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Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse : Adhésion et résistance des jeunes
Chafik Hbila
To cite this version:
Chafik Hbila. Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse : Adhésion et résistance des
jeunes. Sociologie. Université Rennes 2, 2012. Français. �NNT : 2012REN20053�. �tel-00776760�
1 The THESE
THESE / Université de Rennes 2 Haute Bretagne
sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne pour obtenir le titre de DOCTEUR EN SOCIOLOGIE Ecole doctorale sciences humaines et sociales
présentée par
Chafik HBILA
Préparée au Centre Interdisciplinaire d’Analyse des Processus Humains et Sociaux (CIAPHS)
EA n°2241
Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse.
Adhésion et résistance des jeunes.
Thèse soutenue en 2012 devant le jury composé de :
Mme Joëlle Deniot
Professeure de sociologie, Université de Nantes
M. Gilles Ferréol
Professeur de sociologie, Université de Franche Comté
M. Armel Huet
Professeur émérite de sociologie, Université de Rennes 2 Mme Patricia Loncle
Maître de conférence habilitée à diriger les recherche, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique – Rennes
Directeur de thèse : M. Jean-Yves Dartiguenave
2
Chafik HBILA
Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse.
Adhésion et résistance des jeunes.
Thèse en sciences humaines et sociales, mention sociologie.
Directeur de thèse : Monsieur Jean-Yves Dartiguenave.
Soutenue à l’Université de Rennes 2 Haute Bretagne – Université européenne de Bretagne.
2008 – 2012
3 Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement et chaleureusement Jean-Yves Dartiguenave pour m’avoir encadré dans mes recherches durant ces cinq années de thèse.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont contribué de façon directe et indirecte à ma thèse :
Frédéric Béatse, Maire d’Angers et Président de RésO Villes, centre de ressources politique de la ville des régions Bretagne et Pays de la Loire, pour m’avoir accueilli au sein de la structure dans le cadre d’une CIFRE. Je remercie à travers lui tous les acteurs de RésO villes pour m’avoir offert un terrain d’enquête exceptionnel à travers les villes de l’Ouest.
Bernard Bier, ancien sociologue à l’INJEP, pour ses très précieux conseils en matière de méthodologie, de rédaction et d’analyse.
Samuel Leproust, Directeur général adjoint de la Ville de Lorient, pour m’avoir orienté dans mes enquêtes sur le terrain et pour ses précieux conseils.
Jean-Marc Paous, conseiller technique et pédagogique (CTPS) à la DDCS du Morbihan, et chargé de cours à l’Université de Bretagne Sud, pour ses précieux conseils et sa relecture.
Mes amis Bernard Gourmelen, sociologue, Loïc Champagnat, élu de la Ville de Lorient, et Kevin Le Doudic, doctorant en histoire maritime à l’université de Bretagne sud, pour m’avoir relu et corrigé.
Je remercie également tous les jeunes et les divers acteurs de terrain et institutionnels qui m’ont accordé du temps pour mes recherches. Leur nombre important et le devoir d’anonymat qu’impose la recherche scientifique ne me permet malheureusement pas de les citer.
Je dédie cette thèse à ma famille.
4
5
Extrait d’entretien un jeune de 17 ans : Jeune : C’est quoi votre métier déjà ? Chafik Hbila : Sociologue.
C’est la première fois que j’entends ça ! Ça sert à quoi ?
A pas grand chose, si ce n’est essayer de comprendre un petit peu comment vivent les gens, comment fonctionne la société, comme par exemple les jeunes : qui sont-ils et qu’est-ce qu’il faudrait faire pour eux ? Tout ça quoi…
Et c’est bien payé ?
[Éclats de rires] Tu veux essayer ?
Ouais ! Il faut quoi comme diplôme pour faire ça ? Il faut avoir bac+8.
Oh la la la ! bac+8 pour parler des quartiers ! Vas-y t’es fou toi !
« Le premier réflexe d’un sociologue, lorsque l’on parle de « système », d’ « aspect global » de « structure », de
« société », d’ « empire », d’ « économie mondiale », d’ « organisation », c’est de demander : « Dans quel bâtiment ? Dans quel bureau ? Par quel couloir peut-on y arriver ? Quels collègues ont été mis au courant ? Comment l’a-t-on compilé ? » S’ils acceptent de suivre ce conseil, les enquêteurs seront surpris par le nombre de sites et de conduits qui apparaissent dès que ces questions sont soulevées : le paysage social se met à changer rapidement. »
Bruno Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La découverte, 2006
« La vie est belle Le destin s’en écarte Personne ne joue avec les mêmes cartes Le berceau lève le voile Multiples sont les routes qu’il dévoile Tant pis on est pas nés sous la même étoile. » IAM, Nés sous la même étoile, 1997, Delabel, Paris
« On est jeunes et ambitieux Parfois vicieux Faut que tu t’dises que Tu peux être le prince de la ville si tu veux
où tu veux
quand tu veux
quand tu veux ! »
113, Les Princes de la ville, 2000
6
7 Table des matières
INTRODUCTION ... 13
CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE L’OBJET ... 27
1. E
TRE JEUNE AUJOURD’
HUI: S
OCIOLOGIE DE LA JEUNESSE CONTEMPORAINE... 28
1.1. La jeunesse contemporaine : une épreuve ... 30
1.1.1. Les représentations contemporaines de la jeunesse ... 30
1.1.2. La jeunesse est une épreuve ... 31
1.1.2.1. Des rites de passage…... 31
1.1.2.2. … au flottement et à l’indétermination de la jeunesse. ... 33
1.1.2.3. Une épreuve d’investissement ... 36
1.1.2.4. Une épreuve identitaire ... 37
1.2. De l’autonomie à l’indépendance : les débuts et la fin de la jeunesse ... 38
1.2.1. De l’individualisme à l’individualisation… ... 39
1.2.1.1. Les valeurs des jeunes en Europe ... 41
1.2.1.2. Le retournement de la culture postmatérialiste ... 42
1.2.1.3. La montée du processus d’individualisation ... 42
1.2.1.4. L’autonomisation du groupe de pairs ... 43
1.2.2. L’autonomie : le début de la jeunesse ... 44
1.2.2.1. L’adolescence, le début de l’autonomie ? ... 47
1.2.2.1.1. L’apprentissage de l’autonomie... 47
1.2.2.1.2. Les constructions identitaires en fonction du milieu social ... 49
1.2.3. L’indépendance ou l’entrée dans l’âge adulte ... 51
