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La trajectoire de la qualification délictuelle à la qualification contractuelle

E XISTENCE D ’ UN PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ

L’ ÉTENDUE DU CONTRAT MÉDICAL À M ADAGASCAR

A. La trajectoire de la qualification délictuelle à la qualification contractuelle

28. Tenant compte des notes évoquées ultérieurement, la contractualisation émane

tout d’abord, de deux raisons d’ordre historique 224 ayant trait à des opportunités

jurisprudentielles 225 : la mise en retrait de l’article 1384 226 pour éviter le recours

intempestif à la présomption de responsabilité 227 et l’argumentation procédurale de

circonstance 228 ouvrant droit à un délai de prescription favorable aux victimes.

Ensuite, elle tient à une raison plus identitaire de la relation médicale. Plus précisément, en veillant à l’intégrité du patient, la relation médecin-malade revêt une fonction sociale 229 induite du consentement mutuel des parties 230. Sans discuter

des intérêts pratiques de ces démarches qui fondent la contractualisation de la relation médicale, il est important de noter qu’une option transfigurant le fondement d’une responsabilité civile 231 ne peut se limiter à des justifications loin d’être

irréfragables.

29. L’analyse successive des trois raisons sous-exposées amène aux constats suivants :

Concernant le motif de soustraire la responsabilité médicale à l’emprise de l’article 1384 du Code civil (article 206 de la LTGO malgache) ; on sait qu’il peut être

224 Il s’agit de l’héritage de l’arrêt Mercier de 1936

225 Les griefs des demandeurs relatifs à l’usage d’un instrument inanimé (appareils de radiothérapie)

sur le fondement de l’article 1384 du Code civil ; soit le principe de la responsabilité délictuelle du fait des choses dont on a la garde, sont censurés au motif que « L’article 1384, ne saurait être

appliqué lorsque c’est la victime qui a sollicité qu’il soit fait à son égard un emploi déterminé de la chose » ; Trib.

civ. Bouches-du-Rhône, 5 mai 1930, D.H. 1930, p. 389, CA Aix-en-Provence, 16 juillet 1931, D.P. 1932. En contractualisant la relation médicale, les juges de la Haute juridiction ont entériné la vision des juridictions inférieures : soustraire la relation médicale du domaine de l’article 1384 présumant la responsabilité. Mais fondamentalement, la contractualisation opérée par la Cour de cassation s’inscrivait dans une recherche d’opportunité procédurale : faire bénéficier la victime d’une prescription plus longue. Tant que la qualification était délictuelle, la solidarité de prescription du civil au pénal est de principe ; il en résultait une prescription triennale ; la prescription trentenaire s’acquiert avec la qualification contractuelle.

226 Article 206 de la LTGO malgache : « Toute personne qui, […] par les choses dont elle a la garde cause la

mort ou porte atteinte à l’intégrité physique d’une autre personne, occasionne un dommage aux animaux et aux choses appartenant à autrui, doit réparer le préjudice causé».

227 Les termes de l’article 1384, ali. 1er selon lesquels, « On est responsable […] du dommage […] causé

par le fait […] des choses dont on a sous sa garde » ; présentent pour la jurisprudence, une occasion de

fonder un principe général de responsabilité incombant au gardien d’une chose inanimée. Pour aller plus loin, voir : Ph. MALAURIE,L. AYNÈSET Ph. STOFFEL-MUNCK, op. cit., n° 187 et s.

228 Voir, supra n° 15.

229 M. FAURE-ABBAD,op. cit, p. 24.

230 Voir : référence n 205, J. BELLISSENT etM. FAURE-ABBAD, Ibid.

facilement battu en brèche. En effet, du moment où l’on invoque le fait que le patient ait pu participer à l’usage de la chose, ou qu’il ait pu accepter tous les risques auxquels l’usage de la chose pouvait l’exposer, la présomption de responsabilité de l’article 1384 est anéantie 232.

Concernant l’intérêt procédural ayant motivé la Cour de cassation 233 à modifier la

nature de la responsabilité médicale, certes la qualification contractuelle a pour conséquence le prolongement de la prescription et donc favorable aux victimes, néanmoins, le fait que cet intérêt soit purement conjoncturel 234 pose question sur la

nécessité doctrinale de la contractualisation 235. D’ailleurs, il faut noter que l’intérêt

pratique dont il est question, n’est plus d’actualité en raison de l’abandon du principe de « solidarité des prescriptions civile et pénale » 236.

