• Aucun résultat trouvé

Architecture et puissance

V. Libertés et devoirs

V.2 La place ambiguë du local municipal

V.2.1 Dépendance et servitude

Parmi les nouveautés introduites par la loi du 18 juillet 1837, l’article 30 inscrit au registre des dépenses obligatoires l’entretien d’un hôtel de ville ou du logement affecté à la mairie. En outre, les frais de bureau et d’impression, de recensement, des registres de l’état civil et des tables décennales, l’abonnement au Bulletin des lois rentrent dans le cadre des dépenses obligatoires. Les frais de loyer et de réparation du local de la justice de paix, ainsi que ceux d’achat et d’entretien de son mobilier incombent spécialement aux communes chefs-lieux de canton567. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : en inscrivant au registre des dépenses obligatoires l’entretien d’une mairie lorsque son utilité est reconnue, l’État ne fait que clarifier une situation qui mettait autrefois à la charge du conseil municipal et du bon-vouloir du maire le vote de crédits extraordinaires pour la tenue d’un local spécifique. L’équipement municipal garde donc un caractère purement facultatif. Dès lors, cette mesure n’a qu’une portée limitée, puisqu’elle s’adresse aux municipalités qui en possèdent effectivement un.

Lorsqu’elles n’en possèdent pas, ce qui est le cas de la grande majorité des communes rurales, la question ne se pose pas.

La véritable innovation de la loi est de placer l’entretien d’un local municipal au même niveau que celui des propriétés communales, autrement dit des églises, des presbytères, des écoles et des cimetières. Sans pour autant lui donner une législation

567 L’art. 30 de la loi du 18 juillet 1837 sur l’organisation municipale stipule que « sont obligatoires les dépenses suivantes : 1° l’entretien, s’il y a lieu, de l’hôtel de ville ou du local affecté à la mairie. » Bulletin des lois du royaume de France, IXe série, 2nd semestre 1837, t. 15, n° 521, p. 137.

propre comme pour les autres bâtiments dont l’entretien incombe aux municipalités, la mairie est désormais assimilée à la notion d’ « établissement communal »568. C’est d’ailleurs d’après cette évolution qu’il faut apprécier les limites d’une telle loi et considérer en partie l’échec de la monarchie de Juillet. Car, si les faibles ressources communales ne permettent pas d’engager de vastes opérations de construction d’écoles, il ne pourrait en être autrement des mairies. Certes, les élus et les architectes, conscients de l’intérêt économique et fonctionnel à réunir les deux services, participent activement à répandre le modèle de la maison commune569. Sa dénomination tend même à faire en sorte que la mairie, le logement de l’instituteur et l’école ne fasse qu’un : le terme de

« maison d’école » ne fait son apparition que bien plus tard. Toutefois, le contexte breton est loin d’être favorable aux nouvelles lois scolaires, et à ce titre, l’administration municipale souffre comme l’école d’un conflit latent.

L’opposition carliste bretonne du début de la monarchie de Juillet et l’attitude franchement hostile du clergé et des congrégations enseignantes posent sérieusement problème à la « cohabitation » entre les établissements. Le nouveau maire de Gennes est loin de s’attendre à pareille situation dans sa commune lorsqu’il accepte sa charge lors du renouvellement de 1830. Appuyé de son conseil « entièrement composé de patriotes remplis des meilleures intentions », il doit affronter la ligue des anciens détenteurs de l’autorité : le vicaire et son acolyte, le receveur de l’école fondée dans les années 1820 par les Frères de l’Instruction Chrétienne refusent obstinément d’ouvrir au maire les registres de comptes. Or, des soupçons de fraude et de détournement de fonds pèsent sur l’institution. L’ancien maire et son neveu, secrétaire de mairie et percepteur de la commune, trempent quotidiennement dans des histoires de malversations et de signature de faux, usant de leur autorité pour attribuer le fermage des communaux à leurs obligés. Enfin, les bénéfices du bureau de bienfaisance semblent tomber subrepticement dans l’escarcelle du curé de la paroisse, avec le concours d’un parent qui n’est autre que l’ancien secrétaire et percepteur. Face à un parti « si puissant » et

568 Ibid., art. 9, p. 131.

569 Louis-Henri Parias dit ainsi : « En fait, la fonction administrative est presque inhérente à la fonction d’instituteur, dans les communes rurales, et le reste longtemps […] secrétaires de mairie, mais aussi écrivains publics et, quand les écoles normales auront développé l’enseignement des notions d’agronomie, conseillers agricoles. Au vrai, beaucoup de maîtres sont d’origine rurale et ne dédaignent pas de mettre la main à la pâte au moment des grands travaux des champs. » L.-H. Parias dir., op. cit., p. 412-414.

disposant de « tant de moyens d’influence secrets », la jeune administration envers laquelle le régime s’est étendu en promesses s’avoue incapable de réformer

« ouvertement tant d’abus sans s’exposer à toutes les tracasseries inimaginables et peut-être même sans exposer sa sureté personnelle »570.

