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Conclusion – La France au cœur du système de mobilité étudiante marocaine internationale

2. Pluralité des ressources soutenant le projet de mobilité à l’étranger

2.5. Proximité et ouverture culturelle

2.5.1. La culture française, un facteur de mobilité

L’imprégnation de la culture française peut être considérée comme une ressource et comme un élément moteur au projet de mobilité pour études. La ressource est symbolique, souvent dans le cadre d’une transmission familiale, mais se concrétise par des pratiques scolaires et culturelles. Elle se manifeste par la langue parlée à la maison, par une attirance pour la culture ou les voyages ou par la présence de famille en France. La fréquentation d’une école française ne se fait pas que dans le cadre d’une familiarisation avec la culture française, elle est aussi justifiée par la volonté d’accéder aux meilleures écoles au Maroc ou à l’étranger.

Nous avons déjà évoqué l’influence de la famille en France dans le projet de mobilité. Le rapport à la langue française en dit long sur la capacité des étudiants à mobiliser deux langues. A la question de la langue parlée à la maison, 65 % répondent l’arabe, 10 % le berbère, 17 % l’arabe et le français et 8 % uniquement le français (parmi eux la moitié ont un bac français et l’autre moitié un bac marocain). Les étudiants qui ne parlent que français à la maison ont une vision quelque peu tronquée des langues parlées au Maroc.

« Le Maroc c'est presque un pays francophone, tout le monde parle français. C'est normal que je parle français avec mes parents. » S. étudiante à Montpellier (35)

« Il faut savoir que le Maroc est bilingue, c'est-à-dire que presque tout le monde parle français. Depuis toute petite, j'entends mon père et ma mère parler français, tout mon entourage parle français. A la maison, bien sur on parle français, je ne dirais pas que c'est le cas dans tout le pays, mais au moins 20% des familles parlent français. Avec mes amis on passe du français à l'arabe, en fait c'est tout aussi naturel de parler l'un ou l'autre. » Y. étudiante à Montpellier (48)

Ceux qui parlent à la fois arabe et français à la maison ont une conscience de l’influence historique de la France et intègrent les deux langues dans leurs pratiques.

« C'est la spécialité des Marocains, on mélange toujours les deux langues, surtout que moi je parle français toute la journée au lycée. » T. étudiant à Montpellier (63)

« Je parle arabe surtout mais le français est quasiment mon autre langue maternelle, je le parle depuis la maternelle et surtout avec les dessins animés en français. » A. étudiant à Montpellier (36)

« On garde des séquelles de la colonisation, principalement deux choses : la langue et les missions françaises au Maroc. » S. étudiante à Lille (23)

Pour les autres, le fait de ne parler qu’arabe ou berbère à la maison ne signifie pas que ces étudiants ne parlaient pas du tout le français.

« On ne parlait jamais français à la maison mais mon père a eu des petites techniques pour m’encourager à apprendre le français. Surtout qu’on a fait toutes nos études en arabe. Il m’encourageait toujours à aller chercher de moi-même. A chaque fois qu’on me demandait en première année, ça fait combien de temps que t’es en France, et quand je disais deux mois, personne ne me croyait. Mon père m’a aussi encouragé à voir beaucoup de films français et aussi il savait que j’aimais bien l’informatique alors il me disait il y a un nouveau système qui est sorti, ça s’appelle comme ça. Je lui posais des questions mais il me répondait que je devais chercher par moi-même donc sur google. Et le fait de tomber sur des mots que je ne comprenais pas, à 14 ans c’est normal, je notais tous les mots que je ne comprenais pas. Après je demandais à mon père et il m’envoyait regarder dans le dictionnaire en me disant si tu ne comprends pas le sens, je pourrai t’expliquer. » A. étudiant à Lille (2)

Toutefois certains ont insisté sur la difficulté de passer du système scolaire arabe au système des études supérieures en français.

« Il faut signaler une difficulté au Maroc, c'est que jusqu'au lycée on a l'enseignement en arabe et à l'université, d'un seul coup, tout change, tout est en français, c'est déjà très sélectif. J'avais un niveau moyen en français mais ça va, je me suis accroché. » H. étudiant à Montpellier (58)

Au-delà de la langue, pour certains étudiants il existe un sentiment de proximité entre le Maroc et la France considérant ainsi la France comme destination logique pour les études par rapport à d’autres pays de langue et de culture différentes. Par exemple, les parents de Y. étudiant à Lille, l’ont élevé avec la France comme modèle, il a toujours entendu qu'en France c'était mieux qu'au Maroc, qu'il avait des chances de réussir là-bas. D’autres étudiants expliquent la logique de leur destination d’études.

