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L’influence de l’économie des réseaux sur le paquet télécom de 1998 268 Le « paquet réglementaire » de 1998 729 comprend un grand nombre de directives dont l’étude

Section II. La transcription progressive de l’économie des réseaux en droit de la régu lation

B. Le processus de transcription de l’économie des réseaux en droit des communications électroniques

1. L’influence de l’économie des réseaux sur le paquet télécom de 1998 268 Le « paquet réglementaire » de 1998 729 comprend un grand nombre de directives dont l’étude

n’est pas d’un égal intérêt en ce qui concerne l’analyse des rapports entre le droit et la théorie

722 Directive 88/301 précitée, § 3 de l’exposé des motifs. 723 Ibid., § 4, 5 et 6 de l’exposé des motifs.

724 LAGET-ANNAMAYER A., La régulation des services publics en réseau, op. cit., p. 38. 725 Directive 88/301 précitée, § 7 de l’exposé des motifs.

726 Directive 90/388 précitée, § 5 à 12 de l’exposé des motifs. 727 Directive 90/387 précitée, article 1§2.

728 KIRAT T., MARTY F., Économie du Droit et de la Réglementation, op. cit., p. 149 ; Adde PERROT A., BUREAU D.,

« Régulation des entreprises de réseau : présentation générale », article précité, p. 57.

729 COMMISSION EUROPEENNE, Guide de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes dans le

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économique730. L’étude de la directive 96/19 « modifiant le directive 90/388 en ce qui concerne la réalisa-

tion de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications »731 et de la directive 97/33 « relative à

l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) »732, qui sont les plus importantes, suffit

à démontrer l’existence d’un processus de transcription en droit de la théorie de l’économie des réseaux. En effet, si la première a d’abord repris ce modèle de manière implicite (a), la seconde en a opéré une transcription explicite quoiqu’encore marginale (b).

a. L’influence implicite de l’économie des réseaux sur la directive 96/19 269. La directive 96/19 du 13 mars 1996 fut historiquement d’une importance fondamentale dans la mesure où elle décida de la libéralisation complète du secteur, d’une part en exigeant l’ouverture à la concurrence de la téléphonie vocale, et d’autre part en prévoyant la possibilité de construction de réseaux alternatifs733. Or, si l’on retrouve des références aux anciens articles 86§1

et 86§2734 et au principe de libre prestation de services735, les considérations tirées de la théorie

économique se conjuguent désormais fortement à l’application logique du système juridique communautaire. C’est le cas tant en ce qui concerne la régulation économique (i) que la régulation dite politique (ii).

i. La transcription implicite de la notion de régulation économique 270. La directive 96/19 consacre implicitement l’économie des réseaux en reprenant la totalité de ses hypothèses et des résultats. En effet, elle remet en cause l’hypothèse du monopole naturel, raisonne en termes de phases successives et pose le principe selon lequel l’objectif du cadre ré- glementaire est le passage d’une réglementation sectorielle au droit commun de la concurrence. 271. En premier lieu, cette directive remet en cause l’hypothèse du monopole naturel. En effet, si elle admet qu’il existe dans se secteur de lourdes infrastructures et d’importantes économies

730 V., Directive 96/19 de la Commission du 13 mars 1996 « modifiant le directive 90/388 en ce qui concerne la réalisation de

la pleine concurrence sur le marché des télécommunications » ; Adde Directive 97/51 du Parlement européen et du Conseil du 6

octobre 1997 relative à la concurrence « modifiant les directives 90/387/CEE et 92/44/CEE en vue de les adapter à un

environnement concurrentiel » ; Adde Directive 97/13 du Parlement et du Conseil du 10 avril 1997 « relative à un cadre com- mun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications » ; Adde Directive

97/33 du Parlement et du Conseil du 30 juin 1997 « relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue

d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) » ; Adde Direc-

tive 98/10 du Parlement et du Conseil du 26 février 1998 « concernant l’application de la fourniture d’un réseau ouvert (ONP)

à la téléphonie vocale et l’établissement d’un service universel des télécommunication dans un environnement concurrentiel ».

731 Directive 96/19 précitée. 732 Directive 97/33 précitée.

733 Directive 96/19 précitée, § 2 de l’exposé des motifs. 734 Ibid., § 3, 4 et 5 de l’exposé des motifs.

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d’échelle736, et qualifie l’infrastructure détenue par l’opérateur historique d’ « infrastructure essen-

tielle »737, elle prévoit néanmoins l’hypothèse, voire considère comme nécessaire, la construction

d’infrastructures alternatives738. Elle pose alors le principe selon lequel le maintien du droit exclu-

sif de construction de réseaux de communications électroniques est constitutif d’une violation des règles du droit de la concurrence739.

