CHAPITRE I : LES ANALYSES TERRITORIALES DE LA LOCALISATION DES ENTREPRISES
INTRODUCTION DU CHAPITRE I
I. 1.1.2-La concentration des activités industrielles: concept dexternalité marshallienne
Les nombreux exemples empruntés à lindustrie de lhorlogerie, de limprimerie, du textile, etc., soulignent les économies externes et internes, engendrées par la conjugaison (augmentation de la production) des trois phénomènes énoncés par MARSHALL (division du travail, machinisme, extension des marchés). Les concentrations industrielles sont directement rattachées aux économies externes, elles renvoient aux décisions de localisation, à lapparition des manufactures ainsi quà lopposition entre grands et petits industriels. Dans ce contexte démulation économique, A.MARSHALL étudie les conditions dans lesquelles se trouve la direction des entreprises.
La « Business organisation », que lon peut traduire par firme ou entreprise, constitue une unité de décision élémentaire de lorganisation industrielle, « Nous pouvons entendre par firme tout établissement destiné à pourvoir aux besoins dautrui en vue dun paiement, direct ou indirect, fait par ceux qui en bénéficient » (A. MARSHALL 1890, [1971, p. 493]). Lauteur se focalise finalement sur les aptitudes des Businessmen (prise de risques, connaissance des marchés) et lefficacité comparée des différentes formes organisationnelles (industrie à domicile, manufactures, sociétés de personnes, sociétés de capitaux, associations et coopérations douvriers).
MARSHALL a forgé la notion déconomies externes pour désigner «les effets des activités dautres firmes» sur la production cest-à dire, les avantages que lenvironnement (physique, social, culturel, politique, économique) peut procurer à une entreprise. On trouve plusieurs passages consacrés à lexplication des économies externes dans son uvre, et nous en citons un à titre dillustration:
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Alfred MARSHALL (1919), Industry and Trade, (London, Macmillan, p 874) (Livre II, chapitre VI, section 6) Traduction française: Lindustrie et le commerce, (Paris, M.Giard, 1934, pp.!440-449)
«dun autre côté, laccroissement du montant total de la production augmente les économies qui ne tiennent pas directement à la situation individuelle des différentes entreprises. Les plus importantes dentre elles résultent du développement de branches dindustrie corrélatives qui saident mutuellement les unes les autres, soit quelles se trouvent peut-être groupées dans les mêmes localités, soit en tout cas quelles se servent des facilités modernes de communication quoffrent la vapeur, le télégraphe et limprimerie» (A. MARSHALL 1890 : p525).
Daprès MARSHALL, les économies externes dépendent du «développement général de la branche» et du «progrès général de lenvironnement industriel ». Il a été le premier à souligner que les économies déchelle peuvent être externes également et pas seulement internes à la firme. Ce terme, plus tard, sera complété par la notion déconomies dagglomération, défini par WALTER ISARD, en 1956, comme « internes à la ville ou à la région considérée ». Parmi les avantages externes, on trouve deux catégories : la première est liée à linterdépendance technique des activités (complémentarité au sein dune filière de production), et la seconde concerne le milieu social et culturel, qui permet de constituer une « atmosphère industrielle70 » (A. MARSHALL, 1919).
Les économies externes marshalliennes apparaissent comme une interdépendance (hors marché) des acteurs économiques, et deviennent la pièce maitresse de son analyse de localisation71. Sa conception a mis en évidence un nombre déléments jusque-là ignorés par la théorie économique. La localisation chez MARSHALL signifie quelque chose de différent de la concentration accidentelle en un même lieu de processus de production qui y auraient été attirés par des facteurs de localisation préexistants. Il fait la distinction entre des industries lourdes, telles que lacier qui se déplacent afin dobtenir plus facilement des matières premières, et une industrie localisée qui tire sa vitalité et sa suprématie dune atmosphère industrielle (A. MARSHALL, 1919 : p 447).
