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LES TIC FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL ?

SPATIALE DE L'INNOVATION

2.2 LA NOTION FONDAMENTALE D'INTERMÉDIATION POUR PENSER LE RÔLE DES ACTEURS

2.2.2 Tiers-secteur et modèles alternatifs

Le concept de gouvernance permet d'aborder le champ de l'innovation sociale qui est au cœur de notre interrogation sur les TIC. En prenant quelques exemples relatifs aux trois sphères socio- techniques que représentent l'informatique, l'audiovisuel et les télécommunications, nous insisterons sur l'émergence de modèles alternatifs inventés en partie par les acteurs de la société civile30, à travers le « tiers-secteur » et sur l'importance des combinaisons d'innovations

techniques et sociales, entre local et global.

On retiendra ici que le principe de partage de l'information devient vital pour le fonctionnement des organisations, qu'elles relèvent du secteur privé, du secteur public, ou du tiers-secteur. Ce dernier correspond en France à la reconnaissance, vers la fin du XIXème siècle,

des syndicats, coopératives, mutuelles, associations (loi 1901) et sociétés de bienfaisance, ces dernières œuvrant notamment dans le domaine du logement. La crise de l'État-Providence a relancé le débat dans les années 1980 sur le rôle de ces structures à vocation économique et sociale dans la redynamisation des processus de développement local31. Source d'insertion

professionnelle et d'emploi, le tiers-secteur joue surtout un rôle essentiel pour la création de liens 28 Di Bona C., 1999. Tribune Libre : Ténors de l'Informatique Libre, O'Reilly, 307 p.

29 Pour garantir les conditions de distribution et empêcher la transformation du logiciel GNU en logiciel propriétaire, les auteurs du projet ont utilisé le copyleft. Un programme couvert par le copyleft ne peut pas être inclus dans une version plus grande sans que cette dernière ne soit également couverte par le copyleft.

30 Dominique Colas propose une définition opératoire de la société civile. « Elle désigne la vie sociale organisée

selon sa propre logique, notamment associative, qui assurerait la dynamique économique, culturelle et politique ». Extrait du glossaire de Dominique Wolton, 1997. Penser la communication, Flammarion.

31 Rapport de Bertrand Schwartz commandé par le premier Ministre sur l'Insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté, 1982.

sociaux « non facturables », utiles à la cohésion sociale et qu'Alain Lipietz désigne sous l'expression de « halo sociétal ». Par leur mode de fonctionnement et de financement, les associations sont impliquées dans des démarches de partenariat avec les instances locales et parfois les entreprises du secteur privé. Les acteurs du tiers-secteur constituent un maillon essentiel dans la mise en pratique de la gouvernance territoriale et dans la coordination d'actions concertées de développement. L'importance de cette troisième forme d'économie à vocation sociale et solidaire, à la charnière entre l'économie marchande et non marchande, s'affirme dans la recherche scientifique et dans l'action politique. Une question-clé porte sur les conditions d'évolution du financement des emplois créés dans ce secteur essentiellement subventionné et pose le problème d'une concurrence éventuelle avec les activités du secteur privé.

Dans l'audiovisuel, les télévisions associatives obtiennent des autorisations temporaires de diffusion sur le câble ou par voies hertziennes (depuis la loi du 1er août 2000) et se diffusent

aussi via Internet. À travers la Coordination permanente des médias libres (CPML) créée en 1999 et la Fédération nationale des vidéos des pays et des quartiers (FNVPQ), ces télévisions associatives souhaitent la reconnaissance d'un « tiers-secteur audiovisuel » non marchand, non commercial, à but non lucratif et d'accès public32. On peut noter quelques événements

révélateurs de l'existence d'une dynamique autour de ces questions et ce à différentes échelles : la création des Universités européennes des télévisions des pays et des quartiers, dont la première s'est déroulée à Castres en 2001 et la seconde à Albi fin octobre 2003, l'Observatoire français des médias (OFM), affilié à l'Observatoire international des médias lancé lors du Forum social de Porto Alegre en janvier 2002 et officiellement créé le 23 janvier 2003 à Paris. « L'Observatoire international des médias est né du constat que les médias n'assuraient plus

leur rôle de contre-pouvoir dans la mesure où le système médiatique est à la fois un acteur (par la concentration croissante qui le caractérise) et un vecteur de la mondialisation néo-libérale »33

. La défense de l'information comme bien public et la revendication d'un « droit de savoir » des citoyens sont au centre de l'action de ces groupes de travail en constitution. Internet et les nouveaux modes de diffusion sont encore une fois au centre de cette dynamique et interviennent comme des moteurs, plutôt que comme des initiateurs de cette évolution. Les associations ont en effet très rapidement trouvé leur place sur ce nouveau terrain d'expression et d'échange d'expériences que représente le Web. Certains portails thématiques ou de fédérations, très bien structurés, constituent de véritables répertoires de ressources pour les citoyens, de services pour les acteurs du monde associatif et de liens avec les nombreuses institutions partenaires du développement de ce secteur. Ces formes spontanées d'organisation et de présentation de l'information sur Internet, dont on pourrait étudier les différences en fonction des trois secteurs,

32 « Les télévisions associatives sans but lucratif se battent pour exister au moment où sur le terrain de

l'infranational se développent des télévisions privées, commerciales, qui sentent que le local devient un lieu de profitabilité capitalistique dans le secteur des médias. Contrairement à ces dernières, les télévisions associatives peuvent concourir à une éducation et une pédagogie à l'image, à la télévision, plus globalement au décryptage des dispositifs médiatiques de nos sociétés » Guy Pineau, communication lors de la 2ème Université Européenne

des Télévisions de proximité Albi, 29 octobre 2003.

constituent une opération fondamentale de mise en commun, de partage et de diffusion de ressources informationnelles. Comment cette opération retentit-elle dans l'espace réel ?