1.2.3.1. La désynchronisation des étapes ... 51
1.2.3.2. Les seuils d’entrée dans la vie adulte dans quatre contextes nationaux : les limites de notre grille de lecture ... 52
1.2.3.3. Les trajectoires « yoyo » ... 56
1.3. La jeunesse : plus qu’une phase de transition, un statut d’attente ... 56
1.3.1. Le rapport des jeunes à l’emploi ... 57
1.3.2. La baisse tendancielle du taux d’activité des jeunes en France ... 58
1.3.3. Les trajectoires d’entrée dans la vie adulte : des différences et des inégalités selon le parcours scolaire, le sexe et l’origine ethnique ... 59
1.3.4. L’institutionnalisation de l’âge d’insertion : l’apparition de la catégorie d’âge 16-25 ans ... 62
1.4. Les jeunes face à leurs aînés : une fracture générationnelle ? ... 63
1.5. En conclusion provisoire, retenons que… ... 67
2. L
ES MODES DE CATEGORISATION DES JEUNES DES QUARTIERS POPULAIRES DANS LA LITTERATURE SOCIOLOGIQUE... 69
2.1. La disqualification de la classe ouvrière : des conséquences sociales et économiques irréversibles pour les quartiers populaires ?... 70
2.1.1. Les transformations de l’espace résidentiel : la ville à trois vitesses ... 72
2.1.2. Les jeunes des quartiers populaires face à la disqualification de la classe ouvrière ... 73
2.1.3. L’exclusion sociale des jeunes et ses impacts dans leurs modes de vie ... 75
2.2. L’analyse des bandes et des groupes de pairs ... 78
2.2.1. Les bandes, le milieu et la bohème populaire ... 78
2.2.2. De la « galère » à la « jeunesse comme ressource » : Les essais de classification et de catégorisation des jeunes des quartiers populaires ... 81
2.3. Jeunes des quartiers populaires et ethnicité... 87
2.3.1. Les discriminations racistes ... 88
2.3.2. La lecture culturaliste des comportements déviants ... 92
2.3.2.1. De la confiance d’une société à la défiance vis-à-vis de ses migrants… ... 94
2.3.2.2. Les familles immigrées face à la crise : apparition d’une « culture de la pauvreté » ? ... 95
2.3.2.3. L’échec scolaire des jeunes des quartiers : des explications qui mobilisent des facteurs sociaux et ethniques ... 95
2.3.2.4. Après l’humiliation, la reconquête de l’estime de soi ... 98
2.3.2.5. La lecture ethnique des émeutes et de la délinquance ... 98
2.4. En conclusion provisoire, retenons que… ... 100
3. L
A THEORIE DE L’
ACTEUR-
RESEAU POUR UNE SOCIOLOGIE DE LA JEUNESSE POPULAIRE ET DES POLITIQUES DE JEUNESSE... 101
3.1. La théorie de l’acteur-réseau : le monde social est plat ! ... 104
3.1.1. De la sociologie du social… ... 105
3.1.2. …à la sociologie des associations. ... 107
3.1.3. « Suivre les acteurs eux-mêmes ». ... 109
3.2. La thèse en milieu professionnel : une recherche-action avec les acteurs ... 110
8
3.2.1. Pourquoi et comment analyser la jeunesse populaire et les politiques de jeunesse avec la théorie de
l’acteur-réseau ? ... 110
3.2.2. Trois interrogations fondamentales. ... 111
3.2.3. Déployer les controverses : une méthodologie pertinente pour une sociologie de la jeunesse ... 113
3.2.3.1. Première source d’incertitude : pas de groupes de jeunes, mais des regroupements de jeunes .... 114
3.2.3.1.1. Faire parler les jeunes et les groupes de jeunes selon la méthodologie de l’acteur-réseau ... 115
3.2.3.1.2. Dans une sociologie de la jeunesse : considérer les formes d’interventions publiques comme des « médiateurs » plutôt que des « intermédiaires » ... 120
3.2.3.2. Deuxième source d’incertitude : la jeunesse débordée par l’action ... 122
3.2.3.3. Troisième source d’incertitude : tenir compte des « non-humains » en sociologie de la jeunesse 123 3.2.3.4. Quatrième source d’incertitude : des faits indiscutables aux faits disputés, la nécessité de se passer de toute explication sociale. ... 125
3.2.3.4.1. Un renversement de la causalité : la « jeunesse qui produit » et non la « jeunesse produite » ... 126
3.2.3.5. Cinquième source d’incertitude : Rédiger des comptes rendus risqués ... 127
3.2.4. Comment retracer les associations ? Pourquoi le social est-il si difficile à dessiner ? ... 130
3.2.4.1. La forme en étoile : ... 130
3.2.4.1.1. Localiser le global et redistribuer le local, mettre en évidence les connexions ... 130
3.2.4.1.2. Cela vaut également pour l’intériorité : les Plug-ins ... 133
3.2.4.2. Troisième mouvement : connecter les sites ... 134
3.2.4.3. Plasma : les masses manquantes ... 135
3.3. En guise de conclusion : la théorie de l’acteur-réseau comme instrument méthodologique « garde-fou » de la démarche d’enquête ... 136
LA JEUNESSE DES QUARTIERS POPULAIRES : UNE JEUNESSE UNE ET PLURIELLE ... 139
4. I
NTRODUCTION... 141
5. D
ANS LES QUARTIERS POPULAIRES,
UN TAUX D’
ECHEC SCOLAIRE PLUS FORT... 144
5.1. Les difficultés sociales et la précarité selon les configurations des familles ... 144
5.2. Les déficits de transmission au sein de la famille au regard des pré-requis des institutions scolaires ... 149
5.3. De l’inégalité de traitement aux parcours scolaires contraints : la voie professionnelle et technique pour la majorité des jeunes des quartiers populaires ... 155
5.4. Les désillusions des jeunes ayant réussi scolairement se transforment en absence d’espoir pour les plus jeunes ... 167
5.5. L’analyse des acteurs objectivée par les chiffres ... 168
5.5.1. Rennes ... 168
5.5.1.1. Le taux de retard global en sixième ... 168
5.5.1.2. Le taux de retard global en troisième ... 169
5.5.1.3. Part des personnes au niveau Baccalauréat ou plus ... 169
5.5.1.4. Part des personnes de niveau CAP-BEP ... 169
5.5.1.5. Part des personnes sans diplômes ... 169
5.5.2. Angers ... 170
5.5.3. Saint-Nazaire ... 170
5.6. La scolarité comme outil de reproduction des inégalités sociales ... 170
6. L’
INSERTION PROFESSIONNELLE... 181
6.1. Un manque de formation et de qualification ... 181
6.2. Les jeunes comme variables d’ajustement des conjonctures économiques ... 183
6.3. Des différences selon les âges : les spécificités des 16-18 ans ... 185
6.4. Les « trajectoires yoyo » ... 188
6.5. Un « déclic » qui survient de plus en plus tard ? ... 189
