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Les trajectoires d’entrée dans la vie adulte : des différences et des inégalités selon le parcours scolaire, le sexe et l’origine ethnique inégalités selon le parcours scolaire, le sexe et l’origine ethnique

CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE L’OBJET

1. Etre jeune aujourd’hui : Sociologie de la jeunesse contemporaine contemporaine

1.3. La jeunesse : plus qu’une phase de transition, un statut d’attente

1.3.3. Les trajectoires d’entrée dans la vie adulte : des différences et des inégalités selon le parcours scolaire, le sexe et l’origine ethnique inégalités selon le parcours scolaire, le sexe et l’origine ethnique

Une fois posée cette mise au point sur la scolarisation et la présence des jeunes sur le marché du travail, Léa Lima a pu lire plus finement les statistiques du chômage des jeunes et les conditions d’entrée sur le marché du travail. Comme nombre de sociologues (Galland, Dubet, etc.), Lima note que les jeunes entrent plus tardivement dans le marché de l’emploi. Le taux de chômage des jeunes actifs récents (ceux qui ont terminé leurs études dans les quatre années précédent leur recensement) est aussi important que persistant depuis le début des années 1980 puisqu’il vacille entre 15 et 25%. Cette période de transition fortement instable, entre la sortie de la formation initiale et la stabilisation en emploi, se traduit par une expérimentation où les jeunes cherchent à « se placer »112. Cette phase est faite, nous explique Léa Lima,

« d’enchaînements de situations hétérogènes sur le marché du travail : chômage, emploi à durée déterminée, formation, contrats aidés, inactivité. »113

Se basant sur les résultats de l’enquête Génération 98 qui a permis de suivre une cohorte de sortants de formation initiale pendant sept ans (de 1998 à 2005)114, Lima évalue à trois ans le temps de la stabilisation en emploi « dans la mesure où après trois années de vie active, la part des jeunes qui travaillent ne progresse plus (Coupié, Gasquet et Lopez, 2006). »115 Afin de comparer ce chiffre, Lima reprend un certain nombre d’études réalisées entre 1977 et 2002

110 Ibid., p. 71.

111 Ibid., p. 72.

112 Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, op. cité.

113 Léa Lima, « Les nouvelles régulations de l’entrée dans la vie active », op. cité, pp. 72-73.

114 A ce sujet, il est intéressant de noter que Louis Chauvel (2010, p. 48) estime que cette étude de cohortes est établie sur des panels qui débutent « bien trop tard pour mesurer les effets intrinsèques de la deuxième croissance scolaire. »

115 Ibid.

60 pour montrer que la tendance est à l’accélération des interruptions d’emploi pour les jeunes salariés. Ainsi, Cordellier116 nous indique que les jeunes de moins de 25 ans changeaient d’entreprises 0,25 fois en 1977 contre 0,4 au début des années 2000. Cela s’explique par le développement des « formes particulières d’emploi » qui affectent considérablement les jeunes, bien plus que les autres catégories d’âges. Ces formes particulières d’emploi désignent l’ensemble des emplois autres que les contrats à durée indéterminée (CDI) : contrats à temps partiels, contrats durée déterminée, intérim, contrats aidés, etc. Autrement dit, les emplois précaires. Elles sont devenues « un passage obligé dans le parcours d’insertion de beaucoup de jeunes117 », selon Lima, qui ont vu, pour ceux d’entre eux qui ont moins de cinq ans d’expérience, cette forme d’insertion professionnelle augmenter de 13 points entre 1982 et 2002 ; contre 3 points pour ceux d’entre eux qui travaillent depuis plus de 10 ans.

Ce temps dit de la primo-insertion est largement déterminé par le parcours scolaire, le sexe ou l’origine ethnique.

Concernant le parcours scolaire, le niveau de diplôme constitue l’un des produits du creusement des inégalités entre jeunes. Les moins qualifiés d’entre eux souffrent beaucoup plus de l’enfermement dans la précarité nous explique Lima :

« Entre la première et la septième année de vie active, les non-diplômés ont un taux d’emploi systématiquement inférieur de 12 à 14 points par rapport à l’ensemble de la génération. De plus, les jeunes sans qualification qui sont en emploi le sont beaucoup moins souvent en CDI que les autres jeunes de la même cohorte (52% au bout de 7 ans contre 64% pour l’ensemble de la génération 98).

