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LES TIC FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL ?

SPATIALE DE L'INNOVATION

2.2 LA NOTION FONDAMENTALE D'INTERMÉDIATION POUR PENSER LE RÔLE DES ACTEURS

2.2.3 L'image (et le son) redécouverts par les territoires et la géographie ?

Les images, au même titre que les systèmes hypermédias, jouent un rôle essentiel dans l'articulation entre systèmes territoriaux et systèmes de communication et dans le processus vital de différenciation et d'échange entre personnes ou entités. Les rapports de la géographie à l'image sont anciens, les cartes étant et restant les premières images géographiques (Brunet, 1992). La photographie, le cinéma, la télévision et le multimédia ont contribué en un siècle à façonner un « monde de l'image », qui implique encore une fois une approche complexe des interactions avec le monde réel et des rapports entre sociétés, espaces et temps. Nous limiterons ici les exemples aux cas des interactions entre territoires et audiovisuel, en nous interrogeant particulièrement sur le rapport de la géographie à ce sous-ensemble de la sphère territoire- communication, qui doit être lu, comme nous l'avons vu, à double sens.

Au sens étymologique, une image (du lat. imago, portrait) est une reproduction d'un objet matériel donnée par un système optique, en particulier par une surface plane réfléchissante ou un miroir. Si par extension, l'image est « un système de signes non verbal qui représente quelque

chose », elle contribue également à « médiatiser une relation de l'individu-acteur au monde ».

« Est image toute représentation visuelle, qu'elle soit matérielle ou mentale et qu'elle porte sur

une réalité objectale concrète du monde physique ou sur une idéalité abstraite »37. L'image

constitue un objet de recherche riche et complexe qui traverse l'ensemble des sciences et qui place les chercheurs face au problème de la délimitation d'un cadre pour l'étude et l'enseignement d'une matière spéciale, l'image, à la fois objet réel fini et concept, voire métaphore, infinie. Nous retrouvons là les mêmes dualités et ambigüités qu'avec la notion biface 36 Extrait de l'interview de Matt Westervelt, in Eudes Y., 2001, op. cit.

de réseau, à la fois technique et concept. Comme les réseaux physiques et virtuels, les images constituent des supports de construction de l'espace des sociétés et participent à la structuration des territoires selon deux logiques : l'une réticulaire, fondée sur le principe d'interconnexion et introduisant fondamentalement une discontinuité et des polarisations entre lieux distants, l'autre territoriale, relative à une portion d'espace continue, à la contiguïté de territoires emboîtés à différentes échelles. Dans la relation fondamentale entre territoire et communication, l'image relèverait de l'acte de territorialisation-différenciation, comme le réseau relève des actes d'identification et de liaison. Une grande part de ce que l'on appelle un « monde de l'image » est constituée par l'ensemble des métiers et des activités liés à la production et à la diffusion de documents photographiques et audiovisuels. Les notions de cadre et de cadrage sont des clés essentielles pour la compréhension de l'articulation de ces documents à l'espace et au temps. Une photographie, un film, n'existent que par l'espace et les objets du monde réel qu'ils reproduisent en partie, à un instant précis, celui où l'image s'imprime sur la pellicule. Divers procédés, diverses techniques, fruits de la recherche et d'un savoir-faire séculaire, ont permis une exploitation diversifiée de ces différents modes de reproduction et de transformation du réel, à travers le travail dans l'image, la scénarisation, la maîtrise des outils de production. Des territoires se retrouvent ainsi représentés, sous une forme ou sous une autre, avec ou sans intention précise, chaque fois que des images sont réalisées. Dans le cas d'une fiction, d'un documentaire, ou d'un film institutionnel, l'action est toujours forcément située par rapport au lieu de tournage, mais ce lieu peut être mis en évidence de façon plus ou moins explicite selon les intentions de l'auteur du document. Les rapports de la cinématographie aux lieux, aux paysages et à l'espace en général font l'objet d'une abondante production littéraire et savante, fort intéressante pour comprendre les liens étroits qui unissent territoires, production d'images et identités. Toutefois en la matière, aucun discours ne saurait remplacer l'expérience propre de chacun comme spectateur de films, recevant des signaux visuels et sonores et projetant pour une durée déterminée son attention sur un document généralement fabriqué à l'intention d'un public. Nous nous en tiendrons au cas des productions télévisuelles ayant un lien direct et explicite avec la dimension territoriale, c'est-à-dire les programmes portant sur des territoires locaux, produits et diffusés soit à l'échelle locale soit à l'échelle nationale.

