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L’insuffisance des ressources

Architecture et puissance

III. Généralité et pays d’États

III.2 La condition ingrate des communautés de ville

III.2.2 L’insuffisance des ressources

L’une des causes principales de la difficulté des communautés de ville à entretenir un local approprié, ou à le construire, provient de l’anémie de leurs revenus patrimoniaux. Des droits d’octroi, portant surtout sur les boissons, les municipalités tirent leur principale recette : « L’augmentation de leur produit, écrit Maurice Bernard, permet d’entreprendre de grands travaux et de clore l’année budgétaire avec une encaisse importante […]. Au contraire, si les octrois produisent peu, la municipalité voit sa caisse mal pourvue, peut à grand’peine supporter les dépenses courantes, et n’a plus rien au bout de l’année396. » De fait, leur inconvénient majeur est la variabilité des revenus. Ainsi à Brest, entre 1757 et 1788, le produit des anciens et nouveaux octrois varie de 10 400 livres à 31 300 livres, avec des périodes de très faibles revenus (1771-1780)397. De plus, les fraudes constantes ne garantissent pas la régularité des encaisses. Les dépenses ne laissent donc souvent qu’un solde positif très faible : « Vers 1770 la moitié des quelques quarante villes bretonnes […] ont un excédent ordinaire inférieur à 2 000 livres, le prix, à l’époque, d’une ou deux barques sardinières ; il ne dépasse en moyenne 20 000 livres qu’à Nantes, Brest, Saint-Malo, Rennes, Morlaix et Lorient398. » Par ailleurs, les charges qui pèsent sur l’équilibre budgétaire des villes étant très lourdes, elles expliquent pour bonne part l’absence ou la médiocrité des lieux de réunion.

Si les revenus traditionnels de la ville ne permettent pas de couvrir les dépenses de construction, tout au plus parviennent-elles à faire quelque réparation urgente. Mais l’ingéniosité du corps de ville à percevoir de nouvelles et régulières sources de revenus se heurte invariablement à l’approbation de l’intendant, celui-ci ayant toute latitude

395 A. Chandernagor, op. cit., p. 12.

396 M. Bernard, op. cit., p. 190.

397 Ibid., tableau des recettes des octrois (1757-1788), p. 216.

398 J. Quéniart, La Bretagne au XVIIIe siècle (1675-1789), Rennes, Ouest-France, 2004, p. 428.

pour décider du bien-fondé de la requête. A Saint-Brieuc, la communauté de ville demande en 1608 l’établissement d’un nouveau droit d’octroi « pour bâtir un collège, une maison commune, un auditoire, une maison de santé, pour accroître les églises, l’hôpital de la Madeleine… et acquitter les dettes » qui s’élèvent en 1605 à 31 010,11 livres, et pour lesquelles la ville perçoit déjà des droits sur le vin, le cidre et la bière399. Au contraire, à Auray, la période 1740-1780 correspond à une réelle amélioration dans la perception des revenus. Déjà, en 1722, la ville a obtenu un supplément d’octroi de 2 000 livres et en 1739, l’extension du champ de la perception jusqu’à Saint-Julien et au Budo produit une augmentation, les revenus passant de 3 300 livres en 1735 à 6 600 livres en 1742. Dans les années 1770, le produit de l’octroi se stabilise autour de 10 000 livres et c’est précisément à ce moment que le second projet d’hôtel de ville est mené à son terme400. A Rennes cependant, le produit de l’octroi ne peut suffire à couvrir la dépense du nouvel hôtel de ville401. Celle-ci est d’abord estimée à 242 000 livres, puis finalement à 373 906 livres402. Or, en 1720, les versements du fermier des octrois ne s’élèvent qu’à 102 260 livres par an ; en 1722, ils sont à 86 000 livres et en 1730 ils atteignent difficilement les 100 000 livres.

L’alternative qui s’offre alors aux communautés est celle de l’emprunt. En 1761, la communauté de ville de Quintin, qui a décidé en 1757 la démolition de son ancien hôtel de ville, contracte auprès de Félix Mazurié de Penvern un emprunt de 10 000 livres pour sa reconstruction sur la « seconde place du Martray »403. Mais cette solution a ses limites. En 1778, la ville de Guingamp présente un budget de 11 026,11 livres, dont 8 746,17 livres sont consacrés à l’entretien courant, non-compris les pavés des cinq banlieues, les ponts, la maison du collège, le corps de garde de Paimpol à l’assemblée des gardes-côtes et celui de la ville, « de manière que les dépenses d’entretien de chaque année

399 J. Lamare, op. cit., p. 100.

400 S. Le Goff, Chroniques du pays d’Auray, la communauté de ville d’Auray au XVIIIe siècle, Auray, Société d’histoire et d’archéologie du pays d’Auray, 2001, p. 19-24.

401 Le plan de Jacques V Gabriel prévoit un nouveau logement pour la municipalité, bien que la maison occupée par la ville n’ait pas été détruite par l’incendie. Cette maison, acquise par la ville en 1482 pour servir de maison d’écoles, puis de maison commune à partir de 1547, se situait « entre la porte Mordelaise et le pavé qui va à la place Saint-Pierre et la chapelle Notre-Dame de la cité, et venant à huit pieds de la chapelle Saint-Martin ». J.-B. Ogée, op. cit., article Rennes, § 8, « Propriétés municipales », t. 2, p. 543-545.

