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L’hypothèse de l’incapacité des méthodes substantielles à prendre en compte la théorie économique

Section II. Hypothèses de la recherche

A. L’hypothèse de l’incapacité des méthodes substantielles à prendre en compte la théorie économique

91. Les méthodes d’étude des rapports entre le droit et l’économie proposées par la doctrine française (1) ne peuvent pas répondre à l’objectif de construction d’une institution juridique sur la base de l’étude des rapports entre le droit et l’économie car elles ne permettent guère de prendre en compte la théorie économique (2).

1. Les méthodes proposées par la doctrine française

92. Aujourd’hui, l’un des modèles dominants utilisé en France pour étudier les rapports entre le droit et l’économie est le droit économique et sa méthode substantielle (a), qui trouve un cer- tain prolongement chez les partisans de l’analyse économique du droit (b).

a. La méthode substantielle du droit économique

93. Le droit économique est une méthode juridique née de l’idée générale que le droit est nécessaire à l’économie et agit sur elle272. Concept allemand à l’origine273, il s’est ensuite étendu

aux pays de l’ex-Union Soviétique274 puis aux autres pays occidentaux, dont la France275. Son sens

est cependant loin d’être univoque276. Si certains auteurs considèrent que le droit économique

n’est qu’un droit appliqué à l’économie, la plupart voient dans le droit économique une méthode juridique particulière277.

94. Cette dernière conception du droit économique, même s’il n’est pas à l’origine de sa créa- tion278, est portée dans la doctrine française par Gérard Farjat. Pour cet auteur, le droit écono-

mique est une branche du droit autonome279, ayant pour particularité de mêler des considérations

économiques et juridiques, entraînant alors une recomposition du système juridique280. D’autres

272 JACQUEMIN A., SCHRANS G., Le droit économique, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1974, 2ème Ed., pp. 5-7. 273 Ibid., pp. 7-8 ; Adde FARJAT G., Pour un droit économique, op. cit., pp. 20-23.

274 FARJAT G., Pour un droit économique, op. cit., pp. 20-23 ; Adde BOY L., Droit économique, Lyon, L’Hermès, 2002, p. 7. 275 V., JACQUEMIN A., SCHRANS G., Le droit économique, op. cit., pp. 52-86.

276 BOY L., Droit économique, op. cit., p. 7. 277 Ibid., pp. 36-37.

278 Le premier effort de systématisation juridique du droit économique est attribué à F. de Kiraly. V., DE KIRALY

F., « Le droit économique, branche indépendante de la science juridique, sa nature, son contenu, son système », in

Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Geny, Paris, Librairie Édouard Duchemin, 1977, pp. 111-123.

279 FARJAT G., « La notion de droit économique », in F. Terré (dir.), Archives de philosophie du droit, Droit et Économie,

Tome 37, Paris, Sirey, 1992, pp. 31-32 ; Adde BOY L., Droit économique, op. cit., pp. 42-44.

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auteurs le rejoignent en considérant toutefois le droit économique non comme une branche du droit autonome mais comme une discipline, ayant pour spécificité sa méthode281.

En toute hypothèse, la caractéristique la plus importante du droit économique est bien sa méthode, dite substantielle282. Il s’agit d’une méthodologie juridique283 systématisée par Gérard

Farjat, qui la définit de la manière suivante : l’« analyse substantielle consiste à analyser, à qualifier, ou à

critiquer, des institutions, des concepts juridiques ou des faits à partir d’hypothèses produites par le droit, ces hypo- thèses étant livrées par un examen critique du système juridique. Cet examen critique permet de dégager ce que nous appelons : droit substantiel ou "matériel". Cette analyse s’oppose à une analyse ou à une qualification qui serait purement formelle »284. Cette analyse s’oppose donc au positivisme juridique285 et se rapproche des

méthodes de type réaliste, au sens américain de ce terme286, c’est-à-dire des méthodes fondées sur

la prééminence des faits au détriment des catégories formelles287.