6.6. Une insertion professionnelle plus difficile et incertaine pour les jeunes des quartiers populaires . ... 193
7. L
A MOBILITE... 197
7.1. De quelle mobilité parle-t-on ? ... 197
7.2. La fierté d’appartenance à un quartier : voulue ou subie ? ... 200
7.3. Mobilité sociale : mobilité des identités et des statuts sociaux ... 204
7.4. La mobilité, d’abord sociale et culturelle ... 210
8. G
ROUPES D’
APPARTENANCE ET SOCIABILITES JUVENILES... 212
8.1. Une affaire de « délires » ... 212
8.2. La force du groupe de pairs dans les sociabilités juvéniles : une expérience de vie commune .. 212
8.3. Une distinction d’abord sociale ? ... 216
8.4. La culture scolaire comme levier de distinction entre jeunes ? ... 218
8.5. Les pratiques culturelles des jeunes : « Je consomme donc je suis » ? ... 220
8.6. Les comportements à risque ... 222
9
8.7. Le trafic ... 225
8.8. L’expérience de la « galère » ... 227
8.9. L’origine ethnique : une marque d’identité ? ... 232
8.10. La religion ... 240
8.11. Jeunesse plurielle, mode de vie et sociabilité pluriels ... 242
8.11.1. Le vécu en groupe de pairs ... 242
8.11.2. La consommation chez les jeunes des quartiers populaires ... 245
8.11.3. Le trafic ... 246
8.11.4. L’expérience de la galère ... 247
9. L
A PLACE DES FILLES... 248
9.1. Du commun au spécifique ... 248
9.2. Les jeunes filles, tout aussi plurielles ... 251
10. D
E LA«
GALERE»
A L’
INSERTION SOCIALE:
QUATRE CATEGORIES CIBLES DE L’
ACTION PUBLIQUE... 253
10.1. Les jeunes insérés socialement ... 253
10.2. Les jeunes en voie d’insertion sociale ... 253
10.3. Les jeunes victimes de la précarité ... 254
10.4. Les jeunes « galériens » ... 254
11. E
N GUISE DE SYNTHESE... 255
INTERLUDE : COMPTE-RENDU D’OBSERVATION DANS UN QUARTIER, MERCREDI 8 AVRIL 2009 ... 257
LES JEUNES DES QUARTIERS POPULAIRES FACE AUX POLITIQUES DE JEUNESSE : LES OBSTACLES A LEUR MISE EN PROJET AU REGARD DES SPECIFICITES DE LEURS PARCOURS DE VIE ... 267
12. I
NTRODUCTION GENERALE... 268
13. L
A STRUCTURATION DES POLITIQUES DE JEUNESSE A L’
ECHELLE DES TERRITOIRES... 271
13.1. Introduction ... 271
13.2. Une politique de jeunesse : une politique d’accompagnement des jeunes dans leur conquête des attributs de l’âge adulte ... 272
13.3. Les présupposés d’une politique de jeunesse ... 274
13.3.1. Familialiste ... 275
13.3.2. Contrôle social ... 275
13.3.3. Insertion économique et sociale ... 275
13.3.4. Scolaro-éducatif ... 275
13.3.5. Développement local ... 276
13.3.6. Autonomie ... 276
13.3.7. Croiser les paradigmes ... 276
13.4. Retour sur l’histoire des politiques de jeunesse : trois grandes périodes historiques ... 276
13.5. La politique de la ville : une mise à l’agenda politique des jeunes des quartiers populaires ... 282
13.5.1. Objectif : réduire les écarts au sein d’une ville à trois vitesses… ... 282
13.5.2. Les jeunes des quartiers populaires s’invitent dans l’agenda politique via les émeutes ... 283
13.5.3. De la galère à la racaille : quand le désespoir s’installe chez les jeunes… ... 285
13.6. Des politiques de jeunesse faiblement lisibles ... 287
13.6.1. Des facteurs multiples ... 287
13.6.2. Une confusion entre politique éducative et politique de jeunesse ... 290
13.6.3. Les jeunes qui posent problème : une priorité pour les pouvoirs publics face à la jeunesse étudiante ressource du territoire ? ... 293
13.6.4. La délégation de l’action jeunesse au tissu associatif ... 298
13.6.4.1. Des choix politiques historiques opérés par les Villes ... 298
13.6.4.2. Les équipements socioculturels, courroies de transmission incontournable des politiques de jeunesse ? L’action socioculturelle dans la ville ... 299
13.6.4.3. Le conventionnement ou le renforcement des logiques de territoires : le « syndrome de la réserve indienne » ... 302
13.6.4.4. Une prééminence des projets de structure sur les projets de territoires globaux…... 304
13.6.4.5. …et une difficulté certaine à recréer de la cohérence d’ensemble. ... 306
13.6.4.6. Complémentarité plutôt que partenariat dans l’action ? ... 309
13.7. Transversalité et cohérence des politiques de jeunesse ... 312
13.7.1. La « transversalité » de l’action ... 312
13.7.2. La nécessaire cohérence d’ensemble ... 316
13.8. Retenons que… ... 317
14. C
ITOYENNETE DES JEUNES ET RAPPORT AUX INSTITUTIONS... 318
14.1. Introduction ... 318
10
14.2. De la citoyenneté à la participation ... 320
14.2.1. Tentative de définition des termes ... 320
14.2.2. La « participation des habitants » dans les quartiers populaires ... 323
14.3. Pourquoi faire participer les jeunes ? ... 328
14.3.1. La participation des jeunes : un manque d’explicitation des objectifs ... 328
14.3.2. … tout en étant un enjeu central de l’action publique en direction des jeunes ... 329
14.4. Les jeunes des quartiers populaires : plus déçus que désintéressés par la vie de la Cité ... 334
14.5. Temps de vie des jeunes et temps de vie institutionnel : deux logiques contradictoires ? ... 342
14.6. Les obstacles à la mise en projet des jeunes des quartiers populaires dans une perspective participative ... 343
14.6.1. Un revirement « postmatérialiste » des préoccupations ... 343
14.6.2. Les inégalités sociales : des inégalités face à la citoyenneté ... 346
14.6.3. Un engagement à l’image de la jeunesse contemporaine : l’intérêt et non le « grand soir » ... 348
14.7. Des associations de jeunes qui se positionnent sur le champ politique : la participation au changement par le conflit ... 355
14.7.1. Al Andalus ... 357
14.7.2. L’association des jeunes de La Roseraie (AJR) ... 360
15. L’
INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE DES JEUNES DES QUARTIERS POPULAIRES... 364
15.1. Introduction ... 364
15.2. Les politiques d’insertion professionnelle en France ... 366
15.2.1. Les jeunes des quartiers populaires comme variables d’ajustement des conjonctures économiques : une forte dépendance au tissu industriel local ... 366
15.2.2. Les dispositifs mis en place pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes : des contrats aidés essentiellement ... 369
15.2.2.1. Les contrats aidés du secteur marchand : de meilleures perspectives d’insertion professionnelle que ceux du secteur non marchand ... 371
