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III. Les perspectives d’analyse de la coopération médiatisée

III.3. Les théories de l’activité

Les travaux inscrits dans la perspective des théories de l’activité, s’inspirent des travaux de Vygotski (1934/1985) et Leontiev (1978). Nous ne présenterons pas de façon exhaustive les travaux de Vygostki ici, mais davantage les concepts fondamentaux de cette approche qui sont utiles pour comprendre les approches des théories de l’activité développées dans le champ du travail collectif assisté par ordinateur.

Le point central de cette approche est que le fonctionnement mental supérieur prend ses racines dans les processus sociaux. Cela signifie que si l’on veut expliquer le développement des fonctions cognitives supérieures, on doit considérer qu’il résulte d’abord du développement historique de l’individu dans la société. Les rapports au monde ne sont pas immédiats, mais médiatisés par des objets qui sont socialement et historiquement construits. Ces objets servent une fonction de médiation de l’action. L’usage d’artefacts autant internes (les concepts, les stratégies, les heuristiques) qu’externes (les dispositifs techniques) sont utilisés et crées par les individus pour structurer, orienter, réguler leur activité. Ils sont porteurs d’une histoire particulière, et dotés de structures robustes, voire permanentes qui traversent les activités singulières.

Vygostki pense le développement comme inscrit dans un rapport du sujet à l’environnement, médiatisé par le groupe social auquel le sujet appartient. Dans cette perspective, l’activité humaine se déroule entre trois pôles : l’individu — les outils — la nature.

La genèse des processus cognitifs suit un mouvement qui va de “l’extérieur” vers “l’intérieur“ : les fonctions psychologiques apparaissent d’abord au niveau social - grâce au contrôle des signes sociaux extérieurs- puis au niveau psychologique - en un contrôle intériorisé -. Dans cette perspective, le développement va de l’interpsychique à l’intrapsychique. Les signes et les mots recouvrent une fonction de contact social avec autrui, puis deviennent le socle de l’élaboration d’une forme supérieure d’activité. Le langage, qui a pour Vygotski un rôle premier dans le fonctionnement mental, passe dans le cours du développement d’une fonction

101934 est la date de parution de l'ouvrage "Pensée et langage", 1985 est la date de parution de la traduction française.

de langage pour la coordination sociale des comportements, à une fonction de langage pour soi, qui est au fondement de la constitution des formes supérieures de pensée.

Les propositions théoriques de Vygotski et Leontiev visent avant tout à mettre au point ce que Wertsch appelle “une loi génétique de développement culturel “ (Wertsch, 1985 p.142).

C’est à partir des principaux concepts développés par les auteurs, que les partisans des théories de l’activité proposent, dans le champ du CSCW, une approche de l’usage et de la conception des systèmes de travail coopératifs. Le concept d’activité est au cœur de cette approche. Toute activité humaine se déroule dans un environnement donné, dès lors il est nécessaire de considérer l’activité inscrite dans les rapports sociaux, qui par un double processus demandent une adaptation de l’homme et portent dans le même temps les motifs et les buts de son activité. L’unité d’analyse qui est envisagé est celui de l’activité et non celui des actions.

Les actions sont situées, elles prennent place dans un contexte et la compréhension de l’action signifiante repose sur la prise en compte du contexte de sa réalisation. La proposition est que le niveau minimal de description et d’explication de l’action humaine doit être envisagé dans l’unité de base qu’est l’activité.

Nous empruntons à Kuutti (1996) la représentation des niveaux qui structurent l’activité, d’après les propositions de Leontiev (1978) :

Activité Action Opération Motif But Conditions de réalisation Schéma n° 1 : Structure générale de l’activité

L’activité est structurée hiérarchiquement en trois niveaux. Elle est caractérisée par son motif. Le motif de l’activité est “l’objet matériel ou idéel qui l’éveille et oriente vers lui l’activité” (Leontiev, p. 113). Cet objet peut être plus ou moins tangible, c’est-à-dire effectivement perçu ou n’avoir une existence que dans l’imagination. C’est à partir de leurs différences d’objets (de motif) que l’on peut différencier les activités.

Les composantes des activités humaines sont les actions, définies comme “des processus orientés vers un but conscient”. Les actions réalisent l’activité, elles s’effectuent sous la détermination de son motif, mais elles sont orientées vers des buts.

Les opérations sont les modes d’exécution des actions, elles définissent la façon dont le but sera atteint. Elles sont subordonnées aux conditions de réalisation du but.

Ces trois niveaux sont à la fois indépendants et en étroite relation.

Indépendants, au sens où les activités et les actions représentent des réalités qui ne coï ncident pas entre elles. Une même activité peut être réalisée par des actions différentes, une même action peut contribuer à la mise en ouvre d’activités différentes. Réciproquement, un même motif peut se concrétiser dans des buts différents, et donc dans des actions différentes.

En étroite relation, du fait des changements de statuts de chaque entité - activité, action, opération - dans le flux d’une activité donnée. L’activité est considérée comme un processus caractérisé par des transformations constantes, c’est-à-dire des transformations des objets de l’activité et de l’action : une activité peut se transformer en action, une action peut devenir une activité autonome, ou bien une opération réalisant différentes actions.

Parmi les travaux inscrits dans les perspectives des théories de l’activité, on trouve des contributions qui visent à dépasser le clivage entre, d’un côté, une action essentiellement située et contingente, et de l’autre côté, une action guidée par une planification à priori. Bardram (1997) propose dans ce cadre le concept de “planification située”, inscrit dans le cadre des théories de l’activité.

A partir d’étude de l’usage de plans dans un hôpital, l’auteur définit les plans comme “a cognitive or material artifact which support the anticipatory reflection of future goals for actions, based on experience about recurrent structures in life” (p. 27). Dans cette perspective, les plans ne sont pas opposés à l’action en situation, ils sont des organisations anticipées élaborées à partir des structures du monde repérées comme invariantes, ils sont actualisés dans les contextes de l’action. Sur la base de cette proposition, l’auteur considère les systèmes workflows - de gestion de flux d’information - non pas en tant que moyens de véhiculer les informations dans les organisations selon un modèle préétabli, mais plutôt en tant qu’outils d’aide à la planification située, assistant l’élaboration, le partage et la mise en œuvre de plans dans les activités de coopération.

Cette proposition nous semble intéressante, elle constitue une tentative de dépassement des clivages théoriques entre les approches “situées” et “cognitives” dirons-nous de façon schématique. De plus, elle prend en considération un aspect fondamental de l’activité humaine, à savoir l’organisation de l’action à partir des éléments stables des situations. De notre point de vue, c’est parce que certains caractéristiques du monde sont stables, que les individus peuvent élaborer des structures invariantes d’action (des schèmes).

Nous allons à présent entamer une discussion critique des approches ci dessus, à partir d’un ensemble de dimensions qui nous paraissent les différencier.