95. Cette méthode part en effet du constat de la faillite des catégories formelles du droit dans le domaine économique, dans le sens où nombre d’entre elles ne sont plus adaptées aux faits288.

Elle défend alors l’idée selon laquelle, dès qu’une contradiction trop forte apparaît entre une caté- gorie juridique et l’évolution des faits, il faut privilégier ces derniers289. De nombreux concepts

classiques sont ainsi remis en cause, comme la distinction entre le droit privé et le droit public, la théorie des sources du droit, les concepts de propriété, de contrat, etc.290. De ce point de vue,

l’analyse substantielle a vocation à déconstruire291.

Cependant, une fois le concept déconstruit, le droit économique cherche à le recons- truire292 en créant de nouvelles catégories pertinentes au regard des faits293. Cette méthode de

l’analyse substantielle permet alors, pour ses partisans, de prendre en compte, mieux que toute

281 JACQUEMIN A., SCHRANS G., Le droit économique, op. cit., pp. 85-124 ; Adde CHAMPAUD C., « Contribution à

la définition du droit économique », D., 1967, pp. 215-220 ; Adde FRISON-ROCHE M.-A., BONFILS S., Les grandes

questions du droit économique, Paris, PUF « Quadrige », 2005, pp. 20-21.

282 SUEUR J.-J., « Droit économique et méthodologie du droit », in G. Farjat (dir.), Philosophie du droit et droit écono-

mique. Quel dialogue ?, Mélanges en l’honneur de Gérard Farjat, Paris, Éditions Frison-Roche, 1999, p. 294.

283 Ibid., p. 283.

284 FARJAT G., « L’importance d’une analyse substantielle en droit économique », RIDE, 1986, p. 9. 285 SUEUR J.-J., « Droit économique et méthodologie du droit », op. cit., p. 293.

286 CHAMPAUD C., « Des droits nés avec nous. Discours sur la méthode réaliste et structuraliste de connaissance

du droit », in G. Farjat (dir.), Philosophie du droit et droit économique. Quel dialogue ?, Mélanges en l’honneur de Gérard Farjat, Paris, Éditions Frison-Roche, 1999, pp. 69-109.

287 V., JESTAZ P., JAMIN C., La doctrine, Paris, Dalloz, « La méthode du droit », 2004, pp. 265-306 ; Adde SÈVE R.,

Philosophie et théorie du droit, Paris, Dalloz, 2007, pp. 135-136.

288 RACINE J.-B., SIIRIAINEN F., « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », article précité, p. 259. 289 FARJAT G., « L’importance d’une analyse substantielle en droit économique », article précité, p. 13.

290 RACINE J.-B., SIIRIAINEN F., « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », article précité, pp. 263-

273.

291 BOY L., Droit économique, op. cit., p. 54. 292 Ibid.

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autre, les considérations économiques294. Cela conduit le droit économique à voir en la régulation

une nouvelle forme de normativité295.

b. La méthode réaliste des partisans de l’analyse économique du droit 96. Une telle approche trouve aujourd’hui un écho dans la doctrine juridique et économique favorable à l’analyse économique du droit. Pour ces auteurs, seule une perspective de type réa- liste, c’est à dire une approche consistant à se dégager des structures formelles du droit et à privi- légier les faits, serait apte à traiter le droit en adéquation avec les faits sociaux et par voie de con- séquence avec l’économie296. Cette position connaît aujourd’hui un certain succès puisqu’elle est

adoptée dans certaines thèses récentes d’analyse économique du droit soutenues par des ju- ristes297, ou dans certains travaux récents qui proposent d’utiliser l’analyse économique du droit

comme une théorie de l’interprétation juridique298.

97. La doctrine propose donc majoritairement d’adopter un cadre méthodologique substan- tiel pour traiter des rapports entre le droit et l’économie. Cependant, cette méthode, si elle appa- raît nécessaire, reste néanmoins insuffisante.