272. En deuxième lieu, l’influence la plus significative du modèle de la théorie de l’économie des réseaux apparaît s’agissant du problème du droit d’accès et de l’interconnexion. En effet, la directive, en posant le principe selon lequel les conditions de l’accès doivent être équitables, non discriminatoires et publiées740, raisonne en termes de phases successives.

Elle considère alors qu’il existe une « phase qui suit immédiatement la suppression des droits spé-

ciaux et exclusifs » et qui correspond à « la période de temps nécessaire à l’entrée des concurrents »741. Cette

phase vise la mise en place des systèmes de publication des tarifs non-discriminatoires d’accès742

et des méthodes de séparation comptable pour éviter des tarifs d’accès excessifs743. Il apparaît

alors pertinent d’ « instaurer une procédure de recours ad hoc pour résoudre les conflits d'interconnexion » ra- pide, peu coûteuse et efficace au cours de cette phase744. Or, conjuguée au principe selon lequel

l'élaboration et la gestion du plan de numérotation doivent être confiées à un organe indépendant des organismes de télécommunications745, cette disposition peut être interprétée comme les pré-

misses de l’émergence des autorités de régulation.

De ce point de vue, il semble donc que le droit communautaire commence à reprendre l’idée d’une phase intermédiaire de mise en œuvre d’un cadre réglementaire spécifique pris en charge par une institution indépendante. Il s’agit ici de la reprise implicite de la régulation ex ante. 273. En troisième lieu, la directive pose l’objectif d’application à terme du droit commun de la concurrence, la directive faisant état de ce point de vue d’un « processus de transition vers un marché des

télécommunications complètement libéralisé »746. On reconnaît ici le modèle de la théorie de l’économie

des réseaux et le passage de la régulation ex ante à la régulation ex post.

274. Il apparaît donc que la directive 96/19, à la différence des directives précédentes, ne se contente pas de faire application d’un raisonnement juridique mais tend au contraire à réaliser une

736 Directive 96/19 précitée. 737 Ibid., § 7 de l’exposé des motifs. 738 Ibid., § 6 et 7 de l’exposé des motifs. 739 Ibid.

740 Ibid., § 12 de l’exposé des motifs. 741 Ibid., § 13 de l’exposé des motifs. 742 Ibid.

743 Ibid., § 14 de l’exposé des motifs. 744 Ibid.

745 Ibid., § 11 de l’exposé des motifs. 746 Ibid., § 29 de l’exposé des motifs.

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transcription, quoiqu’encore implicite, de l’économie des réseaux du point de vue la régulation économique. En outre, l’émergence du service universel vient confirmer cette transcription.

ii. La transcription de la notion de service universel

275. Enfin, on peut trouver une trace de la transcription de l’économie des réseaux dans l’émergence du concept de service universel au détriment du concept de service public de télé- communications, présent dans les directives précédentes. La directive 96/19, suivant en cela une directive précédente, la directive 95/62 du 13 décembre 1995747, conforte le concept de service

universel en droit des communications électroniques748.

Cependant, cette transcription est à ce stade limitée car les modalités de financement du service universel sont laissées à l’appréciation de l’État membre, sous réserve que celles-ci ne pè- sent pas trop fortement sur les nouveaux entrants749. Il n’y a donc pas ici de reprise des proposi-

tions normatives de l’économie des réseaux.

276. La directive 96/19 marque donc les débuts de la transcription juridique de l’économie des réseaux. La directive 97/33 va franchir une étape supplémentaire en consacrant de manière expli- cite la théorie de l’économie des réseaux et notamment le concept de régulation ex ante.

b. L’influence explicite de l’économie des réseaux sur la directive 97/33 277. La directive 97/33 mettant en œuvre le droit d’accès et d’interconnexion aux réseaux750

réalise une transcription plus explicite de la théorie de l’économie des réseaux. En effet, non seu- lement elle reprend les principales propositions de celle-ci (i), mais, surtout, elle opère pour la première fois la transcription du concept même de régulation ex ante (ii).

i. La transcription des principes de l’économie des réseaux

278. En premier lieu, la directive 97/33 reprend d’abord un grand nombre des principes fon- damentaux de l’économie des réseaux, dont certains avaient déjà été formulés dans les directives précédentes. C’est le cas concernant le caractère fondamental de l’interconnexion et de l’interopérabilité751, la lutte contre les subventions croisées abusives via la mise en place d’une

séparation comptable voire d’une séparation complète752, ou encore la mise en place du service

747 Directive 95/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995, relative à l'application de la

fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale, § 28 et 50 de l’exposé des motifs, et article 11§4.

