CHAPITRE II : LA VILLE DE DOUALA : INTERACTION ENTRE SYSTEME URBAIN ET POLARISATION DES ENTREPRISES
DESIGNATION PREMIERE VAGUE SECONDE VAGUE
I. 3.1.1- Les Tontines à Douala : réseau de solidarités dintérêts
La solidarité dintérêts est lensemble des valeurs dites solidarités froides reposant sur des échanges fonctionnels plutôt que symboliques. Ces échanges ne produisent pas des appartenances et des croyances, mais des collusions et des intérêts. Ce ne sont pas des personnes qui sont en jeu, mais des ressources, celles-ci ne cherchent pas à sapproprier le monde symboliquement mais instrumentalement.
Au sein des tontines, les idéaux font place aux objectifs192alors que la recherche de lappropriation instrumentale du monde sorganise de deux manières :
- la tontine ramassage communément appelée crédit sans intérêt et les différentes formes dentraide, qui sont des formes de réciprocité visant le développement et le renforcement de la caution solidaire chez les membres ;
- la forme bancaire ou commerciale de la tontine, cest-à-dire la collecte et le placement de lépargne sous forme de crédit destiné à linvestissement, et les activités de spéculation telles que la vente aux enchères de largent, sont à la fois une ouverture au monde et une alternative à lenvironnement économique local.
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La crise économique se définit dabord en termes de crise de confiance par rapport à lÉtat. Autrement dit, la solution aux problèmes économiques viendrait moins des principes moraux, des emprunts extérieurs ou dun ajustement structurel portant presque uniquement sur lutilisation du matériel de lÉtat que dun rétablissement de la confiance entre cet État et les populations qui doivent se sentir soutenues plutôt que frustrées dans leurs aspirations
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Il faut entendre par société de dépendance, une société dans laquelle lEtat sarroge la responsabilité de la décision sur la gestion des moindres mouvements des individus, des groupes et des communautés.
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192 Le besoin de la caution solidaire, dans les activités économiques parallèles à celles du réseau formel de collecte de lépargne et de financement des activités de développement, rentre dans le cadre stratégique dune lutte collective pour lamélioration et ladaptation du service aux besoins de la clientèle-membre dune part, et contre la dépendance dautre part.
i)- Lutte collective pour lamélioration et adaptation du service aux besoins des membres
Si le développement de léconomique dans les relations « tontinales » est la réponse à linadaptation des institutions financières, il apparaît comme une exigence à la fois dhumanité dans les relations du banquier vis-à-vis de son client, de célérité, danalyse de priorité dans le traitement des dossiers de demandes de crédits. Cette situation est parfaitement illustrée dans le tableau 28.
Tableau 28 : Tontines et exigences dans le traitement des dossiers de demande de crédits Conditions pour bénéficier dun prêt tontinier Effectifs Fréquences (%)
Présentation dun projet avant accord du prêt 14 35,90
Déclaration de ses avoirs et activités au moment du prêt 10 25,64
Ne prête qu'à ceux ayant une activité génératrice de revenu 7 17,95 Unanimité des membres sous présentation de ses difficultés 6 15,38
Membre du bureau et créateur de richesse 2 5,13
Total 39 100,00
Source : notre enquête
Au regard des données de ce tableau, nous notons que, labsence danalyse de priorité prive les intermédiaires financiers de leurs dimensions sociales. Ils ne se présentent plus comme des institutions au service de la population traversées par des pressions politiques, ils laissent limpression de se servir et de servir de support à la politique répressive de lEtat (C. EBOUE, 1990).
À la rigidité des intermédiaires financiers, les tontines opposent le côté humain de la gestion du service à la clientèle. Elles hiérarchisent lutilité sociale des projets, la demande dun crédit pour une maison dhabitation, une construction dusine ou un financement dentreprises est prioritaire par rapport à une autre visant lachat dune voiture par exemple. En substance, les tontines prennent en compte tous les problèmes matériels et psycho-sociaux de lindividu, dimensions recherchées par les entreprises modernes pour le développement de la culture organisationnelle. Lexploitation de ces potentialités en veilleuse dans la population peut aider au décollage économique et à la prolifération des activités comme nous le remarquons à Douala.