Enfin, concernant la fonction sociale de la relation médecin-malade, estimée comme raison potentielle de sa qualification contractuelle 237 ; il convient de rappeler

qu’elle n’est pas la fonction première du contrat. Celui-ci est avant tout un instrument

232 « L’article 1384, ne saurait être appliqué lorsque c’est la victime qui a sollicité qu’il soit fait à son égard un

emploi déterminé de la chose » ; Trib. civ. Marseille, arrêt Mercier, 5 mai 1930, D. H. 1930. Ce qui

reviendrait à dire qu’il n’est pas forcément nécessaire de contractualiser la relation médicale pour éviter le recours intempestif à l’article 1384 ; pour faire tomber la présomption de responsabilité, il suffit d’établir la participation libre du patient en ce qui concerne l’usage des appareils à but thérapeutique, objet origine du préjudice.

233 À l’époque, les membres de la Haute juridiction, empruntaient un argument de procédure pour

entériner une idée affirmée par la doctrine : la sanction des fautes commises dans l’exercice de la médecine ne pouvait donner lieu qu’à une recherche de responsabilité sur le terrain contractuel, voir : J. BELLISSENT, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de

résultat, préf. R.CABRILLAC, Bibliothèque de droit privé, L.G.D.J., 2001, p. 351, 402, 403 et 404.

234 Arrêt « Mercier » Cass. Civ., 20 mai 1936.

235 L’analyse porte à dire qu’il s’agit plus de considérations d’ordre pratique que doctrinal au risque

de dérive que certains auteurs tels que JOSSERAND et BELLISSENT, nomment « forçage du contenu contractuel », J. BELLISSENT,op. cit., p. 336. « La justification de la contractualisation sur la

base d’intérêt procédural omet non seulement, le réexamen des conditions générales d’apparition des conventions mais aussi les questionnements sur les intérêts doctrinaux qu’il peut y avoir dans le transfert d’un rapport consensuel préexistant (le lien médecin-malade), dans l’ordre contractuel », J. BELLISSENT,op. cit., p. 404. Il

semblerait que c’est dans l’aspect consensuel de la relation médicale que se trouve l’explication de la contractualisation. Le soupçon de consentement dans le devoir synallagmatique entre le médecin et le patient, mérite en effet d’être extrait de la situation de fait et traduit en un contrat car « […] partout où les individus se regroupent pour la recherche d’un but commun, le contrat se trouve prompt

à saisir la plus infime parcelle de consentement pour asseoir sa réalité et régir ainsi leur relation », Ibid., p. 337.

236 D’abord parce que la loi du 23 décembre 1980 a mis fin à la solidarité de prescription de l’action

publique et de l’action civile. Ensuite, la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile instaurant l’article 2224 du Code civil, a modifié la prescription contractuelle de cinq ans indépendamment du lieu de juridiction saisie. La loi de 2008 offre en outre, la possibilité de prescription de dix ans en matière de dommages corporels (il appartient au juge de trancher sur le choix de prescription applicable.

de réalisation économique 238. Le devoir de veiller à l’intégrité corporelle d’autrui n’en

est pas l’essence 239. Dès l’instant où l’objet du contrat est purement patrimonial 240,

la fonction sociale que revêt la relation médicale ne justifie pas l’attribution de la qualification contractuelle.

Ainsi, au-delà des intérêts pratiques liés à l’histoire du droit médical, le transfert du lien médecin-patient dans la sphère conventionnelle trouve sa source dans des éléments d’ordre conceptuels

30. Les motifs conceptuels justifiant la contractualisation de la relation médicale, sont

au nombre de deux :

— La diffusion de la notion de sécurité à toutes les situations de la vie renforçant le principe de responsabilité 241 ;

— La recherche d’une définition objective de la notion de « faute ».

Dans un premier temps, en ce qui concerne les accidents médicaux, seul était envisagé un principe de réparation des préjudices subis par la victime. À cet effet, on s’est contenté de la responsabilité délictuelle sans chercher à approfondir la portée de l’obligation professionnelle de l’auteur 242 (question qui s’il faut l’aborder, relève du

domaine déontologique). Et très rapidement, le concept d’« obligation de sécurité » s’est

238 « Que le contrat ait une fonction économique, personne n’en doute », M.FAURE ABBAD, op.cit, p. 24 à 29 ;

« Le contrat peut-être avant tout l’instrument d’une opération économique », voir : Fr. COLLART DUTILLEUL

et Ph. DELEBECQUE,Contrats civils et commerciaux, 6e éd., Précis Dalloz, 2002, n° 22 ; « L’échange

des consentements […] évoque […] l’autre échange, éminemment intéressé : l’échange économique dont le contrat est la forme juridique », M-A. FRISON-ROCHE, in Remarques sur la distinction de la volonté et du

consentement en droit des contrats, RTD civ. 1995, p. 573, spéc. n° 8.

239 CH. LAPOYADE-DESCHAMPS, Le mythe de la responsabilité contractuelle en droit français, in Failure of

Contracts, sous la direction de F. D. ROSE, Hart Publishing, Oxford, 1997, p. 175 et s., spéc.,

p. 185-186.

