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Des différences selon les âges : les spécificités des 16-18 ans

LA JEUNESSE DES QUARTIERS POPULAIRES : UNE JEUNESSE UNE ET PLURIELLE

6. L’insertion professionnelle

6.3. Des différences selon les âges : les spécificités des 16-18 ans

Les professionnels de jeunesse que j’ai rencontrés, pour la plupart d’entre eux, s’accordent à penser que la difficulté à trouver un emploi ne saurait s’appliquer à tous les jeunes de la même façon. Ainsi, nombreux sont les professionnels à estimer que la variable de l’âge est aussi à prendre en compte dans l’analyse de l’insertion professionnelle des jeunes. Pour eux, ce sont bien les 16-18 ans qui rencontrent le plus de difficultés d’insertion, notamment ceux qui ont mis fin à leur scolarité et qui ne disposent pas de ressources culturelles et sociales.

C’est ce que nous expliquent ces deux professionnels :

Extrait d’entretien avec deux éducateurs de prévention spécialisée :

A : Moi, je dirais que ce sont les jeunes de 16 à 18 ans qui sont discriminés parce que eux, évidemment, ils n’ont aucun appui.

B : ça c’est un phénomène relativement récent mais je pense que c’est lié aux politiques actuelles, c’est qu’autant par le passé y avait des réponses pour les jeunes de 16 à 18 ans alors qu’aujourd’hui, quand on sort du système scolaire à 16 ans il faut attendre 18 ans pour avoir accès à certaines mesures, à certaines formations professionnelles. La période 16-18 ans aujourd’hui, c’est vraiment une période de latence dans laquelle les jeunes s’initient à tous les trafics parce qu’on n’a rien à proposer. Y a très peu de choses à leur proposer.

Un apprentissage, une formation ?

B : Aujourd’hui, l’apprentissage ça concerne vraiment les jeunes qui sortent de troisième, qui ont un niveau scolaire correct et qui, effectivement, sont capables de tenir un emploi parce qu’ils peuvent respecter les règles, l’employeur etc. C’est pas un public de jeunes des cités. Dans ma carrière professionnelle, j’ai rencontré très peu de jeunes qui arrivaient à entrer en apprentissage.

A : Ils ont aussi besoin d’une relation particulière et les employeurs ne sont plus dans cette dynamique-là, entre guillemets, du paternalisme un peu. Ils sont la tête dans le guidon, il faut de la production, ils ont pas trop de temps à consacrer me semble-t-il à l’apprenti. Et les apprentis, tels qu’on les connaît dans le quartier, ce sont des jeunes qui ont besoin d’une attention particulière quoi. Et cette attention-là, un employeur ne peut pas l’accorder. Donc, quand ils se retrouvent dans des grandes entreprises – enfin des entreprises un peu vastes avec 20 salariés par exemple – le jeune il pérégrine, il est pas toujours avec la même personne. Ça, ça les perd, ils ont besoin de repères fixes avec un adulte de confiance, et je dirais même de connaissance. C’est-à-dire quelqu’un qu’ils ont bien connu etc. pour permettre un peu d’avancer dans l’entreprise. S’ils sont dans une entreprise où ils connaissent personne, rapidement ils sont en difficulté et ça casse.

B : C’est rare que ça dure plus de 15 jours un apprentissage…

Pour ces deux éducateurs de prévention spécialisée, les difficultés d’insertion vont être plus importantes pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans qui ont quitté l’école dans la mesure où ils sont trop jeunes pour pouvoir bénéficier d’un certain nombre de dispositifs et d’accompagnement. Surtout, à cet âge-là, observent-ils, les jeunes nécessitent un accompagnement spécifique, avec plus d’attention, ce que les employeurs ne sont plus en mesure de proposer faute de temps et de moyens. Cette période de « flottement » avant leur majorité, expliquent encore les deux éducateurs, est susceptible d’amener les jeunes à s’initier au trafic.

