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1.2- L’analyse Krugmanienne de la localisation des entreprises

CHAPITRE I : LES ANALYSES TERRITORIALES DE LA LOCALISATION DES ENTREPRISES

INTRODUCTION DU CHAPITRE I

I. 1.2- L’analyse Krugmanienne de la localisation des entreprises

P. KRUGMAN75, est reconnu pour la modélisation des rendements croissants, tout d'abord dans la théorie du commerce international, puis dans son application à l'économie géographique. Ses modèles visent essentiellement à expliquer la localisation des activités et la concentration des entreprises sur une région, un territoire ou un pays.

L'objectif est ici de faire une analyse critique de la participation76 de P. KRUGMAN à l'évolution récente de l'économie géographique. Ses travaux dans la Nouvelle Economie Géographique ont renouvelé l’analyse des choix et déterminants des localisations industrielles en intégrant, dans de nouveaux modèles, différents mécanismes au travers desquels émerge une relation cumulative.

La répartition géographique des entreprises est appréhendée, dans ce cadre d’analyse, comme étant le résultat de forces d’agglomération et de dispersion dont l’intensité est indépendante des caractéristiques exogènes des territoires. Les externalités pécuniaires susceptibles d’émerger des relations interentreprises sont placées au cœur de l’analyse des choix de localisation.

La prise en compte des externalités renvoie, dans la littérature, à deux grandes catégories d’approches. La première, de type pécuniaire, transite par les relations marchandes, relatives aux prix et aux quantités produites. La seconde, de type hors coût, est liée aux effets externes technologiques circulant par le biais des relations hors marché et, plus généralement, aux processus d’apprentissage localisés d’acteurs. Dans le premier cas, P. KRUGMAN (1991, op.cit) montre ainsi

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Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, est professeur d'économie à l'université de Princeton. Il est aussi chroniqueur au New York Times, nommé en 1991 lauréat de la prestigieuse médaille John Bates Clark de l’American Economic Association. Souvent considéré comme un néo-keynésien, Paul Krugman se définit lui-même comme un économiste classique : « I am basically a maximization-and-equilibrium kind of guy » disait-il en 1996 devant la European Association for Evolutionary Political Economy. Auteur de nombreux articles et ouvrages, sa réputation scientifique repose sur la qualité de ses recherches portant sur l’articulation entre les échanges commerciaux internationaux et les dynamiques des économies « régionales » (« locales » ou « métropolitaines » dirions-nous en français). Ses travaux sur l’économie géographique et sur l’économie internationale renvoient à des thèmes précieux pour les géographes intéressés par les questions de géographie économique, à savoir le développement local et la mondialisation. Quelques ouvrages marquants retiennent particulièrement l’attention des géographes, comme Geography and trade (1991) et Economie internationale (avec Maurice Obstfelf, 1994). En se plongeant dans ces livres, pourtant scientifiquement et intellectuellement ambitieux, le lecteur mesure que l’une des forces de Paul Krugman repose sur ses qualités de pédagogue et de vulgarisateur.

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Bien que l’approche de KRUGMAN ne soit pas novatrice, elle a donné un nouvel élan à cette « discipline » qui ne parvenait pas à sortir d'une certaine léthargie. Néanmoins, ses travaux n'ont pas reçu un accueil unanime de la part des géographes, du fait de leurs limites mais également parce que ses méthodes de travail sont différentes.

64 le rôle des coûts de transport et de la proximité du marché dans le choix de localisation des firmes et dans l’arbitrage entre la croissance des économies d’échelle propres à la firme et la délocalisation.

I.1.2.1-P. KRUGMAN et les facteurs endogènes d’agglomération

Le processus d’agglomération est explicité habituellement par une série de déterminants qui sont fréquemment avancés pour expliquer la localisation des activités économiques : les rendements croissants, les coûts de transport et les externalités positives d’agglomération.