748 Directive 96/19 précitée, § 9 et § 18 et s. de l’exposé des motifs. 749 Ibid., § 19 de l’exposé des motifs.

750 Directive 97/33 précitée.

751 Ibid., § 1 et 2 de l’exposé des motifs. 752 Ibid., § 11 de l’exposé des motifs.

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universel753. On peut noter par ailleurs que la présence et le rôle fondamental des autorités de

réglementation nationale est de plus en plus souligné754. Enfin, on peut insister ici sur la réaffir-

mation du caractère provisoire de la régulation sectorielle et sa disparition au profit du droit commun de la concurrence, la directive fixant le principe selon lequel « quand une concurrence réelle-

ment effective aura été réalisée sur le marché, les règles de concurrence du traité suffiront, en principe, pour que l'on puisse contrôler a posteriori la loyauté de la concurrence »755.

279. En outre, la directive va plus loin encore dans la transcription de la théorie économique dans la mesure où elle ne se contente plus de fixer les principes juridiques de fixation des tarifs comme la transparence, la non-discrimination, l’égalité d’accès, l’accès à l’information756 et la pro-

portionnalité757, mais prévoit par ailleurs tout à fait explicitement un certain nombre de principes

économiques guidant la fixation de ces tarifs. L’exposé des motifs de la directive préconise ainsi des méthodes de tarification fondées sur « un niveau de prix étroitement lié aux coûts marginaux à long

terme de la fourniture de l'accès à l'interconnexion », dans la mesure où « les tarifs doivent stimuler la producti- vité et favoriser l'entrée sur le marché d'opérateurs efficaces et viables »758. Ces principes économiques de

fixation des tarifs illustrent bien la montée en puissance de la théorie économique dans le droit. 280. Cependant, la preuve la plus significative de la transcription de l’économie des réseaux dans le droit positif reste la référence, réalisée ici pour la première fois, à la régulation ex ante.

ii. La transcription du concept de régulation ex ante

281. En second lieu, la directive 97/33 réalise une transcription explicite de l’économie des réseaux en consacrant pour la première fois le concept de régulation ex ante et en lui donnant une ébauche de signification conforme au modèle de cette théorie économique.

282. Ainsi, l’article 9 de la directive, relatif à l’interconnexion, dispose que les autorités régle- mentaires nationales, qui doivent en outre s’acquitter de « leur tâche de façon à dégager une efficacité

économique maximale et un intérêt maximal pour l’utilisateur final », peuvent, lorsqu’une question

d’interconnexion leur est soumise, « fixer des conditions ex ante » lors d’un litige759.

La qualification d’ex ante sera ensuite reprise par la Cour de justice lors d’un litige relatif à la transposition de cette directive. Dans un arrêt Telefόnica de España / Administratiόn General del

753 Directive 97/33 précitée, § 7 et 8 de l’exposé des motifs et articles 1 et 5. 754 Ibid., § 12 de l’exposé des motifs.

755 Ibid., § 25 de l’exposé des motifs. 756 Ibid., § 9 de l’exposé des motifs. 757 Ibid., § 10 de l’exposé des motifs. 758 Ibid.

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Estado rendu en 2001760, la Cour devait juger de la possibilité, pour les autorités réglementaires

nationales, de forcer les opérateurs dominants à donner accès à leur boucle locale. La Cour con- sidéra alors que la directive fixait les « conditions ex ante » d’accès au réseau et qu’il était donc tou- jours possible « d'imposer ex ante des conditions ou des obligations d'accès » aux opérateurs considérés comme dominants sur le marché. Elle conclut alors en considérant que la directive permettait

« aux autorités réglementaires nationales d'imposer ex ante à un opérateur qui est puissant sur le marché l'obliga- tion de fournir aux autres opérateurs l'accès à la boucle locale des abonnés » 761.

Ainsi, la directive 97/33 et la jurisprudence qui y est liée ont marqué l’histoire de l’évolution du droit des communications électroniques en transcrivant explicitement pour la pre- mière fois le concept d’ex ante.

283. Cependant, ce concept n’était pas défini, et l’on ne peut à ce stade qu’essayer d’induire sa signification sur la base des données du droit positif. Or, il apparaît que le sens qui semble s’en dégager vient consacrer le modèle de l’économie des réseaux. En effet, ce concept est utilisé s’agissant de l’interconnexion et vise l’obligation consistant à contraindre l’opérateur puissant, de manière asymétrique, à ouvrir ses réseaux, et notamment la boucle locale en cuivre, à ses concur- rents. Or, il s’agit bien là de ce qu’entend la théorie de l’économie des réseaux par le biais du con- cept de régulation ex ante.

284. En définitive, l’évolution du droit positif communautaire démontre bien l’existence d’un processus de transcription progressif de la théorie de l’économie des réseaux en droit. Le système juridique semble donc avoir accompagné la montée en puissance de cette théorie économique en Europe dans les années 1990. Ce processus a trouvé son aboutissement par l’adoption du « paquet

Télécom » de 2002 récemment modifié et toujours en vigueur.

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