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Tracas et procédures administratives

Le pouvoir et les architectes

I. La maîtrise d’ouvrage publique

I.2 Les étapes de la commande

I.2.1 Tracas et procédures administratives

I.2.1.1 De la levée de plan au cahier des charges

Créé en 1795, le « conseil d’examen des Bâtiments civils de la République », qui ne prend qu’en 1838 l’appellation de « conseil général », reçoit la tâche de contrôler la construction des bâtiments publics exécutés aux frais de l’État. « Toute commande publique, écrit Jean-Marie Pérouse de Montclos, doit être validée par un avis favorable du conseil. L’avis porte sur les programmes comme sur les projets. Des normes de présentation des projets sont éditées pour faciliter l’examen. Des inspecteurs sont chargés de vérifier que l’exécution est bien conforme au projet. Au fond, c’est le rôle qu’avait tenu l’Académie d’architecture, avec de la réglementation et de l’administration en plus117. » Composé pour bonne part d’anciens pensionnaires de l’Académie de France à Rome, de membres de l’Institut, d’architectes reconnus pour leur compétence, le conseil exerce son contrôle « en fait et en droit » sur tous les édifices et monuments publics « quels qu’ils soient et sous quelque administration centrale ou communale qu’ils soient placés »118. Le dépouillement analytique des procès-verbaux des séances, conservés aux Archives nationales, montre que seuls les départements et les grandes communes sollicitent l’avis du conseil : dans le Finistère, par exemple, les 26 projets étudiés entre 1811 et 1841 concernent Quimper (9), Morlaix (9), Quimperlé (4) et Brest (3). L’installation des préfectures, des sous-préfectures et des tribunaux occupe une large place ; les communes rurales sont sous-représentées, à l’exception de l’Ille-et-Vilaine, où des projets de mairies-halles sont en cours à Plélan-le-Grand (1836), à La Guerche-de-Bretagne (1837-1839) et à Hédé (1841)119.

117 J.-M. Pérouse de Montclos, Hôtels de ville de France, Paris, Dexia Éditions / Éditions de l’Imprimerie nationale, 2000, p. 126.

118 M. L. Cantelli, J. Guillerme, L'illusion monumentale. Paris, 1872-1936, Liège, P. Mardaga, 1991, p. 16. Voir également : C. Gourlier, C.-A. Questel, Notice historique sur le service des travaux et sur le conseil général des bâtiments civils depuis la création de ces services en l'an IV (1795) jusqu' à 1895, Paris, Imprimerie nationale, 1895.

119 Recherche effectuée à partir de la base numérique CONBAVIL, hébergée par l’Institut national d’histoire de l’art [http://www.inha.fr] (consulté le 30 août 2011).

Cela étant, il est difficile de dire si les communes, pour des ouvrages de peu d’importance, respectent ou non la réglementation imposée par le conseil général. En 1808, lorsque le maire d’Uzel expose à son conseil municipal le projet de mairie à construire à l’une des extrémités des halles, il ne présente qu’un plan et un devis120. Sous la monarchie de Juillet, la loi du 18 juillet 1837 stipule certes l’interdiction aux communes de s’engager dans des constructions nouvelles ou des reconstructions sans l’approbation du préfet, mais elle subordonne cette dernière à la production de « projets et devis », sans apporter plus de précision121. Rares étant les communes pouvant soumettre des projets dont le coût s’élève à plus de 30 000 francs, et dont l’approbation nécessite l’intervention du ministre compétent, il revient alors au préfet de prendre les mesures nécessaires pour uniformiser la procédure. En 1838, celui d’Ille-et-Vilaine fait adopter par le conseil local des Bâtiments civils qu’il vient de créer pour l’aider dans l’examen des projets communaux, un cahier des charges, applicables à chacune des parties, et calqué sur celui du Finistère122. Mais ce ne sont là que prolégomènes : le Morbihan et les Côtes-du-Nord n’ayant été dotés qu’en 1852 d’un conseil similaire, il est fort probable qu’aucun cahier des charges uniforme n’ait été en vigueur avant cette date.

