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La réception explicite de l’économie des réseaux par la doctrine universitaire 430 La doctrine universitaire a procédé à la réception directe de l’économie des réseaux par

Section II. La portée doctrinale de la transcription de l’économie des réseaux en droit de la régulation

B. La réception explicite de l’économie des réseaux par la doctrine universitaire 430 La doctrine universitaire a procédé à la réception directe de l’économie des réseaux par

l’intermédiaire des concepts de régulation ex ante et de régulation ex post, quoique la mention pré- cise du modèle économique de référence fasse systématiquement défaut. L’utilisation des notions d’ex ante et d’ex post, d’abord rare en doctrine, a fait l’objet d’une étude analytique dédiée dans laquelle le modèle théorique de l’économie des réseaux était cependant repris sans guère d’appréciation critique (1). L’usage de ces notions s’est par la suite banalisé, consacrant la récep- tion définitive de la théorie de l’économie des réseaux dans la doctrine universitaire (2).

1. La réception doctrinale initiale des concepts de régulation ex ante et ex post 431. Initialement, quoique de manière non exclusive, la problématique de l’assimilation des notions d’ex ante et d’ex post dans le droit a été traitée dans un ouvrage intitulé Les engagements dans

les systèmes de régulation, dirigé par Marie-Anne Frison-Roche, issu d’un colloque lui-même intitulé « EX ANTE versus EX POST » organisé par la Chaire de la régulation1097.

Ces travaux ont été lancés afin de répondre à une problématique précise, parfaitement exprimée dans les termes suivants : « le couple ex ante-ex post a une pertinence essentielle parce qu’il fournit

le critère justifiant la présence ou l’absence d’un régulateur sectoriel, engendrant la frontière même entre le droit de la régulation sectorielle et le droit de la concurrence »1098.

Les analyses qui y sont opérées reprennent alors dans leur très grande majorité le modèle de l’économie des réseaux (a). Seule Marie-Anne Frison-Roche a cherché à analyser de manière critique cette distinction, cependant sans que les résultats obtenus n’apparaissent satisfaisants (b).

1097 FRISON-ROCHE M.-A., (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz,

« Thèmes et commentaires », 2006.

1098 FRISON-ROCHE M.-A., « Le couple ex ante-ex post, justification d’un droit propre et spécifique de la régula-

tion », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2006, p. 38.

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a. La reprise indiscutée de la théorie de l’économie des réseaux

432. Si toutes les utilisations des notions d’ex ante et d’ex post que l’on trouve dans l’ouvrage précité ne visent pas les concepts développés par l’économie des réseaux1099, les plus nombreuses

reprennent cependant la distinction construite par celle-ci. Ainsi, des auteurs notent que la « régu-

lation se distingue du cadre général du droit de la concurrence par le fait que le contrôle s’exerce ex ante plutôt que ex post »1100, d’autres que sur « le plan institutionnel, quand on parle de "régulation ex ante", on fait référence

au pilotage sectoriel de grandes entreprises par une agence spécialisée, et "régulation ex post" renvoie aux contrôles a posteriori sur l’ensemble des secteurs économiques »1101. On pourrait citer d’autres exemples1102.

La réception du modèle de l’économie des réseaux est donc bien actée. Néanmoins, il est regrettable que celle-ci soit réalisée sans analyse critique. Seule Marie-Anne Frison-Roche a cher- ché à construire les rapports entre le droit et les notions d’ex ante et d’ex post, mais son effort de systématisation n’apparaît guère convaincant.

b. L’échec méthodologique de la tentative d’analyse critique des notions d’ex ante et d’ex post

433. La contribution de Marie-Anne Frison-Roche se distingue très nettement de celles des autres juristes présents à ce colloque, car elle pose très clairement la problématique. Elle est inti- tulée « Le couple ex ante-ex post, justification d’un droit propre et spécifique de la régulation »1103, et cherche à

répondre au questionnement posé de manière critique.

