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Dans un arrêt de 1960, une personne exerçant l’activité de guérisseur a été écrouée

E XISTENCE D ’ UN PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ

L A FAUTE : CONDITION ET FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ EN DROIT MÉDICAL MALGACHE

A. Manifestation jurisprudentielle de la faute en droit médical malgache

56. Dans un arrêt de 1960, une personne exerçant l’activité de guérisseur a été écrouée

pour avoir prétendu soigner une crise épileptique par un traitement périlleux. Elle soutenait que la patiente est « possédée » et pour le délivrer de cet état, il lui « prescrivait » un plongeon dans l’eau d’une rivière ; malheureusement ne sachant pas nager, elle est décédée 365. En l’espèce, la faute se caractérise par : « L’omission aux

diligences qu’exige la nature de l’obligation compte tenu des circonstances dans lesquelles se trouve la personne (la patiente) » 366. En l’espèce, il est de diligence normale sinon évidente

365 V. RAMANITRA, De la répression de la sorcellerie à Madagascar, Annales de l’Université de

Madagascar-Droit, volume 8, 1973, p. 22.

366 La doctrine française souligne que le critère objectif d’appréciation de la faute médicale tenant à

la conformité de l’acte aux données acquises de la science, doit être aujourd’hui complété par une partie des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal posant le principe de l’existence des délits involontaires (article modifié par la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence). Les dispositions concernées stipulent : « […]. Il y

a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait […] ». Ces dispositions accordent au juge d’avoir une

compte tenu des circonstances ; du pouvoir et des moyens dont disposait le guérisseur que de demander au patient à qui l’on demande un plongeon dans l’eau d’une rivière s’il sait nager 367 ! Bien sûr, le fait de demander si quelqu’un sait nager ne

constitue pas une obligation légale prescrite de manière généralisée qui s’impose au professionnel ; il concerne une obligation particulière imposant un modèle de conduite circonstancié 368.

Malgré l’aspect caricatural du cas de figure, il a le mérite d’extraire une définition claire de la faute médicale : la proposition d’une thérapie incompatible à l’état du patient. Partant, en droit médical malgache, la position doctrinale selon laquelle, la faute est constituée de toute impéritie 369 du médecin provoquant une atteinte à

l’intégrité du patient 370, est bien adoptée.

La même année, on retrouve un arrêt qui sanctionne des personnes prétendant guérir une femme sujette à des convulsions provoquées soit disant par un esprit. Pour le traitement, elles brandissaient sur la patiente des tisons ; manœuvre qui a provoqué brûlure et asphyxie entraînant décès de la patiente 371. En l’espèce, il est

flagrant que la faute soit caractérisée par l’usage de moyens dangereux.

Encore une fois, le cas de figure est assez caricatural et le traitement thérapeutique qu’il mentionne n’a pas une assise scientifique ; n’empêche, il introduit dans le sillage du droit médical malgache, la notion d’« accident médical ». Il va même jusqu’à affiner la notion en dégageant un concept plus spécifique : « l’événement indésirable »

référendaire à la Cour de cassation, Le médecin devant le juge pénal, étude menée en 1999,

http://www.courdecassation.fr. Les dispositions de l’article 121-3 du Code pénal français (rejoint par

l’article 221-6 du même Code) en ces termes : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le

commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque (…voir : supra)», correspond à l’article 319 du Code pénal

malgache qui dit : « Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des

règlements aura commis involontairement un homicide, ou en aura été involontairement la cause, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 50 000 à 1 000 000 de francs ».

367 En l’espèce, la faute médicale est caractérisée par le fait pour le guérisseur de manquer à la

diligence de s’informer sur l’aptitude de la patiente à supporter ou non la prescription préconisée. Il relevait de sa compétence professionnelle au sens juridique du terme, de prévoir la réaction d’un patient face à une intervention.

368 La conduite circonstanciée consiste en la conduite à avoir dans telle ou telle situation, voir : M.

PUECH, De la mise en danger d’autrui, D., 1994, Chr. p. 153.

369 Impéritie est en l’occurrence entendue comme le défaut d’expertise dans le domaine exercé. Elle

suppose à la fois un défaut de rigueur professionnel.

370 P. VAYER, D. PLANQUETTE et H. FABRE, Le lien de causalité en matière de responsabilité médicale,

Médecine et Droit, mai . juin 2005, n° 72, p. 81.

371 V. RAMANITRA, De la répression de la sorcellerie à Madagascar, Annales de l’Université de

à l’issu d’un acte de soin. Enfin, il aborde le thème de l’infraction d’imprudence quand il fait mention du traitement accompli : brandir sur quelqu’un des tisons. Agir de la sorte correspond exactement à la définition de l’infraction d’imprudence : infraction matérielle caractérisée par la production d’un résultat de nature grave 372 .

Pour autant, l’attribution du qualificatif « faute » à tout comportement mettant en danger la vie d’autrui n’est pas automatique. En effet, bien que la gravité du résultat soit un composant de la qualification, à elle seule, elle ne suffit pas pour désigner un comportement de fautif. La nature fautive d’un comportement résulte en outre, du caractère délibéré de l’acte 373. Autrement dit, l’acte qui expose autrui à un risque de

blessure ou de mort, doit avoir été accompli en pleine connaissance du danger potentiel qu’il comporte. Bref, ce n’est pas la simple indifférence qui est sanctionnée mais la transgression flagrante à une valeur sociale qui se traduit par la conscience réelle de la nuisance à laquelle on expose autrui 374.

