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L’hypothèse de la communication entre le droit et l’économie néo-institutionnelle 143 On peut enfin poser l’hypothèse de la bonne communication entre l’économie néo-

Section II. Hypothèses de la recherche

B. L’hypothèse de la communication de l’analyse néo-institutionnelle du droit et de l’économie néo-institutionnelle

2. L’hypothèse de la communication entre le droit et l’économie néo-institutionnelle 143 On peut enfin poser l’hypothèse de la bonne communication entre l’économie néo-

institutionnelle et le droit, notamment si celui-ci est analysé sous l’angle de l’analyse néo- institutionnelle du droit. L’économie néo-institutionnelle est en effet une théorie économique par nature ouverte au droit (a), tandis qu’inversement, l’analyse néo-institutionnelle du droit permet d’opérer une communication continue avec elle (b).

a. La possibilité d’une communication de l’économie néo-institutionnelle avec le droit

144. L’économie néo-institutionnelle est une théorie économique par nature ouverte au droit (i) ce qui au demeurant l’oppose frontalement à l’analyse économique du droit (ii).

i. L’ouverture sur le droit de l’économie néo-institutionnelle

145. L’économie néo-institutionnelle a ceci de remarquable qu’il s’agit d’une théorie véritable- ment pluridisciplinaire. C’est ce que soulignent ses représentants les plus éminents, notamment Coase et Williamson, tous deux Prix Nobel.

436 WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics: the natural progression », article précité, p. 465.

437 WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics », op. cit., p. 59 ; Adde WILLIAMSON O. E., « Transaction

Cost Economics: the natural progression », article précité, pp. 468-469.

438 V., notamment GLACHANT J.-M., « Les nouvelles analyses économiques de la régulation des marchés », op. cit.,

pp. 259-276 ; Adde LEVY B., SPILLER P. T., « A framework for resolving the regulatory problem », in B. Levy, P. T. Spiller (eds.), Regulations, Institutions and Commitment, Comparative Studies of Telecommunications, Cambridge, Cambridge University Press, USA, 1996, p. 4 ; Adde HOPE E., SINGH B., « Harmonizing an effective regulation in Europe », in J.-M. Glachant, F. Lévêque (dirs.), Electricity Reform in Europe. Towards a Single Energy Market, Cheltenham, UK, North- ampton, MA, USA, Edward Elgar, 2009, p. 89.

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Coase a d’abord affirmé le caractère pluridisciplinaire de l’économie néo-institutionnelle, comme cela apparaît très clairement dans son discours de Prix Nobel439, dans lequel il regrette

que les économistes négligent les institutions et les organisations440. Lui met au contraire l’accent

sur « l’importance cruciale du système juridique » dans un monde de coûts de transaction positifs441.

Williamson va plus loin encore. Il ne cesse en effet d’affirmer que l’économie néo- institutionnelle est fondée sur un triptyque constitué de l’économie, du droit et de la science des organisations442. Dans son discours de Prix Nobel, il a expressément qualifié l’économie néo-

institutionnelle de « projet interdisciplinaire » comportant l’économie, la théorie des organisations et le droit443. Il a également pu regretter que l’économie néo-institutionnelle ne soit pas davantage

utilisée dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques444.

146. L’économie néo-institutionnelle dispose en effet des outils conceptuels qui font d’elle une théorie économique particulièrement ouverte au droit. En effet, l’objet même de l’économie néo- institutionnelle, à savoir l’étude des institutions et des organisations, rend par nature nécessaire la recherche au-delà de l’économie, notamment vers le droit445. En outre, ses hypothèses sont plus

proches du droit446, notamment du fait de la prise en compte des institutions dans l’économie447.

Enfin, le critère d’efficience de la théorie des coûts de transaction, l’économie de coûts de tran- saction, apparaît plus proche de la fonction sociale du droit que l’impératif d’efficacité allocative davantage porté par l’analyse économique du droit448.

Or, par cette prise en compte du droit en son sein, l’économie néo-institutionnelle s’oppose frontalement à l’analyse économique du droit, démontrant que les réticences des juristes à l’endroit de cette dernière ne sauraient être transposables à son égard.

