• Aucun résultat trouvé

PORTRAIT DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES : LE TERRITOIRE ENTRE RÉALITÉ ET IMAGE

DE LA VOIE FERRÉE À TRAPPES

3.2.3 Trame verte et polycentrisme : un urbanisme égalitariste

Les urbanistes de la fin des années 1960 trouvent la réponse à la demande d'espace de la société parisienne en s'appuyant sur les courants idéalistes des années 1920 qui reconnaissent l'importance de la nature comme complément indispensable à l'épanouissement et à l'équilibre des individus18. Les ensembles urbains devaient associer dans leur programme fondateur les

parcs, les jardins, les espaces récréatifs, les promenades, au même titre que les voiries et les bâtiments. La « trame verte » définie par les aménageurs s'appuie sur la topographie et sur l'héritage rural du site. Deux échelles de « continuités vertes » sont identifiées à travers, d'une part, les bois couvrant les vallées qui entaillent le plateau et accueillent la plupart des villages et des bourgades et d'autre part, le réseau de rigoles du XVIIIème siècle destiné au drainage du

terrain et qui a favorisé la plantation de bois, de haies et de bosquets pour abriter les récoltes. Le rôle de la trame verte mis en évidence dès les premiers schémas de la Ville Nouvelle est de protéger, d'accueillir et de relier les différentes unités urbaines, y compris dans les extensions est et ouest. Des dispositions particulières témoignent de cette volonté de renforcer la présence végétale, comme l'obligation faite aux promoteurs de réserver et d'aménager au minimum 10 m² d'espace vert par logement dans toutes les constructions. Pour Bernard Trilles, les Villes Nouvelles ont effectivement généré un « nouveau paysage », la campagne et la ville se sont entrechoquées. « L'opposition radicale que l'on trouvait dans les villes entre les masses minérales et les grandes réserves vertes, s'est diluée dans ces nouveaux tissus urbains, "fabriquant" un milieu plus homogène où minéral et végétal s'égalisent quantitativement »19.

La recherche d'un nouveau compromis entre espaces bâtis et espaces verts se retrouve dans le slogan « la ville au naturel » derrière lequel réside, pour l'EPA « la réalité d'une démarche conciliatrice visant à faire émerger dans un environnement rural des ensembles urbains autonomes qui s'inscrivent dans des limites communales cohérentes »20. La volonté de préserver

l'individualité des villages existants s'est traduite par l'éclatement de la Ville Nouvelle en une série de « bourgades » devant accueillir entre 25 000 et 40 000 habitants, séparées les unes des autres par les grandes réserves naturelles nées du morcellement du plateau par les vallées. Ces bourgades devaient être unies par la mise en commun des principaux équipements au centre de l'agglomération. Le centre urbain nouveau devait se développer depuis la rive orientale de l'étang de Saint-Quentin-en-Yvelines jusqu'à la ferme de Troux et Guyancourt. Prévu pour accueillir 120 000 habitants, cet ensemble devait comprendre deux grandes zones : le cœur de ville, autour de la gare et la « zone centrale » rayonnant à partir de ce cœur. Un quadrilatère d'environ 400 ha limité par les grandes artères routières accueille les quartiers d'habitation du Pas du Lac au nord- ouest, des Prés au sud-ouest et ceux des Saules et des Garennes vers l'est, avec le Parc des Sources. Les unités urbaines périphériques situées à moins de dix minutes à pied du centre devaient se développer à partir des hameaux ou des villages préexistants. Les « bourgades satellites » devaient à l'origine être au nombre de cinq : Bois d'Arcy, Plaisir-Clé de Saint-Pierre,

18 En février 1973, une circulaire interministérielle stipulait le caractère fondamental, dans l'organisation de la croissance urbaine des zones de discontinuité et des coupures vertes.

19 Trilles B., 1994. « Jardins, parcs et paysages en Villes Nouvelles », Monuments historiques, pp. 92-95. 20 Cahiers de l'IAURIF, 1989. « La vraie nature de Saint-Quentin-en-Yvelines », n°87-88, pp. 79-90.

Élancourt-Maurepas, Trappes et Le Mesnil-Saint-Denis-La Verrière. Des communes plus éloignées comme Magny-les-Hameaux ou Saint-Rémy-les-Chevreuse devaient également participer à la vie de la Ville Nouvelle. Sur le modèle du « cœur de ville », elles possèderaient un noyau central où se concentreraient progressivement les activités21.

Ainsi les décideurs, élus politiques et techniciens de l'aménagement ont-ils opté pour une structure en réseau. Cette organisation polycentrique, conditionnée par le site et par la volonté des communes de continuer à peser dans le nouveau système, s'accorde avec la recherche de mixité des fonctions urbaines. Les zones d'emploi devaient ainsi être intégrées aux quartiers d'habitation, pour les plus importantes le long des voies de communication, les plus petites étant dispersées dans les zones industrielles ou très proches d'elles. Les infrastructures routières et leur hiérarchisation en voies primaires (voies rapides) et secondaires visant à rejoindre les quartiers jouent un rôle prépondérant dans la mise en œuvre du polycentrisme, tout comme les cheminements piétonniers, les pistes cyclables et le transport collectif en site propre (TCSP) qui devaient assurer la liaison entre les unités résidentielles.