La pratique de la tontine révèle une conviction sur laquelle, au plan psycho-économique, repose la centralisation étatique : la réalité non dune illusion de propriété que confère linvestissement, mais dun droit de propriété. La croissance présente par conséquent moins de retombées sur toute la communauté nationale que sur lindividu ou le groupe qui linitie. Cette perspective de la régulation sociale aura pour effet pervers le tribalisme dÉtat qui devient ainsi la force obstruant linitiative, linvestissement, la production et la croissance (HAPI, 1993). Dans le processus de développement, la tontine prend le contre-pied de cette logique.
Lillusion de propriété quelle entretient est un facteur psychologique important de motivation, dinvestissement et, par conséquent, de la croissance. Cette illusion de propriété qui traverse lexpression du mien individuel et du nôtre collectif est nécessaire pour amener les individus à se sacrifier pour la cause collective ethnique, et nationale de surcroît. Lillusion de propriété colle à la programmation mentale pour produire un effet dynamique dans linitiative et le développement industriel à Douala. La programmation culturelle et mentale est loutil indispensable permettant à chaque groupe dinitier et de réaliser des projets importants dans lamélioration du bien-être collectif. La différence de programmation culturelle est novatrice de concurrence dans la production et la redistribution des biens et services. La concurrence génère la mouvante et la vitalité dans le changement social, la dynamique de la croissance et de la production de services dont le consommateur est le grand bénéficiaire.
ii)- Tontine et lutte contre la dépendance.
Si à travers le développement des associations de tontine, le corps social récuse lÉtat et ses structures socio-économiques, ce qui est mis en cause cest surtout la forme dÉtat peu soucieuse de la protection des intérêts nationaux, qui doit sa survie aux intérêts étrangers sur lesquels il sappuie pour créer la dépendance vis-à-vis de lextérieur193. Cette responsabilité de lÉtat se résume, à Douala, dans la création et la perpétuation de la dépendance194. La production rurale est orientée vers le financement de lappareil dÉtat et les dépenses des villes ; le système déducation perpétue la dépendance ; les investissements se font contre la culture ; une élite est promue au service du
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EBOUE C. (1990). Les effets macro-économiques de la répression financière dans les PED. Économie appliquée, tome LXIII, n4, pp.93- 12 1.
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Lappareil dÉtat ne se limite pas à lérosion de léconomie nationale. Grâce à la centralisation, il limite et détruit au besoin toute initiative visant une compétition sur le marché national avec les entreprises étrangères sur lesquelles il sappuie. Par rapport à lÉtat, les aspirations des nationaux qui se tournent vers les tontines sont minimales : la concurrence dans lexploitation du marché national. Cette concurrence est dautant plus nécessaire quelle permettra le financement et lamélioration du bien-être national. Elle ne serait pernicieuse pour les entreprises étrangères que si celles-ci portaient peu dintérêt à linvestissement dans le bien-être national : le marché des pays du Nord se caractérise par la compétition entre les institutions financières et les entreprises industrielles de différentes nationalités. Limpact de cette compétition est encore la qualité du service à la clientèle. Le monopole du marché national par létranger a pour effet de gruger les dividendes des activités économiques pour le financement du bien-être sous dautres cieux tout en
194 système colonial ; les politiques de développement sont des chemins qui ne mènent nulle part et font de lÉtat un État contre paysan ; le peuple est marginalisé dans le processus de développement, de production de son existence, dans ses besoins de nutrition, déducation, de santé, de culture. Finalement, par le truchement des États contre-nationaux, lAfrique devient un continent pour les autres et la vie dans les villes dAfrique, à linstar de la ville de Douala, sinscrit dans le puzzle de la dépendance (C. EBOUE, 1990, p. 139). La lutte contre la dépendance et la précarisation est alors lenjeu économique des tontines.
Le recours aux associations de tontine devient la manifestation concrète de la prise de conscience du rôle de lÉtat dans la dépendance et la précarisation. Cette prise de conscience révèle la profondeur du gouffre entre lÉtat et les populations dans le processus de développement. Face à lÉtat et aux institutions financières tournées vers lextérieur, les populations utilisent les associations de tontine pour éviter le tarissement des liquidités sur le marché national : lutilisation de la monnaie fiduciaire au détriment de la monnaie scripturale peut être perçue comme une stratégie de rétention des liquidités sur le marché pour la subsistance. Cest ainsi quà Douala, nous verrons se manifester plusieurs formes de tontines (tableau 29) définies selon la périodicité des cotisations en rapport avec léchéance de satisfaction de besoins des individus.
