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La logique juridique de l’ouverture à la concurrence des communications électroniques en droit dérivé

Section II. La transcription progressive de l’économie des réseaux en droit de la régu lation

A. La logique juridique initiale de l’ouverture à la concurrence des communications électroniques

2. La logique juridique de l’ouverture à la concurrence des communications électroniques en droit dérivé

254. À l’instar de la jurisprudence, le droit dérivé a pour fondement l’application mécanique et complète de la majeure partie des principes du droit communautaire, c’est-à-dire du droit de la concurrence (a) et des autres principes du droit communautaire (b).

a. L’application du droit de la concurrence

255. Les directives communautaires de la première génération confirment le droit de la con- currence comme fondement de l’ouverture à la concurrence. Ce dernier est en effet le fondement principal de la directive 88/301 (i), ainsi que des directives 90/387 et 90/388 (ii).

i. L’application du droit de la concurrence dans la directive 88/301 256. En premier lieu, il faut d’abord noter que c’est bien l’application de l’ancien article 86, et donc du droit de la concurrence, qui a permis à la Commission de mettre en œuvre la libéralisa- tion du secteur des communications électroniques. En effet, la directive 88/301 a été adoptée sur le fondement de l’ancien article 86§3 permettant à la Commission d’adopter des directives pour

693 Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 22 mai 2003 Connect Austria, C-462/99, § 84, selon

lequel « si l'inégalité de chances entre les opérateurs économiques, et donc la concurrence faussée, est le fait d'une mesure étatique, une telle

mesure constitue une violation de l'article 86, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l'article 82 CE ». Cet arrêt figure dans le

Guide de jurisprudence de la CJCE dans le domaine des communications électroniques établi par la Commission. V., COMMISSION EUROPEENNE, Guide de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes dans le domaine

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mettre en œuvre l’ancien article 86 du traité694, comme le seront également les directives 90/387

et 90/388695.

257. En second lieu, la directive 88/301 adopte pour fondement le droit de la concurrence, et plus précisément, comme le montre son exposé des motifs, l’interdiction des abus de position dominante696. Considérant que chacun des monopoles nationaux dispose, par nature, d’une posi-

tion dominante sur le réseau, la directive considère qu’est constitutif d’un abus de position domi- nante le monopole sur le marché connexe des appareils terminaux697. Par ailleurs, l’exposé des

motifs fait référence à l’ancien article 86 du traité698 relatif à l’application du droit de la concur-

rence aux entreprises publiques et aux éventuelles dérogations qui peuvent y être admises699.

Ainsi, c’est bien sur le seul fondement du droit de la concurrence que la directive 88/301 a posé la première pierre à l’ouverture à la concurrence des télécommunications en exigeant l’abolition des monopoles700 sur les appareils terminaux701, à l’instar, d’ailleurs, de ce qui s’était

produit aux États-Unis quelques années auparavant702.

258. Ainsi, cette directive n’applique pas, à ce stade, la théorie de l’économie des réseaux. Certes, il est bien considéré que l’ouverture à la concurrence est permise par le développement technologique703. Néanmoins, il s’agit seulement de constater que celui-ci a permis à certains États

précurseurs d’ouvrir à la concurrence ce secteur économique704, et ce n’est donc pas une prise de

position théorique. C’est donc sur la base d’expériences précédentes et non par l’application d’une théorie économique que s’est réalisée l’ouverture à la concurrence705.

694 La possibilité pour la Commission d’utiliser l’article 86§3 a été contestée à l’époque lors d’un contentieux porté

devant la Cour de justice des Communautés européennes. Dans l’arrêt du 6 juillet 1982 Commission contre France, C- 188 à 190/80, la Cour a considéré que la Commission pouvait valablement s’appuyer sur l’article 86§3 du traité pour édicter la directive du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre l’État et les entreprises publiques, et, de manière plus générale, que la Commission disposait du pouvoir de préciser par voie de directives les obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 86. Cette solution a été confirmée par l’arrêt CJCE, France contre

Commission, C-202/88, précité.

695 Cf. Infra. Cependant, en raison de la résistance des États, la Commission n’utilisa plus cette compétence pour les

directives postérieures, laissant l’initiative au Conseil et au Parlement.

