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E XISTENCE D ’ UN PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ

L A FAUTE : CONDITION ET FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ EN DROIT MÉDICAL MALGACHE

B. Manifestation jurisprudentielle de la faute dans les autres pays africains

58. D’emblée, il faut préciser que les jurisprudences étudiées présentent quelques

anomalies sur le plan procédural (la compétence juridictionnelle). Il est par exemple possible d’entrevoir une action en responsabilité contre une personne du droit public devant une juridiction judiciaire. Mais étant donné que l’étude se fixe à apprécier la notion de faute, les jurisprudences disponibles restent des outils précieux.

Rappelons les faits de l’espèce : M. Dje N’guessen souffrant d’une maladie mentale, a été conduit par son père à l’hôpital psychiatrique de Bingerville, Côte d’Ivoire où il a été admis le 17 novembre 1981. Le 30 novembre 1981, un automobiliste découvre son corps au PK 7, route Bingerville, Abidjan. En réalité, M. Dje N’guessen s’était évadé le 20 novembre 1981. Les parents introduisent une action contre l’hôpital psychiatrique de Bingerville, sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil aux fins d’obtenir réparation. Le tribunal de première instance d’Abidjan déboute les requérants au motif que les conditions d’application des articles invoqués ne sont pas réunies ; les requérants ne prouvent pas l’existence d’une faute de l’hôpital dans la réalisation du dommage qu’est le décès. Du côté de la victime et des ayants-droits, ces motifs sont certes déconcertants mais en matière de responsabilité civile qui fonde en l’occurrence l’action en justice, ils ont une assise juridique irréfragable : le défaut de la preuve d’une faute incombant à celui qui fait valoir le dommage en vue d’une réparation 389. En effet, il est de principe qu’il y ait

faute à l’origine du préjudice, d’où la théorie du lien de causalité. Elle pose la règle selon laquelle, le dommage tant matière délictuelle que contractuelle, doit être la suite directe de l’accident 390. Dans une perspective voisine, le Code de procédure

389 Telle est l’application du principe de la charge de la preuve en matière de responsabilité civile

délictuelle ou contractuelle, avec obligation de moyens. C’est dans ce sens qu’une personne déclenchant une action successivement contre X devant le tribunal de première instance, la cour d’appel et la Cour Suprême, en se croyant légitimement créancier, ne réussit pas faute de preuves suffisantes, S.RANDRIANAHINORO,op. cit, p. 133. Sur le principe de la charge de la preuve, voir :

J. L AUBERT, É. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, éd., Sirey

Université, 13e éd., 2010, n° 244.

pénale 391 dispose expressément que l’action civile en réparation du dommage causé

par une infraction est accordée à tous ceux qui en ont souffert directement.

Transposé dans le cas d’espèce, dire que le décès du patient hors du cadre hospitalier, présente un caractère direct, implique avant tout, d’établir une cause matérielle tenant aux agissements des agents hospitaliers à l’origine du dommage. À priori, aucun agissement de l’institution hospitalière n’est établi 392 pour expliquer le

décès hors du cadre hospitalier. En ce sens, les décisions des juges sont juridiquement fondées. Par contre, elles peuvent être rediscutées dans la mesure où l’arrêt présente une spécificité. En effet, avec l’affaire Dje N’guessen, on est en présence d’un cas de responsabilité en milieu psychiatrique. Cette donne ne peut que remettre en cause la décision d’irresponsabilité juridique de l’hôpital. Le droit français constitue ici, une référence juridique fiable. Il pose la règle selon laquelle, « En milieu

psychiatrique, l’obligation surveillance doit être renforcée » 393. La reconnaissance d’une

obligation de sécurité est liée au risque particulier que les patients atteints de maladie psychiatrique, peuvent faire courir à eux-mêmes ou à autrui. Dès lors, on attend de l’institution qu’elle réduise ce risque au maximum.

Vu sous cet angle, l’arrêt M. Dje N’guessen a permis d’extraire la notion de faute entendue comme « défaut de surveillance » du patient. En l’occurrence, les consorts, auraient pu soulever le défaut de surveillance lié à une faute d’organisation ou de fonctionnement du service public hospitalier 394. L’obligation de surveillance

s’impose tout au long de l’hospitalisation 395 et parfois même au-delà 396. Dès le

391 Article 2, al.1du Code de procédure pénale français et article 6 du Code de procédure pénale

malgache.

