• Aucun résultat trouvé

Reconnaissance et compétences départementales

Architecture et puissance

V. Libertés et devoirs

V.1 Architecture et argent public

V.1.1 Reconnaissance et compétences départementales

La pose de la première pierre du nouvel hôtel de ville de Quimper le 24 juin 1829 marque, avec un peu d’avance, l’embellie générale qui gagne peu à peu la Bretagne (pl.

2). Ironie de l’Histoire, les édiles qui sont destituées un an plus tard se targuent alors que « […] d’utiles, d’immenses travaux ont été exécutés sur tous les points du royaume, nos cités se décorent de monuments publics, les sciences étendent leur domaine, les arts enfantent des prodiges […] C’est ainsi, qu’après nous avoir recueillis au bord de l’abyme, la légitimité nous a replacés à la tête de la civilisation, a marqué, de nouveau, notre rang parmi les nations fortes et puissantes »530. L’affaire est rondement menée par la municipalité qui emprunte, en 1828, pour 90 000 francs d’emprunt sur les revenus

528 J. Bouvier, cité par A. Beltran, P. Griset, La croissance économique de la France, 1815-1914, Paris, A.

Colin, 1994 (1988), p. 7.

529 Cité par J.-J. Monnier, J.-C. Cassard dir., Toute l’histoire de Bretagne. Des origines à la fin du XXe siècle, Morlaix, Skol Vreizh, 2003, p. 445.

530 Arch. dép. du Finistère, 2/O/1615, Quimper, hôtel de ville, 1827-1906, allocution du comte César-Elzéar de Castellane, préfet du Finistère, lors de la cérémonie de pose de la première pierre de l’hôtel de ville de Quimper, le 24 juin 1829.

communaux531. Les travaux ont été confiés à un architecte parisien, quimpérois de naissance, François-Marie Lemarié. En fait, la ville n’a eu qu’à se tourner vers cet architecte qui a été choisi un peu plus tôt par le conseil général du Finistère pour la construction du nouveau palais de justice. Situé à la sortie de la ville, le long des quais de l’Odet, le chantier s’est ouvert la même année (annexe 2).

Le démarrage quasi-simultané de deux chantiers à Quimper fait écho à la soudaine activité qui anime les autorités départementales. Quelques années plus tôt, les travaux de reconstruction du tribunal de Châteaulin (annexe 2) se sont achevés sous la direction de l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, Jean-Marie de Silguy (1785-1864)532. Dans les départements voisins, les vastes campagnes de reconstruction des édifices civils, au premier rang desquels figurent les palais de justice, coïncident avec le changement de régime et l’entrée en fonction des premiers architectes départementaux : en 1829, Louis Lorin (1781-1846) est chargé de la reconstruction de la préfecture des Côtes-du-Nordà Saint-Brieuc533 (annexe 2 ; ill. 57-58), tandis que s’achève en 1833 le chantier du tribunal de Dinan (annexe 1) dirigé par l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées Pierre Méquin (1833 av.-1852 ap.)534. En Ille-et-Vilaine, Louis Richelot (1786-1855) succède en 1827 à Maximilien Godefroy (1765-1841) sur le chantier du tribunal de Montfort535 (annexe 14), alors que s’annonce déjà la reconstruction de celui de Saint-Malo536 (annexe 1). Enfin, dans le Morbihan, on achève pour 1834 la sous-préfecture de Pontivy537 (annexe 1).

531 Arch. dép. du Finistère, 2/O/1615, Quimper, hôtel de ville, 1827-1906.

532 Celui-là même qui, en 1864, lèguera à la ville de Quimper son importante collection de peintures, de dessins et de gravures, formant ainsi le premier fonds du musée des Beaux-Arts de Quimper. N. Rannou, Joseph Bigot (1807-1894). Architecte et restaurateur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes / Archives modernes d’architecture de Bretagne, 2006, p. 224.

533 Les travaux dureront jusqu’à sa mort, en 1846. La préfecture des Côtes-d’Armor, Saint-Brieuc, Préfecture des Côtes-d’Armor, 2006, p. 22-24.