Au surplus, les maires ruraux, en dépit de leurs bonnes intentions, éprouvent à grand-peine les circuits de la commande publique. En témoignent les irrégularités de formes et autres tracas dans lesquels s’empêtrent ces hommes peu au fait d’une culture administrative hiérarchisée, et dans laquelle ils ne sont, tout au plus, que les subordonnés de la préfecture. En 1847, le maire de la Chapelle-Erbrée fait ainsi l’amère expérience de n’avoir pas respecté la voie hiérarchique pour faire aboutir son projet de mairie-école : « N’ayant encore aucune connaissance en administration, j’ignorais que votre approbation fût nécessaire, et j’étais d’autant plus fondé a persister dans mon erreur que M. le sous-préfet d’Aligny qui est venu plusieurs fois inspecter les travaux et sur l’aval duquel plusieurs modifications ont été faites au plan ne m’en a jamais parlé571. » Cela dit, la lenteur du processus d’approbation et les désordres de l’administration préfectorale ne sont pas non plus sans attiser le mécontentement. En juin 1844, le préfet du Finistère s’adresse ainsi au sous-préfet de Brest : « Le 14 mai dernier, je vous ai écrit pour la huitième fois relativement au complément d’instruction de la demande de secours pour construction d’école formée par la commune de Ploudiry. Le dernier compte de cette affaire est cependant dans vos bureaux depuis le mois de mars dernier et M. le maire de Ploudiry se plaint vivement de la négligence apportée dans son instruction572. » En 1846, le comité de surveillance de l’Instruction primaire de l’arrondissement de Lorient n’hésite pas à interpeller la préfecture sur le retard apporté au versement des subventions prévues :

« Il importe à l’encouragement des communes qui restent encore privées d’école que les secours promis à celles qui les ont devancées soient complètement effectués573. »

570 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 2/O/120/11, Gennes-sur-Seiche, mairie, 1867, lettre du maire de Gennes au sous-préfet de Vitré, s.d. (ap. 1833).

571 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 2/O/62/14, La Chapelle-Erbrée, écoles, 1845-1939, lettre du maire au préfet d’Ille-et-Vilaine, 27 novembre 1847.

572 Arch. dép. du Finistère, 2/O/1241, Ploudiry, mairie-écoles, 1839-1930, lettre du préfet du Finistère au sous-préfet de Brest, 29 juin 1844.

573 Arch. dép. du Morbihan, 2/O/166/10, Plouay, mairie-école, 1839-1890, délibération du comité de surveillance de l’Instruction primaire de l’arrondissement de Lorient, 29 mai 1946.

Enfin, contrairement aux autres bâtiments communaux qui donnent droit à des subventions de l’État et du département, il n’existe pas de crédit spécifique destiné à encourager la construction de mairies. En 1838, le préfet d’Ille-et-Vilaine résume ainsi clairement la situation au maire de Mordelles : « Le budget de l’État et celui du département ne contiennent aucun crédit spécial pour aider les communes dans la construction ou l’acquisition d’une maison commune. Lorsqu’une commune construit une maison d’école, on réserve dans le bâtiment quelques pièces destinées au service de la mairie et aux séances du conseil municipal. L’État ou le département vient au secours de la commune et les subventions sont accordées à titre d’encouragement pour l’exécution de ces travaux. S’il s’agit dans l’espèce, d’une construction d’une maison d’école et d’une mairie, les secours vous seront assurés ; mais au préalable la commune devra prouver des efforts qui seront faits pour réaliser quelques ressources574. » Naturellement, ces conditions imposent d’elles-mêmes l’association de la mairie et de l’école. Le local municipal n’y a qu’un rôle purement accessoire.

Créer un tel équipement reste donc largement en dehors de la portée de la multitude des petites communes qui composent l’essentiel du paysage breton. On a plus souvent approprié des bâtiments existants qu’engagé la construction d’immeubles neufs.

En 1833, le maire de Pacé explique au préfet que l’acquisition d’une maison coûterait moins à la commune que d’en bâtir une sur un terrain qu’il faudrait acheter575. On reconnaît volontiers dans les réticences de ces maires de campagne un trait caractéristique de la mentalité paysanne, « durs à la tâches, économes, attachés passionnément à leur bien », pour lesquels la terre constitue le fondement de toute notoriété, plutôt que le bâtiment, public de surcroît576. Le local municipal, lorsqu’il existe, constitue donc une exception majeure et reste cantonné à la sphère des villes. Son association avec l’équipement scolaire ne fait que renforcer cette tendance : la courbe des constructions municipales épouse celle du niveau d’instruction. Il reste encore à

574 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 2//197/33, Mordelles, maison d’école, justice de paix et mairie, 1838-1896, lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au maire de Mordelles, 15 juin 1838.

575 Le maire rapporte au préfet d’Ille-et-Vilaine : « Il existe dans le bourg de Pacé une maison appartenant aux demoiselles Lemure occupée par un fermier […]. L’acquisition de ce local couteroit moins à la commune que d’en bâtir une sur un terrain qu’il faudroit acheter. La commune n’en possédant pas et encore seroit-on obligé de se servir de la loi pour l’obtenir, attendu que l’on ne propose pas de vendre […]. » Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 2/O/211/24, Pacé, mairie et maison d’école, 1833-1920.

576 R. Souriac, P. Cabanel, op. cit., p. 148.

dissocier la mairie de l’école et à replacer l’aménagement du local municipal selon que les typologies adoptées l’ont privilégié ou, au contraire, l’ont simplement traité comme un appendice mineur.