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Entre précarité et inconvenance

Architecture et puissance

IV. De la Révolution à l’Empire

IV.1 La mise en place des nouveaux pouvoirs

IV.1.1 Entre précarité et inconvenance

La Bretagne, en tant que province et généralité, a vécu : malgré les réserves de la députation bretonne, les libertés et franchises de la Bretagne sont abandonnées dans la nuit du 4 au 5 août 1789. La vénalité des offices est abrogée, tandis que les justices seigneuriales sont supprimées et la gratuité de la justice est proclamée. A l’automne, les parlements sont mis en vacances ; les 3 et 5 novembre sont abolis définitivement le Parlement et les États de Bretagne441. Partagée en cinq départements, eux-mêmes divisés en 45 districts et quelques 1 500 communes autonomes (Loire-Inférieure comprise), la Bretagne ne constitue plus une entité administrative en tant que telle (carte 3). La départementalisation de la province entraîne de fait le remodelage des juridictions religieuses et judiciaires : la Constitution civile du Clergé du l2 juillet 1790

440 Art. 1er du titre II de la constitution du 3 septembre 1791, consultable sur le site Internet de l’Assemblée nationale [http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/constitutions/constitution-de-1791.asp] (consulté le 29 août 2011).

441 M. Denis, « Du temple de la loi au palais de justice », in Le Parlement de Bretagne, histoire et symbole, Rennes / Douarnenez, Apogée / Ar Men / Le Chasse-marée / Presses Universitaires de Rennes / Terre de Brume, 1994, 1994, p. 131-138.

réduit les diocèses français de 135 à 83, supprime en Bretagne les sièges de Dol, Saint-Malo, Saint-Pol-de-Léon et Tréguier442. Après six mois de travaux, la grande loi des 16 et 24 août 1790 achève la réorganisation de l’appareil judiciaire national, qui se fond dans le nouveau découpage administratif du territoire.

Comme auparavant, l’installation des administrations des départements et des districts est fonction des ressources dont elles disposent ; elle tient compte également du parc immobilier immédiatement disponible. Après plusieurs jours de débats, l’administration centrale du Finistère s’installe dans une maison de location, l’hôtel de Ploeuc, place Saint-Mathieu, tandis que l’administration du district prend place à l’hôtel du Haffond, place Médard443. A Nantes, la suppression de la Chambre des comptes le 2 septembre 1790 entraîne la désaffection du palais et l’installation de l’administration centrale444. Le même cas de figure se présente à Rennes : dès l’été 1790, le directoire du département, afin de prévenir toute dégradation et acte de vandalisme, se hâte de répartir les salles entre les administrations du département et du district, le tribunal et le bureau de paix445. A Saint-Brieuc, le seul bâtiment disponible étant l’hôtel de la Grange, propriété de la municipalité, l’administration centrale loue le premier étage à compter du 10 août 1790 pour 1500 francs par an446. A Vannes, les élus du département jouissent de la faveur de l’évêque qui met à leur disposition la salle synodale du manoir de la Motte, dans l’attente d’un local adéquat. Le directoire du Morbihan a bien du mal en effet à se loger : après avoir examiné, puis repoussé, le projet d’acquisition de la communauté des Cordeliers, dont « le mauvais état de cette maison […] exigeroit en ce moment une dépense de 13 944 livres pour la rendre logeable », il entreprend d’acquérir la maison dite du Sénéchal, sur la place de la Réunion, mais celle-ci n’est finalement plus à vendre447.

442 R. Dupuy, « La période révolutionnaire et la reconstruction concordataire », in G. Devailly dir., Histoire religieuse de la Bretagne, Chambray, C.L.D., 1980, p. 221-222.

443 J. Kerhervé dir., Histoire de Quimper, Toulouse, Privat, 1994, p. 178.

444 A. Durand, La Chambre des comptes de Nantes, de la duchesse Anne… au département de Loire-Inférieure, Nantes, Conseil général de Loire-Atlantique, 1976, p. 544-545.

