CHAPITRE II : LA VILLE DE DOUALA : INTERACTION ENTRE SYSTEME URBAIN ET POLARISATION DES ENTREPRISES
INTRODUCTION DU CHAPITRE II
I. 1.3.1- Caractéristiques urbaines de la ville de Douala
La ville de Douala est lune des villes les plus importantes du pays du point de vue démographique et économique. Elle regroupe environ 11 à 12 % de la population totale168 du pays et participent pour près de 60 % au PIB, selon les estimations. Bien que les statistiques soient anciennes, les diverses études menées ont estimé la population de la région entre 2.000.000 et 2.500.000 habitants et celle de lagglomération entre 2.000.000 et 2.200.000 dhabitants (CUD, 2009). Mais, dans notre thèse, nous nous basons sur les résultats du dernier recensement de 2005 publiés en 2010 qui évaluent la population totale de la région du littoral à 2 865 795 de personnes dont 1 931 977 de personnes pour le département du Wouri169. Toutefois, il est incontestable quil sagit de lune des plus grandes agglomérations et de la principale concentration dactivités économiques du pays170. Les produits de ces activités sont souvent distribués dans les marchés locaux.
167
ONU Habitat/PNUD (2006) : Document de Stratégie Nationale de Réduction de la Pauvreté en Milieu Urbain, Yaoundé, p. 15.
168
Selon le rapport BUCREP de 2010 portant population du Cameroun, leffectif de la population du Cameroun au 1er janvier 2010 sélève à 19 406 100 habitants. Ce chiffre sappuie sur lanalyse des tendances démographiques observées à partir des recensements de 1976, 1987 et 2005. En 1976, le Cameroun comptait 7 663 246 habitants ; en 1987, la population était de 10 493 655 habitants. En 2005, les résultats définitifs du 3è RGPH indiquaient 17 463 836 habitants. Cette évolution démographique confirme le maintien dun fort potentiel humain dans le pays, avec un taux annuel moyen de croissance démographique évalué à 2,8% au cours de la période 1987-2005 et à 2,6% entre 2005-2010.
169
Rapport de présentation des résultats définitifs du recensement 2005 ; Bureau Central des Recensements et des Etudes de Population (BUCREP), avril 2010
170
Le Rapport BUCREP de 2010 indique que, en termes de poids démographiques, la population de la région du Centre représente 18,2% de la population totale du pays, celle de lExtrême-Nord 17,9%. Les régions du Littoral (14,8%) et du Nord (10,6%) ont des poids supérieurs à 10% et les régions du Nord-Ouest, de lOuest, du Sud-Ouest et de lAdamaoua ont des poids compris entre 9,3% et 5,2%. Les régions dont le poids démographique est inférieur à 5% sont celles du Sud (3,6%) et de lEst (4,1%). Parmi les régions les plus peuplées, il y en a deux qui doivent leur position du fait de la présence dune métropole nationale sur leur territoire. Il sagit de la région du Centre qui abrite la ville de Yaoundé, capitale politique et administrative et de la région du Littoral qui abrite la ville de Douala, capitale
164 Les marchés occupent une place particulière dans la physionomie urbaine de Douala. Au coeur des réseaux complexes du système dapprovisionnement, ils sont aussi à lorigine des circuits de distribution de détail des produits vivriers, comme des produits manufacturés. Ils représentent des espaces où sorganisent les modes de stockage et de redistribution de ces produits. La concentration de ces diverses fonctions en des lieux précis engendre des flux de transport (mécanique, à motricité humaine) et des activités induites particulières (manutention, conditionnement, etc.). Cest à ce titre que les marchés constituent des facteurs essentiels de structuration de lurbain à Douala.
En outre, situés à linterface entre les filières formelles et informelles, ils sont aussi soumis aux diverses formes de régulation par les Autorités Publiques. Un jeu complexe se joue dans cet espace entre les acteurs publics et privés (commerçants / associations / gestionnaires) en termes de fiscalité, de formation et dorganisation.
La ville de Douala compte aujourdhui 57 marchés de diverses tailles (tableau 10). Ces marchés se distinguent par leurs fonctions et leur aire de chalandise. Sur la base dune moyenne de 1,3 actif par installation de vente, on peut estimer que les seuls marchés de Douala emploient environ 64.000 personnes (CUD, 2009 op.cit.). Ce chiffre est plus élevé que celui du secteur industriel formel et ces emplois sont nettement plus concentrés dans lespace urbain.