MARSHALL traite de la concentration industrielle dans certaines localités quil désigne par le terme «dindustrie localisée». Dans cette analyse, il cherche à voir en quoi la concentration industrielle est une condition nécessaire à la réalisation de la division du travail, facteur principal de la loi de productivité croissante. Il sagit de savoir «dans quelle mesure les économies que procure la division du travail peuvent être pleinement obtenues par la concentration dun grand nombre de petites entreprises de même espèce dans la même localité et dans quelle mesure, au contraire, elles
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Le terme « atmosphère industrielle!» apparait dans A. Marshall (1919) : Industry and Trade, traduction par G. Leduc (1934), Ed. Marcel Giard, Paris, p 442.
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La localisation des activités industrielles est abordée au chapitre X du livre IV des Principes de léconomie politiques (1890) et de manière récurrente dans Industry and Trade (1919) en particulier au chapitre VI du livre II (pages de 440 à 449).
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ont besoin, pour être réalisées, de la réunion dune grande partie de la production du pays entre les mains de quelques entreprises peu nombreuses mais riches et puissantes, ou comme on dit dordinaire, de la production en grand» (A.MARSHALL, 1890 : 473).
Lanalyse de la localisation de Marshall est originale en ce sens quelle accorde peu dimportance aux causes premières exogènes de la localisation, contrairement à beaucoup de travaux sur le sujet y compris les plus récents. Ainsi si les conditions physiques (caractère du climat et du sol, existence de mines et de carrière, accès facile en termes de transport) peuvent jouer un rôle dans la décision dimplantation dune firme, il nen demeure pas moins que le sort des groupements douvriers qualifiés (qui se forment dans les limites étroites dune ville manufacturière ou dune région industrielle très peuplée) y est dune importance considérable. Cet aspect procure à lanalyse marshallienne deux grands effets caractéristiques des avantages liés au bassin demploi.
Lun des avantages tient au fait que le rassemblement de ressources humaines spécifiques est synonyme de la constitution dun marché local pour un même type de qualification. Ainsi, dans une industrie localisée, «les patrons sont disposés à sadresser à un endroit où ils ont des chances de trouver un bon choix douvriers possédant les aptitudes spéciales quil leur faut; de leur côté les ouvriers cherchant du travail vont naturellement dans ces endroits où se trouvent beaucoup de patrons ayant besoin douvriers de leur spécialité» (A. MARSHALL, 1890: p 466). Cette première série davantages renvoie à lenvironnement social des forces économiques grâce à la constitution dune « atmosphère industrielle», facteur dosmose et de transmission des compétences dans le temps au sein du système.
Une deuxième série davantages est liée à linterdépendance technique des activités créées par la naissance, «dans le voisinage» dune industrie principale, dindustries auxiliaires situées techniquement en amont et en aval de celle-ci, au sein dune même «filière productive». Ces industries auxiliaires permettent «lemploi économique de machines coûteuses à des conditions très avantageuses, alors même que les capitaux individuels qui y sont employés ne seraient pas très considérables» (A. MARSHALL, 1890 : p466). Cest là leffet déconomies externes techniques.
Mais, Marshall insiste sur la communication, les échanges dinformation, la nécessité du contact personnel «entre les branches de production alliées, tout au moins en ce qui concerne les choses qui nont pas encore été placées complètement sous la domination dune standardisation générale ou particulière» (A. MARSHALL, 1919 : p 442). Cest là leffet déconomies externes dagglomération fortement liées à la proximité spatiale. On peut considérer que A. MARSHALL
fait ici référence aux coûts supportés par une entreprise qui est à la recherche dun client ou dun fournisseur. Celle-ci a besoin dinformations pour définir et contrôler ses échanges. Le besoin dinformations est réduit quand les biens sont standardisés, mais la situation est très différente pour des produits nouveaux et très spécifiques. Ceux-ci impliquent des contacts directs, des face à face entre les agents intéressés pour surmonter les difficultés de communication et réaliser les transactions. Dans ce cas, la nécessité davoir des contacts rapides et efficaces augmente les avantages dune localisation.