439 V., COASE R. H., « The Institutional Structure of Production » in C. Ménard, M. Shirley (dirs.), Handbook of New

Institutional Economics, Netherlands, Springer, 2005, pp. 31-39.

440 Ibid., pp. 31-33. 441 Ibid., p. 37.

442 WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics Meets Posnerian Law and Economics », in E. G. Furubotn,

R. Richter (dirs.), The New Institutional Economics. Recent Progress ; Expanding Frontiers, Journal of Institutional and Theoretical

Economics, vol. 149, No. 1, 1993, p. 115 ; Adde WILLIAMSON O. E., « Contract and economic organization », Revue d’économie industrielle, n° 92, 2000, p. 58 ; Adde WILLAMSON O. E., « Transaction cost economics : the precursors », in C. Ménard, M. Ghertman (eds.), Regulation, Deregulation, Reregulation, Institutional Perspectives. Advances in New Institu- tional Analysis, Cheltenham, UK, Northampton, MA, USA, Edward Elgar, 2009, pp. 15-22.

443 WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics: the natural progression », article précité, pp. 468-469. 444 Ibid., p. 473.

445 MÉNARD C., SHIRLEY M., « Introduction », op. cit., p. 2 ; Adde CHAVANCE B., L’économie institutionnelle, op. cit.,

p. 3.

446 COPPENS P., « État, marché et institutions », article précité, pp. 298-299.

447 DEFFAINS B., « Le défi de l’analyse économique du droit : le point de vue de l’économiste », in G. Canivet, B.

Deffains, M.-A. Frison-Roche (dirs.), Analyse économique du droit : quelques points d’accroche, LPA, 19 mai 2005, p. 11 ;

Adde BOY L., Droit économique, op. cit., p. 34 ; Adde COPPENS P., « État, marché et institutions », article précité, p. 306.

448 CANIVET G., « La pertinence de l’analyse économique du droit : le point de vue du juge », op. cit., pp. 24-25 ;

Adde CENTI J.-P., « Quel critère d’efficience pour l’analyse économique du droit ? », in L’analyse économique du droit, impérialisme disciplinaire ou collaboration scientifique, RRJ, 1987, pp. 455-473.

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ii. L’opposition de l’économie néo-institutionnelle et de l’analyse économique du droit

147. Il est significatif de noter que l’ouverture de l’économie néo-institutionnelle sur le droit l’oppose frontalement à l’analyse économique du droit.

De ce point de vue, il doit être souligné que cette opposition s’est cristallisée physique- ment, dans le cadre d’un séminaire organisé en 1993 par une revue américaine consacré à la place de l’économie néo-institutionnelle dans le courant « Law&Economics ». Au cours de ce séminaire étaient présents les plus grands auteurs du courant du « Law&Economics » américain, notamment Posner, North, Coase, et Williamson449. Or, au cours de ce séminaire, Posner, représentant

l’analyse économique du droit d’une part, et Coase et Williamson, représentant l’économie néo- institutionnelle d’autre part, se sont confrontés dans ce qui peut être considéré comme un évè- nement historique de l’opposition entre ces deux courants.

148. Premier à intervenir, Posner fit valoir, critiquant ainsi les pensées de Coase450 et de Wil-

liamson, que l’économie néo-institutionnelle n’apportait rien de vraiment nouveau451. Par ailleurs,

il critiqua sévèrement l’idée de Williamson selon laquelle le droit serait de nature à enrichir la théorie économique, et considéra, au contraire, que l’économie suffisait à la compréhension du droit452. S’emportant, il se laissa même aller à des attaques personnelles en soulignant la mauvaise

influence qu’avait eu sur Williamson un professeur de droit à l’université453.

L’exposé de Posner mit dans un embarras certain le commentateur de sa contribution qui, malgré ses efforts gênés pour aplanir les différends454, ne réussit pas à éviter la contre-réaction de

Coase, qui, quoique plus policée, n’en fut pas moins sévère.