Comme le note Ève Jouannais (1998), « les plans d'aménagement présentaient des tracés clairs, parfois simplistes, qui laissaient supposer que la réalisation allait l'être tout autant. Le caractère rationnel de ces schémas correspondait à l'idée de donner un cadre de vie « démocratique » aux nouvelles générations »22. L'urbanisme, à la fois théorie et application,

consiste en une certaine disposition de l’espace urbain et rural (bâtiments d’habitation, de travail, de loisirs, réseaux de circulation et d’échanges) dans le but d'optimiser le fonctionnement de l'agglomération et d'améliorer les rapports sociaux. Or, la période pendant laquelle sont conçues les Villes Nouvelles est marquée à la fois par l'idée d'édifier une société plus harmonieuse, plus égalitaire et plus qualitative et par l'émergence de nouveaux modes de vie se voulant à la fois plus libres et plus consommateurs.

La première exigence se traduit spatialement par la préservation des principaux espaces naturels constituant de grandes coupures vertes et par la volonté d'offrir une répartition équitable d'espaces verts à l'intérieur de chaque nouveau quartier construit. Si la carte de l'occupation du sol (1999), montrant une répartition de 44,4% d'espace rural (bois23, cultures, plans d'eau) et

17% d'espace urbain ouvert (parcs et jardins, terrains de sport) est assez éloquente, la photographie aérienne de Saint-Quentin-en-Yvelines (Orthophotoplan 2002) permet de montrer de façon encore plus explicite l'application d'un « parti vert » sur tout le territoire [Doc. 35].

La trame viaire est tout aussi visible et correspond à la primauté de l'automobile, « produit pilote de la première phase de l'abondance marchande » qui s'inscrit dans le terrain « avec la domination de l'autoroute qui disloque les centres anciens et commande une dispersion toujours plus poussée ». Cette vision de Guy Debord (1967), cité par Ève Jouannais, s'inscrit plus largement dans une dénonciation, fréquente chez les penseurs de l'époque, de la société de

21 EPA, 1991. Si Saint-Quentin-en-Yvelines m'était conté, pp. 13-15.

22 Jouannais È., 1998. « La préhistoire des Villes Nouvelles », Urbanisme, n°301, pp. 51-53.

23 Dont : la forêt domaniale de Port-Royal (720 ha), la base de loisirs (600 ha), cinq bois urbains (42 ha), bois de la Grille, bois des Roussières, bois des Réaux, bois de la Couldre, bois de la Garenne.

consommation, accompagnée de la prédiction d'une autodestruction du milieu urbain24. « La

consommation est devenue la morale de notre monde. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du logos ». Cette citation est le résumé de la préface de La société de consommation. Ses mythes. Ses structures, ouvrage publié en 1970 par Jean Baudrillard, qui démontre la tendance de la société de l'époque à s'équilibrer à la fois sur la consommation et sur sa dénonciation. Pour l'auteur, le bonheur est la référence absolu de la société de consommation et dans les sociétés modernes, le mythe du bonheur recueille et incarne le mythe de l'égalité : « ...le bonheur est d'abord exigence d'égalité (ou de distinction bien entendu) et doit, en fonction de cela, se signifier toujours au "regard" de critères visibles »25.

Survolant depuis un hélicoptère les terres encore agricoles des plateaux sur lesquels devaient se développer les nouveaux centres urbains, les décideurs ont considéré le problème de la croissance anarchique de la région parisienne « d'en haut » comme l'affirme Ève Jouannais (1998). S'ils avaient à repasser un jour au-dessus de Saint-Quentin-en-Yvelines et des autres Villes Nouvelles, ils pourraient vérifier la conformité de la réalité avec les plans d'urbanisme prévoyant partout l'intégration du minéral et du végétal. Les perceptions diffèrent cependant d'une vue aérienne verticale à une vue depuis la terre, horizontale : « (...) le passage [du plan] à la troisième dimension a révélé un véritable chaos : l'ensemble des quartiers offre un patchwork de formes architecturales et urbaines dans lequel il est difficile de se repérer » (Jouannais, 1998).

24 « Le moment présent est déjà celui de l'autodestruction du milieu urbain. L'éclatement des villes sur les campagnes recouvertes de « masses informes de résidus urbains » (Lewis Mumford) est, d'une façon immédiate, présidée par les impératifs de la consommation ». Debord G., 1967. La société du spectacle, Collection Folio (éd. 1992), p. 168.

25 Baudrillard J., 1970. La société de consommation. Ses mythes. Ses structures. NRF Gallimard, E.P. Denoël, p. 60.

Doc. 35 PÉRIMÈTRE D'URBANISATION DE LA VILLE NOUVELLE, OCCUPATION DES SOLS EN 1991

Outline

Documents relatifs