L’auteur distingue d’abord différentes acceptions possibles des notions d’ex ante et d’ex

post, d’ordre chronologique1104, d’ordre politique1105, d’ordre économique, sans qu’un cadre théo-

1099 V., notamment, FERNANDEZ-BOLLO E., « L’articulation de la régulation ex ante et ex post dans le domaine

bancaire », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2006, pp. 109-115. Cet auteur n’utilise pas les concepts d’ex ante et d’ex post dans le sens de l’économie des réseaux mais bien davantage dans un sens similaire à celui adopté par l’économie néo- institutionnelle, et il s’agit alors de désigner par ex ante les procédés normatifs et par ex post les procédés contentieux..

Le manque de référence précise à la théorie économique montre bien ici qu’une telle méconnaissance peut être source de confusions qui nuisent à la compréhension et à la bonne analyse des concepts. Cf. Infra.

1100 CREMER J., « Le retour à la régulation ordinaire au sortir de la crise », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les risques de

régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2005, p. 60.

1101 CRAMPES C., « Les outils des régulations économiques ex ante et ex post », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les

engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2006, p.

130.

1102 V., notamment LAROUCHE P., « Contrôle ex ante et ex post. Possibilités et contraintes en droit national, à la

lumière de l’expérience néerlandaise », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2006, pp. 95-108.

1103 FRISON-ROCHE M.-A., « Le couple ex ante-ex post, justification d’un droit propre et spécifique de la régula-

tion », op. cit., p. 33.

1104 Ibid., pp. 33-34. Cette acception renvoie à la distinction entre l’avant et l’après, mais selon l’auteur il n’est pas

possible de retenir cette acception car elle ne correspond pas à la réalité de toutes les situations juridiques.

1105 Ibid., p. 34. La seconde acception est une acception politique, mais qui renvoie en réalité à l’économie politique,

l’ex ante correspondant alors à un ordre organisé, tandis que l’ex post correspondrait à la réaction des tribunaux au regard du comportement des opérateurs.

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rique précis ne soit identifié1106, et d’ordre juridique, et dans ce cas, l’ex ante renvoie à l’activité

normative et l’ex post à l’activité contentieuse1107. Adoptant cette dernière acception, l’auteur

cherche à l’utiliser au regard de la distinction entre le droit de la concurrence et le droit de la régu- lation sectorielle, mais conclut à l’existence d’une « incertitude du partage entre droit de la régulation et

droit de la concurrence à travers le couple ex ante-ex post »1108. Néanmoins, l’auteur revient parfois à une

distinction plus économique pour aboutir à des résultats nuancés, ainsi de l’idée selon laquelle il conviendrait de distinguer un ex ante permanent, pour l’énergie et le système bancaire, d’un ex ante provisoire, pour les télécommunications1109.

434. Il existe donc dans cette tentative d’analyse critique une certaine ambiguïté, voire certaines contradictions, qui s’expliquent sans doute par des lacunes du point de vue méthodologique dans l’étude des rapports entre le droit et l’économie. En effet, l’auteure n’explique pas réellement quel type d’acceptions de ces notions elle retient, juridique ou économique, comment elle les distingue et comment elle fait le rapport entre elles, ce qui produit des résultats complexes et peu opéra- tionnels. Dès lors, la tentative d’analyse critique de Marie-Anne Frison Roche doit être saluée mais apparaît peu convaincante, sans doute parce qu’elle ne se situe pas dans le cadre d’une ré- flexion plus construite des rapports entre le droit et la théorie économique.

Elle n’a, en toute hypothèse, guère eu d’influence sur la banalisation de l’utilisation des notions d’ex ante et d’ex post dans la doctrine juridique.

2. La banalisation de la réception de la distinction entre régulation ex ante et régulation ex post

435. La distinction entre régulation ex ante d’une part et régulation ex post d’autre part tend à se banaliser en doctrine. En effet, sans qu’il soit nécessaire de multiplier les exemples, on trouve dans la doctrine universitaire des références assez nombreuses au concept de régulation ex ante et

1106 FRISON-ROCHE M.-A., « Le couple ex ante-ex post, justification d’un droit propre et spécifique de la régula-

tion », op. cit., pp. 35-37. La troisième acception est économique et dans ce cas, soit l’on peut distinguer un ex ante correspondant à un ordre organisé, sanctionné par un ex post d’intendance, soit l’on peut se trouver en présence d’un

ex post autonome, correspondant à l’ex post libéral, sanctionnant seul l’ordre spontané. Toutefois, l’auteur ne fait ici

référence à aucune théorie économique précise, ce qui pose des problèmes méthodologiques.

