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Les seuils d’entrée dans la vie adulte dans quatre contextes nationaux : les limites de notre grille de lecture nationaux : les limites de notre grille de lecture

CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE L’OBJET

1. Etre jeune aujourd’hui : Sociologie de la jeunesse contemporaine contemporaine

1.2. De l’autonomie à l’indépendance : les débuts et la fin de la jeunesse jeunesse

1.2.2. L’autonomie : le début de la jeunesse

1.2.3.2. Les seuils d’entrée dans la vie adulte dans quatre contextes nationaux : les limites de notre grille de lecture nationaux : les limites de notre grille de lecture

Cécile Van de Velde, grâce à son étude réalisée dans quatre pays européens, met en évidence quatre modes d’entrée dans la vie adulte qui remettent en cause notre grille de lecture :

- pour les jeunes Danois, elle met l’accent sur la logique du développement personnel qui consiste à « se trouver » ;

- pour les jeunes Britanniques, celle de l’émancipation individuelle qui consiste à

« s’assumer » ;

- pour les jeunes Français, celle de l’intégration scolaire qui consiste à « se placer » ; - pour les jeunes Espagnols, celle de l’appartenance familiale qui consiste à

« s’installer ».

94 Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, op. cité, p. 132.

95 Citées et présentées par Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse, op. cité, p. 142.

96Cécile Van De Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, PUF, Collection Le Lien social, 2008.

53 Cécile Van de Velde propose le tableau suivant pour donner à voir l’ensemble de ces processus :

Type de trajectoire Caractéristiques des politiques sociales Adulte à tout prix (Royaume-Uni) Courtes, tournées vers l’emploi Intervention libérale.

Incitation à l’auto-financement Stigmatisation de la dépendance familiale.

Les rails de la jeunesse (France) Age du placement

Accès long et progressif à

L’attente (Espagne) Construction de l’individualité au sein même du foyer familial

Pas d’aides publiques

Pas de rôle social de la jeunesse Source : d’après Van de Velde, op. cité, pp. 211-221.

Pour les jeunes Danois, l’entrée dans la vie adulte s’inscrit une logique de développement personnel où il s’agit de « se trouver ». Pour ce faire, Le Danemark garantit un haut niveau de protection sociale à tous ses citoyens dès leur majorité. Ainsi, les politiques publiques se sont affranchies de la tutelle parentale et les aides sont directement versées aux jeunes. Cela favorise une décohabitation précoce des jeunes, dès l’âge de 20 ou 21 ans, et ce départ du domicile parental est perçu comme une condition nécessaire à la construction de soi.

Cette norme du départ précoce est partagée par toutes les générations même si le départ apparaît comme une prise de décision individuelle puisque c’est le jeune qui choisit de partir.

Loin de constituer une rupture symbolique majeure dans les relations familiales, le départ s’inscrit au contraire dans la continuité d’une autonomie adolescente déjà acquise et reconnue au sein de la famille.

Une certaine autonomie et indépendance est donc très vite reconnue au jeune. D’ailleurs, dès leur adolescence, les jeunes, y compris ceux issus de milieux favorisés, explique Van de Velde, occupent un emploi saisonnier ou temporaire. Ils font par ce biais l’expérience de l’indépendance matérielle et financière comme l’exige implicitement la norme nationale de « débrouille individuelle ».

Pour ce qui est des relations parents/enfant, Cécile Van de Velde relève qu’il existe une « communauté d’esprit familiale ». Les parents et les enfants se vivent comme des égaux affectifs pour lesquels l’essentiel est, selon elle, « d’être là ». Et si les jeunes danois quittent précocement le domicile parental, Cécile Van de Velde observe un long interstice entre ce départ et la construction d’un nouveau foyer. C’est ici que la jeunesse prend la forme d’une trajectoire d’expérimentation marquée par des allers retours entre la vie solitaire, l’union libre et l’entrée dans la parentalité (aussi en dehors des liens du mariage).

Pour ce qui est de l’insertion professionnelle, Cécile Van de Velde la décrit comme « faire son ego-trip » qui renvoie à la réalisation personnelle. C’est pour cela que les jeunes Danois se définissent comme des adultes de façon très précoce, puisqu’ils travaillent et paient un loyer à leurs parents dès leur adolescence. Aussi, Cécile Van de Velde note que les jeunes

54 danois continuent de se définir comme « jeunes adultes » jusqu’à environ trente ans, soulignant leur quête d’identité personnelle.