534 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 4/N/37, palais de justice de Dinan, an VIII-1932.

535 Il sera achevé en 1835. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4/N/33, tribunal de Montfort, an VIII-1834.

536 En 1833, l’architecte municipal Pierre Hamon avait dressé les plans du nouvel édifice, mais désavoué par le conseil général des Bâtiments civils, le projet est confié en 1835 à l’architecte départemental ; le tribunal ne sera achevé qu’en 1841. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4/N/37, tribunal de Saint-Malo, an VIII-1837 et 4/N/38, tribunal de Saint-Malo, 1838-1936.

537 F. Guilbaud, « Bâtiments départementaux et urbanisme d’État : Napoléonville », in V. Miguet dir., Le département bâtisseur, 200 ans d’architecture, Vannes, Archives départementales du Morbihan, 1995, p.

149-153.

Si la monarchie de Juillet entend rendre à la justice française une place éminente dans le système social, elle n’en demeure pas moins liée au serment des Trois glorieuses.

Malgré les purges effectuées dans tous les grands corps d’État538 et le renouvellement des cadres administratifs539, elle n’intervient pas sur la rénovation proprement dite de l’appareil judiciaire. Au demeurant, le gouvernement ne peut se substituer aux départements sans remettre en cause une compétence qui leur a été reconnue depuis l’Empire. De surcroît, en adoptant le principe d’élection des conseillers généraux le 22 juin 1833 et en accordant une personnalité morale au département le 10 mai 1838, l’État stimule l’intervention des notables dans la gestion du budget. Le préfet garde l’exécutif en matière de travaux et s’assure du respect des règlements, en particulier des adjudications passées au nom du département. Progressivement, on assiste à un effort de rationalisation du parc immobilier, qui se traduit par un interventionnisme récurrent des conseillers généraux dans l’obtention de crédits supplémentaires de l’État, et dans une meilleure appréciation des besoins. Il arrive également que l’adoption du budget départemental annuel soit l’objet de contestation lorsqu’il implique d’affecter des crédits à une nouvelle construction. Le conseil général des Côtes-du-Nord met tout de même trente ans à adopter le transfert de principe du tribunal de Lannion dans une construction neuve540 !

Les causes de ces atermoiements sont multiples : d’abord, le département a en charge l’ensemble des propriétés départementales et ne peut satisfaire les demandes que par ordre de priorité. En 1837, celui d’Ille-et-Vilaine possède 28 propriétés affectées à un service départemental : hôtels de préfecture et de sous-préfectures, cours de justice, maison centrale de détention, maisons d’arrêt et de dépôt, gendarmeries. Il en loue également deux autres, à Rennes, pour l’école normale et la ferme d’agronomie, sans compter les casernes de gendarmerie réparties à travers le département. A Redon et à Saint-Malo, les locaux sont concédés gratuitement. Ensuite, les fonds dégagés par l’administration sont loin d’être suffisants. En 1841, l’entretien des propriétés départementales ne s’élève pas à 10 000 francs et le montant annuel moyen pour chaque

538 E. Beau de Lemoine, Les responsabilités des dynasties bourgeoises, t. 1. De Bonaparte à Mac-Mahon, Paris, Éditions Denoël, 1943, p. 109.

539 J. Foyer, Histoire de la Justice, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 79-80.

540 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 4/N/39, palais de justice de Lannion, an VIII-1939.

propriété dépasse rarement les 300 francs541. Des réparations sont parfois ajoutées, rarement pour un montant dépassant celui de l’entretien. De plus, le gouvernement n’octroie que des aides substantielles aux départements qui en font la demande, se rapportant en l’état au décret du 9 avril 1811 qui concède à ces derniers la pleine propriété et l’entretien des édifices civils attribués à l’administration542. Si l’État se veut incitateur, l’essentiel des charges repose à nouveau sur les conseils généraux. Dans les Côtes-du-Nord, entre 1832 et 1847, l’achèvement du tribunal de Guingamp et la construction de ceux de Dinan et de Loudéac représentent une charge globale de 150 203,60 francs543. L’unique solution qui s’offre à l’administration est d’emprunter, ce qui nécessite le vote du Parlement, puis de pourvoir à une imposition spéciale sur les contributions, ce qui n’est pas peu s’en faut, le meilleur des arguments électoraux.

