CHAPITRE I : LES ANALYSES TERRITORIALES DE LA LOCALISATION DES ENTREPRISES
INTRODUCTION DU CHAPITRE I
I. 1.3.2- Lapproche par le milieu innovateur
La notion marshallienne datmosphère industrielle est aussi au cur de la réflexion menée en termes de milieux innovateurs même si certains auteurs préfèrent parfois parler de culture industrielle, de synergies, de relations de confiance et de réciprocité, pour souligner la nature non-marchande des interdépendances entre firmes liées à leur proximité géographique. Alors que la notion de district, dans la réactualisation de lhéritage marshallien, relève essentiellement dune préoccupation déconomistes industriels, la notion de milieux innovateurs, issue des travaux collectifs menés par le GREMI95, reste fortement marquée par une problématique déconomie régionale. En définissant le milieu comme un ensemble de ressources matérielles et immatérielles, des formes collectives de comportement, un certain nombre de pratiques industrielles, celui-ci apparaît surtout comme un réservoir dans lequel les entreprises, engagées dans un processus dinnovation, viendraient puiser, compte-tenu des contraintes rencontrées.
Le concept de milieu innovateur donne une explication du développement spatial comme la résultante des processus innovateurs et des synergies à luvre sur des espaces circonscrits. Dans ce cadre, A. HSAINI (2000), rappelle que les approches sont multiples, dans le domaine des analyses traitant de lancrage territorial des processus dinnovation96 . Reprenant une classification fait par T. KIRAT et Y. LUNG (1995 et 1997), ces auteurs distinguent deux approches : lune issue des travaux de la « géographie de linnovation » et lautre qui relève des travaux du GREMI.
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Groupe de Recherche Européen sur les Milieux Innovateurs dans le cadre dune réflexion sur les processus de territorialisation des dynamiques technologiques.
96Hsaini A., « Le dépassement des économies dagglomération comme seules sources explicatives defficacité des systèmes productifs localisés », Revue dEconomie Régionale et Urbaine, n°2, 2000, p.222.
Les travaux de la « géographie de linnovation » qui sont de nature empirique permettent de considérer que le nombre dinnovations est lié au degré de concentration géographique et quune proportion élevée de firmes dominantes fait que linnovation devient essentielle pour les PME qui souhaitent assurer leur viabilité. Tous les travaux de cette école aboutissent à la conclusion que la proximité est un élément essentiel dans la transmission de linnovation et participe de manière déterminante à créer un climat favorable à lindustrie, une atmosphère industrielle au sens dA. MARSHALL.
Linitiateur de lapproche dite du « milieu innovateur » est Ph. AYDALOT qui, en 1985, notait que : « ce nest pas lentreprise qui innove, mais ce sont les milieux97 ». Et Ph. AYDALOT de citer G. TORNQVIST (1983) qui montre que le même homme ne sera pas lauteur de la même invention sil vit dans tel ou tel milieu. Il donne ici lexemple de GUTENBERG qui a inventé la presse pour lédition en observant les vignerons de sa région presser le raisin. Il montre que si GUTENBERG avait vécu ailleurs que dans un pays de vignoble il aurait trouvé une autre solution au problème de ce milieu98. Ph. AYDALOT (1985) en tire la conclusion que « la créativité est toujours enracinée dans lexpérience et la tradition. Les connaissances accumulées constituent toujours la base du progrès. La créativité exige la rencontre, le face à face inorganisé, une certaine spontanéité que les grandes entreprises, où toute chose est programmée, ne peuvent fournir99 ».
I.1.3.2.i)- Le milieu innovateur comme facteur de pérennité et de développement des systèmes productifs locaux (SPL)
Cest principalement D. MAILLAT (1996) qui va développer à la suite de Ph. AYDALOT, lapproche dite du milieu innovateur. Les artisans de cette approche sont loin de contester lidée du district industriel ou du système productif localisé. Ils poussent plus loin lanalyse des causes de lexistence des systèmes productifs territoriaux. Pour eux ces systèmes ont en commun un élément tout à fait déterminant : « une culture économique longuement mûrie, créatrice dune ambiance ou dune atmosphère dans laquelle les acteurs économiques dépassent les seules relations de marché et entretiennent des relations privilégiées de proximité100 ».
Selon D. MAILLAT, il y a deux processus qui modèlent lorganisation et la répartition dans lespace des hommes et des activités : une logique fonctionnelle et une logique territoriale. La logique fonctionnelle aboutit à la division spatiale des fonctions et à léclatement spatial de la
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Aydalot Ph., Economie Régionale et Urbaine, Paris, Economica, 1985, p.148.
98Tornqvist G., « Creativity and regional development », Redéploiement industriel et aménagement de lespace, Montréal, 1983.
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Aydalot Ph. Op. Cit., p .148
84 production. Elle na pas besoin de territoire pour se constituer, elle est généralement lapanage de grandes entreprises. A lopposé, la logique territoriale met en action les interdépendances au niveau territorial. Elle va mettre en valeur les spécificités propres à chaque territoire et les relations que les entreprises entretiennent entre elles dans lespace où elles sont localisées.