P. KRUGMAN (1993) qualifie les externalités mises en évidence d’avantages de seconde nature. Il les distingue des first nature explanations, ou forces initiales d’agglomération, d’après la terminologie empruntée à l’historien W. CRONON (1991). L’ensemble des externalités précitées ne constitue que des forces d’entretien de l’agglomération des activités initiée par deux facteurs principaux : les dotations en facteurs d’un territoire ainsi que les forces créées par des entreprises pionnières. Ces forces initiales d’agglomération semblent avoir joué un rôle dans l’émergence des villes et dans le regroupement d’entreprises industrielles. La disponibilité des facteurs de production immobiles (matières premières), de même que l’existence de voies de communication, sont des éléments essentiels d’attractivité pour l’industrie naissante sur des territoires offreurs de spécifications.

L’apport fondamental de P. KRUGMAN réside, sans doute, dans sa compréhension de l’impact des rendements croissants, ou économies d’échelle (l’augmentation de la production d’un bien entraîne la baisse des prix par unité produite ainsi que la croissance de la productivité), sur les échanges commerciaux et sur la localisation des activités économiques. Pour P. KRUGMAN, les rendements croissants doivent être saisis tant à l’échelle de l’entreprise (économies internes d’échelle) qu’à l’échelle de l’industrie (économies externes d’échelle). Avec le temps, car l’analyse s’inscrit dans une logique évolutionniste, l’amélioration de la productivité liée aux rendements croissants a des effets cumulatifs qui favorisent la compétitivité de l’entreprise, mais aussi de l’économie régionale.

Les économies d’échelle internes à la firme sont calculées à partir de l’indicateur de taille minimale efficiente pour les établissements dont la production correspond à l’activité principale de l’entreprise. Cet indicateur renvoie spécifiquement aux aspects techniques et aux gains de productivité liés à la taille des établissements. Plus précisément, il peut être lu dans la logique des hypothèses de P. KRUGMAN (1991, op.cit.) sur la localisation des unités de production, hypothèses selon lesquelles l’entreprise arbitre entre économies d’échelle et coûts de transport pour

sa localisation. Ainsi, tant que les gains liés à l’augmentation de la taille de la firme seront supérieurs aux coûts de transport, il y aura centralisation de la production sur une usine et exportation vers les différents marchés. On attend donc un signe positif entre les économies d’échelle internes à la firme et le volume d’exportation.

Les rendements croissants externes expliquent la tendance des entreprises à s’agglomérer dans l’espace géographique, dans la mesure où la proximité spatiale des producteurs revêt de nombreux avantages : maîtrise des coûts de transaction dans la matrice des relations inter-entreprises au sein d’une industrie, amélioration des processus de l’apprentissage collectif et de l’innovation, construction et partage des savoir-faire détenus par la main-d’œuvre sur le marché local du travail. Ce processus générique de concentration spatiale de l’industrie, désigné sous le terme d’économies d’agglomération, débouche sur la constitution de districts industriels spécialisés dans un secteur particulier, à l’instar de l’automobile à Detroit, de l’industrie financière à New York, du cinéma à Hollywood, de l’électronique-informatique dans la Silicon Valley.

P. KRUGMAN (1991b) insiste également sur le rôle de l’histoire et d’événements accidentels dans la détermination de la localisation initiale d’un secteur d’activité. Il illustre cet argument avec l’exemple de la fabrication de tapis dans la ville de Dalton (nord de l’Etat de Georgie) aux Etats-Unis. Ces avantages de première nature ne constituent toutefois pas des facteurs explicatifs aux divergences observées dans le développement des différentes zones d’activités.

Néanmoins, au-delà de ces analyses nous disons et montrons dans la présente thèse sur Douala, que la notion d’agglomération, souvent réduite aux vertus de la localisation dans un environnement riche en interactions, tient peu compte de la diversité des logiques spatiales des firmes et de la diversité des types d’externalités générées par des environnements spatiaux différents. La localisation des entreprises peut être motivée par les multiples facettes de la coordination inter-firmes formelle (réseaux de fournisseurs, clients, etc.) ou informelle (externalités technologiques ou effets de milieu, processus d’apprentissage). Mais, elle est aussi liée à d’autres facteurs relatifs à la configuration interne de l’entreprise qui renvoie, entre autres, au besoin d’un certain type de main-d’œuvre ou à des produits nécessitant la disponibilité et la proximité de certaines matières premières. Les facteurs institutionnels peuvent également intervenir dans les choix de localisation par le biais, notamment, d’une incitation financière au développement des zones décentrées ou en réponse à des contraintes environnementales.

