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La rationalisation des installations administratives

Architecture et puissance

IV. De la Révolution à l’Empire

IV.2 Réformes et centralisation

IV.2.2 La rationalisation des installations administratives

En 1800, à leur arrivée dans les départements, la première tâche des préfets est de prendre possession de leur local. Or, l’affaire n’est pas mince : invariablement, ce sont dans les lieux peu commodes et mal entretenus qu’occupaient les anciens pouvoirs publics que les envoyés du nouveau régime doivent s’installer. Le 4 avril, lorsque le préfet du Finistère Charles Didelot vient prendre possession de ses appartements dans l’ancien hôpital Sainte-Catherine de Quimper, celui-ci est tellement encombré par les divers corps administratifs et judiciaires du département, qu’il doit se résoudre à louer son logement en ville (jusqu’en 1805)484. A Vannes, l’ancien palais épiscopal de la Motte, affecté à la préfecture, doit faire l’objet de promptes réparations, afin d’éviter « la ruine prochaine et totale de ce bâtiment »485. Reconstruit en 1654 par l’évêque Charles de Rosmadec, il n’a pas dû recevoir de travaux au moins depuis un demi-siècle. A Rennes, le préfet est confronté à l’objection de la cour d’Appel qui, dès sa réinstallation en l’an VIII, ne voit pas de bon augure le partage de l’ancien palais du Parlement avec les bureaux de la préfecture. Après avoir jeté son dévolu sur l’hôtel de Blossac, ancienne résidence des commandants en chef de Bretagne, le préfet s’installe finalement au premier étage de l’ancien hôtel de l’intendance, puis l’acquiert en entier en 1811 pour 100 000 francs486. En dépit de gros travaux d’appropriation s’élevant à plus de 25 000 francs, l’hôtel ne présente toujours pas les commodités d’usage en 1815487.

Le chef-lieu de la préfecture des Côtes-du-Nord fait exception, car le 10 avril 1804, le préfet prend la résolution de construire, dans les jardins de l’ancienne communauté des Cordeliers, un nouvel hôtel de préfecture. Le département se trouve dans la position inconfortable de louer à la ville les locaux qui lui sont nécessaires, alors

484 Arch. dép. du Finistère, 4/N/1, Quimper, ancienne préfecture, entretien, réparations, 1803-1878.

485 Arch. nat. F/13/217, Morbihan, lettre du ministre de l’Intérieur au conseiller d’État, directeur général des domaines, Paris, 3 décembre 1808.

486 J.-J. Rioult, L’hôtel de la préfecture à Rennes, Rennes, Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne, 2001, p. 12-13.

487 Le 8 avril 1815, Alexandre Méchin, nommé préfet d’Ille-et-Vilaine deux jours plus tôt, s’adresse ainsi au ministre de l’Intérieur : « A mon arrivée dans ce département, j’ai trouvé l’hôtel de préfecture dans un état de délabrement tel que plusieurs des appartemens qui le composent sont presque inhabitables et ne peuvent être occupés aujourd’hui sans y faire plusieurs réparations partielles qui sont une suite de l’état d’abandon où l’ancien propriétaire de cet hôtel l’avait laissé depuis nombre d’années […]. » Arch. nat. F/13/1719, Ille-et-Vilaine.

même que l’édifice est « resserré et incommode […] exposé à des accidents majeurs et souvent irrémédiables par la proximité d’un four public qui touche le pignon oriental »488. Entre cour et jardin, le nouvel hôtel de la préfecture reprend les dispositions de l’hôtel aristocratique du XVIIIe siècle. Manifestement, cette disposition traduit le retour à la personnalisation du pouvoir et de son exercice. L’Empire introduit une nouvelle image de l’État : « […] depuis longtemps les autorités n’avaient aucune représentation, écrit Antoine-Claire Thibaudeau. C’était un passage subit des formes simples et modestes de la République aux manières monarchiques. Les préfets rappelaient les intendants ; le nom seul était changé489. » Le coût exorbitant, estimé à 150 000 francs, lui fait abandonner le projet, car le département ne peut qu’en payer le tiers. Du reste, l’incendie de l’hôtel de ville, en 1805, à l’issue duquel un procès s’ouvre entre le département et la ville, résout la question. En effet, la ville, incapable de payer les dépenses de réparation, abandonne à son ancien locataire toute revendication sur l’édifice490.