La télévision est à la fois « instance montrante » vis-à-vis du monde extérieur et « instance

montrée » vis-à-vis du téléspectateur, celui-ci étant « instance regardante » (Charaudeau, 1997).

C'est en nous appuyant sur ces propriétés particulières, qui supposent de multiples interactions spatiales, temporelles et socio-conceptuelles que nous pouvons comprendre l'articulation des contenus aux frontières territoriales. Il faut insister sur l'ensemble des règles qui régissent la réalisation d'un document audiovisuel et qui passent essentiellement par des actes de mise en scène, de parti pris et de points de vues, soit une succession de décisions pendant le tournage et de sélections lors de la phase de montage. « Territoires en images » est une association qui organise chaque année depuis 1996 un festival du même nom au sein de l'Institut de géographie de Paris. Cette initiative est liée au projet pédagogique d'une poignée d'enseignants de l'École doctorale de géographie de Paris et à la mobilisation d'étudiants, de plus en plus nombreux,

impliqués dans la réalisation de films géographiques dans le cadre de leur cursus universitaire. La rareté de ce type d'enseignement en géographie est à souligner. Les raisons en sont diverses, l'une d'elles parfois avancée étant le manque de moyens financiers et matériels, mais aussi le manque de formation et de familiarisation des enseignants avec l'outil de production. Par ailleurs la primauté de la production écrite sur la production visuelle comme élément d'évaluation demeure, malgré des signes (encore faibles) d'une tendance à moins rejeter les images-vidéos et à les intégrer dans le cadre d'une approche pédagogique.

Les paysages sous toutes leurs formes constituent la matière première des analyses de films à caractère géographique. Comme nous l'avons vu dans le cas des systèmes hypermédias qui dynamisent la recherche en géographie, la pratique audiovisuelle élargirait le spectre d'exploration de l'outil cartographique et plus largement des modes de représentation et de visualisation d'un territoire. Deux exemples de réalisations, en France, de travaux ayant combiné une démarche de géographes et de production audiovisuelle, permettent de préciser les enjeux de l'usage des technologies d'information et de communication comme outil de recherche et de diffusion du savoir géographique. Le premier se rapporte à la série de quatre films didactiques sur « Anatomie, physiologie, pathologie des paysages » réalisés par Philippe Pinchemel et Jean- Louis Tissier entre 1978 et 1986 à l'ENS de Saint-Cloud. Le second porte sur la série de documentaires « Paysages » diffusée sur Arte en 2000 (19x26 min) réalisée par Jean-Loïc Portron. Les paysages constituent des systèmes complexes, des ensembles à l'intérieur desquels interagissent des éléments physiques - géologie, hydrographie, relief -, biologiques - écosystèmes végétaux, animaux, humains - et culturels - habitats, agriculture, infrastructures économiques. L'analyse du paysage est fondée sur l'observation d'indices dans l'espace, comme les ruptures, les continuités, qui renseignent sur les dynamiques et les trajectoires des sociétés qui ont produit le paysage. Cette analyse se prête donc à une approche mathématique, puisqu'il s'agit de distance, de points, de lignes, de formes et à une approche créative, qui relève de la transposition du paysage en images, qu'il s'agisse de peinture, dessin, photographie, vidéo, infographie. « Le paysage est une apparence et une représentation : un arrangement d'objets visibles, perçu par un sujet à travers ses propres filtres (...) » (Brunet, 1992). L'accessibilité croissante de l'ensemble des moyens numériques de production et de diffusion de l'information accélère le processus de recherche et de création pour la réalisation de films scientifiques. Certaines applications multimedia sont bien adaptées pour appréhender la complexité des paysages et de l'environnement, car elles permettent une approche à la fois globale, multidimensionnelle et interactive, comme le souligne Joël De Rosnay à propos des activités développées à la Cité des Sciences de la Villette. Nous poursuivrons, dans la troisième partie, la réflexion sur l'intérêt heuristique, pédagogique et pratique de ces recherches à l'interface entre images et territoires, qui incluent l'interactivité des systèmes hypermédias.