2. Des méthodes nécessaires mais non suffisantes

98. La démarche proposée majoritairement par la doctrine juridique française apparaît néces- saire (a) mais elle est connaît plusieurs limites qui la rendent insuffisante (b).

a. Des méthodes nécessaires

99. L’approche proposée par le droit économique et les partisans de l’analyse économique du droit apparaît nécessaire car il est bien sûr indispensable de prendre en compte les faits dans le cadre d’une théorie juridique. Cela est particulièrement vrai en droit économique, les catégories juridiques en cette matière laissant une très grande place aux faits de manière générale299,

294 FARJAT G., « L’importance d’une analyse substantielle en droit économique », op. cit., pp. 29-30 ; Adde SUEUR

J.-J., « Droit économique et méthodologie du droit », op. cit., p. 294.

295 Cf. Supra.

296 V., notamment KIRAT T., VIDAL L., « Le droit et l’économie : étude critique des relations entre les deux disci-

plines et ébauches de perspectives renouvelées », op. cit., pp. 77-78 ; Adde JEAMMAUD A., « L’interdisciplinarité, épreuve et stimulant pour une théorie des règles juridiques », in T. Kirat, E. Serverin (dirs.), Le droit dans l’action écono-

mique, Paris, CNRS Éditions, 2000, pp. 220-227 ; Adde KIRAT T., SERVERIN E., « Dialogue entre droit et écono-

mie à propos des relations entre les règles juridiques et l’action », op. cit., pp. 18-10.

297 V., LIANOS I., La transformation du droit de la concurrence par le recours à l’analyse économique, op. cit., pp. 49-100 ; Adde

GUÉNOD C., Théorie juridique et économique du régulateur sectoriel. Modèles de l’Union européenne et français dans les secteurs des

communications électroniques et de l’énergie, op. cit., pp. 32-33.

298 DEFFAINS B., FEREY S., « Théorie du droit et analyse économique », article précité, pp. 225-226 et pp. 239-243. 299 FARJAT G., Pour un droit économique, op. cit., pp. 121-123.

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l’exemple le plus significatif étant bien sûr ici celui du droit de la concurrence300. C’est aussi le cas

en ce qui concerne le droit de la régulation, caractéristique de l’utilisation de certaines méthodes d’élaboration du droit proche des faits301. Une approche ouverte sur les faits apparaît donc indis-

pensable pour traiter des rapports entre le droit et l’économie. Elle est cependant insuffisante en raison des limites méthodologiques qui la grèvent.

b. Des méthodes non suffisantes

100. Si les méthodes substantielles sont utiles, elles constituent cependant un échec relatif302.

Elles souffrent en effet de limites méthodologiques tant du point de vue strictement juridique que s’agissant de leur capacité à prendre en compte la théorie économique, notamment normative. 101. D’une part, les méthodes proposées par la doctrine majoritaire ne sont pas suffisantes parce qu’elles sont fondées sur une critique systématique du positivisme juridique303. Pour ces

auteurs, l’incapacité du système juridique français à prendre en compte l’économie est liée à l’incapacité du positivisme juridique, dans sa logique formelle, à intégrer les faits et leur articula- tion avec l’économie304. Sur ce point, ces auteurs prennent d’ailleurs appui sur le précédent améri-

cain, notamment la pensée de Posner qui se qualifiait lui-même de pragmatique et qui avait dû, pour imposer l’analyse économique du droit, procéder d’abord à la déconstruction du modèle du positivisme juridique alors dominant aux États-Unis305 .

Cependant, une telle position pose des problèmes méthodologiques sérieux. Tout d’abord, elle néglige la tradition positiviste du droit français qu’il n’est pas possible d’écarter si facilement306. Ensuite, elle a tendance à négliger le droit positif, ce qui l’expose à être démentie

300 LE BERRE C., Le raisonnement économique en droit de la concurrence, Thèse pour l’obtention du grade de docteur en

droit, Université Paris X Nanterre, 2006, pp. 26-30 et p. 31 et s.