149. Coase répondit en effet que Posner, qui avait fondé toute la théorie de l’analyse écono- mique du droit sur son article fondateur relatif au problème du coût social455, avait tout simple-

ment mal interprété sa pensée456. Il considéra alors, contrairement à Posner, que le droit a une

449 V., NORTH D. C., « Institutions and Credible Commitment », in E. G. Furubotn, R. Richter (dirs.), The New

Institutional Economics. Recent Progress ; Expanding Frontiers, Journal of Institutional and Theoretical Economics, vol. 149, No. 1,

1993, pp. 11-23 ; Adde POSNER R. A., « The New Institutional Economics Meets Law and Economics », in E. G. Furubotn, R. Richter (dirs.), The New Institutional Economics. Recent Progress ; Expanding Frontiers, Journal of Institutional and

Theoretical Economics, vol. 149, No. 1, 1993, pp. 73-87 ; Adde COASE R. H. « Coase on Posner on Coase », in E. G.

Furubotn, R. Richter (dirs.), The New Institutional Economics. Recent Progress ; Expanding Frontiers, Journal of Institutional and

Theoretical Economics, vol. 149, No. 1, 1993, pp. 96-98 ; Adde WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics

Meets Posnerian Law and Economics », op. cit., pp. 99-118.

450 POSNER R. A., « The New Institutional Economics Meets Law and Economics », op. cit., pp. 74-79. 451 Ibid., pp. 79-82.

452 Ibid., pp. 83-85. 453 Ibid.

454 SCOTT K. E., « The New Institutional Economics Meets Law and Economics. Comment » in E. G. Furubotn, R.

Richter (dirs.), The New Institutional Economics. Recent Progress ; Expanding Frontiers, Journal of Institutional and Theoretical

Economics, vol. 149, No. 1, 1993, p. 92.

455 Cf. Partie 1, Titre 1, Chapitre 1.

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importance fondamentale dans la construction de la théorie économique457. Il donna alors très

nettement raison à l’économie néo-institutionnelle, position qu’il avait déjà affirmée lors de son discours de Prix Nobel458, citant Williamson comme un des auteurs ayant parfaitement compris sa

pensée459. Ce dernier pris alors sa suite pour répondre à Posner, mais de façon moins subtile.

150. Williamson commença en effet son exposé ironiquement, indiquant son admiration pour Posner et sa capacité à avoir un avis sur tout, et ce, rajouta-t-il, même si tous ces avis ne sont pas forcément éclairés460. Il développa ensuite son argumentaire, consistant à démontrer

l’incompréhension par Posner des travaux de Coase, la tendance irrésistible de la théorie écono- mique à admettre l’hypothèse de rationalité limitée et l’incompréhension par Posner de la théorie des coûts de transaction461. Enfin, concernant plus spécifiquement son rapport au droit, William-

son répondit que son objectif était bien de combiner l’économie, le droit, et la théorie des organi- sations afin d’aboutir à un ensemble plus vaste que la somme de ses composantes, et qu’il assu- mait cette ambition en la considérant, à la différence de Posner, comme un progrès462.

151. En somme, l’économie néo-institutionnelle se spécifie sans doute, au sein du champ de la théorie économique, par la très grande importance qu’elle accorde au droit. Elle dispose alors des outils conceptuels permettant d’envisager une communication, au sens de la théorie autopoïétique du droit, avec le droit et davantage encore avec l’analyse néo-institutionnelle du droit.

b. La possibilité d’une communication de l’analyse néo-institutionnelle du droit avec l’économie néo-institutionnelle

152. Conformément à l’intuition qu’ont pu avoir sur ce sujet certains institutionnalistes463, on

peut poser l’hypothèse que l’économie néo-institutionnelle et l’analyse néo-institutionnelle du droit sont particulièrement capables de communiquer entre elles.

153. Ainsi, pour Teubner, la théorie autopoïétique du droit conduit d’abord à rejeter, parce qu’elles négligent la clôture normative du droit, les théories économiques qui considèrent le droit comme un simple objet de la théorie économique, à l’instar de l’analyse économique du droit de Posner464. En effet, dans la mesure où deux systèmes ne peuvent évoluer de concert465 que s’ils

457 COASE R. H. « Coase on Posner on Coase », op. cit., pp. 96-98.

458 COASE R. H., « The Institutional Structure of Production » op. cit., p. 37. 459 Ibid., p. 31.

460 WILLIAMSON O. E., « Transaction Cost Economics Meets Posnerian Law and Economics », op. cit., p. 99 et s. 461 Ibid.

462 Ibid., p. 115.

463 V., MILLARD E., Famille et droit public, Paris, LGDJ, « Bibliothèque de droit public », Tome 182, 1995, pp. 14-15. 464 TEUBNER G., Le droit, un système autopoïétique, op. cit., pp. 90-91.