1107 Ibid., p. 35. 1108 Ibid., p. 38 et s. 1109 Ibid., pp. 39-41.

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à sa distinction avec la régulation ex post1110. De ce point de vue, on peut particulièrement citer la

récente thèse de Théodore Galanis, qui soutient que la distinction entre régulation ex ante et ex

post continue d’être pertinente pour distinguer droit de la régulation sectorielle et droit de la con-

currence1111 et qu’ainsi la régulation sectorielle a vocation, si ce n’est à disparaître, au moins à de-

venir exceptionnelle au profit du droit commun de la concurrence1112. En outre, de manière très

significative, on trouve désormais également des références aux notions de régulation ex ante et de régulation ex post dans les conclusions de rapporteurs publics1113.

Pour certains, cette distinction serait même devenue « classique »1114. Il s’agit sans doute

d’une appréciation exagérée. Cependant, elle montre bien que l’utilisation des notions de régula- tion ex ante et de régulation ex post est d’usage désormais courant en doctrine.

436. En définitive, une partie non négligeable de la doctrine universitaire a donc bien procédé à la réception du modèle théorique de l’économie des réseaux. La transcription de l’économie des réseaux en droit positif a donc une portée théorique considérable. En outre, celle-ci est renforcée par la doctrine institutionnelle qui tend également à incorporer l’économie des réseaux.

§ 2. La réception de l’économie des réseaux par la doctrine institutionnelle

437. Si l’étude de la doctrine universitaire est fondamentale, il est tout aussi intéressant d’analyser l’effort de doctrine réalisé par les autorités de régulation elles-mêmes. De ce point de vue, il apparaît que le Conseil de la concurrence, aujourd’hui l’Autorité de la concurrence, adopte sans réserve le modèle de l’économie des réseaux (A). En ce qui la concerne, l’ARCEP a d’abord intégré avec conviction ce modèle, mais semble aujourd’hui s’en éloigner progressivement (B).

1110 V., parmi de nombreux autres exemples, BRISSON J.-F., « La réception en droit national des autorités de régula-

tion », in Autorités de régulation et Droit européen, Cahiers de droit de l’entreprise, JCP Entreprises et affaires, n°2/2004, 2004, p. 17 ; Adde GOSSET-GRAINVILLE A., « Le droit de la concurrence peut-il jouer un rôle d’interrégulateur ? », in M.- A. Frison-Roche (dir.), Les risques de régulation, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2005, p. 151 ; Adde BAZEX M. BLAZY S., note sous CE, S, 25 février 2005, n°247866, France Télécom, Droit adminis-

tratif, avril 2005, pp. 28-29 ; Adde BRIAND-MELEDO D., « Autorités sectorielles et autorités de concurrence : ac-

teurs de la régulation », RIDE, 2007, pp. 348-349 ; Adde NOGUELLOU R., « Le Conseil d’État et la régulation des télécommunications (à propos des arrêts du Conseil d’État du 27 avril 2009, Société Bouygues Télécom et du 24 juillet 2009, Société Orange France et Société française de radiotéléphonie) », RDP, 3-2010, pp. 836-837.

1111 GALANIS T., Droit de la concurrence et régulation sectorielle : l’exemple des communications électroniques, op. cit., pp. 30-66. 1112 Ibid., pp. 427-549.

1113 V., notamment LENICA F., conclusions sur CE, 2ème et 7ème sous-sections réunies, du 24 juillet 2009, Société

Orange France et Société française de radiotéléphonie, n°324642 et 324687, précitées, p.15.

1114 NOGUELLOU R., « Le Conseil d’État et la régulation des télécommunications (à propos des arrêts du Conseil

d’État du 27 avril 2009, Société Bouygues Télécom et du 24 juillet 2009, Société Orange France et Société française de radiotélépho-

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A. La réception de l’économie des réseaux par l’Autorité de la concurrence

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