En 1857, en préambule de son instruction sur les projets de construction des maisons d’école et des salles d’asiles, le préfet du Morbihan écrit que les projets qui lui sont transmis « laissent le plus souvent beaucoup à désirer, et exigent des renvois toujours fâcheux ; quelques-uns même ne supportent pas le plus faible examen »123.

L’effort de rationalisation administrative entrepris sous le Second Empire aboutit à une normalisation des pièces constituant du dossier d’architecture. En 1857, l’architecte Jacques Mellet (1844-1876) doit fournir à la commune de Mordelles pour son projet de mairie, justice de paix et école de garçons : un plan général, un plan de distribution, une élévation de la façade principale, une élévation de la façade sur le préau, une coupe en travers, une coupe des pignons est et ouest, trois feuilles de détails d’exécution, un devis estimatif des travaux, un devis descriptif et un sous-détail des

120 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 2/O/384/1, Uzel, mairie, justice de paix, 1808-1931.

121 Art. 45 de la loi du 18 juillet 1837.

122 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4/N/3, conseil local des Bâtiments civils, organisation, nomination des membres, extraits des délibérations, correspondance, convocations, 1838-1939 ; instructions, 1840-1910.

123 Arch. dép. du Morbihan, 1/O/92, travaux communaux, circulaires et instructions, 1849-1900, Instruction sur les projets de construction des maisons d’école et des salles d’asiles, Vannes, 13 mai 1857.

travaux, enfin, le cahier des charges prescrit par les marchés publics départementaux et municipaux124. De son côté, la commune doit être en mesure de fournir les extraits du registre des délibérations municipales relatif à l’adoption du projet tel que présenté par l’architecte, de produire les pièces comptables justifiant des ressources indispensables pour la construction et, le cas échéant, faire une demande de subventions. En outre, elle doit fournir les actes authentiques, les certificats administratifs et les procès-verbaux touchant à la vente ou à la concession de terrains, d’immeubles et de biens communaux.

Dans le cas d’expropriation ou de legs, la commune doit encore réunir les actes judiciaires. En cas de litige, notamment avec la fabrique, le préfet n’hésite pas à demander des rapports supplémentaires au sous-préfet et à l’autorité locale. Sous la Troisième République, avec le durcissement des normes scolaires, la soumission d’un projet de mairie-école fait l’objet de rapports préalables de l’inspecteur primaire, du comité de surveillance cantonal, du conseil départemental de l'enseignement primaire et des services d’hygiène départementaux. Mais, dès lors que la mairie est bâtie indépendamment de tout établissement scolaire, les démarches se simplifient ; à tout le moins, c’est le préfet qui reste l’interlocuteur privilégié des communes, et ce, jusqu’à une époque récente.

Si le préfet informe les maires des démarches à suivre, diligente les enquêtes, communique aux services intéressés les plans, approuve les devis, c’est lui qui transmet encore aux ministères les pièces du dossier nécessaires à l’attribution des subventions gouvernementales, qui répond à l’administration supérieure et qui s’assure du suivi des affaires. Véritable courroie de transmission, il rend compte aux maires des décisions prises par le conseil local des Bâtiments civils lorsque le projet ne dépasse par 30 000 francs, renvoie le dossier lorsqu’il est incomplet. C’est lui qui communique, à l’issue d’une procédure de plusieurs mois, l’ordonnance royale autorisant la commune à emprunter et à s’imposer extraordinairement, « au centime le franc de ses contributions foncière, personnelle et mobilière, jusqu’à la concurrence de la somme nécessaire a remboursement de cet emprunt »125. Sous la Troisième République, il transmet l’arrêté ministériel fixant la part contributive de l’État ou le décret présidentiel autorisant

124 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 2/O/197/16, Mordelles, mairie, justice de paix, 1843-1930.

125 Arch. dép. du Finistère, 2/O/1852, Saint-Pol-de-Léon, maison de police, mairie, 1817-1937.

l’expropriation. Dans les bureaux de la préfecture, les dossiers transitent ainsi entre les ministères, les organes délibérants et les mairies ; dans le processus de validation, « le chemin est long du projet à la chose ». Tout retard est vécu comme une vexation qui fait l’objet de plaintes126.

