relation des acteurs et des lieux dans des espaces différenciés (Dupuy, 2002). Selon A. Colonomos (1995), « en sciences sociales, le réseau désigne des mouvements faiblement institutionnalisés, réunissant

des individus et des groupes dans une association dont les termes sont variables et sujets à une ré-interprétation en fonction des contraintes qui pèsent sur leurs actions. » (p.22). Ainsi, les réseaux obéissent à une logique horizontale n’excluant pas pour autant « l’existence de relations de pouvoir et de dépendance ». Il apparaît alors pertinent de s’emparer de cette définition dans un sens géographique pour saisir les réseaux sociaux dans la mobilité étudiante internationale.

2.1.2. Une approche par les trajectoires, les pratiques et les sociabilités

Nous proposons une approche qualitative par les trajectoires, les pratiques et les sociabilités des étudiants en mobilité internationale permettant d’appréhender la configuration, l’évolution et la recomposition des réseaux sociaux.

Lien réciproque réseaux sociaux – mobilité

A travers les mobilités, il s’agit de comprendre les mobiles, les intentionnalités et les logiques à l’origine des mobilités étudiantes. Les imbrications complexes relevant des mobilités permettent de mettre à jour une série d’enjeux spatiaux et sociaux, que l’on va articuler autour de l’efficacité des réseaux sociaux. Notre réflexion nécessite des allers-retours incessants entre théorie et empirisme afin d’apprécier les différents réseaux sociaux des étudiants : les réseaux liés à la famille, aux amis et connaissances ; les liens entre les universités d’origine et d’accueil ; la renommée de telle ou telle université ; les réseaux étudiants, associatifs, syndicaux ; les réseaux internet (réseaux sociaux, blogs…) ; les effets liés au hasard ou de second choix. La notion de réseau permet d’appréhender les liens tissés à partir d’une ville d’origine, de villes de passage, d’installation, à travers la dispersion géographique, à partir des liens recréés en mobilité.

Les trajectoires mettent en évidence les lieux de départ et d’arrivée, et la relation avec les migrations familiales et communautaires. Les pratiques évoquent les espaces vécus, les liens entretenus avec le pays d’origine, les relations établies dans la ou les villes d’accueil et les projets des étudiants. Pour tous les réseaux coexistant (réseaux familiaux, communautaires, étudiants…), nous pouvons nous demander quelles sont les modalités des pratiques et des usages. Elles peuvent être révélées à la fois par les sociabilités établies ou entretenues dans des rapports directs et par des sociabilités établies ou entretenues par l’utilisation des technologies d’information et de communication (TIC). L’analyse des sociabilités permet alors de retracer les réseaux sociaux des étudiants dans l’idée que les réseaux traduisent les formes de sociabilités.

Nature des réseaux et configurations : différents réseaux à différentes échelles

Les réseaux sociaux permettent de relier l’échelle micro-sociale des individus et celle des phénomènes macro-sociaux. Les réseaux sociaux révèlent en même temps « les stratégies individuelles, celles des groupes (issues de l’agrégation des premières) et rendent compte des données structurelles qui les conditionnent » (Potot, 2003). C’est pourquoi les réseaux sociaux doivent être étudiés à plusieurs échelles : à l’échelle individuelle, familiale ou collective

(Faret, 2003). Ces échelles sont complémentaires, emboîtées et sont prises en compte selon les étapes du projet de mobilité. Le premier facteur de la mise en relation des pôles du réseau est le lien familial sur un espace éclaté. Les contacts sont maintenus grâce aux circulations physiques et aux télécommunications. Toutefois, les autres réseaux relationnels sont également présents. Nous pouvons émettre l’hypothèse d’une diversification des acteurs dans les réseaux de relation des étudiants par rapport aux migrants de travail. Différentes sociabilités ont été mises en avant par A. Degenne et M. Forsé (2004). Les auteurs distinguent les sociabilités formelles et informelles (différence entre un type de réseau dont l’organisation est constituée et un autre dont l’organisation n’est pas constituée). Une deuxième distinction a trait au caractère collectif ou individuel de la sociabilité (autrement dit si la relation existe à travers ou en dehors du groupe). Les auteurs distinguent ensuite les sociabilités selon leur intensité forte ou faible (permet d’établir différents stades, par exemple amis, connaissances…). Enfin, les auteurs différencient les relations électives ou affinitaires de celles qui ne le sont pas.

Modalités de formation des réseaux : le temps des réseaux

La réflexion porte sur le processus de mise en réseau et les logiques de ce qui fonde le lien, le sens de la relation. P-Y. Cusset (2007) nous apporte sa définition du lien social : « Elle désigne de fait des réalités multiples, qui vont de l’ensemble des relations concrètes que l’on entretient avec sa famille, ses amis, ses collègues ou ses voisins, jusqu’aux mécanismes collectifs de solidarité, en passant par les normes, les règles, les valeurs et les identités qui nous dotent d’un minimum de sens d’appartenance collective. » (p.5). L’auteur s’interroge notamment sur la crise du lien social dénoncée par l’usage des nouvelles technologies. Selon lui, le lien social ne disparaît pas mais prend de nouvelles formes. Nous allons également interroger cette nouvelle géographie des liens par ces opérateurs techniques pour lesquels le temps compte plus que la distance.