402 La partie du présidial, qui coûta 162 798 livres, fut financée par le roi (arrêt du Conseil du 23 mai 1730). Ibid. ; C. Nières, op. cit., 1972, p. 255 et suiv.

403 H. Le Noir de Tournemine, op. cit., p. 46.

excèdent les rendus de la ville après ses charges payées »404. De fait, Guingamp est, selon François Dobet, « la ville la plus endettée de Bretagne »405. A titre de comparaison, le budget de Saint-Brieuc pour 1784 enregistre 15 769 livres de recettes (15 500 livres d’octrois et 269 livres de biens patrimoniaux), pour un ensemble de dépenses de l’ordre de 13 104 livres. L’emprunt, attendu la fragilité générale de l’économie du royaume sous le règne de Louis XV et de l’aléatoire mode de perception d’un minima substantiel pour les municipalités, représente donc un risque fondé pour les édiles désireux d’élever un lieu de réunion. Rares sont ceux qui, comme le maire de Lorient, font éditer des actions de 3 000 livres pour financer les 60 000 livres nécessaires à la construction de la salle de la Comédie406.

En somme, la situation financière des villes de Bretagne n’offre guère les conditions favorables à la construction publique. Associée à un climat économique difficile et à la pression du Trésor royal407, cette détresse presque générale des finances municipales décourage bien des bonnes volontés. En 1781, les échevins brestois renoncent ainsi à solder les 150 000 livres nécessaires à la construction du projet grandiose d’un hôtel de ville, d’un auditoire et d’une prison sur le Champ-de-Bataille408. Les communautés de villes les plus peuplées de la province ne sont pourtant pas les plus à plaindre. Dans celles plus modestes, les assemblées occupent des bâtiments bien antérieurs au siècle des Lumières et conservés dans un état relatif de salubrité. Cet état dépend, somme toute, du peu de ressources que les communautés sont en mesure d’octroyer à ces rubriques budgétaires, aisément reportées, rarement aidées par le pouvoir central.

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404 Cité par H. Le Goff, op. cit., p. 483-484.

405 Ibid.

406 Selon le journal de Desjobert, la construction aurait finalement coûté 200 000 livres ; le prince de Guéméné paiera 100 000 livres de plus pour aider à la décoration de la salle. J.-L. Debauve, op. cit., p. 30.

407 M. Planiol, Histoire des institutions de la Bretagne, Mayenne, Association pour la publication du manuscrit de M. Planiol, 1984, t. 5, p. 188.

408 M. Bernard, op. cit., p. 238.

Le mode de gestion archaïque des bâtiments d’origine souvent diverse, abritant les institutions royales, provinciales et communales, ne permet pas d’entreprendre au XVIIIe siècle une véritable politique d’équipement, alors même que le besoin s’en fait sentir. A y regarder de près, l’ensemble du système repose presqu’intégralement sur la capacité des communautés de ville à répondre aux sollicitations du pouvoir. Outre la répartition de la capitation, dont elles ont la charge pour le Tiers, le paiement du vingtième et le logement des gens de guerre, le corps de ville doit pourvoir à l’entretien des édifices publics de la cité, ainsi que des ponts, portes, pavés et murailles409. C’est aux communautés de ville que revient également l’installation matérielle des institutions administratives et judiciaires de la généralité. A partir de 1773, elles sont encore chargées de la tenue des auditoires et des prisons royales410. Lorsque viendra le temps de l’inventaire des biens nationaux, les anciennes communautés de ville ne manqueront de faire valoir leurs droits sur des établissements auxquels, finalement, elles avaient largement concouru : « […] le règne des abus et des dépenses de luxe n’est plus ; il suffit de les faire connaître pour en obtenir l’extinction ; il est plus que tems d’alléger le fardeau dont l’État étoit accablé ; il est tems d’avoir égard à ses sacrifices411. »

Pour l’heure, l’enchevêtrement des services et des charges, « la même personne pouv<ant> très bien être appelée à remplir des fonctions religieuses, administratives, financières, politiques ou judiciaires »412, ne facilite pas la tâche des communautés. Les dépenses somptuaires d’ameublement, les frais de logements accordés à titre gratuits aux fonctionnaires, les travaux de restauration ou d’agrandissement des « monuments dont le luxe insulte à la misère du peuple » participent à réduire d’autant les crédits que nécessite l’entretien régulier des lieux de justice, des bureaux et des administrations civiles. C’est, finalement, l’image même du pouvoir royal dans la province qui s’affaiblit.

409 Sur le sujet, voir : A. Follain éd., L’Argent des villages, comptabilités paroissiales et communales. Fiscalités locale du XIIIe au XVIIIe siècles, actes du colloque d’Angers, 30-31 octobre 1998, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000 ; A. Soulabaille, « Les principaux champs d’action de la communauté de ville de Guingamp aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 76, 1998, p. 173-195.

410 C. Nières, op. cit., 2004, p. 233.

411 Arch. dép. du Finistère, 11/L/28, bâtiments des administrations de districts, 1790-an III, Observations, sur l’interprétation donnée par le département de la Marine au décret du 12 mars 1791 concernant les bâtiments civils de la Marine, département du Finistère, district et municipalité de Brest, 4 février 1792.

412 A. Le Moyne de la Borderie, op. cit., t. 5, p. 578.