Dans les années cinquante, le rôle du préfet est considérablement réduit, avec la création du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (1944) qui contrôle et surveille directement la Reconstruction, par le biais notamment de ses délégués régionaux et départementaux. Dans les années soixante et soixante-dix, les compétences en matière d’urbanisme et d’équipement reconnues aux communes mettent à mal l’intromission constante de l’administration. Les lois de décentralisation du 2 mars 1982, du 7 janvier et du 22 juillet 1983, en supprimant la tutelle, mettent définitivement fin à ce système127. Désormais, le préfet n’intervient plus dans le processus de commande ; le président du conseil général et le maire en sont devenus les acteurs décisifs.

I.2.1.2 Les conditions du marché public

La mise en concurrence des marchés publics a déjà cours au XVIIIe siècle128 ; en Bretagne, l’administration royale tente de l’imposer au détriment de la procédure dite à l’économie, qui vise à soustraire au contrôle de l’intendant le contrôle et la surveillance des travaux129. Elle est généralisée par un décret du 21 avril 1791, puis inscrite au code

126 Voici, par exemple, la lettre qu’adresse le préfet du Finistère au sous-préfet de Brest : « Le 14 mai dernier, je vous ai écrit pour la huitième fois relativement au complément d’instruction de la demande de secours pour construction d’école formée par la commune de Ploudiry. Le dernier compte de cette affaire est cependant dans vos bureaux depuis le mois de mars dernier et M. le maire de Ploudiry se plaint vivement de la négligence apportée dans son instruction. » Arch. dép. du Finistère, 2/O/1241, Ploudiry, écoles, mairie, 1839-1930.

127 Loi du 2 mars 1982, titre 1, chap. 1, art. 2, suppression de la tutelle administrative : « Les délibérations, arrêtés et actes des autorités communales ainsi que les conventions qu’elles passent sont exécutoires de plein droit. » Titre 2, chap. 1, art. 23 : « Le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département. » Art. 25 : « Le président du conseil général est l’organe exécutif du département. […] Le président du conseil général gère le domaine du département. »

128 Dans le dictionnaire de l’Encyclopédie, il est précisé que « ces sortes d’adjudication sont utilisées pour les étapes, les fourrages, munitions et fournitures des troupes du roi, pour l’entreprise des travaux publics, et dans certains pays, pour l’entretien des mineurs dont on fait un bail au rabais ». D. Diderot, J. d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, nouv. éd., Genève, Pellet, 1777, t.

28, art. rabais, p. 186.

129 A. Levasseur, op. cit.

Napoléon. La loi du 28 pluviôse an VIII reconnaît la compétence particulière du préfet en matière de litiges opposant les entrepreneurs et l’administration. Ce n’est toutefois qu’avec l’ordonnance du 4 décembre 1834 qu’est définitivement posée la formule qui perdurera jusqu’au décret du 17 juillet 1964 : « Tous les marchés au nom de l’État seront fait avec concurrence et publicité130. » Cette disposition est étendue le 14 novembre 1837 aux communes et le 21 février 1845 aux départements, de sorte que, comme le souligne Jean-Luc Albert : « […] c’est sous la monarchie de Juillet qu’<ont été> posées les bases, pour l’essentiel harmonisées, de la commande publique en France131. » L’adjudication au rabais permet à l’administration publique (adjudicateur) de désigner un entrepreneur (adjudicataire) pour la réalisation de travaux, de fournitures et, plus tard, de services, sur la base du prix le moins élevé (au rabais). Le maître d’ouvrage fait connaître, en même temps que le devis descriptif, le prix de base auquel il estime que le travail peut être exécuté. Les entrepreneurs doivent ensuite se prononcer sur le rabais qu’ils consentent sur ce prix. Celui qui consent au plus fort rabais est déclaré adjudicataire.

Ultérieurement, des révisions de prix peuvent intervenir pour imprévision. Dans tous les cas, les difficultés qui peuvent s’élever sur les opérations préparatoires de l’adjudication sont résolues, séance tenante, par le maire et les deux conseillers assistants, à la majorité des voix, sauf le recours de droit.