15.2.2.2. Les principaux dispositifs d’accompagnement des jeunes ces cinq dernières années ... 372
15.2.3. L’action des collectivités territoriales en matière d’insertion professionnelle ... 374
15.2.3.1. Des tentatives d’intervention ... 374
15.2.3.2. Les limites de ces dispositifs ... 376
15.2.4. Les missions locales face aux jeunes des quartiers populaires : deux logiques contradictoires ? ... 376
15.2.4.1. Le public cible des Missions locales : une typologie de jeunes fragiles ... 377
15.2.4.2. Des dispositifs spécifiques pour faire face aux difficultés sociales des jeunes ... 378
15.2.4.3. La formation, une nécessité préalable pour l’insertion professionnelle ... 378
15.2.4.4. Le « principe de réalité » de la Mission locale : une logique différente de celle des jeunes ? ... 379
15.2.4.5. Les Missions locales face à la crise ... 383
15.2.5. L’offre d’insertion dans les quartiers populaires : dense mais illisible ?... 385
15.2.5.1. Une offre souvent riche et difficilement lisible par les acteurs de la jeunesse ... 385
15.2.5.2. L’exemple des contrats d’autonomie ... 387
15.3. Les jeunes des quartiers populaires face à l’emploi : les obstacles à l’insertion professionnelle .... ... 391
15.3.1. L’immédiateté des jeunes : un obstacle au projet professionnel ... 391
15.3.2. Les discriminations à l’embauche : un obstacle majeur à la mise à l’emploi des jeunes des quartiers populaires ... 397
15.3.2.1. Entre rage des jeunes et sentiment d’injustice ... 397
15.3.2.2. Les politiques de lutte contre les discriminations ... 406
15.4. En conclusion ... 408
16. L’
ACCES DES JEUNES AUX ESPACES PUBLICS... 409
16.1. Introduction ... 409
16.2. Les usages sociaux des espaces publics chez les jeunes ... 411
16.2.1. Espaces publics et espace public ... 411
16.2.2. Les espaces publics comme indicateurs de la tension sociale dans le quartier ... 412
16.2.3. Des représentations sociales négatives portées sur les jeunes qui investissent les espaces publics ... 416
16.2.4. Des lieux de transmission entre « grands » et « petits » ... 417
16.2.5. Les espaces publics comme lieux de mise en scène des comportements à risque ... 419
16.3. Les décideurs publics face à la présence des jeunes dans les espaces publics ... 422
16.3.1. Entre prévention situationnelle et politique de jeunesse, la difficile posture des élus locaux ... 422
16.3.1.1. Du sentiment d’insécurité des individus… ... 422
16.3.1.2. …à la sécurisation des espaces publics. ... 427
16.3.1.3. Entre prévention situationnelle et politique de jeunesse, la difficile posture des élus locaux ... 431
16.3.2. L’action publique en direction des jeunes dans les espaces publics ... 432
16.3.2.1. La politique d’équipements pour encadrer la jeunesse « visible » : un bilan mitigé… ... 433
16.3.2.2. … qui génère une volonté d’action innovante, plus en phase avec les spécificités des parcours de vie des jeunes ... 436
16.3.2.2.1. Les locaux collectifs résidentiels de Rennes comme espace jeunes autogérés ... 437
11
16.3.2.2.2. Les postes de coordinateurs jeunesse, Brest ... 440
16.4. En conclusion ... 442
CONCLUSION... 445
16.5. Synthèse des grands enseignements de la thèse ... 446
16.5.1. Retour sociologique : les spécificités des jeunes des quartiers populaires ... 446
16.5.1.1. Des difficultés scolaires plus grandes ... 446
16.5.1.2. Une insertion sociale et professionnelle plus difficile ... 447
16.5.1.3. Quatre « idéaux-type » de jeunes des quartiers populaires ... 448
16.5.1.4. Les sociabilités juvéniles : le vécu en groupe de pairs ... 449
16.5.2. Les politiques de jeunesse à l’épreuve des quartiers populaires dans les villes de l’Ouest ... 450
16.5.2.1. La construction des politiques de jeunesse dans les villes ... 450
16.5.2.2. La citoyenneté des jeunes ... 451
16.5.2.3. L’insertion sociale et professionnelle ... 453
16.5.2.4. Le rapport des jeunes des quartiers populaires aux espaces publics ... 454
16.6. Quartiers populaires : des pistes pour refonder les politiques de jeunesse ... 456
16.6.1. Jeunes - élus - professionnels : accords et désaccords ... 456
16.6.1.1. Construire et rendre lisible la politique de jeunesse ... 456
16.6.1.2. Améliorer le rapport entre jeunes et institutions ... 457
16.6.1.3. Accompagner les parcours d’insertion ... 458
16.6.1.4. Favoriser l’accès à l’espace public ... 459
16.6.2. Une posture politique : des principes à rappeler et des risques à prendre ... 460
16.6.2.1. Reconnaître la place des jeunes comme acteurs de la vie de la Cité ... 461
16.6.2.2. Donner du sens à l’action ... 461
16.6.2.3. « Expérimentation », « frottement » et « prise de risque » : le triptyque politique ... 462
16.7. Quelles perspectives pour ce travail ? ... 464
BIBLIOGRAPHIE ... 467
12
13
INTRODUCTION
La question de la jeunesse issue des quartiers populaires français dans les sciences sociales n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Elle est d’abord apparue dans le débat politique au début des années 1980. La marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 constitue de ce point de vue un événement marquant du point de vue sociologique et politique. Elle constitua une réaction face aux actes et discriminations racistes dont étaient victimes les jeunes nés de parents étrangers, plus particulièrement ceux issus des pays du Maghreb. Au niveau sociologique, cette initiative marque l’arrivée à l’âge adulte, sur le marché du travail, d’une première génération de français issus de l’immigration dite « postcoloniale ». Auparavant, cette réalité sociologique était aussi bien « impensée » qu’« impensable » dans l’imaginaire politique français et ses grilles de lecture de l’immigration. Au niveau politique, la marche pour l’égalité correspond à la sortie de l’invisibilité sociale de cette génération « d’enfants illégitimes », comme les nomme Abdelmalek Sayad
1. Depuis, innombrables sont les recherches qui se sont attachées à analyser les jeunes des quartiers d’habitat social, un des qualificatifs caractériser ces territoires.