Tableau 29: Echéances des besoins et périodicité des tontines à Douala Périodicité des tontines Effectifs Fréquences
hebdomadaire 28 41,79 mensuelle 34 50,75 trimestrielle 3 4,48 semestrielle 1 1,49 annuelle 1 1,49 Total 67 100,00
Source : notre enquête
Au regard de ce tableau nous constatons que, les acteurs sont plus engagés dans les tontines mensuelles (50,75%) et hebdomadaires (41,79%) que dans les autres formes. Cette situation prouve à lévidence que les acteurs membres des tontines, ont relativement des besoins à très court terme. Aussi, les associations de tontine à Douala disposent déjà de coffres-forts, car si lépargne a pour but de prémunir contre les incertitudes de lavenir, entre déposer à la banque et ne plus jamais recevoir et la thésaurisation, il vaut mieux choisir la thésaurisation, même si elle est improductive195.
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GERMIDIS D. et al. (1991). Systèmes financiers et développement : quel rôle pour les secteurs financiers formels et informels ? OCDE.
En attendant, loccupation du champ économique par les tontines est si importante que le quotidien gouvernemental camerounais constate que le phénomène des tontines a atteint au Cameroun et plus précisément à Douala des proportions exceptionnelles. Une telle popularité pourrait sexpliquer par lincapacité de notre système bancaire à drainer lépargne populaire (D. GERMIDIS et al., 1991)196. Si le dévolu est jeté sur les seuls intermédiaires financiers, cette réflexion émanant de lorgane de communication du pouvoir tend à méconnaître la volonté dun peuple avide de contrôler par lui-même les mécanismes de production de son existence. Les tontines posent à cet effet le problème de la gestion par les nationaux du développement national ou local et remettent en question les structures mêmes de lÉtat en même temps que ses politiques de régulation sociale. La volonté de nationalisation de léconomie est dautant plus vive quen labsence de structures réellement nationales, elle se déploie à travers des activités de spéculation.
A ce titre au sein des tontines rencontrées à Douala, il existe des spéculations boursières qui se traduisent souvent par des ventes aux enchères des encaisses. Comparativement à ce type de tontines on retrouve des tontines classiques dans lesquelles les cotisations sont versées à un ou plusieurs bénéficiaires sous laval dun ou de plusieurs membres « avalistes », et les tontines à caution où le bénéficiaire doit déposer une caution avant de bénéficier la somme cotisée, et bien dautres. Ces différents types de tontines sont répertoriés dans le tableau 30.
Tableau 30 : Types de tontines à Douala
Type de tontine Effectifs Fréquences
à enchères 25 38,46
classique 36 55,38
avec caution 4 6,15
Total 65 100,00
Source : notre enquête
Les informations issues de ce tableau nous donnent de constater que les acteurs de léconomie, membres des tontines à Douala, sont plus intéressés par des tontines classiques, que celles avec caution. Toutefois les tontines à enchères tendent à rattraper celles classiques compte tenu des flux monétaires au profit des activités de la ville.
La vente des encaisses aux enchères pose, en contexte de dépendance à Douala, le problème dun marché financier et même boursier national, tandis que la rupture en période de crise entre les associations de tontines et les institutions financières serait la réaction contre les exportations abusives de devises à travers le trésor public et les institutions étrangères. Lenjeu du
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196 développement industriel et de léconomique dans les tontines à Douala, est de promouvoir une économie gérée par les nationaux à leur propre bénéfice. Cet enjeu révèle la volonté de ceux-ci de se passer dun système dont toutes les grandes décisions se prennent hors des frontières nationales197.
Lhostilité des associations à toute sorte de formalisme et à lintégration des tontines dans le circuit formel de léconomie suppose moins dÉtat-partisan que dÉtat-arbitre des jeux sociaux, et plus dindividus et de groupes salliant uniquement suivant leurs intérêts, dans cette bataille de nationalisation de la vie économique198.
A Douala, les tontines sont présentes dans toutes les couches sociales et dans tous les secteurs de léconomie. Dans leur développement, les associations résistent à toutes tentatives de récupération des tontines, et fonctionnent parallèlement aux institutions mises en place pour les absorber. II est par conséquent à prévoir que les tontines risquent dévoluer toujours en marge du réseau formel, aussi longtemps que seront maintenues les conditions qui ont favorisé leur développement.