Dans les chefs-lieux d’arrondissements, le logement des sous-préfets s’annonce encore plus difficile, d’autant qu’il est à leur charge. La loi du 28 pluviôse an VIII ne prévoit aucune mesure pour leur installation. Certes, à Vitré (prieuré Notre-Dame), à Quimperlé (couvent Sainte-Croix), à Saint-Malo (palais épiscopal), à Guingamp (ancien hôtel de Kermier) et à Fougères (ancien hôtel de la Bellinaye), les sous-préfets trouvent immédiatement à se loger, ou au moins leurs bureaux, même si les commodités font défaut. A Châteaulin, le sous-préfet prend possession seulement le 5 juin 1812 de la maison presbytérale qui a servi aux diverses administrations révolutionnaires depuis sa nationalisation en 1792. Encore en est-il chassé en novembre de la même année par l’incendie qui ravage le bâtiment et dans lequel il perd tous ses biens491. Conscient du problème que pose l’occupation des bâtiments nationaux par les diverses administrations qui, très souvent, se trouvent être dans l’impossibilité d’en payer le loyer à la Régie des domaines, le gouvernement décide par décret du 8 avril 1811 de les

488 Arch. nat. F/13/1698/B, Côtes-du-Nord, extrait du registre des délibérations du conseil général du département des Côtes-du-Nord, 21 germinal an XII.

489 Cité par A. Fierro, op. cit., p. 890.

490 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 4/N/2, acquisition de l’hôtel de ville de Saint-Brieuc, 1807 ; Les préfectures françaises, Paris, Association des amis des Archives de France, 1953, p. 77-79.

491 Arch. nat. F/13/1705/A, Finistère, 1ère partie, 1812-1818, lettre du préfet du Finistère au ministre de l’Intérieur, 28 novembre 1812.

céder gratuitement aux départements, aux arrondissements et aux communes. Ce sont donc, définitivement cette fois, les préfets et les sous-préfets dans les arrondissements nouvellement créés qui s’assureront du bon emploi des deniers publics.

Par ailleurs, les nouvelles autorités entendent remédier à la négligence dont les administrations révolutionnaires ont fait preuve à l’égard des archives publiques. Le dépôt du Parlement, à Rennes, ne présente à l’arrivée du premier préfet « que des amas de titres, les plus importants apportés de tous les points de la Bretagne pendant la guerre civile et jetés, éparses sans ordre dans de vastes chambres du palais du ci-devant parlement

»492. Dès son arrivée à la préfecture en 1802, Jean-Joseph Mounier invite le secrétaire général à prendre possession de quelques chambres dans le palais « pour donner plus de temps à la surveillance dont il est chargé et pour le mettre à portée de faire classer et inventorier tous les papiers que l’on avoit sauvés de la fureur du vandalisme et de la guerre civile »493. Dans les arrondissements, les sous-préfets montrent l’exemple : la première démarche qu’entreprend le sous-préfet de Ploërmel à son arrivée dans le chef-lieu en 1813, est de louer une chambre en ville pour y déposer les archives494. Seule, dans les Côtes-du-Nord, l’administration départementale fait appel en 1793 à Jacques Piou pour l’établissement des archives dans les mansardes de la maison commune de Saint-Brieuc.

En l’an IV, un nouveau dépôt est construit dans le fond de la cour495.