D’un autre côté, il convient de tenir compte des pressions exercées par les magistrats sur les conseillers généraux lors du vote de constructions neuves. Régime bourgeois, la monarchie de Juillet a rendu la magistrature accessible à une pléthore de notables orléanistes qui, à la différence des légitimistes dont la fidélité aux Bourbons constitue la condition de la paix en France, ne portent qu’une relative indifférence à Louis-Philippe. Ils s’illustrent plutôt comme les partisans des institutions et de l’ordre544. Le siècle assiste à la création d’une classe sociale, celle des gens de justice qu’Honoré Daumier a parfaitement saisis dans ses caricatures, croquant sur le vif la métamorphose du bourgeois en avocat et la complicité d’une corporation prête à troquer son jeu d’un

541 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4/N/1, bâtiments publics dans le département, répartition entre l’État et le département, instructions générales, loyers, enquêtes, tableau général des propriétés, inventaires, an IX-1927.

542 L’art. 1er stipule : « Nous concédons gratuitement aux départements, arrondissements et communes la pleine propriété des édifices et bâtiments nationaux actuellement occupés pour le service de l’administration, des cours et tribunaux et de l’instruction publique ». L’art. 3 ajoute : « Cette concession est faite à la charge, par lesdits départements, arrondissements et communes, chacun en ce qui les concerne, d’acquitter à l’avenir la contribution foncière, et de supporter aussi à l’avenir les grosses et menues réparations, suivant les règles et dans les proportions établies pour chaque local par la loi du 11 frimaire an VII, sur les dépenses départementales, municipales et communales, et par l’arrêté du 27 floréal an VIII, pour le payement des dépenses judiciaires ». Décret du 9 avril 1811, contenant concession gratuite aux départements, arrondissements et communes, de la pleine propriété des édifices et bâtiments nationaux actuellement occupés pour le service de l'administration, des cours et tribunaux et de l'instruction publique, Ibid.

543 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 4/N/38, palais de justice de Guingamp, an VIII-1936 ; 4/N/37, palais de justice de Dinan, an VIII-1932 ; 4/N/40, palais de justice de Loudéac, an VIII-1940.

544 J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, Paris, Presses Universitaires de France, 2001 (1995), p. 529.

procès à l’autre545. La rénovation des palais de justice est-elle tributaire d’un désir de

« notabilité » dont la priorité va à la propriété, « vraie marque de notabilité par la puissance économique qu’elle recèle et garantie suprême de réussite sociale et professionnelle, mais aussi à la propriété qu’il convient de défendre contre les atteintes du dehors »546? Certes, il se trouve toujours des magistrats pour proclamer qu’ils sont et doivent être des hommes de l’ordre. Mais qu’elle soit sociale ou professionnelle, cette volonté de reconnaissance contribue fortement à provoquer l’émergence de nouveaux palais. Leur vocation est de traduire dans l’espace public les « bienfaits d’un ordre plus élevé »547.

Dans la continuité législative de l’Empire et de la Restauration, le nouveau régime se garde bien d’intervenir dans une prérogative qu’il considère comme strictement départementale et ne soutient que partiellement les opérations financières.

L’introduction d’une clause de compétence du conseil général dans les affaires budgétaires départementales confirme cette mise à distance, même si le préfet garde la haute autorité sur la répartition des crédits. De fait, la monarchie de Juillet inaugure une nouvelle ère de rationalisation du parc immobilier départemental et impose une prise en compte réelle de son entretien, ce que les magistrats de l’ordre judiciaire ne manquent pas de relever à maintes reprises. Si toutefois le régime ne s’implique pas réellement dans l’équipement départemental, son intervention législative d’abord, financière ensuite, dans la construction scolaire participe à construire plus activement dans les communes une nouvelle image de l’État.