Sur le plan juridique, la notion de « volonté délibérée » de l’auteur, donne une appréciation objective des infractions relative à l’exposition aux risques. La « volonté délibérée » se traduit par la conscience de l’auteur de la dangerosité de son acte et de là concrétise la réalité des risques 375. Quant à l’état de conscience de l’auteur, il

s’apprécie in abstracto, c’est-à-dire en comparaison avec ce qu’un individu raisonnable aurait tenu comme danger potentiel par rapport à une intervention médicale donnée. Cela correspond par exemple, à la volonté du chirurgien de procéder à une intervention en état d’ébriété. Cet acte peut entraîner un résultat dramatique qui n’échappe pas à un individu raisonnable et donc est qualifiable d’illicite jusqu’à preuve du contraire. La faculté d’apporter la preuve du contraire

372 Article 121-3, ali. 4 du Code pénal : « Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède (imprudence, négligence ou

manquement à une obligation de prudence ou de sécurité), les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage […], sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, […] commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

373 « L’élément intentionnel de l’infraction résulte du caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation

particulière de prudence et de sécurité », Cass. crim. 9 mars 1999, D., 1999, I.R. 123.

374 C’est « l’état d’esprit d’une personne, qui sachant que son comportement pourrait porter atteinte à un intérêt

protégé ou réaliser une situation infractionnelle sans en avoir la certitude, persiste néanmoins à l’adopter »,

J. H. ROBERT, Droit pénal général, Puf, 4e éd., 1999, p. 350.

375 L’appréciation des risques nécessite des conditions, des hypothèses qui ne sont pas évidents à

trouver. Cela suppose de revenir au moment de la réalisation de l’acte infractionnel ; savoir si réellement l’auteur était conscient d’avoir porté atteinte à telle ou telle valeur sociale. La notion de « volonté délibérée » permet d’objectiver l’analyse ; les risques sont réels quand la conscience de l’auteur sur la dangerosité de son acte, est établit, voir : D. MAYER, La misse en danger des personnes, in Problèmes actuels de science criminelle VIII, Puf Aix-Marseille, 1995, p. 10, 11.

signifie que la coïncidence entre l’état de conscience de l’auteur de la dangerosité de son acte avec ce qui est raisonnablement perçu comme comportement « anormal », ne crée qu’une présomption simple de responsabilité.

Bref, l’attribution du qualificatif « faute » à un comportement maladroit durant l’exercice de l’art médical, considère deux éléments : la persistance de réaliser un acte dont on a la conscience manifeste de la dangerosité et l’aspect particulièrement grave des résultats.

Une autre question suscite l’intérêt : dans l’hypothèse où les résultats dramatiques autrement dit : « l’événement indésirable », ne se produisent pas, la sanction a-t-elle lieu d’être ? 376 La réponse en droit médical est claire : la répression d’un

comportement mettant en danger la vie d’autrui est fondée sur la conscience de l’auteur quant à la dangerosité de son agir, la répression s’appuie sur la volonté manifeste de continuer un acte dont on sait le risque que cela représente 377. Il en

résulte que, la réalisation du risque en elle-même n’est pas une condition exclusive de la sanction 378. Dès qu’on expose autrui à un risque, l’infraction est constituée même

si la probabilité de voir le péril se réaliser est très faible 379. La doctrine estime quant à

elle que l’intérêt d’incriminer les risques causés à autrui n’est pas avant tout de sanctionner le préjudice mais de sanctionner un comportement avant que celui-ci n’ait tourné au drame 380.

376 Dans le domaine du droit pénal, on parle d’infraction dite impossible. En l’occurrence, la notion

d’infraction impossible désigne la situation dans laquelle objectivement, l’agir du médecin s’inscrit dans la mise en danger de la vie d’autrui. Mais pour une raison que l’on ignore, le risque ne s’est pas concrétisé. Si, en droit pénal, l’élément intentionnel suffit pour constater l’infraction, en matière civile, tel n’est pas le cas. En matière civile, il faut établir le dommage, c’est-à-dire, l’évènement indésirable. L’appréciation de l’évènement indésirable en raison d’accident médical, se situe ainsi aux confins des deux régimes juridiques ayant leurs règles propres. Seulement dans le domaine de la relation médicale bien qu’il s’agisse d’un contrat civil, la notion de « volonté

délibérée » de l’auteur est de lourde conséquence parce que concerne l’intégrité de la personne humaine –

Elle engage la responsabilité de l’auteur bien que l’évènement indésirable ne se réalise.

377 La doctrine définit le risque, comme le péril physique d’une particulaire gravité que l’on fait

courir à un individu ou une collectivité, voir : M.PUECH,De la mise en danger d’autrui, D., 1994,

Chr., 153, p. 155 et 156.

378 Le manquement aux obligations réglementaires de prudence et de sécurité est constitué par la

mise en danger de la vie d’autrui, indépendamment du résultat, voir : D. MAYER,op. cit., P. 13.

379 « Le caractère prévisible du résultat et son absence de prévision par le prévenu ne constitue pas les critères de

détermination de la faute d’imprudence puisque celle-ci reste constituée même si le dommage est imprévisible »,

J.Y. MARÉCHAL, Essai sur le résultat dans la théorie de l’infraction pénale, éd. L’Harmattan, 2003, p. 443.

380 L’encadrement de la responsabilité juridique retrouve alors une coloration morale. Et la loi

Les apports des anciens arrêts quant à la définition de la faute médicale, sont considérables. Ils ont établi que la faute médicale consiste en la prescription d’une thérapie incompatible à l’état du patient ainsi que de toutes impérities 381 portant

préjudice au patient. Ces définitions sont enrichies par les arrêts relativement récents.

2. Le visage de la faute à travers les jurisprudences récentes

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