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I.1.2.2. Du modèle fondateur de KRUGMAN (1991) au prolongement de KRUGMAN et VENABLES (1995) sur la localisation des entreprises

P. KRUGMAN (1991a) considère une économie composée de deux régions et deux secteurs, l’un agricole en situation de concurrence parfaite, l’autre manufacturier composé d’entreprises mobiles géographiquement. Le secteur agricole offre un bien homogène grâce à une main-d’œuvre immobile. Les entreprises manufacturières produisent, dans un cadre de concurrence monopolistique et à l’aide d’un unique intrant (le travail), un bien différencié à élasticité de substitution constante dont le transport interrégional génère un coût de transport de type iceberg77

(selon la terminologie de P. SAMUELSON, 1954), supporté par les consommateurs. Chacun de ces deux secteurs utilise un facteur travail spécifique (travail agricole et travail industriel), de telle sorte qu’il ne peut y avoir de réallocation intersectorielle.

Dans ce cadre d’analyse, l’agglomération des activités est analysée sur la base des interactions marchandes entre consommateurs et producteurs de biens finaux et repose sur l’hypothèse centrale d’une parfaite mobilité des travailleurs du secteur manufacturier. De ces interactions naît une double force d’agglomération, du facteur travail d’une part, et des entreprises, d’autre part. Eu égard à l’hypothèse de préférence pour la variété, les individus s’installent dans la région qui accueille le plus grand nombre d’entreprises et au sein de laquelle le nombre de biens différenciés disponibles au prix le plus faible est le plus grand. En se localisant à proximité des lieux de production, les consommateurs font l’économie des coûts de transport des biens et profitent ainsi d’un revenu réel supérieur en bénéficiant d’un effet prix.

Cette relation a pour corollaire l’impact de la concentration de la population sur les choix de localisation des entreprises. L’existence d’un coût fixe de production, auquel est associé un coût marginal supposé constant, favorise l’implantation des activités productives en un unique lieu, à proximité du marché offrant les potentialités marchandes les plus grandes. Les coûts fixes sont ainsi répartis sur un plus grand nombre d’unités produites et vendues, et chaque entreprise bénéficie d’un effet taille de marché.

Cette relation circulaire et cumulative prend fin lorsque l’ensemble des activités productives bénéficiant de rendements croissants est regroupé en un lieu unique. La stabilité de cet équilibre dépend néanmoins de l’intensité des forces de dispersion pouvant émerger. Les hypothèses de

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Pour chaque flux de transport, la quantité de biens importée est inférieure à la quantité exportée. Une partie du flux disparaît au cours du transport

concurrence monopolistique et de valorisation de la variété par les individus évacuent le possible effet dispersif d’un accroissement de la concurrence entre les entreprises agglomérées. Seule la part des biens manufacturiers dans la consommation individuelle et les niveaux des coûts de transport des biens finaux et d’accès aux marchés périphériques peuvent constituer un facteur de dispersion. La parfaite mobilité supposée du facteur travail industriel (le travail agricole restant immobile), associé à une baisse des coûts de transport des biens, favorise la concentration des activités industrielles dans une seule région.

De ce processus cumulatif émerge une structure centre-périphérie dans laquelle seul le secteur agricole est présent en périphérie. Cet équilibre est stable tant que les coûts de transport sont faibles et que la part des biens industriels dans la consommation est suffisamment importante. Dans ce cas, il n’est en effet pas profitable pour une entreprise de changer de localisation en faveur d’une zone périphérique. Elle aurait à inciter ses salariés à la suivre, ce qui impliquerait une augmentation de leurs salaires afin qu’ils puissent supporter les coûts d’importation des autres biens produits au centre et, donc, une hausse du prix de l’output. En revanche, elle bénéficierait de la baisse des coûts de fourniture des biens à la population agricole, compte tenu de leur proximité et de leur immobilité. L’agglomération industrielle au centre constitue un équilibre dès lors que l’effet de cette force centrifuge (baisse des coûts de fourniture) est inférieur à celui des deux forces centripètes (hausse des salaires et du prix de l’output).