Différents mécanismes peuvent ainsi être appréhendés : des mécanismes d’approfondissement des réseaux (entraide par la circulation de l’information, des services, des soutiens, des conseils), des mécanismes d’élargissement des réseaux et des mécanismes de consolidation des réseaux. Les évolutions des réseaux sont permanentes et demandent un suivi dynamique. La dimension temporelle des réseaux sociaux est essentielle pour comprendre en profondeur la mobilité étudiante internationale.

Au-delà d’une maîtrise des distances spatiales et sociales, le paradigme de la mobilité se réfère également à la dimension temporelle. « L’ordre des temporalités permet d’instaurer des continuités là où nous ne voyons que discontiguïtés et d’articuler les trois étages territoriaux » (Tarrius, 1996, p. 94). Les temporalités sont perçues à travers les rythmes sociaux de quotidienneté, les étapes de mobilité (la mobilité étudiante peut concerner l’ensemble ou une partie d’un cursus), l’histoire de vie et le temps des successions des générations.

2.2. Une approche spatiale de l’analyse structurale et de

l’interactionnisme

H. Bakis (1993) nous rappelle que le rôle du géographe des réseaux est de décrire et d’analyser leurs structures et usages selon les liens et nœuds, l’utilisation d’indices et le complément d’une analyse quantitative. Nous proposons ici de se saisir de la théorie de l’interactionnisme enrichissant notre approche. L’étude des sociabilités constitue alors la première phase nécessaire à la compréhension des relations qui composent les structures.

La démarche de la sociologie structurale consiste à discuter et à refonder théoriquement et analytiquement quelques-uns des concepts classiques de la sociologie à partir, non pas des attributs des individus (âge, sexe, profession…) mais des caractéristiques de leur position structurale. L’objectif est de rendre compte des effets des structures sur les comportements et inversement, des effets des comportements sur les structures. G. Simmel est le précurseur de l’approche structurale. Il a élaboré une sociologie « relationnelle » à un niveau « mésosociologique » (1908), c’est-à-dire à partir de l’analyse des formes sociales qui résultent des interactions entre les individus (au-delà du micro (individu) et pas non plus macro (société)). L’interactionnisme est défini dans le dictionnaire de J. Lévy et M. Lussault (2003) comme « ce couple conceptuel qui fait de l’ordre des interactions un domaine propre de la sociologie, distinct de l’ordre social et non réductible aux logiques de la reproduction. D’une part, la notion d’interaction comme « action réciproque » (Simmel) est l’unité élémentaire d’analyse pour le sociologue. D’autre part, cette unité sociale élémentaire est déterminée et descriptible comme l’agencement singulier, à la fois, de l’action des participants à une situation sociale et de leur visibilité mutuelle. » (p.520). E. Goffman est la référence fondamentale de l’interactionnisme. Ce courant interpelle les géographes soucieux d’interroger l’espace au regard des pratiques sociales à l’échelle des individus. En effet, pour les sociologues, l’espace est le grand absent. Notre intérêt est donc à ce niveau : repositionner l’acteur au sein d’un système où les relations sociales et les interactions sont appréhendées spatialement. Nous pouvons parler d’une géographie « relationnelle ».

L’héritage de J.-L. Moreno (par l’établissement d’un corpus de données relationnelles) et de sa « géométrie du monde social » (sociométrie) se perpétue dans l’idée de s’approprier des techniques anciennes mais de les mobiliser dans un contexte nouveau et dans une autre discipline. D’autre part, la théorie des graphes a apporté plus que les sociogrammes moréniens : des concepts, algorithmes, raisonnements « grâce auxquels la figuration graphique dépasse la simple représentation pour autoriser un traitement mathématique générateur de connaissances nouvelles. » (Mercklé, 2011, p.24). Ainsi, l’analyse des réseaux sociaux n’est pas seulement descriptive mais peut être mobilisée comme facteur explicatif de phénomènes sociaux.

L’apport de la géographie peut être considérable à cette approche dans la compréhension de phénomènes sociaux en valorisant l’espace. C’est un enrichissement mutuel des disciplines. Pouvons-nous révéler l’effet spatial des réseaux en plus de leur composante sociale ? L’analyse structurale peut porter sur des réseaux personnels (ensemble des relations d’une personne) ou des réseaux de groupes (ensemble d’individus au sein d’un

groupe). Les objectifs se situent à plusieurs niveaux. Il s’agit d’abord de comprendre la structure d’un réseau (taille, distance moyenne, connectivité, densité des relations, etc.). Ensuite, l’analyse structurale permet de saisir la position des individus : les positions clés, les rôles, les médiateurs, les liens faibles, les trous structuraux. Enfin, elle permet d’analyser les sous-groupes par la mise en évidence de catégories émergentes, la recherche de cliques. Par la mobilisation de cette approche, nous envisageons une analyse fine des types et des structures des réseaux de mobilité. Le réseau est structurant pour les acteurs mais aussi structuré par les acteurs. Le rôle de la formation, de la configuration des élites et de son évolution, de la circulation des qualifiés, justifient une approche par les structures relationnelles. Les éléments seront développés dans les chapitres qui font appel à cette théorie, notamment les chapitres 6 et 7.

L’analyse des réseaux sociaux présente également quelques failles et nécessite de ne pas tomber dans une certaine idéologie ou utopie engendrées par les réseaux. Ce sont des révélateurs du fonctionnement social qui apportent des éléments de compréhension à la complexité mais qui doivent toujours être interrogés dans leur apport scientifique. La recherche est notamment limitée par la confidentialité des données, la nature informelle et spontanée des réseaux et la complexité des relations (combinaisons de préoccupations identitaires, affinitaires, de distinction…).

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