392 Par exemple établir, une preuve matérielle de maltraitance, d’empoisonnement…

393 Pour aller plus loin, voir : Y.H. LELEU, Droit médical. Aspects juridiques de la relation médecin-patient,

Larcier, 2005.

394 Dans un cas de patient atteint de maladie psychiatrique, le Conseil d’État a précisé que par

rapport à l’obligation d’un centre hospitalier au devoir de surveillance rigoureuse, la diligence requise et les recherches entreprises après constat de disparition, n’ont pas été fermes. Compte tenu du caractère spécialisé de l’établissement et de l’ensemble des faits (hospitalisation en placement libre d’un patient fragile), le défaut de surveillance est constitutif d’une faute dans l’organisation du service. Partant, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, CE, 20 mars 1981, n° 16. 976, inédit.

395 L’obligation de surveillance pèse sur le médecin psychiatre. Il a l’obligation de recommander à

l’établissement de santé, les mesures propres à éviter le suicide du patient, Cass. civ. 11 juin 1963.

moment où les patients présentent des signes d’agitation ou de déséquilibre 397,

l’obligation de surveillance est de principe.

Après le cas Dje N’guessen, un autre arrêt vient relever un autre aspect de la faute médicale : l’arrêt Julien Zunon Gnobo. En l’espèce, le Tribunal de première instance d’Abidjan a condamné l’hôpital public à verser à la victime la somme de 54 600 000 francs CFA au titre de dommages et intérêts, suite à une piqûre intra-fessière ayant entraînée la paralysie de celui-ci, causant de violentes douleurs lombaires. Confirmant le jugement du tribunal de première instance, la cour d’appel d’Abidjan, condamne l’institution à verser à la victime la somme de 63 000 000 de francs CFA.

Si humainement parlant, la décision est remarquable, juridiquement parlant, elle l’est moins car le contrat médical par essence n’impose qu’une obligation de moyens ; il incombe d’établir une faute à l’origine du dommage. L’absence de mentions relatives à la faute signifie qu’il y a en l’espèce présomption de faute. Autrement dit, le simple constat du dommage présume la responsabilité de l’établissement 398. Cette

présomption de responsabilité est permise par la jurisprudence sous réserve de critères stricts tenant à l’« extrême gravité » du dommage et du « caractère exceptionnel » de sa réalisation 399. Le critère de gravité justifie certainement en

l’espèce, la décision de la cour d’appel.

L’affaire Julien Zunon Gnobo relative à une paralysie suite à une vaccination, a le mérite d’introduire la présomption de faute en cas de réalisation exceptionnelle d’un préjudice particulièrement grave.

La responsabilité médicale pour faute caractérisée, est rendue effective par le mécanisme de réparation.

397 Si l’obligation de sécurité a été invoquée même au sein d’institution non psychiatrique, C.A.A.,

de Bordeaux 8 mars 1999 ; C.A.A. de Lyon 22 juin 1999, elle ne peut qu’être renforcée au sein d’une institution spécialisée.

398 Mme Dorsner-Dolivet parle de « faute déduite du dommage », in La responsabilité du médecin, préf.

F. DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Pratique du droit, éd. Économia, 2006, p. 133. En commettant un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 avril 1973 (Cass.civ 1ère 3 février 1969, Bull.civ. I,

n° 56) concernant une patiente paralysée suite à une anesthésie, l’auteur précise que la logique de la faute déduite du dommage, entérine l’appréciation de la faute à partir d’éléments abstraits et étrangers aux données concrètes. L’appréciation in abstracto conduit à une conclusion selon laquelle, « de façon générale, les accidents identiques à celui précisément survenu peuvent évités en prenant

certaines précautions […], que si l’accident s’était produit, c’était en raison de ce que les précautions n’avaient pas été prises ». La preuve de la faute dans ces cas ne résulte plus que d’une extrapolation, détachée

des réalités concrètes. De là à dire qu’elle résulte de la production du dommage qui normalement ne devait pas survenir, c’est se rapprocher de l’obligation de résultat.

CHAPITRE II.

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