Enfin, ils restent très soumis aux aléas de la conjoncture, alors que les plus diplômés ont une stabilisation dans l’emploi plus linéaire. Cette hiérarchisation des conditions d’entrée dans la vie active selon le niveau de diplôme n’a pas varié entre l’enquête portant sur les sortants de 1991 et celle qui concerne les sortants de 2001. »118

Et même si les plus diplômés souffrent moins dans la période de primo-insertion que les jeunes peu ou pas diplômés, Léa Lima nous précise qu’ils ne sont pas épargnés par le phénomène du déclassement, devenu un point sensible du débat politique français en matière de jeunesse. Pour Lima, « le déclassement désigne une situation dans laquelle un jeune occupe un emploi dont le niveau de formation normalement requis ou subjectivement estimé par l’individu est inférieur à celui qu’il a atteint. »119

Le déclassement s’explique par le fait que l’offre d’emplois qualifiés a augmenté moins rapidement que celle des diplômés « si bien que les jeunes diplômés peuvent être conduits à accepter des emplois faiblement qualifiés et rémunérés. »120 Giret, Nauze-Fichet et Tomasini ont montré qu’entre 20 et 30% des diplômés de la génération 98 subiraient situation de déclassement après trois ans de vie active121, sachant que ce phénomène frappe plus durement les bacheliers technologiques et professionnels. Nous aurons l’occasion d’y revenir très en détail dans la deuxième partie liée à la sociologie des jeunes des quartiers populaires.

Ainsi, Léa Lima, citant une fois de plus Coupet, Gasquiet et Lopez, explique que « 70% des titulaires d’un diplôme bac +2 qui ont débuté sur des postes d’ouvrier ou d’employé ont un niveau d’emploi supérieur dès la troisième année de vie active. »122

116 Christian Cordellier, « De 1977 à 2002, l’emploi des jeunes salariés est de plus en plus découpé par des interruptions » in INSEE Première, n° 1104, 2006. Référence citée par Léa Lima, ibid.

117 Ibid.

118 Ibid., p. 74.

119 Ibid., p. 75.

120 Ibid.

121 Jean-François Giret, Emmanuelle Nauze-Fichet et Magda Tomasini, « Le déclassement des jeunes sur le marché du travail », in Données sociales. La société française, 2006, pp. 307-314. Référence citée par Léa Lima, ibid.

122 Thomas Coupié, Dominique Epiphane et Christian Fournier, « Les inégalités entre hommes et femmes résistent-elles au diplôme ? », in Bref, n° 135, CEREQ. Référence citée par Léa Lima, ibid.

61 Concernant le sexe, Léa Lima met en évidence le fait qu’à diplôme égal, les filles connaissent des périodes d’inactivité plus longues, mettent plus de temps à se stabiliser dans le marché de l’emploi que les garçons et sont plus exposées aux emplois à temps partiel subis. Aussi, elles se stabilisent moins fréquemment dans un emploi à durée indéterminée et sont deux fois plus représentées que les garçons dans la catégorie des « non-emploi chronique »123. Cela s’explique en partie par le fait que d’une part, les filles sont titulaires de diplômes où les débouchés sont plus rares et d’autre part, la pression qui s’exerce sur elles est moins forte socialement que celle exercée sur les garçons pour trouver un emploi124.

Les résultats de l’étude Génération 98 démontrent que la proportion des filles sorties du système scolaire en 1998 se retrouvant au chômage un an plus tard est de 14% contre 10,8%

pour les garçons. L’écart se réduira par la suite pour cette cohorte mais demeurera cependant de deux points en 2002.

Enfin, concernant le dernier facteur discriminant, l’origine ethnique, Léa Lima constate que les regards des statisticiens et des sociologues ont évolué sur le sujet. En effet, ayant considéré pendant longtemps que le problème des jeunes issus de l’immigration se résumait bien souvent à un déficit de formation et de qualification du fait de leur proportion élevé dans l’échec scolaire, ils reconnaissent aujourd’hui qu’à diplôme égal ces derniers rencontrent plus de difficultés que les autres à trouver un emploi. Comme l’expliquent Silberman et Fournier, l’origine ethnique a bien un effet direct sur les conditions d’entrée dans la vie active des jeunes125. Pour Léa Lima :

« Toutes choses égales par ailleurs, ce sont les jeunes originaires du Maghreb qui semblent le plus marquer le pas par rapport aux jeunes d’origine française. Ils sont ainsi distanciés par les jeunes d’origine européenne qui, entre 1992 et 1998, ont eu tendance à combler leur déficit tant en ce qui a trait au niveau de sortie de formation initiale que pour ce qui est du niveau de chômage. Aussi, les jeunes d’origine maghrébine ne semblent guère avoir profité de l’embellie de 1998. Ils sont systématiquement pénalisés sur le marché du travail, qu’ils soient filles ou garçons, et quel que soit leur niveau de diplôme. Les jeunes garçons ayant terminé leurs études secondaires avec un CAP ou avec un BEP en 1992 avaient 1,6 fois plus de chance d’être au chômage au bout de trois ans de vie active que leurs homologues d’origine française. Cette probabilité est restées la même pour les sortants de 1998. »126

Cette question des discriminations ethniques et, plus généralement, de l’origine ethnique comme variable déterminante des parcours de vie des jeunes des quartiers populaires sera au cœur de mon propos dans les pages suivantes, notamment dans ma partie consacrée à l’ethnographie des jeunes des quartiers populaires.

