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L’exclusion sociale des jeunes et ses impacts dans leurs modes de vie François Dubet est l’un des premiers sociologues à s’être penché sur la condition des jeunes François Dubet est l’un des premiers sociologues à s’être penché sur la condition des jeunes

CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE L’OBJET

2. Les modes de catégorisation des jeunes des quartiers populaires dans la littérature sociologique

2.1. La disqualification de la classe ouvrière : des conséquences sociales et économiques irréversibles pour les quartiers populaires ? et économiques irréversibles pour les quartiers populaires ?

2.1.3. L’exclusion sociale des jeunes et ses impacts dans leurs modes de vie François Dubet est l’un des premiers sociologues à s’être penché sur la condition des jeunes François Dubet est l’un des premiers sociologues à s’être penché sur la condition des jeunes

des quartiers populaires, en formulant, en 1987, une explication des comportements jugés déviants des jeunes à travers la notion de « galère »180, expression employée par les jeunes pour décrire leurs situations sociales précaires. Pour lui, celle-ci se constitue à partir de trois éléments reflétant trois situations sociales différentes : la désorganisation, l’exclusion et la rage. La désorganisation participe de ce sentiment qu’ont les jeunes d’appartenir à un monde anomique et pourri. Cette pourriture est d’abord liée à la pauvreté et parfois même à la misère.

Mais elle n’est pas seulement d’ordre économique, elle renvoie aussi au décor des cités, à cet univers obsolète des bâtiments et murs de béton vieillis par le temps. Aussi, cette désorganisation est relative à l’identité de ces jeunes. En effet, enfants de parents déracinés, ils peinent à définir cette identité qui oscille entre l’appartenance au pays d’accueil et celle au pays d’origine181. Les jeunes ne parviennent pas à résister à tout ce climat déprimant qui est

« énervant à force »182.

Mais le monde dans lequel vivent ces jeunes n’est pas seulement désorganisé, il est aussi caractérisé par l’exclusion, deuxième élément constitutif de « la galère ». Sur cette entité, François Dubet insiste sur le fait qu’elle ne représente pas une dimension de la désorganisation car un groupe peut être exclu mais pas désorganisé. Cette exclusion est d’abord relative à l’emploi. Dés lors, elle empêche les jeunes d’avoir de l’argent et finit par faire honte. Cette difficulté d’intégration professionnelle que rencontrent les jeunes donne

178 Gérard Mauger et Claude Fossé-Poliak, « Choix politiques et choix de recherches : essai d’auto-socio-analyse (1973-1984) », cahiers « Jeunesses et Sociétés », n° 3-4-5, 1985, p. 27-121.

179 Ibid.

180 François Dubet, La galère, jeunes en survie, op. cité.

181 A ce sujet, cf. Saïd Bouamama, Familles maghrébines en France, Paris, Desclé de Brower, 1995.

182 Pour reprendre une expression d’un « jeune de cité » lors d’un entretien accordé à Pierre Bourdieu. In Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993.

76 naissance à un nihilisme qui participe largement aux comportements déviants des jeunes.

Cette thèse est largement dominante dans la sociologie des jeunes des quartiers populaires depuis une trentaine d’années.

Ainsi, comme le soutient Stéphane Beaud, alors que les médias et certains hommes politiques ont tenté de faire le tri entre une jeunesse « délinquante » et une jeunesse « aux comportements normaux », autrement dit séparer le bon grain de l’ivraie, la crise économique a mis en évidence une jeunesse baignée dans les mêmes représentations sociales. Diplômés ou pas, intégrés ou pas, les « jeunes de cités » construisent une identité dans les discriminations auxquels ils se heurtent et qui se font davantage ressentir depuis quelques années:

« Tout semble s’être passé comme si les comportements d’autodestruction, jusque là réservés à la fraction la plus humiliée du groupe des jeunes de cité, s’étaient progressivement diffusés vers les autres fractions qui, jusqu’à récemment, avaient espéré « s’en sortir » par l’école ou, sinon, par leur ardeur au travail. C’est peut-être bien cela, la véritable nouveauté de ce mouvement : la désespérance sociale, autrefois réservée aux membres les plus dominés du groupe - et qui s’exprimaient notamment par l’addiction aux drogues, l’adoption de conduites à risques - semble bien avoir gagné d’autres fractions du groupe des jeunes de cité - les jeunes ouvriers et les « bacheliers » - qui en étaient jusqu’alors un peu mieux protégées. Parmi ces derniers, beaucoup ont perdu patience et espoir à force de se cogner contre le mur de la discrimination et du racisme et ont peu à peu accumulé un énorme ressentiment. En fait, l’avenir objectif de ces jeunes de cité s’est dramatiquement obscurci pour tous lors de ces dernières années. » 183

Face à cette pauvreté dont sont victimes une large partie des « jeunes de cités », ceux-ci s’engagent dans ce que François Dubet nomme le « conformisme frustré ». Cela consiste à vouloir entrer dans la norme d’une société qui appelle à la consommation sans le pouvoir.

D’où, ce paradoxe pour beaucoup d’entre eux d’adopter des conduites déviantes (vols, vente de drogues, etc.) pour se « normaliser ». Très souvent, selon François Dubet, cette exclusion est vécue par les jeunes comme un échec individuel, « notamment par le biais de l’échec scolaire », précise-t-il. Ainsi, face à cette exclusion, François Dubet analyse deux types de conséquences s’apparentant à deux cadres sociologiques différents :

« La première est un sentiment de “powerlessness“, d’aliénation, dans lequel le sujet intériorise l’échec et plonge dans l’apathie puisqu’il perçoit sa vie comme un destin. La seconde, au contraire, conduit – conformément à l’innovation selon Merton – vers une activité souvent délinquante afin de renverser les barrières à la participation et à l’intégration. »

Pour François Dubet, les jeunes qui vivent l’expérience de la galère oscillent constamment d’un versant à l’autre, « sans que se structure une culture délinquante ou une sous-culture du retrait ».