240 Ibid.

241 Le souci général étant de toujours assurer plus de protection aux victimes d’accidents de toute

nature, voire J. BELLISSENT, op. cit., p. 342. Le Professeur L. JOSSERAND dans son fameux article paru aux Mèlanges dédiés à F. Gény, explique bien les tenants et les aboutissants du phénomène de contractualisation, il dit : « Ainsi le mouvement est incontestable qui porte la jurisprudence

à transposer la situation obligatoire des intéressés, à faire passer les obligations du délictuel dans le contractuel, à leur donner un caractère préconstitué et à améliorer ainsi la situation du créancier, qui en plaçant sa demande sous l’égide du contrat, en réclamant son dû, bénéficie d’une facilité de preuve très appréciable », in L’essor moderne

du concept contractuel, p. 343.

242 À l’occasion d’un arrêt rendu le 18 juin 1835, arrêt Thouret-Noroy, la Chambre des requêtes de

la Cour de cassation, il fut soutenu pour la défense d’un praticien que « le médecin dans l’exercice de

sa profession n’est soumis pour les prescriptions, ordonnances et opérations de son art à aucune responsabilité. Celle ci ne peut-être invoquée contre lui que si, oubliant qu’il est médecin, et se livrant aux passions, aux vices, aux imprudences de l’homme, il occasionne par un fait répréhensible, un préjudice réel au malade qui se confie à ses soins ». Bref, la responsabilité s’exercera contre l’homme, jamais contre le médecin.

développé jusqu’à justifier sa légitimité dans le respect des clauses contractuelles de nature professionnelle. Partant, non seulement le professionnel fautif commet à l’égard d’autrui (le patient) un tort, auquel cas on se serait contenté de l’article 1382 du Code civil 243 mais encore, il porte atteinte à des dispositions normatives de type

professionnel et conventionnel. Ces dispositions normatives trouvent sens en établissant la formule selon laquelle, les praticiens ont promis des soins consciencieux à défaut

d’une promesse formelle d’assurer la guérison 244. Autrement dit, pour renforcer l’intensité

du devoir de réparation qui jusque-là se limitait à la dimension délictuelle (tort vis-à- vis d’autrui), on est arrivé à légitimer la prétention selon laquelle, le praticien est tenu non seulement au devoir de ne pas porter tort à autrui mais encore à une obligation de nature professionnelle à laquelle, il s’est engagé contractuellement. Bref, un élargissement s’est peu à peu réalisé au niveau de l’organisation de la responsabilité civile : de l’étape de la conscience du « dommage » (responsabilité délictuelle), on arrive successivement à la prise en compte d’une « violation d’obligation professionnelle de type conventionnelle ».

En somme, l’organisation du devoir de réparation au sein même de l’ordre contractuel conduit à une doctrine moderne de la responsabilité civile qui s’apparente en une fusion des deux ordres de responsabilité civile 245.

31. Le deuxième motif d’ordre conceptuel qui justifie la contractualisation, est la

volonté d’abandonner la définition subjective de la faute, source de difficulté pour définir le régime de la responsabilité extracontractuelle 246. En effet, par la voie

contractuelle, on part du principe de préexistence de l’obligation conventionnelle permettant de circonscrire l’écart de conduite du débiteur. Dès lors, il devient plus aisé de déclarer fautif tout comportement qui s’égare des termes de la convention et quand bien même une telle attitude serait en cohérence avec le comportement qu’aurait adopté le bon père de famille 247 !

243 En matière de délit, c’est la réalisation du dommage qui constitue le point de départ obligé de

toute recherche de responsabilité.

244 « […] le droit de la responsabilité civile proprement dite…peut-être substitué à la notion de droit de la

réparation », J. BELLISSENT, op. cit., p. 427.

245 « Dans le droit fil de cette évolution doctrinale, le système de la « garantie contractuelle » se trouve subitement apte

à assurer une réparation dans les mêmes termes que la responsabilité délictuelle. On a assisté semble-t-il, à un phénomène de fusion des préjudices contractuel délictuel ». J. BELLISSENT, op. cit., p. 342.

246 Ibid., p 344. 247 Ibid.

En somme, la technique de contractualisation permet de se doter d’un outil simple et efficace pour percevoir nettement les contours de chaque obligation. Ces derniers se limitent à ce qui a été promis : un résultat déterminé ou uniquement la mise en œuvre des moyens 248. Concernant les contours de l’obligation médicale, il est de

principe que l’homme de l’art s’engage à agir en cohérence avec ce qu’impose la loi au travers des « devoirs préexistants » 249 ; cela signifie, agir en toute circonstance avec

toute la prudence et la diligence qu’exige la situation. L’art médical suppose de tout mettre en œuvre en vue d’exercer une influence positive sur le cours de la santé d’une personne. En tant que tel, il est parfaitement naturel que l’obligation née de la pratique médicale soit rangée dans le domaine de l’obligation de moyens 250.

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