L’accès à des statuts d’adulte et à l’indépendance des jeunes au Danemark ne suffisent donc pas à eux seuls, nous explique Van de Velde, à recouvrir une définition de soi comme adulte.

En effet, contrairement aux jeunes français, les jeunes danois sont indépendants si l’on considère les aides versées par l’Etat, le salaire qu’ils reçoivent ; et autonomes si l’on prend en compte la logique de « développement personnel ».

Quant aux jeunes Britanniques, Cécile Van de Velde explique qu’ils sont dans une logique de l’émancipation individuelle dans laquelle les jeunes adultes tendent à « s’assumer ». Cette logique d’émancipation se décline en trois étapes : la prise d’indépendance résidentielle, la fin des études et l’accès à l’emploi.

Une aide étatique est ainsi versée aux étudiants. Elle est synonyme en Grande Bretagne d’une certaine représentation de l’indépendance qui doit relever avant tout de la responsabilité individuelle. Cette aide prend la forme de prêts à taux réduit que le jeune contracte au cours de ses études, remboursables dès le début de sa vie professionnelle. Toutefois, Cécile Van de Velde note que les sommes versées sont plutôt modestes et complétées par des petits boulots qu’exercent les jeunes en parallèle de leurs études.

Aussi, Van de Velde relève que les jeunes Britanniques se définissent comme adultes de façon plus précoce que leurs homologues européens, avec un seuil fixé pour la majorité d’entre eux à 20 ou 22 ans. L’entrée dans la vie adulte est en réalité rythmée par trois temps selon Cécile Van de Velde : une première décohabitation pour poursuivre les études, suivie d’un retour au foyer parental, et à la fin de celles-ci, le « vrai » départ. Et c’est lors du retour au foyer parental qu’un changement de statut se joue dans la relation parents/enfant.

Cécile Van de Velde nous explique que le devoir d’indépendance relève d’un consensus entre l’Etat et les familles. Cela s’explique par le fait, entre autres, que l’individualisme traverse la société britannique avec une composante hiérarchique qui fait que l’égalité n’est pas acquise mais doit se mériter par des preuves données de ses capacités d’indépendance individuelle.

Dans cette perspective, un jeune doit prouver lors de son premier départ qu’il peut être considéré comme égal pour que le mode de relations intergénérationnelles devienne égalitaire.

Concernant l’entrée dans la conjugalité, Cécile Van de Velde souligne que les jeunes Britanniques présentent les taux les plus élevés d’individus mariés entre les âges de 18 et 26 ans. Cela lui fait dire qu’en Grande-Bretagne, l’accès à l’âge adulte apparaît indissociable de l’indépendance individuelle, celle-ci permettant seule une égalité entre parents et enfants.

Enfin, nous retiendrons qu’en Grande Bretagne, la rhétorique de l’identité individuelle et de l’autonomie est peu présente, voire absente des discours. Nos indicateurs d’entrée et de sortie de la jeunesse laissent donc ici apparaître leurs limites.

Pour les jeunes Français, Cécile Van de Velde observe que l’entrée dans la vie adulte est déterminée par la logique de l’intégration scolaire où les jeunes cherchent avant tout à « se placer ». Le statut social en France est l’élément déterminant de l’identité individuelle et, dans cette optique, le diplôme va largement y contribuer. Comme nous l’avons vu plus haut avec Dubet, les jeune Français sont déterminés précocement par leurs études et le diplôme qu’ils choisissent ou qui leur est imposé.

En ce qui concerne les politiques publiques françaises en direction des jeunes adultes, van de Velde relève des mesures « familialisantes » avec un système d’allocations familiales que reçoivent les parents jusqu’aux 20 ans de leur enfant, dès lors qu’ils l’ont à charge. Cette politique se poursuit même au delà des 20 ans sous la forme d’allégements fiscaux divers quand l’enfant est toujours à charge.

Dans la même logique, les bourses allouées aux étudiants sont établies sur la base de critères sociaux qui prennent majoritairement en compte les revenus parentaux. La prise en charge parentale des études et de la période d’intégration professionnelle est consacrée par le seuil

55 d’âge fixé à 25 ans pour obtenir le Revenu Minimum d’Insertion (RMI)97. Cette limite d’âge et de statut institue, selon Van de Velde, une « défamilialisation » plus tardive même si quelques aides sont directes, notamment l’aide individuelle au logement.

