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La transcription limitée de l’analyse économique du droit en droit de la régulation

159. L’analyse économique du droit, « Economic Analysis of Law » aux États-Unis474, est une

branche de l’économie néoclassique qui a pour objet le droit475. Elle est sans aucun doute la théo-

rie économique s’intéressant au droit la plus connue et influente, à tel point que la doctrine juri- dique française a pu penser qu’elle constituait la totalité du mouvement « Law&Economics », alors qu’elle n’en est en réalité que l’un des courants, certes dominant476.

Cette relative méconnaissance de la matière477 explique sans doute les réticences de la doc-

trine juridique française vis-à-vis des théories économiques relatives au droit. Prenant la partie pour le tout, elle a traduit « Law&Economics » par analyse économique du droit478, et a donc réduit

le vaste courant du « Droit et Économie » à cette seule théorie économique. Or, une telle perspective conduit nécessairement à un échec relatif dans l’étude des rapports entre le droit et l’économie.

En effet, l’analyse économique du droit peut être utile pour apprécier l’efficacité écono- mique des règles de droit, et peut à ce titre inspirer un certain nombre de solutions juridiques si et seulement si l’on décide de faire prévaloir, juridiquement, l’efficacité économique. Cependant, elle échoue à participer à la construction du droit lui-même alors qu’elle prétend avoir vocation à le faire, comme le démontre l’étude des rapports entre l’analyse économique du droit et le droit de la régulation.

160. Certes, dans la matière de la régulation, il apparaît dans un premier temps que l’analyse économique du droit a eu une portée très forte, et ce jusqu’en droit. Le processus d’ouverture à la concurrence des industries de réseau, qui a entraîné le redémarrage du débat relatif à la notion

474 POSNER R., Economic analysis of Law, New York, Aspen Publishers, 2007, 7ème Ed., 787 p.

475 V., parmi de nombreux autres exemples, MERCURO N., MEDEMA S., Economics and the Law. From Posner to Post-

Modernism, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 57 ; Adde CHAVANCE B., L’économie institutionnelle, Paris,

La découverte, « Repères », 2007, p. 5.

476 V., parmi de nombreux autres exemples, ACKERMAN B. A., « Deux sortes de recherches en "Droit et écono-

mie" », in L’analyse économique du droit, impérialisme disciplinaire ou collaboration scientifique, RRJ, 1987, p. 429 ; Adde CHE- ROT J.-Y., « Trois thèses de l’analyse économique du droit. Quelques usages de l’approche économique des règles juridiques », in L’analyse économique du droit, impérialisme disciplinaire ou collaboration scientifique, RRJ, 1987, p. 443 ; Adde DAINTITH T., « Problèmes et chances de l’analyse économique du droit en Europe », RIDE, 1991, p. 317 et pp. 332-333.

477 DEFFAINS B., FEREY S., « Théorie du droit et analyse économique », Droits, 2007, p. 225.

478 V., parmi de nombreux autres exemples MACKAAY E., ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Paris, Dal-

loz/ Thémis, 2008, 2ème Ed., p. 6 ; Adde DAINTITH T., « Problèmes et chances de l’analyse économique du droit en

Europe », article précité, p. 314 ; Adde ATIAS C., « Éditorial », in L’analyse économique du droit, impérialisme disciplinaire ou

collaboration scientifique, RRJ, 1987, p. 409 ; Adde FEREY S., Une histoire de l’analyse économique du droit. Calcul rationnel et interprétation du droit, Bruxelles, Bruylant, « Droit & Économie », 2008, p. 3.

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juridique de régulation au milieu des années 1990479, est très largement lié à la progression de

l’analyse économique du droit puis de l’une de ses branches, l’économie des réseaux, qui fournit le modèle positif et normatif de cette libéralisation.

Or, il peut être démontré que le modèle théorique de l’économie des réseaux a été pro- gressivement transcrit en droit positif, c’est-à-dire qu’il a été volontairement intégré au sein du système juridique, au moins en ce qui concerne le droit des communications électroniques, consi- déré comme ayant vocation à être suivi par les autres secteurs. Cette transcription du modèle de l’économie des réseaux en droit de la régulation a conduit à ce que cette théorie économique constitue aujourd’hui l’armature du droit positif de la régulation des communications électro- niques. La portée doctrinale de ce processus est considérable, puisque ce dernier explique et justi- fie qu’une partie de la doctrine juridique définisse aujourd’hui la régulation dans le sens de la ré- gulation ex ante de la théorie de l’économie des réseaux, c’est-à-dire comme une fonction transi- toire d’ouverture à la concurrence des industries de réseau (Titre 1er).

161. Néanmoins, si l’influence de l’analyse économique du droit de la régulation en droit posi- tif et en doctrine est indéniable, force est de constater dans un second temps que sa transcription en droit de la régulation se trouve en réalité limitée, puisqu’il peut être démontré que le droit posi- tif s’éloigne, toujours davantage, tant des hypothèses que des résultats de l’économie des réseaux. Le constat de la transcription de l’économie des réseaux en droit ne vaut en effet qu’au niveau du discours du droit positif, et non du droit positif lui-même qui évolue au contact de la réalité, c’est- à-dire à un niveau superficiel. Il ne résiste finalement ni à une analyse approfondie du droit posi- tif, ni à l’évolution de ce dernier, qui ne cesse de s’émanciper du modèle à partir duquel il a été construit au départ. Cela ne signifie pas que la transcription de l’économie des réseaux n’ait fina- lement aucune portée en droit positif, mais celle-ci s’analyse seulement dans la mise en place de procédures, dont la forme et l’articulation sont au demeurant sensiblement différentes du modèle de l’économie des réseaux, et non dans la construction globale de la catégorie juridique de régula- tion au sens de la régulation ex ante.

En somme, en raison de leurs limites méthodologiques, l’analyse économique du droit et sa branche spécialisée de l’économie des réseaux ne permettent pas de construire la catégorie juridique de régulation dans le cadre d’une méthode fondée sur l’étude des rapports entre le droit et l’économie. Ainsi, la régulation ne peut finalement pas s’analyser comme une fonction transi- toire d’ouverture à la concurrence des industries, ce qui vient infirmer directement certaines œuvres de définition juridique de la régulation (Titre 2nd).

479 MARCOU G., « Régulation, services publics et intégration européenne en France », in G. Marcou, F. Moderne

(dirs.), Droit de la régulation, service public et intégration régionale, Tome 2 Expériences européennes, Paris, L’Harmattan, « Lo- giques juridiques », 2005, p. 32 ; Adde EDCE (Études et documents du Conseil d’État), Les autorités administratives

indépendantes, Rapport public, n° 52, Paris, La documentation française, 2001, pp. 307-308 ; Adde JOBART J.-C., « Essai

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