186 Comme eux, nombreux sont les professionnels à constater que, bien souvent, ce n’est qu’à partir de 18 ans que les jeunes sont plus enclins à jouer le jeu de l’institution. C’est globalement le temps qu’il leur faut pour opérer une prise de conscience et commencer à intégrer les normes du monde du travail. C’est ce que nous avance ce professionnel :

Extrait d’entretien avec un conseiller de mission locale :

Sur le plan de l’emploi, de ce que vous observez, est-ce que les jeunes des quartiers ont plus de difficultés que les autres à trouver du travail ?

Oui, on en revient toujours au même : la formation scolaire. Quand on sort de l’école à 16 ans, qu’est-ce qu’on a à 16 ans, est-qu’est-ce qu’on est prêt à faire un apprentissage ? Et encore, ça apparaît maintenant l’apprentissage, mais y a 7-8 ans, c’était plus compliqué que ça. Pour ces jeunes-là, dès qu’ils arrivent en âge de travailler, c’est difficile. Ils sont dans un milieu qui est difficile. A l’école c’est difficile, on arrive pour se former pour le travail et on y arrive pas, alors après c’est plus dur. Par exemple, quand on a 3-4 ans de retard à l’école, quand on arrive pour se former, c’est difficile. Et puis, quand on a vu son caractère [au jeune] qui commence à être un peu dur, quand on arrive chez un patron, un patron c’est pas un professeur qui va dire : « S’il te plait, tu peux faire ça ? », une deuxième fois : « S’il te plait, tu peux faire ça ? », non ! Le patron ça va être : « Tu fais ça maintenant et si t’es pas content c’est la porte ! ». Voilà, et donc il faut accepter ça aussi.

Les jeunes que vous connaissez, est-ce qu’ils arrivent à trouver du travail, et quand ils arrivent à en trouver, est-ce que ça dure et est-ce que ça leur convient ?

Disons que c’est dur pour eux quand ils ont 16-17-18-19 ans.

Pourquoi à cet âge là ?

C’est dur parce qu’ils sont toujours un peu rebelles. Ils sont, entre guillemets, chez papa et chez maman tout le temps. Ils sont toujours un peu rebelles. Ils commencent à comprendre et accepter un peu plus le patron, entre guillemets, qui va donner des ordres dans le travail, une rigueur dans le travail, 3-4 ans après quoi. Vers 20-22 ans, ils commencent à se dire : « Et si je me faisais de l’argent, faut que je m’y mette quoi ». Ils se disent qu’il y a des choix. C’est un constat que je fais. Dernièrement, je parlais avec un jeune qui a 16 ans, il me disait : « je veux travailler tout de suite », il voulait être tout de suite dans la maçonnerie. Mon discours c’était de lui dire : « la maçonnerie tu sais ce que c’est ? », il me dit :

« ouais, j’ai déjà travaillé et tout » ; je lui ai dit : « Ok, mais sache que la maçonnerie si t’es pas formé t’es larbin ! Tu vas faire toutes les tâches très très difficiles que les autres veulent pas faire ». Et c’est vrai que ceux qui sont formés ne vont pas faire toutes les tâches ingrates et difficiles. Donc, faut se former. Je lui ai conseillé d’aller à l’AFPA, ou de prendre carrément un apprentissage. Mais non, il voulait travailler tout de suite, donc on en revient toujours au même : A 14-15-17 ans, ça n’écoute pas trop quoi.

Ce conseiller de mission locale remarque qu’avant 18 ans, les jeunes, notamment ceux qui ont quitté l’école à 16 ans, n’ont pas suffisamment de connaissances appropriées du monde de l’entreprise et n’ont pas incorporé les dispositions nécessaires en matière de comportements à adopter pour s’intégrer pleinement dans celui-ci. Mais il va encore plus loin en évoquant la difficulté qu’ont ces jeunes à négocier avec le monde adulte : « ils sont toujours un peu rebelles ». La défiance qui caractérise ces jeunes vis-à-vis des codes d’un monde adulte dont ils rejettent l’autorité, explique-t-il, n’est pas de nature à les conforter dans une situation professionnelle stable. Toutefois, le conseiller ne dit rien sur les causes de ce « comportement rebelle » des jeunes qu’il observe.