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disposent pour ce faire des couplages structurels adéquats466, l’analyse économique du droit n’est

pas recevable pour le système juridique467 dans la mesure où elle ne dispose pas des couplages

structurels nécessaires à la communication entre le droit et l’économie468.

Cependant, au contraire, les théories économiques institutionnalistes sont pour Teubner capables de mettre en œuvre une véritable communication avec le droit469. Il considère ainsi ex-

plicitement que la théorie des coûts de transaction de Williamson est la théorie économique la plus intéressante dans une optique de communication avec le droit470. En effet, il sera démontré

que les institutions, qui visent les règles du jeu et notamment les règles de droit, et les organisa- tions, qui visent les organes créés pour mettre en œuvre ces règles de droit471, sont autant de cou-

plages structurels avec le droit permettant une coévolution continue entre les deux systèmes472.

154. Au-delà, l’analyse néo-institutionnelle du droit, en tant qu’elle est fondée sur la théorie de l’institution et par conséquent sur la distinction entre le droit disciplinaire, c’est-à-dire les règles destinées à sanctionner l’idée d’œuvre de l’institution, et le droit statutaire, c’est-à-dire les règles régissant l’organisation de l’institution473, peut être couplée avec l’économie néo-institutionnelle

au niveau le plus fondamental. La distinction entre le droit disciplinaire et le droit statutaire de l’institution rejoint en effet la distinction entre les institutions d’une part et les organisations d’autre part en économie néo-institutionnelle.

Ainsi, on peut émettre l’hypothèse que le droit disciplinaire, et donc l’aspect matériel de l’institution d’un côté, et les institutions au sens de l’économie néo-institutionnelle d’un autre côté, constituent des couplages structurels. Également, on peut émettre l’hypothèse que le droit statutaire, et donc l’aspect organique de l’institution d’un côté, et l’organisation au sens de l’économie néo-institutionnelle d’un autre côté, constituent aussi des couplages structurels. Dès lors, il apparaît que l’analyse néo-institutionnelle du droit et l’économie néo-institutionnelle se trouvent couplées au niveau le plus fondamental de leur structure, ce qui permet de poser l’hypothèse de leur communication voire de leur coévolution.

Enfin, la parenté de nom, analyse néo-institutionnelle du droit d’un côté et économie néo- institutionnelle d’un autre côté, achèvera de marquer l’hypothèse de la bonne communication entre ces deux théories. Néanmoins, il faut sans doute se garder de franchir le pas, par rigueur méthodologique autant que par prudence, de proposer de fonder une théorie néo-institutionnelle de l’interdisciplinarité entre le droit et l’économie.

466 TEUBNER G., Le droit, un système autopoïétique, op. cit., p. 126. 467 Ibid., pp. 148-149.

468 Ibid., p. 99. 469 Ibid., p. 152.

470 TEUBNER G., Le droit, un système autopoïétique, op. cit., pp. 199-200. 471 MÉNARD C., SHIRLEY M., « Introduction », op. cit., p. 1. 472 Cf. Infra.

473 HAURIOU M., « L’institution et le droit statutaire », op. cit., p. 135 ; Adde HAURIOU M., Précis de droit administratif

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155. Désormais, les hypothèses de la déconstruction de la catégorie juridique de régulation par la démonstration de l’échec des méthodes existantes et notamment de l’analyse économique du droit, puis de sa reconstruction par l’analyse néo-institutionnelle du droit et sa communication avec l’économie néo-institutionnelle, sont posées. La question se pose donc de savoir si les résul- tats de la recherche permettent de les vérifier. Or, la réponse à cette question semble positive et permet alors de définir l’institution juridique de régulation.

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