Face à cela, et prenant en compte les difficultés du temps de la primo-insertion, l’Etat français a été amené à développer des politiques de l’emploi ayant pour but de favoriser l’intégration des jeunes. C’est ce que nous verrons plus en détail dans la partie que je consacrerai à l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers populaires comme un des points cardinaux d’une politique de jeunesse.

Ici, retenons que les mesures en faveur de l’insertion professionnelle émanant de l’Etat institutionnalisent le temps de l’âge d’insertion.

123 Qui ont travaillé moins de six moins dans les trois premières années suivant leur sortie du système scolaire.

124 Virgine Mora, « Lorsque le processus d’insertion professionnelle paraît grippé », in Bref, n° 206, CEREQ, 2004. Référence citée par Léa Lima, ibid.

125 Roxanne Silberman et Irène Fournier, « Jeunes issus de l’immigration : une pénalité à l’embauche qui perdure », in Bref, n° 226, CEREQ, 2006. Référence citée par Léa Lima, ibid., p. 76.

126 Ibid.

62 1.3.4. L’institutionnalisation de l’âge d’insertion : l’apparition de la

catégorie d’âge 16-25 ans

S’appuyant sur les chiffres de l’INSEE, Léa Lima observe qu’aujourd’hui, un emploi de jeune de moins de 26 ans sur 4 est lié à des programmes publics d’embauche alors qu’en 1984,

« 6,5% [seulement] de l’emploi des jeunes était constitué de contrats aidés. »127 Chez les jeunes de la cohorte suivie dans l’enquête Génération 98, ils étaient 8% à bénéficier d’un contrat aidé pour leur première année d’activité et 7% trois ans plus tard. Aussi, 16% des jeunes sortis du système scolaire en 2001 ont bénéficié d’un contrat aidé au cours de leurs trois premières années de vie active. Cela amène Léa Lima a en tirer les conclusions suivantes :

« Là encore, les parcours sont très différents selon le niveau de formation. Les mesures d’insertion sont prépondérantes dans les parcours des jeunes non-qualifiés et deviennent de plus en plus marginales au fur et à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des niveaux de formation. »128

L’analyse de l’organisation de la transition professionnelle de Léa Lima fait largement écho aux résultats de mes travaux sur les politiques de jeunesse lorsqu’elle affirme que :

« L’âge de l’insertion devient plus spécifiquement dédié à l’acquisition de codes, d’habitudes de travail et se détache ainsi des fonctions de l’âge éducatif centré sur l’éducation du citoyen. Cette socialisation professionnelle qui pendant les trente glorieuses s’effectuait sur le tas, par la simple immersion dans l’entreprise, fait donc aujourd’hui l’objet d’un encadrement institutionnel conséquent. »129

La distinction dans l’action publique entre la sphère éducative et celle de l’insertion comme conquête des attributs de l’âge adulte représente certainement l’épine dorsale de mon analyse sur ce que doit être une politique de jeunesse. Mais je montrerai également que ces deux sphères ne doivent ni s’opposer, ni s’ignorer, mais s’inscrire, bien au contraire, dans une interdépendance.

Léa Lima, quant à elle, poursuit son analyse en nous expliquant qu’« un espace pour la qualification des primo-demandeurs d’emploi a été aménagé dans le droit social. »130 C’est dans cette perspective que les différentes lois sur la formation professionnelle et notamment celles qui touchent à la jeunesse, instituent la catégorie d’âge des 16-25 ans. Aujourd’hui, si tous les experts s’accordent à penser que l’âge ne constitue pas le bon critère pour définir la jeunesse, l’action publique, quant à elle, établit une catégorie située entre 16 ans, âge de la fin de la scolarité obligatoire, et 25/30 ans selon les instances et les dispositifs.

En somme, ce temps de la primo-insertion des jeunes doit nous interroger sur un point : la place des différentes générations dans la structure sociale. Autrement dit, existe-t-il un conflit générationnel dans l’accès aux richesses du pays ? Une génération, en l’occurrence les jeunes, est-elle condamnée à attendre qu’une autre, les adultes installés et les aînés, lui fasse de la place ?

C’est ce que nous allons voir maintenant. Je vais clore cette première partie sur la sociologie de la jeunesse contemporaine en m’intéressant aux rapports entre les générations dans une France vieillissante. Je vais pour cela m’appuyer, entre autres, sur les travaux de Louis Chauvel en expliquant en quoi il est nécessaire d’interroger la fracture générationnelle pour comprendre la jeunesse.

127 Ibid., pp. 76-77.

128 Ibid.

129 Ibid., p. 79.

130 Ibid.

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