I.1.3.2.ii)- Les constituants du milieu innovateur
Le milieu innovateur est défini comme un ensemble territorialisé ouvert sur lextérieur qui intègre des savoir-faire, des règles et du capital relationnel (D. MAILLAT, M. QUEVIT et al, 1993)101. Cest un milieu attaché à un collectif dacteurs ainsi quà des ressources humaines et matérielles.
Les savoir-faire correspondent à une capacité de maîtrise du processus de production lato sensu. Ils ne recouvrent pas seulement les aspects techniques mais également les aspects commerciaux, organisationnels, relationnels. Ce sont ces savoir-faire qui fournissent la capacité dadaptation à des changements de toute nature.
Les règles sont les modalités qui régissent les comportements des acteurs et relations quils entretiennent entre eux. Elles sont la base de valeurs propres à lespace concerné. Elles posent des principes de confiance et de réciprocité, de coopération, de concurrence, de solidarité. Le capital relationnel est la connaissance quà chaque acteur des autres acteurs (non seulement des autres entreprises, mais des institutions de toutes sortes) du milieu. Ce capital relationnel est lélément constitutif des réseaux.
Sagissant du milieu, celui-ci comprend des entreprises industrielles et de service à lindustrie, des organismes financiers, des institutions de formation et des centres de recherche qui peuvent être aussi bien publics que privés, des organismes fédérateurs sur le plan professionnel et des institutions publiques représentatives des pouvoirs locaux et éventuellement des pouvoirs régionaux et territoriaux.
Le milieu innovateur cest le lieu des processus dajustement, de transformation et dévolution à caractère permanent. Les moteurs de ces processus sont dune part, une logique dinteraction liée à la capacité des acteurs à coopérer et dépendant du capital relationnel accumulé dans le temps ; dautre part, une dynamique dapprentissage qui est la capacité des acteurs à sadapter aux changements et à mettre en uvre de nouvelles réponses à un environnement mouvant.
101 Maillat D., Quevit M.. et Senn L, « Réseaux dinnovation et milieux innovateurs :un pari pour le développement régional », 1993.
I.1.3.2.iii)- le rôle du milieu innovateur dans lévolution des SPL
Selon D. MAILLAT, le milieu innovateur remplit la fonction de cerveau du système territorial de production car « il constitue une agrégation des facultés cognitives des acteurs du milieu102 ». Lorsque le milieu est innovateur, il est capable didentifier les projets, de les formuler et de les mettre en uvre. Le processus dinnovation se fait en deux temps. Une première phase correspond à une sorte dévaluation des ressources propres et de celles qui peuvent être mobilisées dans la proximité. Une seconde phase consiste à développer les savoir- faire, à exploiter les ressources pour mener à bien le projet. Cette transformation ouvre à son tour de nouvelles perspectives pour dautres projets innovateurs. Ce qui donne lieu à des « enchaînements autonomes de processus innovateurs » (D. MAILLAT, 1996).
Au total, le « milieu innovateur participe à la constitution des réseaux dinnovation multifonctionnels, et leur permet de retrouver une certaine cohérence au niveau territorial ».
Les approches en termes de districts industriels, de systèmes de production localisés et de milieu innovateur permettent de tirer un ensemble de conséquences pratiques dans le domaine du développement territorial et de localisation des entreprises. En particulier, on en déduit que les collectivités locales ont la possibilité de promouvoir une véritable politique territoriale pour la localisation des entreprises. Une telle action publique locale doit remplir au moins quatre conditions :
a) impliquer les acteurs locaux au-delà des entreprises ;
b) favoriser le développement du capital territorial immatériel spécifique (savoir-faire, technologies spécialisées, règles de confiance, etc.) ;
c) rechercher et encourager des synergies et ce que les spécialistes appelleraient « les effets dapprentissage » entre les acteurs, cela dans le but de développer les avantages de proximité et les capacités collectives dadaptation au changement ;
d) assurer les relations environnement technique-marché.
Une telle politique se différencie des dispositifs qui sont centrés sur le subventionnement des coûts de production ou de réduction fiscale. Cette politique a pour principal résultat le renforcement de la cohésion du système productif localisé et ainsi lamélioration de la flexibilité, mais aussi de le muscler face à une économie globalisée qui pourrait le pulvériser.
86 Les approches territoriales reposent sur deux hypothèses de base : la spécialisation flexible dune part et « losmose entre communauté locale et entreprise » dautre part.
Plusieurs auteurs contestent ces hypothèses à linstar dA. LIPIETZ et D. LEBORGNE (2002) qui sélèvent contre la théorisation et surtout la généralisation du modèle post-fordien de la spécialisation flexible. Quant à P. VELTZ103, il estime que la forte spécialisation du district risque de le cantonner sur un axe technico-commercial fermé, puis lauteur introduit la notion de réseaux.