Tableau 10: Distribution des marchés par taille Effectifs places de marchés Nombres de marchés Nombre de places de vente Arrondissements Douala Structure % 4 1000 13 31 300 64 Marché central 6 000 2 12 Madagascar 4000 3 8
New Bell Gare 3 200 3 6
Ndogpassi III 3 000 2 5 New Deido 2 600 1 5 Mboppi 2300 1 5 Femmes et chèvres 2100 2 4 500-1000 19 12600 26 < 500 25 4900 10 Total 57 ~ 49 000 100
Source : Pour 40 marchés « Etat détaillé du potentiel des marchés », CUD/Secrétariat Général/Commission Ad hoc chargée de lévaluation du potentiel des équipements marchands, 2006 ; pour les autres comptages enquêtes URBAPLAN 05/2008
Ces marchés comprennent plusieurs milliers de vendeurs. Ils assurent une fonction de redistribution pour les détaillants des marchés de proximité de larrondissement. Leur chalandise concerne au moins 100 000 habitants. Il sagit de New Deido (Douala 1) et Madagascar (Douala 3). Bonamoussadi (Douala 5) ; PK 14 (Douala 3 et 5) et Ndogpassi III (Douala 3). Monkam (Douala 5)
vient dêtre construit et son dynamisme commercial est encore limité. Trente et un marchés de proximité assurent essentiellement un approvisionnement alimentaire et en produits de base des habitants des quartiers riverains. On considère que leur chalandise correspond à environ 10.000 habitants (cf carte n°2 sur la localisation des marchés à Douala en Annexes).
Lanalyse de la population desservie au niveau des marchés montre lextrême atomisation de la fonction commerciale. En effet, le nombre d'habitants par vendeur est estimé entre 20 et 60. Compte tenu du faible pouvoir dachat, on en déduit facilement que le chiffre daffaires moyen est extrêmement bas et que lon a pratiquement atteint la limite dans la fragmentation des activités de distribution. Le tableau 11 ci après présente la répartition de la population de Douala par arrondissement selon le regroupement dans les différents sites de marchés et de places de ventes.
Tableau 11: Répartition de l'effectif de la population par arrondissement (croisement BUCREP, 2010 et CUD, 2009)
Arrondissement Douala I Douala II Douala III Douala IV Douala V DoualaVI Total
Population 223 214 261 407 646 347 250 626 544 919 5 464 1 931 977 En % du total 12% 14% 33% 14% 27% 0,2% 100% Effectifs (places de vente) des marchés 8300 14 000 12 600 5 700 8 200 nc 48 800 En % du total 17% 28% 26% 12% 17% nc 100% Nbre dhabitants par place de vente des marchés 28 19 52 47 68 - Moy =42 nc = non concerné
Source : notre étude à partir de BUCREP 2010 ; CUD, synthèse diagnostic, 2009 I.1.3.2- Caractéristiques de la population à Douala
Selon la troisième Enquête Camerounaise auprès des Ménages (ECAM3), la population de Douala est estimée à 1,8 millions de personnes en 2007 ; soit 10,1% de la population du Cameroun et 73,8% de celle de la province du Littoral, daprès la même source. Mais, les résultats du troisième recensement 2005 évaluent la population de Douala à 1 931 977 de personnes soit 10% de la population du Cameroun et 68% de la population du Littoral (BUCREP, 2010). . Les quelques caractéristiques démographiques significatives révèlent que Douala a une population jeune issue dune très forte immigration : 33% des habitants ont moins de 15 ans, 36% ont 15 à 29 ans et 31% seulement dépassent 30 ans.
Lenquête ECAM3 montre quun ménage compte en moyenne 3,8 personnes dans la ville de Douala (contre 4,4 au niveau national et 5,2 en 1996). Cette forte diminution de la taille moyenne
166 du ménage est révélatrice dun changement social porté vers lindividualisme : la proportion des ménages dune seule personne est de 20,% en 2007 à Douala alors quelle nétait que de 9,8% en 1996. Près de 23% des ménages sont dirigés par des femmes, et un ménage sur quatre est dirigé par une personne âgée de moins de 30 ans, quel que soit le sexe (graphique 3).
Graphique 3 : Distribution (en%) des ménages à Douala selon l'âge et le sexe du chef de ménage
Source : construit de lauteur à partir des données brutes dECAM3/INS, 2008
Certaines données socio-économiques associées aux observations faites aux niveaux de revenus, font deviner que les ménages de Douala vivent pour la plupart dans des conditions modestes voire très modestes. Les chiffres dECAM3 qui mesurent lincidence de la pauvreté monétaire171 montrent que, fort heureusement, celle-ci a nettement reculé en ville depuis 2001, contrairement à la moyenne nationale. Lincidence de la pauvreté a ainsi reculé à Douala passant de 49,0% et 10,9 %, respectivement, en 1996 et 2001 pour sétablir à 5.5% en 2007. Cette proportion est nettement inférieure au taux national comme le montre le graphique 4 suivant.