Les recherches pour en rendre compte ne manquent pas. Notamment s’agissant de la jeunesse.
Pourquoi une nouvelle recherche sur cet objet sur lequel les sociologues se sont penchés jusqu’à « épuisement » ? Les recherches de qualité sont nombreuses pour nous décrire et nous expliquer la réalité sociale et économique dans laquelle sont plongés les jeunes des quartiers populaires depuis plus de trente ans. Des recherches ont analysé les modes de vie de ces jeunes de façon extrêmement pointue en interpellant leur environnement social, familial, scolaire, les groupes de pairs, etc. Que peut bien apporter une nouvelle recherche, en terme de connaissance, sur les jeunes des quartiers populaires ? Autrement dit, pourquoi me suis-je lancé dans une nouvelle recherche sur ce public ?
Une exclusion territoriale
Avant d’y répondre, j’aimerais m’arrêter un instant sur la terminologie que je vais employer tout au long de cette thèse : « jeunes des quartiers populaires ».
« Banlieues », « cités », « grands ensembles », « quartiers pauvres », « quartiers ouvriers »,
« zones de relégation », « quartiers de la politique de la ville », « quartiers prioritaires »,
« quartiers de l’exil », « banlieues rouge », « quartiers populaires », etc., les noms ne manquent pas pour qualifier les espaces d’habitat collectif concentrant ces jeunes, et plus largement des populations à « faible capital social, économique et culturel ». Cela témoigne du flou qui entoure l’objet que je vais tenter de cerner dans cette thèse. C’est pourquoi je juge important de clarifier au préalable les termes et de me positionner dans le choix de l’un d’entre eux.
Les différentes qualifications dont font l’objet les espaces d’habitat collectif répondent chacune à des logiques et à des chronologies qui leur sont propres. Nous pouvons identifier trois catégories de termes :
- Les appellations dérivant de catégories administratives comme par exemple les
« zones urbaines sensibles » (ZUS), les quartiers en « Développement social urbain » (DSU) ou encore les territoires inscrits en « Développement social des quartiers » (DSQ).
1
Abdelmalek Sayad, La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré. Paris, Seuil,
1999
14 - Les dénominations journalistiques telles que « quartiers sensibles » ou « banlieues chaudes » qui apparaissent à la faveur d’une attention croissante des médias pour les désordres urbains et servent à décrire le théâtre de ces phénomènes.
- Les qualificatifs rappelant les adhérences politiques dont ont fait l’objet par le passé les espaces d’habitat collectif et leurs évolutions, que ce soit sous l’angle de la revendication identitaire ou de la stigmatisation : « banlieues rouge », « quartiers immigrés », etc.
Ces taxinomies ne sont jamais figées et « voyagent » entre les différents espaces de production au gré des contextes contribuant à l’unification de situations sociales hétérogènes sous des labels qui ignorent leur condition de production.
La simple manière de qualifier les espaces d’habitat collectif fait l’objet de luttes de définition qui contribuent à les « étiqueter » quelles que soient leurs tailles et la composition des populations qui y résident.
Pour ce qui me concerne, je retiendrai donc l’expression de « quartiers populaires », peuplés majoritairement par des « classes populaires », au sens où l’entend Richard Hoggart
2. Plus large que certains qualificatifs désuets ou réducteurs tels que « quartiers ouvriers », « quartier populaire » rassemble des populations qui partagent, à des degrés différents, un style de vie, une constellation d’attitudes, voire un ethos commun. Elle ne fige pas de frontière et peut intégrer, le cas échéant, tout un ensemble de couches sociales allant des demandeurs d’emploi aux employés, jusqu’à certaines couches inférieures de la petite bourgeoisie. Si le qualificatif peut recouvrer des réalités trop hétérogènes et plurielles, il offre néanmoins l’avantage de ne pas figer les populations dans des cadres prédéterminés trop contraignants et surtout de les envisager par le sentiment qu’elles ont d’être du « mauvais côté du manche », et de naviguer dans un monde « hostile » et « méconnu » : « nous contre eux ».
Le qualificatif « quartier populaire » nous permet également d’éviter une vision misérabiliste de ces territoires telle que « quartiers défavorisés » ou « pauvres ». L’approche économique ne rend pas compte de la pluralité des phénomènes sociaux et les parcours de vie qui caractérisent les populations des quartiers.
Rapport à l’objet étudié
Un de mes enseignants de sociologie se plaisait à dire que « le choix du chercheur est aussi arbitraire qu’un choix amoureux ». Il s’empressait cependant d’ajouter aussitôt : « Mais il faut préciser son rapport à l’objet ». C’est ce que je vais tenter de faire.
La sociologie est arrivée dans mon cursus universitaire assez tardivement. Au préalable, je rappelle qu’il faut se méfier des illusions biographiques tendant à croire que son parcours de vie est composé d’une succession d’étapes cohérentes, l’étape A appelant l’étape B, elle- même appelant la C et ainsi de suite. Il s’agit là de l’un des fondamentaux de la méthodologie scientifique que l’on apprend à tout étudiant de sociologie. Je vais donc me garder d’appliquer à moi-même ce que je m’abstiens d’appliquer aux autres durant mes enquêtes. Néanmoins, je souhaite présenter mon parcours au lecteur afin de l’éclairer sur mon choix de travailler sur les politiques de jeunesse adressées aux jeunes des quartiers populaires.
Moi-même originaire d’un quartier populaire de Lorient, fils d’immigrés marocains (mon père, maçon à la retraite, est arrivé en France en 1971, suivi par ma mère cinq ans plus tard), j’ai obtenu un DUT Carrières sociales à l’Université de Rennes 1 en 2004 après l’obtention de mon bac littéraire. Ce DUT est venu à la suite de l’obtention d’un Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), trois ans plus tôt qui avait été en parti financé par la Ville de Lorient sensible à mon implication dans le tissu associatif de mon quartier, encadré par un
2
Richard Hoggart, La culture du pauvre, Éditions de Minuit, 1991 (première édition en version anglaise : 1957).
15 militant du « sport populaire » qui a éveillé chez moi, avec d’autres, une volonté d’engagement dans et pour la Cité.
Ce BAFA me permettait de m’impliquer davantage, avec un regard plus aigu, dans les activités du tissu associatif de mon quartier et de travailler comme animateur durant les vacances scolaires. Avec du recul, je considère que l’expérience fut déterminante pour moi.