301 RACINE J.-B., SIIRIAINEN F., « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », article précité, p. 285. 302 OPPETIT B., « Droit et économie », in F. Terré (dir.), Archives de philosophie du droit, Droit et Économie, Tome 37,

Paris, Sirey, 1992, p. 21.

303 MUIR-WATT H., « Les forces de résistance à l’analyse économique du droit dans le droit civil », in B. Deffains

(dir.), L’analyse économique du droit dans les pays de droit civil, Paris, Éditions Cujas, 2000, p. 43.

304 KIRAT T., VIDAL L., « Le droit et l’économie : étude critique des relations entre les deux disciplines et ébauches

de perspectives renouvelées », op. cit., pp. 77-78 ; Adde JESTAZ P., « Jurisprudence et Économie », in B. Deffains (dir.), L’analyse économique du droit dans les pays de droit civil, Paris, Éditions Cujas, 2000, pp. 82-85 ; Adde KIRAT T., SERVERIN E., « Dialogue entre droit et économie à propos des relations entre les règles juridiques et l’action », op.

cit., pp. 10-11.

305 V., par exemple DESCHAMPS M., MARTY F., « L’analyse économique du droit est-elle une théorie scientifique

du droit ? », op. cit., pp. 2544-2546 ; Adde MILLARD E., « L’analyse économique du droit : un regard empiriste cri- tique », op. cit., p. 2524 ; Adde CHÉROT J.-Y., « Le ″concept de droit″ hartien et l’analyse économique du droit », in

Cahiers de méthodologie juridique, n° 22, L’analyse économique du droit autour d’Éjan Mackaay, 2008, pp. 2529-2530. V., pour

une analyse historique de cette période, FEREY S., Une histoire de l’analyse économique du droit. Calcul rationnel et interpréta-

tion du droit, op. cit., pp. 170-180.

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par les faits juridiques307. Cette approche apparaît donc limitée du point de vue du droit, dont la

force normative ne peut être systématiquement tenue en échec à défaut de perdre toute utilité. 102. D’autre part, contrairement à ce qu’elles affirment, les méthodes substantielles ne permet- tent pas de prendre en compte l’économie de manière satisfaisante. S’intéresser à l’économie et aux faits économiques ne suffit pas. Il faut également s’ouvrir à la théorie économique. En effet, seule la théorie économique dispose à la fois d’une méthode positive, c’est-à-dire ayant pour objet de décrire l’économie telle qu’elle est, et d’une vocation normative, c’est-à-dire ayant pour but de déterminer l’économie qu’elle devrait être dans une optique d’efficacité308. Dès lors, c’est en réali-

té davantage de la théorie économique que de l’économie au sens strict qu’il faut rendre compte dès lors qu’on cherche à établir une définition juridique de la régulation qui soit également perti- nente économiquement. Ainsi, la prise en compte des faits est quelque chose de tout à fait diffé- rent de la prise en compte de la théorie économique309. Au contraire, la théorie économique a

vocation à transformer les faits dans une optique d’efficacité, le cas échéant par le biais du droit, ce qui relève nécessairement d’une approche normative310 distincte de l’approche positive. Ainsi,

il est faux de prétendre que Posner ait été un pragmatique, tant cette idée est contraire au carac- tère nécessairement normatif de l’analyse économique du droit311. Une démarche exclusivement

substantielle ne suffit donc pas, car la méthode doit également pouvoir être normative.

103. En somme, les méthodes substantielles semblent insuffisantes pour prendre en compte la théorie économique, et donc permettre la construction d’une catégorie juridique sur la base de l’étude des rapports entre le droit et l’économie. En outre, l’analyse économique du droit est elle- même peu capable d’offrir un cadre d’analyse pertinent de ces rapports.

B. L’hypothèse de la déconstruction des définitions de la régulation fondées sur

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