« La première raison avancée est que les études en France sont une tradition, une suite logique. Je dis souvent à mes amis que le Maroc est une sorte de province détachée de la France. Si tu as un bon niveau, après le bac, tu viens en France. C'est tellement facile. Et pour certains c'est même la suite logique de leur cursus scolaire. La deuxième raison est qu'au Maroc il y a déjà la culture française. Avant de venir, j'étais déjà tellement habitué à la culture française que ça ne me faisait pas peur, j'ai même déjà des amis qui étaient en France et même des proches de ma famille qui ont été en France. Par exemple, les Etats-Unis ou l'Angleterre, ça fait peur, on ignore tout sur ces pays. » M. étudiant à Lille (9)

« Déjà j'ai fait tout mon cursus en français, je ne suis pas si mauvais que ça en anglais mais j'avais pas envie de changer de langue, de recommencer avec une autre langue. » T. étudiant à Montpellier (63)

L’orientation vers la France rend compte de la concrétisation d’un rêve pour quelques étudiants, et le rêve d’étudier en France est bien exprimé comme tel.

« Rien que le nom me faisait déjà frissonner. En plus j'avais déjà mon grand frère en France, à Dijon. Donc je me suis dit il faut que j'aille en France. » H. étudiant à Lille (14)

« Quand j'étais petit, je voulais vraiment faire ma vie en France, c'était comme partir en voyage. » A. étudiant à Montpellier (37)

Ce choix relève aussi d’une volonté personnelle de s’ouvrir à la culture française, au mode de vie (et à une liberté d’action notamment dans l’aspect festif des études), de découvrir un autre fonctionnement de société et de bénéficier des retombées positives de cette

expérience dont celle d’avoir plus de recul sur le Maroc et une meilleure compréhension de son propre pays.

« Je connaissais déjà la France pour y être venu en vacances, en plus je suis un grand fêtard, ça m’arrangeait d’être en France pour vraiment profiter de ma jeunesse et être autonome. Mon père n’est pas dupe mais il me laisse vivre tranquillement en sachant que c’est ma jeunesse. Et c’est vrai qu’ici j’en profite bien, je sors beaucoup. C’est ce que je voulais. » Y. étudiant à Lille (20) « Grâce à ma mère j'ai eu cette influence européenne, elle a côtoyé un autre environnement et nous a toujours dit que c'était un plus qu'il faut avoir, elle en parle de manière très positive. D'ailleurs au Maroc, les employeurs donnent la priorité à ceux qui ont un diplôme étranger. La différence c'est pas tellement pour le diplôme mais ça veut dire que le diplômé peut se détacher donc on peut l'envoyer un peu partout et ça veut aussi dire qu'il peut s'intégrer, soit socialement soit techniquement. Ça donne l'idée des qualités de la personne, ce sont les qualités humaines qui comptent. » Y. étudiante à Montpellier (48)

« En fait, c'est quelque chose que je voulais faire depuis le lycée, ça me tentait de venir en France pour faire une partie des études, j'avais envie de découvrir autre chose peut-être aussi pour mieux comprendre mon propre pays. Je sentais qu'une expérience à l'étranger m'apprendrait beaucoup. Et j'ai été encouragé par mon oncle qui vit à Lille, il a réussi à convaincre mon père en lui proposant de m'héberger la première année. De toute façon mon père ne craignait pas que je dérive comme beaucoup d'étudiants marocains, je suis très pieux donc ça l'a rassuré et il a fini par accepter. » A. étudiant à Lille (29)

« La vie à l'étranger ça fait partie de l'imaginaire de tous les jeunes Marocains et de tous les pays en voie de développement. Mais peut-être que mon cas est un peu particulier, disons que j'étais déjà très proche culturellement de la France, j'étais beaucoup plus proche de la culture française que de celle des autres pays arabes, surtout quand j'étais plus jeune. Maintenant ça commence à s'équilibrer. Je ne dénigre rien mais maintenant je cherche à valoriser cet aspect de ma culture, le côté arabe en moi. Parfois il faut s'éloigner un peu pour mieux se rapprocher. Ma proximité culturelle avec la France s'est faite avec les lectures et depuis le primaire parce que j'étais dans une école de bonnes sœurs à Casablanca, donc j'ai suivi le programme français en primaire. C'est une période où toute la personnalité se cristallise et c'est à ce moment que j'étais proche de la culture française. » S. étudiant à Lyon (76)

M. étudiante à Montpellier, fait le lien entre le critère scolaire de sa mobilité et l’expérience de vie. Elle dresse le portrait de deux types d’étudiants marocains en France issus du lycée français.