Cet autre professionnel de l’insertion revient également sur le rapport des plus jeunes à l’entreprise et la déstructuration des repères :

Extrait d’entretien avec un professionnel d’une association d’insertion sociale et professionnelle : Est-ce que vous diriez qu’il existe des spécificités chez les jeunes des quartiers ? […]

Il y a, c’est sûr, une chose qui se retrouve chez tous ces jeunes, c’est une méconnaissance des règles de l’entreprise au sens large : c’est-à-dire parfois des problèmes d’horaires, souvent en retard, des problèmes d’absences qui ne sont pas justifiées et puis si c’est pas ça c’est des problèmes liées aux consignes et au respect de la hiérarchie. Ils ont du mal à comprendre qu’ils sont là pour appliquer les consignes du chef ou du directeur etc. Donc, pour moi, ce qui les lie c’est la méconnaissance du monde de l’entreprise.

Ça découle de quoi d’après vous ?

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Disons que pour la plupart de ces jeunes-là y pas d’expérience professionnelle. Donc, y a eu parfois des stages, parfois un mois de contrat, peut-être un petit peu d’intérim mais jamais de contrat long en tout cas.

Si on remonte un peu plus en amont, sur la scolarité des jeunes, diriez-vous qu’ils ont été plus en échec que les autres ?

Plus en échec effectivement. Là, sur la quinzaine de jeunes, j’en ai que deux qui ont un CAP maçonnerie et, effectivement, pour le reste, ce sont des jeunes qui ne sont pas qualifiés. Ils ont été en échec scolaire oui.

Ils sont sortis de l’école assez tôt ?

Assez tôt oui, après 16 ans quoi et qui sont passés très vite par la mission locale pour des stages de recherche d’emploi ou des petites formations, de la remobilisation, du coach pour l’emploi, enfin tout un tas d’outils.

Un parcours en dents de scie ?

Oui, enfin en dents de scie plutôt linéaire sans emploi jusqu’à au moins 20 ans.

Et chez vous, les jeunes ils rentrent tôt, à 16 ans par exemple ?

Ah non, non, c’est après 18 ans. Bon ça arrive qu’on en ait qui entrent à 17 ans et demi mais c’est plutôt 20, 21, 22 ans généralement.

Ce sont des jeunes qui ont du mal à s’insérer professionnellement ailleurs ?

A priori, ils ont des difficultés sur le respect du contrat de travail et c’est vrai qu’ils ont du mal à trouver leur place dans une entreprise classique. Quand on les écoute parler, eux ce qu’ils disent c’est qu’en gros ils se cassent pas trop la tête sur le chantier parce qu’ils ne font que 24h par semaine et qu’ils ne gagnent pas beaucoup d’argent mais que le jour où ils auront un vrai emploi à temps plein, en CDI, là ce sera différent.

Et vous y croyez à ce discours ?

Non, pas trop ! Pas trop après c’est possible aussi. Peut-être qu’effectivement ils font avec ce qu’on leur donne et que voilà…

Si je comprends bien, il y a une déstructuration des repères chez ces jeunes-là ?

Une déstructuration des repères professionnels oui, du comportement à l’autre, du respect des règles, oui.

Le fait de ne pas se lever, d’arriver en retard au travail, les absences injustifiées, le non respect des consignes, ça traduit peut-être l’incapacité ou la difficulté à incorporer des règles, tout simplement…

Oui, c’est ça.

Mais alors est-ce que ça ne provient pas d’une culture qui n’a pas été faite dans ce sens-là avant dans leur environnement ?

Oui, si on remonte à la source, moi je dis très souvent qu’on arrive à une tranche d’âge, une population de jeunes qui n’ont pas forcément connu leurs parents au travail. Et donc ils n’ont pas d’image de se lever le matin. Quand on descend dans le quartier à 8h du matin tous les volets sont encore fermés, c’est assez navrant. Donc, je pense que les jeunes ont beaucoup plus de difficultés maintenant d’aller au travail parce qu’ils n’ont pas forcément connu leurs parents le faire ou alors ils ont vu leurs parents aigris à la suite d’une crise qui a provoqué une longue période de chômage derrière.