La question des archives met clairement en évidence l’état de détérioration des bâtiments. En particulier, les lieux de justice demandent des locaux spécifiques pour les pièces à conviction et les archives du greffe, ce qu’ils ne possèdent évidement pas, ou à des rares exceptions près. A Loudéac, dix ans de remontrances ont enfin raison des réticences du département qui accepte, en 1801, le transfert de ses locaux du vieil auditoire de justice à une propriété particulière, que le département loue pour 800

492 Arch. nat. F/13/217, cour d’Appel de Rennes, copie de la lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’Intérieur, 4 novembre 1807.

493 Ibid.

494 Arch. nat. F/13/1756, Morbihan, lettre du préfet du Morbihan au ministre de l’Intérieur, 17 octobre 1814.

495Arch. nat. F/13/1698/A, Côtes-du-Nord, mémoire de l’ingénieur Piou, op. cit., 13 septembre 1814.

francs par an, avant que ne soit projetée la construction d’un nouvel édifice496 (ill. 33).

Cependant, le choix d’une nouvelle affectation n’est pas toujours des plus pertinents. A Saint-Brieuc, le préfet Jean-Pierre Boullé, assisté de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Jacques Piou, préconisent l’installation de l’ensemble des cours de justice du département, c’est-à-dire les tribunaux criminels, civils, de commerce, et de police correctionnelle, leurs greffes et archives, dans l’ancienne maison conventuelle du Calvaire. Ce déplacement est reconnu nécessaire, bien qu’une partie du couvent soit déjà occupée par les magasins de poudre et d’artillerie de la manutention militaire497 (ill.

32) ! Malgré les tentatives rédhibitoires des préfets, la situation des tribunaux demeure à peu de chose près identique à celle du Directoire.

*

De l’état de siège à l’état de droit, le sort matériel des institutions évolue lentement. Les efforts entrepris dans l’amélioration des installations administratives, la rationalisation de la gestion des archives et des bibliothèques héritées de l’Ancien Régime, participent à démontrer la volonté forte du régime à s’imposer durablement.

Celle-ci s’inscrit à contre-courant d’une période d’instabilité, de désordre et d’un mépris latent pour les institutions. Puisque les communes ont démontré l’étendue de leurs limites dans la gestion efficace des bâtiments départementaux et nationaux, désormais les préfets administrent seuls les affaires relatives à l’installation des administrations de l’État. Pourtant, si leurs préoccupations se portent rapidement sur leur installation, celle des sous-préfets et des tribunaux reste en suspens. A bien des égards, cette négligence, maintenue par la Restauration, laisse les coudées franches à la future grande action de la monarchie de Juillet. Mais qu’importe ! La France, épuisée par dix ans d’antagonismes, réclame un César. Or, l’attribut fondamental de l’autorité et du pouvoir, c’est bien le prestige. L’affirmation de l’État comme autorité légitime, en opposition avec les anciennes légitimités coutumières ou religieuses, s’exprime à nouveau par une politique

496 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 4/N/40, palais de justice de Loudéac, an VIII-1940, bail entre Joseph-François Hillion, sous-préfet de l’arrondissement de Loudéac, et le citoyen Brélivet, 1er thermidor an IX.

497Ibid., procès-verbal d’installation, 16 ventôse an IX. Le comte de Roscoät rapportera plus tard dans ses souvenirs les « transes » du président du tribunal de Saint-Brieuc lorsque celui-ci rendait la justice les jours d’orage, « à cause du voisinage de la poudrière ». Roscoät (de, comte), Souvenirs, silhouettes et anecdotes, Saint-Brieuc, Impr.-lib. Prud’homme, 1926, p. 57.

de grands travaux. C’est ainsi que l’un des plus importants projets d’architecture et d’urbanisme de l’époque sort de terre, par la seule volonté de Bonaparte, devenu le 2 décembre 1804, Napoléon 1er. Nulle part en Bretagne la subordination de l’architecture au pouvoir impérial n’est plus évidente. Napoléonville devient, pour un court laps de temps, le théâtre d’application de l’idéologie néo-classique à son apogée498.