« Au Maroc on ne pouvait pas faire directement pharmacie, il fallait d'abord faire un Deug biologie puis passer un concours, c'était trop compliqué. Et la prépa bio n'existait pas encore au Maroc. Et dans l'idée, je voulais quand même changer de pays, ça m'arrangeait pour les études mais aussi pour vivre une expérience et être indépendante. Donc au-delà des études, il y a aussi l'expérience de vie. En plus on était déjà un peu conditionnés au lycée parce que la conseillère d'orientation nous parlait surtout des études en France. Après le lycée français, c'est quasiment automatique. Je pense que c'est 80% des lycéens qui partent à l'étranger, surtout en France, et aussi au Canada, en Belgique, en Suisse. Après il y en a beaucoup qui ne restent pas longtemps parce qu'ils sont habitués au confort de vie et en plus ils n'arrivent pas à se gérer financièrement, c'est souvent la première des choses. Malgré qu'ils reçoivent beaucoup d'argent des parents, ils n'arrivent pas à gérer. Et après il y a l'autre catégorie de personnes qui n'arrivent pas à faire d'études parce qu'ils ne font que la fête. Et ils sont nombreux. Donc beaucoup d'entre eux rentrent assez vite au Maroc. » M. étudiante à Montpellier (47)

2.5.2. Partir pour fuir le Maroc

Un autre critère de la dimension culturelle de la mobilité est relatif à une fuite du Maroc. Elle peut être simplement dans l’idée de vivre d’autres expériences mais elle peut aussi être exprimée de façon plus virulente par rapport à l’absence d’égalité et de transparence dans la sélection des étudiants au Maroc72. La fuite peut également correspondre à des convictions politiques ou religieuses.

« Ça va paraître choquant mais je voulais partir, quitter le Maroc, je voulais mon indépendance. Rester cloitrer à Casablanca, ça ne m'intéressait pas, je suis quelqu'un qui adore découvrir les choses, qui adore voyager, c'était impensable pour moi de ne pas aller à l'étranger. J'avais trop cette envie d'ailleurs. Aujourd'hui encore, je suis resté deux ans ici et j'ai envie de partir maintenant. » H. étudiant à Montpellier (42)

« Après le bac j'ai décidé de ne plus passer une seule minute au Maroc. Le système était insupportable mais pas que pour moi. La plupart des amis de l'époque sont partis, certains au Canada, d'autres en Belgique, en Hollande, en Espagne. Parce que au maximum tu peux trouver un boulot à 200 euros par mois, qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? (Et tu ne voulais pas faire des études au Maroc ?) Non, la fac au Maroc c'est trop nul. A l'époque le système était encore pire qu'aujourd'hui, question islamiste c'était pire. Je ne me retrouvais pas dans ce Maroc là, c'est pas ce que je voulais. » A. étudiant à Montpellier (68)

« Je ne pouvais pas rester à Beni Mellal. Je t'explique, au Maroc tu peux vivre la vie que tu veux mais après tes études, quand tu travailles. A partir de là, on ne te juge pas, tu fais ce que tu veux. Alors que moi non, moi à 19 ans je voulais faire beaucoup de choses que tu peux pas faire à cet âge là, par exemple tu ne peux pas travailler, tu ne peux pas t'habiller comme tu veux. Par contre on m'a proposé d'aller à Casa, mon père voulait mais ça m'a fait peur. Moi j'ai dit à mes parents que si je sors de la famille c'est pour aller à l'étranger pas pour aller dans une autre ville. C'est trop la galère, il n'y a pas de transport, pas de train. C'est plutôt pour la qualité de vie que j'ai préféré venir en France. » S. étudiante à Montpellier (71)

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