Y a peut-être aussi des enfants qui ont vu leurs parents se tuer à la tâche pour pas grand-chose ? Oui, bien sûr mais pas trop ici, je dirais plus sur Cholet avec Michelin et des entreprises comme ça.

Encore une fois, l’insertion professionnelle doit s’inscrire dans une analyse plus globale des parcours de vie des jeunes. Ce professionnel de l’insertion propose plusieurs hypothèses pour expliquer ces difficultés à s’insérer dans le monde de l’entreprise d’une part, et à en respecter les règles d’autre part. Il parle, entre autres, d’une déstructuration des repères professionnels des jeunes. En échec ou en difficulté scolaire très tôt, beaucoup n’ont pas intégré les dispositions idoines aux pré-requis d’une culture d’entreprise et de travail.

C’est également ce que nous raconte ce jeune de 16 ans à partir de son vécu dans un quartier :

Extrait d’entretien avec un jeune de 16 ans :

Là je suis un jeune de 16 ans, j’ai arrêté les cours, qu’est-ce que je peux faire dans le quartier ? Rien du tout ! Tu te lèves le matin – et encore le matin, 10h midi – tu restes chez toi jusqu’à deux heures et tu rejoins les autres pour galérer. […] Les parents ils cherchent pour eux des solutions mais ils arrivent pas. Les jeunes ils veulent travailler à 16 ans mais ils durent pas longtemps.

C’est-à-dire, ils se font virer ?

Voilà. Moi j’en connais qui travaillaient dans la peinture et là je les vois là à traîner toute la journée, alors je me dis qu’ils se sont sûrement faits virer, qu’ils travaillent plus.

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Et les éducateurs de rue, y en a ici ?

Ouais, mais on leur parle jamais. On les voit rarement en fait. Quand ils sont dans le quartier, je les vois, ils me disent bonjour et puis c’est tout. Après, y a des jeunes qui font des activités avec eux, ils vont faire scouts, des trucs comme ça, mais c’est pas nous. Leurs jeunes ils sont de l’autre côté [désigne un autre îlot du quartier].

Leur public, c’est peut-être plutôt les grands ?

Ouais, je les vois parler avec les grands des fois, mais pas beaucoup.

Est-ce que les grands suivent les éducateurs un peu ? Un peu.

Entre nous, les jeunes qui ont échoué et qui vendent du shit, c’est pas la majorité non plus ? Non, mais une bonne partie.

En pourcentage tu dirais que ça fait combien ? 50-50 ?

De notre âge, franchement, ils sont 40% à rien faire, à vendre du shit et faire que des conneries. […] Ils ont arrêté l’école pour avoir un peu de vacances et essayer de chercher du travail après mais ils travaillent pas tous. […] Y en a qui arrivent à travailler dans la peinture des trucs comme ça, ils travaillent avec des patrons qui les prennent sans diplôme mais le problème c’est qu’ils les paient pas comme un vrai salarié.

Le premier contact avec le monde de l’entreprise va être douloureux pour des jeunes âgés entre 16 et 18 ans. Selon l’écrasante majorité des professionnels de jeunesse rencontrée, un accompagnement spécifique s’avère plus que jamais nécessaire pour qu’ils intègrent et respectent les normes du monde du travail. C’est ce que nous verrons en troisième partie avec l’accompagnement des missions locales, principal acteur de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes âgés de 16 à 25 ans, et autres acteurs publics de l’insertion des jeunes.

Et quand bien même des jeunes s’inséreraient professionnellement, il n’est jamais acquis, comme nous l’avons vu en première partie, que cette insertion soit durable et permette une évolution définitive vers les attributs « traditionnels » de l’âge adulte. Je fais référence ici aux

« trajectoires yoyo » mentionnées en première partie.

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