696 Directive 88/301 précitée, § 12 de l’exposé des motifs. 697 Ibid., § 13 de l’exposé des motifs.

698 A l’époque, selon une numérotation encore antérieure, il s’agissant de l’article 90 du traité. 699 Directive 88/301 précitée, § 11 de l’exposé des motifs.

700 Ibid., article 2. 701 Ibid., article 3.

702 SIMON J.-P., L’esprit des règles. Réseaux et réglementation aux États-Unis, op. cit., p. 155 et s. 703 Directive 88/301 précitée, § 1 et §2 de l’exposé des motifs.

704 Ibid., § 2 de l’exposé des motifs.

705 MATHEU M., « L’Europe à l’école américaine et britannique », in Services publics et marché : l’ère des régulateurs, Socié-

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ii. L’application du droit de la concurrence dans les directives 90/387 et 90/388

259. Les directives du début des années 1990 suivent une logique identique à celle de la direc- tive 88/301. Certes, on peut parfois déceler une influence un peu plus importante des considéra- tions économiques, mais l’ouverture à la théorie économique reste encore faible, tant dans la di- rective 90/388 « relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunication »706 que dans la

directive 90/387 « relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunication par la mise en

œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunication »707.

260. En premier lieu, l’étude de la directive 90/388 est d’une très grande importance puis- qu’elle a posé la première le principe de l’ouverture du marché des services de communications électroniques à la concurrence708. Cependant, la directive ne fait aucune référence à la théorie de

l’économie des réseaux.

Certes, l’importance du développement technologique est ici réaffirmée709, mais le fonde-

ment de l’abolition des droits exclusifs de services710 et la mise en place de conditions d’accès

objectives, transparentes et non discriminatoires pour l’accès au réseau711, se trouve encore essen-

tiellement dans le droit de la concurrence.

Il est ainsi fait référence à l’ancien article 86 dans la mesure où les monopoles publics sont, dans la plupart des États membres, maintenus en ce qui concerne l’établissement et l’exploitation du réseau712 et à l’ancien article 82 à propos des marchés de services713. Par ailleurs,

le principe d’interdiction du cumul des fonctions d’exploitation et de réglementation est rappelé sur le fondement de l’interdiction de l’abus de position dominante714. Enfin une nouveauté inté-

ressante apparaît puisque cette directive, à la différence de la précédente, fait une application po- sitive de la notion de service d’intérêt économique général au sens de l’ancien article 86§2 du trai-

706 Directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services

de télécommunication.

707 Directive 90/387 du Conseil, du 28 juin 1990, relative à l'établissement du marché intérieur des services de télé-

communication par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunication.

708 Directive 90/388 précitée, article 2, qui dispose que les « États membres assurent, sans préjudice de l'article 1er paragraphe

2, l'abolition des droits exclusifs ou spéciaux pour la fourniture de services de télécommunications autres que le service de téléphonie vocale et prennent les mesures nécessaires afin de garantir le droit de tout opérateur économique de fournir lesdits services de télécommunications ».

709 Ibid., § 1 de l’exposé des motifs, selon lequel « le secteur des télécommunications a connu une évolution technologique considé-

rable […] qu'elle rend, en outre, techniquement et économiquement possible un régime où la concurrence entre différents opérateurs peut s'installer ». Cela est notamment lié au développement vers le numérique. V., § 22 de l’exposé des motifs.

710 Ibid., article 2. 711 Ibid., article 4.

712 Ibid., § 3, 4 et 17 de l’exposé des motifs.

713 Ibid., § 13 à 17 de l’exposé des motifs. Ainsi, la directive considère que chacun des monopoles publics considérés

détient une position dominante s’agissant de l’établissement et de l’exploitation du réseau, et que les droits exclusifs ou spéciaux donnés à ces entreprises sur les réseaux étendent la position dominante sur le marché des services. Cette position dominante rend donc le droit interne contraire aux articles 82 et 86§1 du traité.

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té à propos du « réseau universel »715. C’est donc bien le droit de la concurrence qui sert de fonde-

ment à l’ouverture à la concurrence.

261. En second lieu, il est également nécessaire de se reporter à la directive 90/387 qui est à l’origine de la construction du droit d’accès au réseau716.