Les images-vidéos circulent principalement sur les chaînes de télévisions, mais elles peuvent être aussi stockées sur des supports magnétiques, des CD-rom ou DVD-rom et être diffusées dans un cadre privé, semi-privé ou public. Un document audiovisuel donne toujours lieu à un ensemble de discours, avant et pendant sa constitution, puis lors de sa diffusion. Ces discours

fournissent une sorte de seconde vie au document, visionné et filtré selon les grilles d'interprétation de chaque récepteur.

L'analyse des médias locaux permet d'élargir le champ de la recherche sur les interactions entre espaces et communication, dans la mesure où les images, souvent produites et diffusées localement, renvoient explicitement et intentionnellement à la présentation, à la mise en valeur ou au développement d'un territoire. En France, dans le cadre des lois de décentralisation à partir de 1982, les collectivités locales (régions, villes, pays) ont mis en place des politiques de communication, au départ centrées sur la mise en valeur de l'institution ou de l'élu, puis progressivement axées sur les notions d'identité et de proximité (Cardy, 1997). Cette expérience a permis de montrer que la télévision locale posait la question de la légitimité d'un type d'acteur - élus, associations, ou opérateurs - à représenter un territoire, sachant que plusieurs dimensions - politique, communautaire ou économique - sont à l'œuvre dans le processus de construction territoriale (Pailliart, 2001). De plus, comme le note Emmanuel Négrier (1995) dans un article consacré aux relations entre pouvoir régional et télécommunications, « le territoire des

nouveaux réseaux techniques de communication est marqué par une forte fragmentation des modes de représentations, modes d'accès et maîtrise politique ». On peut cependant relever

récemment la place de plus en plus importante de l'échelon local dans la réflexion et l'action sur l'aménagement numérique du territoire, à travers la constitution de groupes d'acteurs tels Multimédiaville, créé en 1985 à l'initiative de l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et de l'Association des villes pour le câble et le multimédia (Avicam38), créée

en 1986, qui participent activement à la diffusion de l'information et aux comparaisons d'expériences entre des praticiens locaux et leurs partenaires. À travers l'organisation de grands rendez-vous annuels, une veille technologique et réglementaire assidue et l'instauration d'un débat permanent, les participants entendent peser sur les décisions prises aux niveaux national et européen, sur les sujets les plus porteurs d'enjeux et d'incertitudes. Les débats actuels portent sur l'autonomie et les compétences réelles accordées aux collectivités locales, le renforcement des mécanismes de péréquations nationales, la question des antennes relais de téléphonie mobile (desserte du territoire et environnement), la place des télévisions locales dans le nouveau dispositif de diffusion numérique terrestre et plus généralement les réseaux publics locaux haut débit, quelle que soit leur technologie. Suite à la dernière rencontre Multimédiaville fin novembre 2003 à Bordeaux, la plate-forme des collectivités territoriales pour les communications électroniques et l'audiovisuel réitèrait 39 propositions concrètes autour de huit grands thèmes, avec un nouveau chapitre sur les logiciels libres. Comme le rappelle Isabelle Pailliart (2001), l'existence des médias locaux s'inscrit dans un double mouvement, « celui lié

aux territoires et aux acteurs qui les structurent, celui lié aux industries culturelles et aux stratégies qui les animent ». Cette réflexion traduit la volonté de changer de regard en dépassant

l'opposition traditionnelle entre échelles locale et nationale dans les explications. D'autres auteurs des sciences de l'information et de la communication insistent sur la complexité des systèmes d'interaction entre territoires réels et espaces de communication et sur la prise en 38 L'Avicam regroupe 103 collectivités territoriales adhérentes, présentes dans 53 départements et représentant plus

compte des interactions entre échelles territoriales. C'est le cas d'Enrique Bustamante (2000), pour qui les télévisions régionales peuvent jouer un rôle-clé dans les processus d'intégration supra-étatique comme l'Union Européenne, le Mercosur ou l'ALENA, à condition de distinguer tout d'abord deux niveaux d'intégration, l'un « régional-global », l'autre « régional-local » et de reconnaître à ce dernier sa capacité à coordonner en interne intérêts industriels et spécificités culturelles, pour les restituer ensuite de façon efficace à des niveaux supérieurs. « (...) Le

régional-global est un terrain de lutte entre la parole globale et l'expression propre »

(Bustamente, 2000). Évoquant la distinction entre « télévisions-miroirs » et « télévisions- fenêtres » (Musso, 1995) et les possibles dérives d'une télévision régionale appropriée par de grands groupes ou reproduisant d'elle-même les modèles dominants, l'auteur invite les chercheurs à repenser l'articulation économie-culture-communication dans la perspective d'un « développement intégral »...