En l’absence de coûts de transport, aucune de ces deux forces antagonistes n’apparaît, de telle sorte que le schéma de localisation reste indéterminé. Si à une faible part des biens manufacturiers dans la consommation sont associés des coûts d’échange très élevés, l’agglomération des activités industrielles au centre est peu probable compte tenu des coûts engendrés par la satisfaction de la demande en périphérie.

L’agglomération des activités et de la main-d’œuvre industrielle intervient en présence de rendements croissants lorsque les coûts de transport sont positifs, mais à un niveau tel que la fourniture des biens à partir du centre est une alternative satisfaisante à une localisation périphérique. Autrement dit, l’agglomération est fonction croissante du niveau d’intégration économique régionale.

Le modèle de P. KRUGMAN et A. J. VENABLES (1995) consiste en un prolongement du modèle de P. KRUGMAN (1991). L’objectif est d’expliquer les phénomènes d’agglomération et de dispersion des activités industrielles en levant cette hypothèse de parfaite mobilité de la

main-68 d’œuvre et en intégrant les interactions marchandes présentes sur le marché des facteurs de production.

P. KRUGMAN et A. J. VENABLES considèrent deux régions à deux secteurs, l’un agricole produisant à rendements constants, l’autre manufacturier dans lequel n entreprises, liées par des relations amont/aval dans un cadre de concurrence imparfaite, produisent des biens différenciés avec une technologie à rendements croissants. Si les coûts de transport entre les deux régions sont très élevés, chacune des deux régions se trouve en situation autarcique et produit chacun des deux biens. La répartition interrégionale de la population est, par ailleurs, exogène et constante. Ce modèle permet ainsi d’envisager une concentration d’entreprises appartenant à différents secteurs d’activités, liées par des relations verticales (vertical linkage) à la A. O. HIRSCHMAN (1958).

Ces interactions sont à l’origine des effets d’entraînement amont et aval, sources de trois forces d’agglomération. L’implantation d’une nouvelle entreprise (market expansion effect) tend à accroître la demande locale pour les activités en amont (demand or backward linkage), de même que l’offre locale (market crowding effect) pour des activités en aval, et favorise une baisse des prix et des coûts de production (cost or forward linkage).

Cependant, l’immobilité interrégionale supposée de la main-d’œuvre dans le modèle de P. KRUGMAN et A. J. VENABLES associe une seconde étape au processus d’intégration des deux régions.A la structure centre-périphérie succède une relocalisation des entreprises favorisée par l’émergence de deux forces de dispersion générées par leur agglomération.

Lorsqu’il n’existe que deux secteurs, les modèles précédents (P. KRUGMAN, 1991a ; P. KRUGMAN et A.J. VENABLES, 1995) ont conclu à une spécialisation sectorielle des deux régions. Sous les hypothèses d’A. J. VENABLES (1996), lorsque les forces d’agglomération dominent, l’une des deux régions peut capter une part relativement plus importante de l’industrie que la seconde, favorisant ainsi l’émergence d’un différentiel de revenu réel entre elles. A.J. VENABLES conclut que ce différentiel est borné. La part de l’industrie captée par une région croît dans une première phase de développement, puis décroît durant le processus d’intégration régionale.

Le modèle fondateur de P. KRUGMAN (1991a) et son prolongement par P. KRUGMAN et A. J. VENABLES (1995) montrent qu’un niveau croissant d’intégration économique favorise l’apparition d’une structure centre-périphérie. Les mécanismes d’agglomération mis en évidence reposent toutefois sur des logiques différentes. Alors que le modèle de P. KRUGMAN (1991a) met

en avant les interactions marchandes entre entreprises et consommateurs finaux en tant que facteur d’agglomération, P. KRUGMAN et A. J. VENABLES (1995) s’appuient sur les relations verticales entre entreprises. La nature de l’équilibre obtenu est également différente. La parfaite mobilité supposée du facteur travail industriel dans le modèle de KRUGMAN (1991 a), associée à la baisse des coûts de transport, favorisent la concentration des activités industrielles dans la région centrale. Cet équilibre asymétrique est stable tant que les coûts de transport sont faibles.

I.1.2.3- Atouts et limites du modèle de KRUGMAN (1991), KRUGMAN et VENABLES (1995)