445 M. Denis, op. cit., p. 131-138.

446 La préfecture des Côtes-d’Armor, Saint-Brieuc, Préfecture des Côtes-d’Armor, 2006, p. 11. Le montant du loyer, donné en franc, correspond à son actualisation en 1800.

447 Arch. dép. du Morbihan, IB/713, procès-verbal du conseil général du Morbihan, Vannes, 1791-2005.

A l’échelle des districts, la situation n’est guère différente ; dans la plupart des cas, les administrations ont réinvesti les locaux des anciennes juridictions. A partir des travaux de Jacques Charpy sur l’administration d’Ancien Régime dans le Finistère, il est significatif de relever que sur les cinquante-et-un chefs-lieux de cantons que compte le département, seuls douze ne sont pas des sièges juridictionnels avant 1789448. Les autres chefs-lieux ont au moins été, le cas échéant, siège d’amirauté, de subdélégation, de juridictions royale, seigneuriale et épiscopale. Les locaux laissés vacants, avec mobilier et fournitures, font donc espérer une installation à moindre coût. Ainsi, les frais d’installation des bureaux du district de Redon ne sont pas très élevés, puisqu’ils se montent à seulement 248,15 livres et comprennent, outre des ouvrages de menuiserie, l’achat de mobilier (un bureau à écrire ; douze chaises communes pour le bureau des impositions ; douze autres chaises ; bureaux, tables, tiroirs, tablettes, etc.), de boites de carton et de reliures, enfin de quatre chandeliers d’étain. De la même façon, les frais d’établissement du tribunal ne s’élèvent qu’à 68 francs ; ils comprennent une gravure encadrée du Christ de Girardon, placée sur la cheminée de la chambre du conseil, et un drap de cadix bleu, employé à la table et aux tabourets de la même chambre. Cette installation n’occasionne que de menus frais car le district ne fait qu’investir l’ancien auditoire de justice de Redon, dont le bâtiment a été vendu à la communauté quelque temps avant la Révolution449.

Il s’avère cependant que nombre de districts sont confrontés à l’insuffisance de ces édifices. Le 23 octobre 1790, les membres du district de Châteaulin font part de leur désarroi au directoire du département, faisant état du « grand délabrement » de l’auditoire : « Une réparation au moins de 600 livres seroit indispensable. Il a bien été décrété que les prisons, le palais de justice seroient à la charge de chaque district particulier. Mais, messieurs, attendu la célérité du fait, ne pourriez-vous pas inviter le Directoire à prendre des fonds au Trésor public ?450 » Le verdict est sans appel : l’argent

448 J. Charpy, Guide des Archives du Finistère, Quimper, Archives départementales du Finistère, 1973.

449 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4/N/1, bâtiments publics dans le département, répartition entre l’État et le département, état des maisons, bâtiments et emplacements nationaux occupés dans l’arrondissement de Redon pour un service public ou présumé et dressé en exécution de la lettre du préfet du département du 15 floréal an IX. Le premier étage de l’auditoire sert aux séances du tribunal : « Cette portion de bâtiment a une destination utile et a toujours servi au placement des tribunaux qui ont été fixés à Redon. »

450 Arch. dép. du Finistère, 17/L/4, Bâtiments des tribunaux, 1791-an VIII.

manque. Le district de Lesneven fait ainsi part de son émotion à l’administration centrale : « Pour monter les bureaux, il nous faut papiers, plumes, et autres objets de cette nature, il faut payer le port des paquets, et les frais des exprès pour envoyer, dans les différentes municipalités de notre district, les décrets et les ordres qui nous parviendront.