171
Le seuil de pauvreté monétaire est calculé par ECAM 3 à 269.442 FCFA/an par « équivalent adulte », soit 738 FCFA/jour et 22.454 FCFA/mois. Ce niveau correspond à la dépense minimale nécessaire pour assurer les 2900 kilocalories nécessaires à la survie et des dépenses minimales dans les secteurs non alimentaires.
Graphique 4 : Evolution comparée (en %) de lincidence de la pauvreté à Douala et au Cameroun
Source: construit par lauteur à partir des données brutes dECAM1, ECAM2 & ECAM3/INS, 1996; 2001
Si, dans lensemble du pays, la proportion des pauvres au sein de la population est restée quasiment stationnaire par rapport à 2001, elle a été réduite de moitié dans la ville de Douala. Ceci peut sexpliquer en partie par la forte propension des Doualais (les anciens et ceux qui se sont récemment « citadinisés ») à la débrouillardise qui se traduit par laugmentation des emplois dans les différents secteurs dactivés sy trouvant. En outre, la crise des années 1990 sest accompagnée dun phénomène de décomposition/recomposition des ménages autour de la famille nucléaire. Cette autonomisation saccompagne des stratégies de survie construites autour des petits métiers du secteur informel (moto-taxi, call-box, etc.). En effet, le taux dinformalité des emplois est passé de 57,1% en 2001 (ECAM2) à 73,8% en 2005 à Douala. Dans le même temps, le taux de chômage172est passé de 25,6% en 2001 à 12,5% en 2005 (INS, 2006).
Lenquête ECAM3 apporte dutiles informations sur les niveaux de vie et de consommation des ménages. En effet, la majorité des habitants de Douala, sils échappent heureusement à lextrême pauvreté, vivent avec des revenus modestes qui se répercutent sur leurs comportements dans un grand nombre de domaines influant sur lorganisation urbaine, notamment les formes dhabitats. A Douala, la dépense annuelle de consommation finale des ménages est de 2,6 millions de FCFA en moyenne (216.000 FCFA/mois), contre 1,8 millions (150.000 FCFA/mois) à léchelle nationale.
172
Il sagit ici du taux de chômage au sens du BIT (Bureau International du Travail) ; le taux de chômage élargi (qui prend en compte les chômeurs découragés) quant à lui est tombé de plus de la moitié au cours de la même période en
168 Chaque adulte dépense en moyenne 61.647 FCFA par mois, soit environ 2.027 FCFA par jour pour faire face à lensemble de ses besoins de consommation courante à Douala. La répartition par quintile ressort des tableaux 12 et 13 suivants :
Tableau 12:Dépenses totales annuelles de consommation finale des ménages selon les quintiles de niveau de vie (en FCFA)
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Ensemble
Médiane 881 829 1 297 052 1 757 558 2 371 003 3 650 052 1 757 558
Moyenne 834 387 1 306 481 1 766 817 2 406 515 4 664 688 2 193 879
Source : ECAM3/INS, 2008
Tableau 13:Dépenses totales annuelles de consommation finale par équivalent adulte selon les quintiles de niveau de vie (en FCFA)
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Ensemble
Médiane 308 722 439 776 589 203 774 319 1 275 095 589 203
Moyenne 303 285 447 115 589 413 778 333 1 582 701 739 769
Source : ECAM3/INS, 2008
Lanalyse de ces tableaux permet de constater que les 20% des ménages les plus aisés (Q5) dépensent 5,5 fois plus que les 20% les plus pauvres (Q1). Pour sa part, lanalyse de la structure des dépenses de consommation finale des ménages permet détablir le tableau14 suivant :
Tableau 14: Structures des dépenses de consommation finale selon le niveau de vie et les différents postes de dépenses (en %)
Postes de dépenses Quintiles de niveau de vie Ensemble
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5
Alimentation et boisson hygiéniques
32,1 29,2 27,0 26,9 22,7 27,6
Boissons alcoolisées et tabacs 0,9 1,2 1,2 1,0 1,2 1,1
Hotels et restaurants 8,0 9,3 10,8 9,3 9,3 9,3 Habillements et chaussures 5,7 6,3 7,3 8,1 8,6 7,2 Logement 19,6 18,7 17,9 18,9 17,4 18,5 Equipements de maison 3,2 2,9 3,0 3,6 4,4 3,4 santé 4,0 4,2 4,8 5,2 4,7 4,6 Transport 9,0 11,3 11,3 10,7 14,2 11,3 Communication 3,3 4,1 4,7 5,0 6,1 4,7 Loisirs, spectacles 1,2 1,3 1,7 2,0 2,6 1,8 Education 8,3 6,8 5,1 4,2 3,6 5,6
Biens et services divers 4,6 4,7 5,1 5,0 5,2 4,9
Source : ECAM3/INS, 2008
Nous remarquons que les différences, en pourcentages, sont relativement faibles entre les trois premiers quintiles sauf pour la nourriture où la part en pourcentages diminue nettement quand les
revenus augmentent. Cette situation confirme bien ce que nous connaissons en économie en termes de la loi psychologique de Keynes173.