L'audiovisuel et les nouvelles technologies associées à ce média constituent un enjeu essentiel pour la communication au sein des territoires et entre eux, à la fois outil de valorisation vis-à-vis de l'exterieur et instrument interne du développement socio-économique. Avec la numérisation des réseaux et la combinaison télévision-Internet, qui devraient modifier profondément la logique de programmation et de diffusion audiovisuelles, un champ de recherche inédit s'ouvre. D'une part, la connaissance des mécanismes de la production audiovisuelle et des politiques menées à différentes échelles du territoire français et européen apparaît essentielle pour comprendre comment opèrent la décentralisation et le développement local. D'autre part, un examen des modes de fabrication des contenus et des objectifs d'audience des médias ou programmes locaux s'avère nécessaire pour approfondir la notion de représentation des territoires et pour évaluer la façon dont les acteurs s'approprient les outils de communication selon les espaces.

En conclusion de ce chapitre, on peut ainsi rappeler que les télécommunications, l'audiovisuel et l'informatique ont en commun une histoire, qui est celle de l'électricité, de l'électronique et aujourd'hui du numérique. Une approche critique de la notion de convergence, qui s'appuie sur les trajectoires de chacun des systèmes techniques, a pour but de mieux cerner les risques, mais aussi les changements positifs possibles attachés à la diffusion des réseaux électroniques, dans le cadre récent des politiques de développement territorial. La complexité du rapport entre réseaux et sociétés ne facilite pas la clarification de cette notion de développement qui reste ambigüe. Les recherches soulignent la nécessité d'une prise de conscience des enjeux de la société de l'information et d'une réhabilitation des logiques de proximité dans l'usage d'Internet.

Une analyse centrée sur l'interaction entre espaces géographiques et réseaux-services passe par l'appréhension de deux dimensions : une dimension verticale, qui relève de l'existence d'échelles territoriales et d'une hiérarchisation administrative ; une dimension horizontale, qui renvoie à la diffusion spatiale des innovations dans le temps et à l'observation des relations entre centres et périphéries. Les systèmes hypermédias, les systèmes d'images et les systèmes d'information constituent des supports de création et de réprésentation d'espaces réels et virtuels dans lesquels se reproduit ce schéma.

L'enjeu est celui de la production et de l'accès aux contenus. Deux mouvements simultanés sont ainsi à observer : d'une part, le phénomène de numérisation caractérisé par la dématérialisation, la décentralisation, l'accélération de la diffusion des innovations et la démultiplication des possibilités d'échanges, d'autre part, le phénomène d'appropriation des outils numériques par trois grands types d'usagers : les acteurs du secteur public, les entreprises du secteur privé et la société civile, constituée d'individus et de groupes associatifs oeuvrant du micro-local au global via Internet. La question de la modification des rapports de pouvoir entre ces différentes sphères est au centre des débats scientifiques et politiques.

Sous différentes formes, les auteurs en appellent à penser et mettre en œuvre une « écologie de l'information »39, en insistant sur la nécessaire transparence que les acteurs doivent entretenir

vis-à-vis des architectures de systèmes d'information qui seraient « au même titre que celles de nos villes, porteuses d'un message politique » (B. Benhamou, 2002). Les exemples relatifs à la gestion du patrimoine informationnel des entreprises, des administrations et des associations nous ont confirmé l'importance d'une définition plus précise des intentions liées à la mise en forme et à la diffusion de l'information, notamment dans le domaine de l'action publique.

39 L'expression est celle de Jean Voge, in Voge J., 1992. « Donner du sens à l'information », Transversales Sciences/Culture n°16. Jean Voge est directeur de l'ENST dans les années 1960, il a fondé l'IDATE (Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe) à Montpellier en 1977.

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