Les nombreuses expériences d’animation que j’ai eu la chance de vivre à partir de mes 17 ans, ainsi que mes engagements dans le militantisme associatif, m’auront permis de découvrir l’action jeunesse et de me passionner pour celle-ci. « Nous sommes le produit des liens que nous tissons », lançait à son auditoire l’écrivain Albert Jacquard en conférence un soir d’hiver de l’année 2009 à Lorient
3. Assurément, les acteurs que j’ai eu la chance de rencontrer à travers l’animation socioculturelle et le tissu associatif ont beaucoup compté pour moi.
En 2004, alors que je comptais initialement devenir animateur socioculturel professionnel, j’ai souhaité poursuivre mes études, encouragé par des résultats corrects. J’ai ainsi réalisé une licence professionnelle « ingénierie des interventions sociales et de santé » que j’ai obtenue en 2005 à l’Université de Bretagne Sud. Ces deux diplômes, DUT et licence professionnelle, m’ont ouvert l’appétit pour la sociologie, au cœur de ces deux formations, et m’ont amené à entreprendre un master « sociologie des mutations sociales et contemporaines » à l’Université de Rennes 2.
La sociologie m’offrait des « armes » et des outils formidables pour déconstruire et analyser le monde social dans lequel je vivais, à savoir le quartier, et bien plus encore. Au cours de mes deux années de master, j’ai soutenu un mémoire sur la question de l’éducation populaire et des jeunes des quartiers populaires. Je m’étais lancé dans cet exercice délicat de tenter d’analyser ce que j’appelais un « rendez-vous manqué » entre les jeunes des quartiers populaires et les mouvements d’éducation populaire.
Cette présentation brève de mon parcours indique au lecteur que la question des jeunes des quartiers populaires n’est pas nouvelle chez moi. Pour autant, je n’irais pas jusqu’à qualifier ma thèse d’endo-ethnographie, même si je suis familier de l’objet et que mon vécu a certainement influé dans ma manière de l’aborder. A cet égard, il est intéressant de noter que des sociologues parmi les plus illustres de leur génération s’y sont confrontés. Par exemple, Richard Hoggart, dans la Culture du Pauvre, analyse ce qu’il nomme la « culture populaire » au travers de son travail d’enquête en nous permettant de saisir tous les avantages potentiels que confère une familiarité affirmée avec un objet donné. Lui-même issu des milieux qu’il observe, il ne cherche jamais à dissimuler son appartenance sociale sous une quelconque « illusion d’objectivisme ». Conscient des inconvénients propres à sa posture, il nous explique que :
« l’observateur issu des classes populaires peut, aussi bien que les auteurs bourgeois quoique d’une manière qui lui est propre, être sujet aux illusions de perspective : Je suis originaire d’une famille ouvrière et je me sens, en cet instant même, à la fois proche et éloigné de ma classe d’origine. (…) Mon origine sociale m’aide sans doute lorsqu’il s’agit de sentir et de faire ressentir la tonalité vécue de la vie populaire, de même qu’elle me préserve de quelques-unes des méprises auxquelles sont exposés les observateurs bourgeois. Mais d’un autre côté, cette participation psychologique présente des dangers considérables »
4Emile Durkheim lui-même déclarait peu avant sa mort, qu’il « ne peut y avoir une interprétation rationnelle de la religion qui soit foncièrement irréligieuse »
5, exprimant par là
3
Cette citation est à mon sens percutante au regard du propos qui est le mien, je la réutiliserai donc à plusieurs reprises dans cette thèse.
4
Ibid., p. 42
5
Emile Durkheim, « Le sentiment religieux à l'heure actuelle », in Archives des sciences sociales des religions,
Volume 27, 1969, pp. 73-78
16 une tension interne à lui-même, entre sa religiosité fluctuante et son approche des sciences sociales.
Max Weber, quant à lui, privilégie une posture plus pragmatique de la position subjective du chercheur par rapport à l’objet en considérant que la « neutralité axiologique » consiste à expliciter les présupposés qui guident les procédés de sélection des phénomènes décrits et les choix méthodologiques qui en découlent
6. Pour lui, l’obligation d’expliciter constitue un préalable nécessaire à toute recherche sociologique. Il nous appelle ainsi à être transparent et à assumer nos choix. Je rejoins bien entendu cette position et c’est ce que je vais tenter de faire dès la première partie de ma thèse.
Mais avant d’y venir, je vais terminer rapidement la présentation de mon parcours. En master 2, j’ai réalisé un stage dans les services de la Sous-préfecture de Lorient dans le cadre de sa mission « politique de la ville ». J’avais alors réalisé une monographie sur les jeunes de quatre quartiers populaires morbihannais. Passionné par ces recherches, j’ai souhaité entreprendre une thèse de sociologie que je n’imaginais pas autrement que dans le cadre d’une Convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE). Attaché à la recherche empirique, mais aussi au service de l’action publique, je souhaitais m’impliquer davantage sur la question des jeunes des quartiers populaires.
C’est par ce biais que je fus recruté en 2008 à RésO Villes, centre de ressources politique de la ville des régions Bretagne et Pays de la Loire
7, après que ma candidature eut été reçue avec succès par l’Agence nationale pour la recherche technique (ANRT).
A ce stade de mon propos, le lecteur me répondra que la présentation de mon parcours ne peut suffire à elle-seule à expliquer mon choix de travailler sur la question des jeunes des quartiers populaires. De plus, elle ne répond pas à la question de savoir ce que je prétends apporter de novateur dans ce domaine. C’est l’approche politique de l’objet qui va me permettre de le mettre en avant.
Une approche politique d’un objet politique
En effet, j’observais que l’ensemble des études réalisées sur cet objet, dont la qualité est incontestable pour nombre d’entre elles, ne rendaient pas forcément compte de l’approche politique déployée en direction des jeunes des quartiers populaires. Pour le dire de façon plus directe, un peu prétentieuse m’objecteront certains, ces études en disent trop peu sur les différents processus à l’œuvre au niveau politique pour tenter de « normaliser » la situation des jeunes des quartiers populaires. En cela, la plupart d’entre elles demeurent frustrantes pour le lecteur qui se pose la question du projet politique à mettre en œuvre pour ce public. En disant cela, il ne s’agit en aucun cas pour moi de sombrer dans la normativité. J’insiste dès à présent pour souligner que cette thèse ne vise pas l’élaboration d’un projet politique. Sa finalité est de tenter de répondre à la question de savoir comment les spécificités des parcours de vie des jeunes des quartiers populaires, si elles existent, sont prises en compte dans les politiques publiques, et plus particulièrement dans les politiques de jeunesse à l’échelle locale, notamment celles impulsées par les municipalités. A partir de quels référentiels et de quelles représentations de la jeunesse se construisent ces politiques ? Et, in fine, qu’est-ce qui fait que
6
Max Weber, Économie et Société, Paris, Pocket, 1995 (première édition : 1922).