Pour Cécile Van de Velde, les jeunes Français se heurtent à un long et progressif accès à l’indépendance. Comme nous le verrons dans la partie liée à l’emploi, la phase de transition entre la fin des études et la stabilité professionnelle se caractérise par de multiples situations intermédiaires, toutes caractérisées par une tension entre deux normes apparemment contradictoires : d’une part, une injonction à l’indépendance individuelle, et d’autre part, la norme de la prise en charge parentale des études et de la phase de recherche d’emploi.

C’est donc parmi les jeunes Français qu’une dissociation entre aspiration à l’autonomie et une situation objective de dépendance est le plus souvent explicitée dans les discours.

Enfin, pour les jeunes Espagnols, Cécile Van de Velde met en avant une logique de l’appartenance familiale qui consiste pour eux à « s’installer ». Dans les politiques espagnoles, Van de Velde constate une faiblesse des aides accordées aux jeunes adultes, et une absence d’aide étudiante universelle et directe. Comme en France, en quelque sorte, un seuil pour l’obtention d’un minimum social est fixé à 25 ans, ce qui vient consacrer la priorité des solidarités familiales sur les solidarités publiques.

Aussi, Van de Velde note que l’âge médian espagnol au départ du domicile parental et au mariage est de 27 ans. Comme dans la plupart des pays du sud, les parents incitent aussi les jeunes au maintien au foyer parental. Pour les familles, la cohabitation est envisagée comme garante de la cohésion familiale et s’accompagne d’un discours qui valorise l’entente et l’affectivité au sein du foyer, faite de solidarité et de la sécurité.

Pour Cécile Van de Velde, en Espagne l’installation dans la vie adulte est définie par trois attributs : l’emploi, le mariage et l’obtention d’un logement indépendant. Finalement, la vie de célibataire n’a que peu de légitimité si bien qu’au final, c’est moins la contrainte financière que le célibat qui éclaire la cohabitation tardive.

Van de Velde relève également que l’adoption des normes parentales par les jeunes adultes représente souvent un refuge rhétorique face à l’impossibilité matérielle de partir et au coût financier que représente l’achat d’un logement. Pour finir, elle note que très peu d’Espagnols se sont référés à l’idée d’autonomie dans son acception de construction identitaire pour se positionner dans le cycle de vie. Ainsi, l’autonomie revient à construire une individualité au sein même du foyer familial, par l’introduction d’une réciprocité progressive.

En somme, retenons qu’au Danemark et en France, il est possible d’identifier nos critères d’entrée dans la jeunesse et de sortie pour l’âge adulte que sont l’autonomie et l’indépendance. Toutefois, il existe une distinction entre les modèles des deux pays puisqu’au Danemark, l’autonomie se construit dans l’indépendance, tandis qu’en France elle tend plutôt à se construire dans la dépendance.

Dans le cas de la Grande-Bretagne, Cécile Van de Velde relève d’une part, une absence de référence à l’autonomie, et d’autre part, un accès à l’âge adulte qui apparait indissociable de l’indépendance. Les jeunes décohabitent tôt et c’est l’indépendance financière qui est prépondérante dans le processus d’autonomisation. Si l’on se réfère à notre critère d’autonomie, nous pouvons en déduire qu’il n’y a pas de référence à cette dernière pour se positionner dans le cycle de vie. Dans le cas de l’Espagne, l’analyse de Van de Velde nous montre que les jeunes peuvent parfois avoir un emploi, ce qui est pour nous un critère d’indépendance, mais rester malgré tout au domicile parental. En Espagne, comme dans la plupart des pays du sud, c’est l’entrée en conjugalité qui détermine l’entrée dans l’âge adulte.

Avec l’étude de Cécile Van de Velde, nous pouvons relever les limites des indicateurs que nous utilisons. Ils sont à manier avec une grande prudence. Si l’autonomie et l’indépendance

97 Une norme reprise dans le Revenu de Solidarité Active (RSA) qui a pris la suite du RMI en 2008.

56 semblent être des indicateurs pertinents pour analyser le début et la fin de la jeunesse, ils ne le sont pas toujours au regard d’autres modèles de société et peuvent de ce fait contribuer à brouiller la compréhension. Des situations qui semblent a priori similaires peuvent ne pas relever des mêmes définitions, le danger étant de fabriquer des comparaisons avec des indicateurs identiques mais qui ne renvoient pas aux mêmes conceptions. Les mêmes termes ne doivent donc pas nous faire croire qu’on évoque les mêmes réalités ou même que ces dernières sont comparables. C’est l’enseignement du travail de Cécile Van de Velde.

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