Partant du niveau de scolarisation de la population de Douala pour nous situer par rapport à son niveau de compréhension du dynamisme territorial et entrepreneurial dans la ville, et par rapport à son sa facilité accès à léducation, nous relevons avec ECAM3 (2008 op.cit.) que lalphabétisation des personnes âgées de 15 ans ou plus est en progression de 1,5 point depuis 2001 et se situe autour de 95,4% à Douala en 2007. Le niveau dinstruction des chefs de ménage (tableau 15) varie nettement en fonction des revenus (naturellement plus élevés pour les classes aisées).Toutefois les non scolarisés sont rares même dans les classes les plus pauvres (5 à 8%).
Tableau 15: Niveau dinstruction des chefs de ménage selon le quintile de dépense du niveau de vie à Douala
Niveau dinstruction Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Ensembl e Non scolarisé 5,3 8,1 4,2 3,0 2,4 4,6 Primaire 25,9 28,2 19,6 23,4 12,8 22,0 Secondaire 1er cycle 43,7 34,0 35,5 28,5 26,1 33,6 Secondaire 2nd cycle 20,6 20,9 30,7 34,9 29,9 27,4 Supérieur 4,5 8,7 10,0 10,3 28,8 12,4 Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100, Source : ECAM3/INS, 2008
La dépense moyenne déducation par élève est de 108.149 FCFA/an, soit 52 851 FCFA dans les ménages pauvres et 111.720 FCFA chez les non pauvres. La distance qui sépare le logement du ménage de linfrastructure publique déducation la plus proche, est de 1,3 km pour le primaire et de 1,9 km pour un établissement secondaire. Seuls 26% des ménages sont satisfaits de la proximité dune école primaire publique et 28% dun établissement secondaire (ECAM3, 2008 op. cit.). Tous comptes faits, laire métropolitaine de Douala est la principale « porte dentrée » du Cameroun, de la RCA et du Tchad et larticulation essentielle entre léconomie camerounaise et le reste du monde. Sa compétitivité et son intégration adéquate dans le système économique international marqué par la mondialisation sont déterminantes non seulement pour la prospérité de sa population, mais aussi pour le développement de tout le pays et, partiellement, des pays voisins.
173
Enoncée de la manière suivante : « en moyenne et la plupart de temps les individus tendent à augmenter leur consommation au fur et à mesure que le revenu augmente mais dans le sens moindre que celui de laugmentation du
170 Lespace économique de Douala, peut être cité en Afrique Centrale en concurrence avec celui de Lagos, de Libreville et de Pointe-Noire disposant des ports. Chacun de ces ports est situé au point de convergence de réseaux de transports terrestres. Celui de Douala constitué de la voie ferrée vers Yaoundé et Ngaoundéré et des deux axes routiers internationaux de lOuest (Douala, Bafoussam, Foumbam, Banyo) et de lEst (Yaoundé, Abong Mbang, Garoua Boulaï qui se rejoignent à Ngaoundéré et se prolongent vers le Nord Cameroun, le Tchad et la RCA) dessert presque trois pays.
Malgré son étendue (2.383.000 Km2) le poids de cet espace économique reste modéré. Les trois pays réunis ont ensemble une population de lordre de 36 millions dhabitants et un PIB de 22 milliards de dollars ($). Ces statistiques, en comparaison du poids de lespace économique de Lagos ou dAbidjan, sont relativement faibles ; mais beaucoup plus importantes que celles du poids économique de Pointe Noire et Libreville. La production intérieure brute des quatre ensembles qui constituent lhinterland se divise, en gros, de la façon suivante (tableau 16) :
Tableau 16: Population PIB et superficie des sous ensembles de la zone économique de Douala Territoire Superficie Km2 Populations (millions) PIB milliards de $
Région du littoral dont Douala 20 000 2 500 000 9 Reste du Cameroun 455 000 15 000 000 6 Tchad 1 285 000 10 000 000 5 RCA 623 000 5 000 000 1,5 Totaux 2 383 000 32 500 000 21,5 Source : CUD, 2009
Lestuaire du Wouri (dont Douala) situé à lintérieur de lespace qui comprend le Cameroun, le Tchad et la Centrafrique, ne subit que faiblement la concurrence dautres ports et reste la porte dentrée exclusive. La distribution spatiale entre ces unités témoigne de la compétitivité de la ville protégée par les mauvaises infrastructures de communication terrestres vers les ports concurrents des pays voisins.