7
ResOVilles, un centre de ressources politique de la ville : le lancement de la politique de la ville dans les années 80 s’est accompagnée de la mise en place progressive de centres de ressources « politique de la ville », parfois départementaux ou régionaux, aux statuts juridiques variés (association, GIP), avec des financements Etat et collectivités et avec pour mission de mutualiser les ressources, d’accompagner les acteurs qui œuvrent dans les « quartiers prioritaires » (élus, professionnels…) dans leur réflexion sur la mise en œuvre des politiques publiques : publications, séminaires, formations, etc. Pour en savoir plus : www.
http://i.ville.gouv.fr/actor/list/type/2. Le centre de ressources RésOVilles, est le centre de ressources Politique de
la Ville des régions Bretagne et Pays de la Loire. Pour en savoir plus : www.resovilles.com
17 les jeunes tantôt vont adhérer et tantôt vont résister à la formalisation des politiques de jeunesse.
Car la nécessité d’intervenir dans les quartiers populaires s’est imposée progressivement à proportion de la montée en puissance de la violence des jeunes de ces territoires au début des années 1980. A cet égard, les émeutes de l’été 1981 aux Minguettes ont soulevé de l’espoir.
Elles ont permis une prise de conscience de l’état des quartiers populaires dont témoignèrent la médiatisation de la fameuse « marche des beurs »
8et l’accueil des protagonistes de celle-ci à l’Elysée par le Président de la République François Mitterrand. Cette émeute, suivie de la marche, avait justifié la création d’une politique qui se voulait généreuse en valorisant l’aspiration de cette jeunesse à prendre toute sa place dans une France dite « Black-blanc- beur », et cela par le développement social des quartiers où elle se trouvait confinée. Tout en visant expressément cette jeunesse issue de l’immigration maghrébine et africaine, cette politique fut nommée « de la ville » car parler d’intégration aurait signifié alors reconnaître que la République pouvait avoir un problème de fond, et non un simple malentendu, avec une partie de sa population en raison de son origine ethnique, de sa couleur de peau ou de sa religion. Parler de politique d’intégration aurait alors choqué tous les esprits, de droite comme de gauche, car la République française est fondée sur un référentiel assimilationniste qui ne reconnaît guère les particularismes.
C’est dans ce contexte d’entrée dans la crise économique et des premières « émotions populaires juvéniles » que l’Etat lançait la politique de la ville. Il s’agit d’une politique territorialisée et contractualisée dans une logique assimilable à « la discrimination positive » visant à réduire les inégalités sociales et économiques entre territoires.
Les politiques de jeunesse, quant à elles, qui se voulaient « universelles », c’est-à-dire s’adressant à l’ensemble des jeunes d’un territoire, se recentrèrent sur certains quartiers qualifiés de « prioritaires » dans la terminologie institutionnelle de la politique de la ville.
Depuis les années 1980, les politiques de jeunesse oscillent entre ces deux pôles de l’universel et du spécifique.
Spécifiques, les jeunes des quartiers populaires le sont à bien des égards, je m’efforcerai de le démontrer dans cette thèse. D’ores et déjà, néanmoins, je précise au lecteur que ces spécificités sont à envisager avec précaution.
A l’heure où les chiffres du chômage des jeunes résidant dans les quartiers populaires interpellent la classe politique française (43% de la population active des jeunes hommes âgés de 15 à 24 ans et 37% de celle des jeunes femmes en 2009 selon l’Observatoire nationale des ZUS), la question de leur insertion sociale par une prise en charge ambitieuse reste posée, non seulement aux pouvoirs publics mais à la société française dans son ensemble : quelle place leur donne-t-on dans la Cité ?
Un laboratoire social
De 2008 à 2011, j’ai animé dans une recherche-action dans le cadre de RésO Villes en partenariat avec sept Villes
9du grand Ouest - Angers, Brest, Lorient, Nantes, Quimper, Saint- Nazaire et Rennes - l’INJEP et les Directions Régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de Bretagne et des Pays de Loire, les Conseils régionaux de ces deux régions. L’objectif, distinct de celui de ma thèse, était d’interroger l’offre politique impulsée à l’échelle locale par les municipalités et leurs partenaires en direction des jeunes des quartiers, afin, d’une part de mettre en avant les faisceaux de représentations, d’enjeux et de constats à partir desquels elle se construisait, et, d’autre part d’en apprécier la pertinence.
8
La « marche des beurs » est une autre appellation de la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983.
9
Je précise au lecteur qu’à chaque fois qu’il verra apparaître une majuscule au « V » de « Ville », c’est qu’il
s’agit de la municipalité.
18 Terrain d’enquête : Les quartiers populaires de sept villes de l’Ouest
Angers Brest Lorient Nantes Quimper Rennes Saint-Nazaire
Population
10totale
151 108 142 722 58 135 283 025 63961 207 922 68 522
Population des 15- 24 ans
1134 251 27 248 8 777 57 384 9 595 52 189 8 924
Part des 15-24 ans dans la population totale
22,60% 19,00% 15,00% 20,20% 15,00% 25,10% 13,00%
Quartiers classés en politique de la ville
Belle-Beille, Monplaisir, Verneau-Capucins, La Roseraie, Deux Croix/Banchais, Les justices, Saint- Jacques
Pontanezen, Keredern, Recouvrance, Saint-Pierre, Bellevue
Kervénanec, Bois du Château, Frébault
Bellevue Bourderies, Dervallières, Breil Malville, Nantes Nord, Port Boyer, Halvèque, Bottière, Malakoff, Clos Toreau
Penhars - Kermoysan
Maurepas, Villejean, Le Blosne, Bréquigny, Cleunay,
Avalix, La Bouletterie, Trèballe, La Chesnaie Petit Caporal
Population totale vivant dans les quartiers
1222 836 8 726 7 654 31 572 5 109 42 627 16 852
Part des moins de 25 ans
1340,3% contre 38%
pour la commune
38,2% contre 34,3% pour la commune
36,7% contre 30,4% pour la commune
39.3 % contre 34,8% pour la commune
36,4% contre 31,3%
38,2% contre 37%
pour la commune
37,4% contre 31,2% pour la commune
10 Cf. INSEE, Chiffres clés 2007 : http://www.recensement.insee.fr
11 Jen’avais pas de d'indicateurs « 16-25 ans » pour l'ensemble des sept villes et avons donc retenu celui des « 15-24 ans » qui relève d'un découpage INSEE.