Au départ, la procédure d’adjudication est calquée sur celle des ventes aux enchères publiques : les travaux communaux à adjuger sont portés à la connaissance des intéressés par voie d’affichage et par voie de presse, au moins six semaines avant la date fixée. Pendant cette période et le jour même de l’adjudication, les plans, devis et détails sont consultables soit à la salle des adjudications de la préfecture, soit à la mairie, parfois chez l’architecte. Les entrepreneurs souhaitant concourir doivent justifier de leur qualité et de leur solvabilité. Ils fournissent à cet effet un certificat dit de capacité, visé par l’architecte, et sur lequel figure les travaux exécutés, dirigés ou suivis ; un acte régulier ou une promesse de cautionnement, en valeur mobilière ou immobilière, représentant entre le vingtième et le trentième de l’estimation des travaux, suivant les départements. Le jour de l’adjudication, le maire est assisté de deux membres du conseil

130 Art. 1de l’ordonnance du 4 décembre 1836.

131 J.-L. Albert, « L’institution d’un droit moderne de la commande publique au XIXe siècle en France », in G.

Gabriel-Marion dir., Mélanges en hommages à Bernard Vonglis, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 63.

municipal, désignés d’avance par le conseil, ou, à défaut, appelés à l’ordre du bureau. Le receveur municipal est appelé à toutes les adjudications, ainsi que l’architecte. Jusqu’à la monarchie de Juillet a cours l’adjudication à la chandelle, qui consiste à faire enchérir les soumissionnaires tant que deux (ou trois) bougies sont allumées. L’adjudication cesse dès que les chandelles ont atteint leur terme. Cette méthode est progressivement remplacée par l’adjudication sur soumissions cachetées : chaque entrepreneur, après avoir pris connaissance du cahier des charges, fait une offre sous plis, qu’il dépose sur le bureau du maire en même temps que le certificat et le cautionnement ; les enveloppes sont ensuite ouvertes simultanément en présence des soumissionnaires. L’entrepreneur ayant fait le rabais le plus intéressant est déclaré adjudicataire. Les frais d’adjudication sont à la charge de l’entrepreneur, qui doit les régler aussitôt après leur liquidation132.

Dans le cas où aucun soumissionnaire ne consent à un rabais sur le prix fixé au devis, il est procédé à autant d’adjudications qu’il est reconnu nécessaire. Par la suite, l’article 18 de l’ordonnance du 21 novembre 1882 autorise les communes et les départements à passer des marchés de gré à gré lorsque la dépense totale des travaux n’excède pas 20 000 francs. Le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, le plus souvent celui ayant fait l’augmentation la moins élevée lors de l’adjudication, s’accordent sur un prix forfaitaire qui ne pourra pas faire l’objet d’une révision, sauf en cas de hausse imprévisible des prix. Le même mode opératoire s’applique lorsque l’administration doit faire exécuter les travaux en lieu et place des adjudicataires défaillants et « à leur risques et périls » ; c’est alors la mise en régie aux frais de l’entrepreneur. La résiliation du marché et la réadjudication dite sur folle enchère, n’entre en vigueur qu’en cas de fraude, de faillite et « dans tous les cas où l’entrepreneur, par négligence, incapacité ou mauvaise foi, ne remplirait pas les conditions de son marché et compromettrait les intérêts de l’administration »133. Il convient de remarquer que dans ce dernier cas, l’adjudication par lots, qui divise l’ouvrage à exécuter par secteurs d’intervention (terrassements, maçonnerie, plâtrerie, menuiserie, peinture, etc.) et qui s’impose dès le Second Empire, tend à écarter presque systématiquement la mise sous régie et la résiliation du contrat.

132 D’après les Clauses et conditions générales imposées aux entrepreneurs des bâtiments communaux et départementaux, Vannes, Imp. J.-M. Galles, 1857, 7 p. et les Clauses et conditions générales et cahier des charges applicables aux entreprises des travaux à exécuter pour le compte du département, des communes et des établissements publics d’Ille-et-Vilaine, Rennes, Imprimerie Oberthür et fils, 1867, 26 p.

133 Ibid.