L'accès physique aux réseaux est, nous l'avons vu, un point crucial. Un numéro récent de la revue Géographie et Cultures (n°46, été 2003) fait le point sur le déploiement des accès publics à Internet dans plusieurs pays (Canada, France, Inde, Irlande, Russie, USA) sous l'angle des usages et de l'appropriation de ces lieux très fréquentés et de plus en plus nombreux. « Espaces

hybrides entre une intimité partiellement protégée de l'usager à l'écran et une sociabilité organisée à l'intérieur des groupes d'usagers, les accès publics à Internet sont modelés par leur environnement immédiat »34. Les formes de ces lieux de sociabilité se diversifient. Certains

points d'accès peuvent être dédiés à un thème particulier, comme le jeu en réseau, le tourisme, la recherche d'emploi ; d'autres sont de simples bornes de renseignements dans l'espace public. Le statut des structures offrant des accès Internet - association, institution ou société privée -, leur caractère thématique ou généraliste, gratuit ou payant sont des critères retenus pour l'analyse du lien territorial des accès publics à Internet. Dans la ville de Paris (Mancebo, Durand-Tornare, 2003), les structures privées se concentrent dans les arrondissements centraux et dans le Sud, tandis que les associations présentent une forte concentration dans les 11ème, 19ème et 20ème

arrondissements. De telles recherches montrent que les lieux de la communication immatérielle, thématiques ou généralistes, sont avant tout « coproduits par les usagers » (Éveno et alii., 2003). La prise en compte du fort ancrage territorial de ces lieux d'accès publics à Internet paraît primordiale dans l'élaboration de politiques de développement. En France, les politiques en matière de points d'accès publics à Internet s'inscrivent à la charnière entre le secteur culturel et le secteur de l'éducation et de la formation. La stratégie repose actuellement sur une offre d'infrastructures pérennes sous le label d'Espaces publics numériques (EPN). Les limites de la politique d'offre viennent, pour les auteurs, du fait que ces lieux n'existent réellement « qu'au

travers des modes d'appropriation mis en œuvre par leurs usagers ». La mesure du caractère

hybride de ces structures appropriées et transformées par leurs usagers conduirait donc les acteurs publics à plus d'efficacité dans la démarche de développement d'EPN.

Nous prendrons pour terminer un dernier exemple concernant l'installation d'un réseau sans fil métropolitain (WMAN, pour Wireless Metropolitan Area Network) utilisé pour relier les habitants d'un quartier ou d'une ville entre eux et/ou à Internet. L'exemple d'un réseau local de ce type mis en place à Seattle depuis fin 2000 sur un mode libre et communautaire nous permet de synthétiser en partie notre propos sur l'information comme bien public-privé spatialisé. Deux jeunes passionnés d'informatique et d'Internet, maîtrisant l'univers des serveurs et les techniques de transmission sont à l'origine de ce projet, parti du rêve d'un réseau local pour eux « idéal », c'est-à-dire à très haut débit, sans fil, libre, gratuit, ouvert à tous les habitants possédant un ordinateur et géré sur la base du bénévolat, de l'entraide et du partage. Dans le lignée du logiciel libre, les créateurs de Seattle Wireless souhaitaient lancer le « mouvement du réseau libre » 35.

Dès 2001 l'expérience était déjà relayée par une dizaine de projets similaires sur d'autres 34 Mancebo F., 2003. Géographie et Cultures n°46, p . 4.

continents ou pays comme l'Australie ou l'Angleterre, mais aussi plus proches du foyer initial de diffusion de l'innovation, au Canada (Vancouver) et plus au Sud à Portland et San Fransisco. « Seattle n'est pas un endroit comme les autres. Il y a ici une concentration exceptionnelle de

passionnés des réseaux. Par ailleurs ce port a une forte tradition rebelle. Depuis le XIXème siècle

il a toujours abrité des mouvements alternatifs et syndicaux assez radicaux »36. Cette image

forte du territoire, ancrée dans l'esprit des initiateurs, montre bien l'importance des facteurs de différenciation et d'identité locale dans la stratégie des acteurs d'un projet innovant.

À travers ces exemples d'informatique, d'audiovisuel et de réseaux « libres », c'est-à-dire indépendants des pouvoirs publics et des sphères purement marchandes, nous touchons enfin les fondements de la construction d'un système territorial qui s'appuie sur la reconnaissance entre pairs et sur la mise en commun de ressources humaines, naturelles, matérielles et informationnelles. On remarque dans chaque exemple que les enjeux portent sur la diffusion d'un savoir et d'un savoir-faire et sur la recherche d'un « sens » pour l'action et le développement.

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