Enfin, le troisième et dernier élément constitutif de « la galère », la rage, en boucle en partie l’explication dans le travail réalisé. Cette rage traduit un sentiment de domination et plus seulement d’exclusion. L’auteur la définit ainsi :

« La domination qui semble sans visage et sans principe, qui ne peut conduire vers aucun mouvement social […]. Alors que la désorganisation relève d’un problème d’intégration, l’exclusion d’un problème de stratification, d’institution et de mobilité sociale, la rage relève, plus largement, d’un sentiment de domination général. »

Ce concept de rage, pour le chercheur, se manifeste en face des interlocuteurs qui incarnent l’ordre et la domination : les policiers, les hommes politiques, les syndicalistes voire les travailleurs sociaux. Ceux-ci présentent pour les jeunes la possibilité de pouvoir poser un

183 Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violences sociales : Genèse des nouvelles classes dangereuses, op. cité.

77 visage humain sur la domination. En effet, les jeunes des quartiers populaires se sentent dominés mais parviennent difficilement à identifier les sources de cette domination.

Les trois principes de François Dubet que constituent la désorganisation, l’exclusion et la rage lancent les bases d’une analyse des parcours de vie des jeunes des quartiers populaires. Pour lui, la rage a pour corollaire la « violence sans objet ». La violence telle qu’est est produite par les jeunes des quartiers ne va pas s’inscrire dans le cadre d’un mouvement social et collectif donnant lieu à des revendications structurées et précises. Au contraire, elle semble se déployer dans le vide sans motifs apparents ou structures légitimes : « [la rage] procède au contraire de l’absence de conscience de classe, de l’absence de mouvement social ». La question de la conscience politique des jeunes des quartiers est posée en permanence et fait l’objet d’incessantes controverses chez les sociologues. Par exemple, les violences urbaines de 2005 s’inscrivent-elles ou non dans un mouvement social caractérisé par une conscience de classe, une organisation – fût-elle spontanée et non institutionnalisée – et une lutte contre un pouvoir oppresseur et dominant ? Nous avons pu voir à ce moment-là quelques jeunes exprimer, sous le regard des caméras, certaines revendications liées notamment aux diverses discriminations qu’ils subissent184. Les revendications étaient bien politiques. Cependant, la violence étalée provoque de nombreuses réactions vives chez une fraction de la population ne reconnaissant pas une forme de mouvement revendicatif clair, comme cela a pu être le cas en mai 68185, et alternant de ce fait interrogations – « Mais qu’est-ce qu’ils veulent à la fin ? » - et incompréhensions : « c’est de la violence gratuite ».

Une des explications à cette « violence sans objet » pour François Dubet réside dans l’analyse des mutations sociales. Selon lui, la « galère » est « la forme de la marginalité des jeunes liée à la fin du monde industriel qui ne peut créer des systèmes d'identifications stables, ni assurer l'intégration des nouveaux venus ». Dans une société qui ne se vit plus en termes de classes sociales, ce type de mouvements parvient difficilement à trouver une identité.

Laurent Mucchielli186, quant à lui, nuance la thèse de Dubet en rappelant qu’au sein des quartiers peuvent se créer des formes d’identité, ce que n’admet pas François Dubet en décrétant que la « galère » n’est ni une culture, ni une sous-culture :

« Elle [au sujet de cette thèse de François Dubet] néglige (logiquement) ce à quoi elle ne s'intéresse pas : les formes d'organisation infra-institutionnelles de la vie communautaire, les formes d'échanges, d'entraides, de conflits, le rôle des logiques d'honneur et de réputation. Comme le disent très justement Bachmann et Le Guennec (1999) : « la nature sociale ayant horreur du vide, avec le temps, une logique d’adaptation s’est lentement installée [dans ces quartiers]. La pénurie y est bien plus qu’un manque : elle devient un mode de vie » ».

Cette analyse me semble à la fois juste et complémentaire de l’explication de Dubet : les jeunes des quartiers se sont créés, dans l’exclusion et la domination, de nouvelles représentations sociales engendrant une identité spécifique et s’apparentant à une sous-culture observable à l’aide de différents traceurs (modes vestimentaires, langage, musique, art, etc.). J’y reviendrai largement.

Pour autant, les trois éléments structurants de la « galère » que constituent, pour Dubet, la désorganisation, l’exclusion et la rage lancent les bases d’une analyse des jeunes des quartiers populaires. Cependant, il est nécessaire de les enrichir de la connaissance de ce qui constitue le quotidien même de ces jeunes.

184 C’est par exemple le cas de ce jeune qui confiait aux caméras de télévision que l’incendie de l’usine Renault était dû au fait que celle-ci bénéficiait des avantages de la Zone Franche Urbaine (ZFU) mais qu’elle se refusait à recruter les jeunes du quartier.

185 Même si je reste réservé sur certaines représentations trop idéalistes de ce mouvement.

186 Laurent Mucchielli, « Violences urbaines, réactions collectives et représentations de classe chez les jeunes des quartiers relégués de la France du début des années 1990 », in Actuel Marx, n°26, 1999, pp. 85-108.

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