Où puiserons-nous les fonds qui nous seront nécessaires ?451 »

Dans le Morbihan, les travaux de Jean-Louis Debauve relèvent le même constat à l’endroit des installations judiciaires : la pénurie de moyens, le coût élevé des expertises et des réparations empêchent l’administration départementale d’engager des travaux dans les anciens auditoires de justice. Les juges des cantons de La Roche-Bernard, Pontivy, Josselin, Auray, Rochefort et Ploërmel s’y installent donc, à contrecœur ; toute demande de location pour un local, même plus décent, est écartée452. Lorsque les juges du district de La Roche-Bernard, pressés par l’état de délabrement de l’ancien auditoire seigneurial, proposent l’achat le 23 novembre 1790 d’un immeuble pour 15 000 livres, réparations comprises, le département réplique qu’« une acquisition est impraticable dans le moment présent »453. Cependant, à Lorient, on passe outre les scrupules de l’administration centrale et on aménage à grand frais, pendant l’hiver 1791, l’ancien hôtel du prince de Rohan-Guéméné (dit hôtel du Faouëdic), qui servait déjà d’auditoire avant 1789. On prend soin notamment d’y effacer les armoiries. Mais le département, en signe de mécontentement, refuse de participer aux frais.

Si toutefois l’installation des nouvelles administrations ne s’accompagne pas d’une amélioration des conditions d’exercice, elle cristallise déjà l’intérêt des notables locaux. Dès le 14 février 1790, le marquis de Châteaugiron offre au nouveau conseil municipal la jouissance gratuite de la salle de l’auditoire454. A Pontivy, le duc accepte de mettre gratuitement à la disposition du district l’auditoire « pour le temps qui lui restera à vivre » ; la concession est également gratuite à Josselin455. A l’inverse, l’hostilité des

451 Arch. dép. du Finistère, 11/L/28, Bâtiments des administrations de districts, 1790-an III.

452 J.-L. Debauve, La justice révolutionnaire dans le Morbihan, 1790-1795, Paris, chez l’auteur, 1965, p. 44 et suiv.

453 Cité par J.-L. Debauve, op. cit., p. 49.

454 L. Jourdan, L’architecture des mairies en Ille-et-Vilaine de 1789 à 1940, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université Rennes 2, 1993, t. 2, p. 138.

455 J.-L. Debauve, op. cit., p. 44 et suiv.

privilégiés à l’égard de la Révolution conduit certaines municipalités, comme celle de Miniac-Morvan, à solliciter l’intervention du département : « Il y a à Miniac une maison bâtie par les Clavier C. D. seigneurs de cette paroisse, elle a de tous temps servi aux séances publiques, depuis l’organisation des municipalités, cette maison est le lieu ordinaire de nos assemblées ; aujourd’hui, les anciens seigneurs veulent réclamer la propriété absolue et la jouissance de la dite salle456. » Lorsqu’elle n’a pas le choix, l’administration paye un loyer : 200 livres à la Roche Bernard et Le Faouët, 1200 livres à Lorient ; à Morlaix, le district paye 500 livres pour le local qu’elle occupe à l’hôtel de ville.

L’apparat des cérémonies déployé lors de l’installation des nouveaux pouvoirs ne suffit donc pas à cacher l’extrême défectuosité des conditions matérielles457. L’espoir suscité par l’énorme effort de réorganisation administrative de la France est à la mesure des déboires de la nouvelle administration, impuissante à entrer en possession de locaux adaptés aux nouvelles missions qui lui sont dévolues. Malgré le fait qu’une importante proportion des cadres du nouveau régime, en particulier les hommes de lois, ait sollicité des autorités départementales une meilleure installation, hors de l’emprise symbolique des lieux du pouvoir féodal, rien n’y fait. La grave crise financière qui ébranle alors le royaume, à l’origine de la réunion des États Généraux, met rapidement un terme à toutes les pétitions. Cette première installation n’est certes pas destinée à durer. En décidant de mettre à disposition de la nation les biens du clergé dès la fin de l’année 1789, afin de solder la dette de l’État, la Constituante initie un nouveau bouleversement dans l’installation matérielle des institutions.