Or, cette directive ne fait pas référence à la théorie économique717. Par ailleurs, les spécifi-

cités du secteur en termes d’intérêt général sont également conceptualisées sur le fondement im- plicite de l’ancien article 86§2 du traité718, la directive faisant même référence aux « services publics de

télécommunications »719. La notion de service universel n’avait pas encore cours et ce dernier con-

cept, s’il fut utilisé par la Commission européenne dans le livre vert qui servit de préalable à l’édiction des directives720, ne connut pas, à ce stade, de suite721.

262. En définitive, c’est donc bien de l’application logique du droit de la concurrence et non de l’application de la théorie économique que résulte l’ouverture à la concurrence des communica- tions électroniques dans les directives de première génération. Celles-ci s’appuient également sur les autres principes du droit de l’Union européenne.

b. L’application des libertés de circulation

263. Par ailleurs, l’ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques dérive également des autres principes du droit communautaire. Sont ainsi mobilisés les principes de libre circulation des marchandises et de libre circulation des capitaux.

715 Directive 90/388 précitée, § 18 à 20 de l’exposé des motifs. L’exposé des motifs considère que relève d’une mis-

sion de service d’intérêt économique général (SIEG) la mission confiée aux organismes de télécommunications con- sistant à établir et à exploiter un « réseau universel, c'est-à-dire ayant une couverture géographique générale et étant fourni, sur de-

mande et dans un délai raisonnable, à tout fournisseur de services ou utilisateur ». Elle considère, d’une part, que cette mission

étant encore largement financée par l’exploitation du service de téléphonie vocale, l’ouverture à la concurrence du marché de la téléphonie vocale serait susceptible de mettre en danger l’équilibre financier des opérateurs de réseau, et, d’autre part, que ce monopole permet d’assurer la sécurité publique (§20). Un raisonnement similaire est tenu s’agissant de la fourniture de capacités de circuits loués (§19).

716 V., notamment ART (Autorité de régulation des télécommunications), Rapport annuel d’activités, 1997, pp. 14-15. 717 Directive 90/387 précitée, exposé des motifs de la directive.

718 Ibid., article 2§6 en vertu duquel l’intérêt général est qualifié d’ « exigences essentielles » susceptibles de limiter l’accès

aux réseaux. En vertu de l’article 3, il concerne non seulement le maintien du fonctionnement et de l’intégrité du réseau, le cas échéant la protection des données et l’interopérabilité des services (article 3§2), mais également « les

restrictions qui peuvent découler de l'exercice de droits spéciaux ou exclusifs accordés par les États membres et qui sont compatibles avec le droit communautaire » (article 3§3).

719 Ibid., exposé des motifs et article 1§1. Les services publics de télécommunication désignent les « services de télécom-

munications dont les États membres ont spécifiquement confié l'offre notamment à un ou plusieurs organismes de télécommunications »

(article 2§4).

720 Commission européenne, Vers une économie européenne dynamique, livre vert (green paper) sur le développement du marché

commun des services et équipements des télécommunications, COM(87) 290 final.

721 RODRIGUES S., La nouvelle régulation des services publics en Europe. Énergie, postes, télécommunications et transport, op. cit.,

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264. En premier lieu, le principe de la liberté de circulation des marchandises est fondamental en matière d’ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques. L’exposé des motifs de la directive 88/301 fait ainsi référence au principe d’interdiction des restrictions quantitatives entre les États-membres722. Ce dernier est par ailleurs lu en combinaison avec le

principe de l’aménagement des monopoles nationaux conduisant à la nécessité d’abolir les mono- poles sur les équipements terminaux723.

265. En second lieu, le principe de libre circulation des services est plus fondamental encore. Afin de ne pas se voir opposer l’argument selon lequel les télécommunications relèvent des ser- vices et non des marchandises724, la directive 88/301 faisait déjà référence au principe de libre

circulation des services725. Ce fondement sera ensuite utilisé s’agissant des services de communi-

cations électroniques par la directive 90/388726 et par la directive 90/387727.

266. En définitive, il apparaît bien que les premières directives ouvrant à la concurrence le sec- teur des communications électroniques se fondent sur le droit communautaire et non sur une théorie économique. Cependant, l’évolution du droit positif a conduit à une véritable transcrip- tion de la théorie de l’économie des réseaux.

B. Le processus de transcription de l’économie des réseaux en droit des

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