12 Cf. INSEE Chiffres 2006 : chiffres les plus récents disponibles à l’ONZUS (Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles) : http://sig.ville.gouv.fr 13 Cf. INSEE 1999 via les chiffres les plus récents de l’ONZUS (Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles) : http://sig.ville.gouv.fr
19 La démarche fut construite tout au long de l’année 2008 avec des professionnels travaillant en lien avec la thématique jeunesse dans les villes précitées (directeurs de service mairie, chefs de projet CUCS, chargés de mission, etc.). La réflexion engagée par RésO Villes et ses partenaires devait nous amener à une meilleure connaissance des jeunes âgés de plus de16 ans des quartiers populaires autour d’une triple interrogation (encore une fois distincte de ma problématique de thèse même si les informations peuvent se recouper) :
- Comment les jeunes des quartiers traversent-ils cet âge de la vie ?
- Constituent-ils une composante singulière de la jeunesse contemporaine et pourquoi ? - L’action publique, notamment locale, doit-elle envisager ces jeunes de manière
spécifique et comment ?
Si les travaux réalisés en sociologie de la jeunesse s’accordent quasi-unanimement à considérer que l’âge ne constitue jamais le bon critère pour définir le passage d’une génération à une autre (adolescence vers jeunesse, jeunesse vers âge adulte, etc.), les décideurs publics, de leur côté, estiment nécessaire de dessiner des frontières générationnelles pour construire l’action publique en direction d’un public. C’est pourquoi les travaux que j’ai menés dans le cadre de cette recherche-action qui a produit mon matériau de thèse ont porté sur les jeunes de plus de 16 ans, en ciblant plus précisément ceux issus des quartiers populaires. J’ai pu observer que les acteurs des politiques de jeunesse de ces collectivités partaient du présupposé qu’à partir de 16 ans, âge correspondant à la fin de la scolarité obligatoire, les jeunes deviennent de plus en plus autonomes ; ainsi l’action éducative encadrée ne constitue plus selon eux une condition sine qua non dans l’intervention publique pour ce public qualifié de « jeunes adultes ». Les attentes exprimées par les jeunes de plus de 16 ans sont orientées davantage vers la reconnaissance sociale, l’indépendance matérielle et financière dans le but de s’épanouir pleinement dans leur autonomie grandissante. C’est de ce constat que les décideurs publics formulent l’hypothèse qu’à partir de 16 ans, les jeunes commencent à s’inscrire dans une demande d’accompagnement vers les attributs de l’âge adulte (emploi, logement, etc.).
C’est ici qu’une politique de jeunesse prend forme à partir du critère d’âge : 16-25 ans, 15-29 ans, etc. Différente d’une politique éducative, elle vise l’accompagnement des jeunes, par une mise en projet, dans cette période de la vie où ils cherchent à évoluer vers l’âge adulte. Cette politique s’impose d’autant plus aux décideurs publics que la jeunesse tend à se précariser et s’allonger pour plusieurs raisons que je développerai dans la première partie de la thèse en mobilisant la littérature sociologique : déclin des rites de passage vers l’âge adulte (symboliques comme institutionnels) ; allongement des études ; décohabitation compliquée et entrée dans la vie active difficile, de plus en plus tardive et incertaine en raison de conjonctures économiques défavorables aux jeunes (leur taux de chômage est supérieur de 7 à 10 points à la moyenne nationale selon les chiffres de l’INSEE). Dès lors, la question qui se pose au regard des décideurs publics est de savoir comment mettre en projet des jeunes afin qu’ils puissent conquérir ces attributs de l’âge adulte
14. La mise en projet des jeunes constitue le point central d’une politique de jeunesse aux yeux des décideurs publics, notamment locaux.
Dans cette thèse, ma réflexion vise clairement à analyser en quoi une offre d’intervention publique, émanant notamment des collectivités territoriales municipales, rencontre ou pas les attentes des jeunes des quartiers populaires au regard de leurs parcours de vie.
14
Je précise au lecteur que je m’en tiendrais aux attributs dits « traditionnels » de l’âge adulte : emploi stable,
décohabitation, exercice de la citoyenneté, etc. Je reconnais bien entendu que la définition de l’âge adulte a
évolué et que, de ce fait, on peut être adulte sans disposer de ces attributs.
20 Méthodologie et démarche de recherche
Les enquêtes de terrain
J’ai mené des enquêtes dans chacune des sept villes, afin de donner la parole aux jeunes, aux professionnels et aux élus.
Ainsi, entre 2009 et 2010, j’ai conduit 122 entretiens sociologiques, individuels semi- directifs. Tous ces entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement avec l’aimable accord des personnes qui ont accepté de se prêter au jeu. Je leur garantis, bien entendu, l’anonymat. Tous les éléments de leurs propos pouvant trahir cet anonymat ont été modifiés dans cette thèse.
Je précise bien au lecteur que je vais me contenter dans cette introduction de présenter uniquement le contenu de mon matériau. Ce sera dans la première partie que j’expliquerai quel a été le cadre théorique et la méthodologie que j’ai mobilisé pour l’exploiter et l’organiser.
67 professionnels rencontrés
15- six chargés de mission Ville (Jeunesse, Politique de la Ville ou Prévention de la délinquance),
- 21 animateurs socioculturels (dont cinq directeurs d’équipements), - 10 éducateurs de prévention spécialisée,
- 10 conseillers d’insertion de mission locale, - quatre éducateurs sportifs,
- quatre assistants sociaux,
- quatre animateurs Information Jeunesse,
- quatre éducateurs divers (FJT
16, Conseil Général),
- cinq autres professionnels (gardiens d’immeuble et d’équipement, professionnel de l’aide aux devoirs…).
55 jeunes âgés essentiellement de 16 à 25 ans rencontrés, dont 22 filles
Age Statut social au moment des entretiens
- six de 16 ans, - huit de 17 ans, - sept de 18 ans, - cinq de 19 ans, - six de 20 ans, - quatre de 21 ans, - trois de 22 ans, - huit de 23 ans, - trois de 24 ans, - deux de 25 ans,
- trois de plus de 25 ans.
- 17 lycéens, dont quatre en BEP/CAP, - neuf étudiants,
- trois en CDD/intérim, - six en CDI,
- 14 sans emploi et/ou en recherche d’emploi (la plupart étant suivie par des conseillers de la mission locale ou des éducateurs),
- un en formation, - un en apprentissage.
La démarche de l’entretien sociologique, bien qu’anonyme, est souvent vécue comme une mise en scène de soi où il s’agit de faire bonne figuration. Pour cela, elle peut impressionner certaines personnes, notamment celles qui appréhendent leur niveau de langage dans ce type de discussion. Ainsi, certains jeunes ont refusé la sollicitation de se prêter à l’exercice
15
Dans le cadre de l’anonymat des acteurs, tous les statuts professionnels sont au masculin.
16