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• La première dimension d’analyse concernait la conduite du dialogue selon que la question relève ou non des compétences des experts. Nous avons défini trois univers de compétences : les compétences “du domaine”, les compétences “sur les connaissances du collectif”, et “les non compétences” des experts. Les analyses montrent que, les experts mettent en œuvre une activité de relance, pour la moitié des questions qu’ils reçoivent, et ce qu’il y ait une réponse ou pas à la question. Nous avons interprété ce résultat comme témoignant du nécessaire travail d’élucidation de la demande, caractéristique de ce type de dialogue.

Si on établit un lien avec l’organisation du travail de cette situation professionnelle, il s’avère que les deux niveaux de soutien correspondent à deux niveaux de complexité de l’assistance. Au niveau 1, les commerciaux en agences traitent les questions simples, effectuant un premier filtrage des questions. Au niveau 2 - objet de nos analyses - les experts reçoivent les questions qui n’ont pu être résolues, il s’agit de questions complexes, dont on peut considérer qu’elles exigent un travail d’élucidation quasi systématique.

Ce résultat est cohérent avec les résultats de nombreux travaux intéressés par les situations d’assistance. Ils rendent compte, de façon similaire, d’un travail d’élaboration et d’élucidation de la demande, qu’il s’agisse de dialogues de consultation (Falzon, 1989, De Medeiros, 1992), ou de certains dialogues de renseignement (Bouzit, 1995). Nous pensons, de plus, qu'il met en évidence l'importance relative des caractéristiques des questions (notamment leur complexité) sur la conduite du dialogue par les experts. C'est à partir des caractéristiques des questions que les experts orientent leur activité et élaborent des invariants d'action, davantage que sur la base d'un modèle de l'interlocuteur ou d'un modèle de la demande. Nous avions noté que plusieurs explications pouvaient être apportées a priori : elles sont relatives à la situation en elle même. Les experts et les demandeurs se connaissent, ils partagent un ensemble de connaissances bien qu'étant de niveau de compétences distincts. Les questions sont des questions complexes, il s'agit de problèmes que les demandeurs n'ont pas réussi à résoudre. La plupart d'entre elles ont une" histoire", elles ont fait l'objet de tentative(s) antérieure(s) de résolution, cela explique en partie des formulations différenciées de la part des demandeurs.

• La deuxième dimension d’analyse a examiné la conduite du dialogue en fonction des caractéristiques “intrinsèques” des questions, appréhendée à partir de la forme d’énonciation et du contenu de ce qui est exprimé.

A partir de la forme d’énonciation, deux types de questions ont été identifiées : - Un type de question dite narrative “QN”, dans laquelle le demandeur expose la situation au travers d’éléments contextuels et historiques, qui, s’ils sont nécessaires, ne sont pas suffisants pour l’élaboration d’une réponse. Ces questions donnent lieu à des relances et à des reformulations de l’expert, puis à l’élaboration d’une réponse, une fois le problème construit ;

- Un type de question dite interrogative “QI” dans laquelle l’interlocuteur exprime d’emblée le problème à l’origine de l’appel. Ces questions donnent lieu à une réponse directe de la part de l’expert.

A partir du contenu de ce qui est exprimé, nous avons examiné les structures des dialogues, selon que le demandeur formule des éléments de contexte relatifs à la demande, ou bien exprime le problème qui est à l’origine de son appel.

Deux structures d’interaction caractéristiques ont été mises en évidence, en fonction du type de question narrative ou interrogative :

- Pour les questions narratives “QN”, il s’agit de :

P

C rel/ref rep.

- Pour les questions interrogatives “QI”, il s’agit de :

P—rep

Un invariant structurel caractéristique de l’ensemble des dialogues analysés a été identifié : il s’agit de la sous-structure d’interaction “P—rep” qui est présente, chez les deux experts, quelque soit l’univers de compétence dont relève la question, et quelque soit le type de question -”QN” ou “QI” -.

“P—rep” est située à l’articulation de la phase de formulation de la question et de la phase de réponse, ainsi que figuré dans le schéma n°5.

Nous avons interprété ce résultat comme témoignant d’une organisation de la conduite des dialogues développée par les experts face à la variabilité des demandes reçues : cette variabilité est relative à la fois à la forme et au contenu de ce qui est exprimé.

Nous pensons que, dans cette situation, le questionnement doit avoir la caractéristique précise de formuler un problème traitable dans les termes des connaissances que possèdent les experts. Dans les cas où la question n’a pas cette caractéristique, le travail d’explicitation consiste à établir un lien entre le “monde du demandeur” et le problème auquel il est confronté, et le “monde des connaissances des experts” sur les produits, les offres et les possibilités qui sont offertes. Les experts recourent alors à des mécanismes de relance et de reformulation qui visent l’explicitation du problème par le demandeur.

L’analyse du processus d’élaboration du problème, montre qu’il résulte de la caractérisation de deux éléments, que sont le domaine de problème et le problème particulier à l’intérieur du domaine identifié18. Les analyses quantitatives indiquent que les demandeurs s’expriment en faisant référence conjointement à un domaine et à un problème particulier quelque soit le type de question, ceci pour plus de la moitié des dialogues analysés.

De plus, une différence entre les questions “QN” et les questions “QI” est identifiée : les questions “QI” sont formulées en terme de problème particulier, pour une part importante d’entre elles (10 sur 21), comparativement aux questions “QN”, qui sont formulées en terme de problème particulier dans une très faible proportion (1 sur 26).

Ce dernier résultat nous a conduit à considérer que le questionnement des demandeurs résultait d’une spécification progressive, débutant par la présentation d’éléments généraux, pour ensuite énoncer le problème que l’expert aura à

18 Nous parlons de caractérisation du fait que les deux éléments ne sont pas systématiquement exprimés. Le domaine de problème peut faire l’objet d’un accord tacite, et dans ce cas, il n’est pas exprimé.

résoudre. Cette spécification dans le cours du dialogue résulte d’une activité conjointe des deux acteurs : le demandeur exprime des éléments contextuels, il est sollicité par les relances de l’expert, et formule progressivement le problème qui est à l’origine de son appel. De plus, l’expert peut utiliser un autre mécanisme de construction du problème, et reformuler la demande initiale de façon affirmative, ou interrogative.

Les réponses des experts sont massivement exprimées en terme de problème particulier (41 réponses sur 47) alors que les questions qu’ils reçoivent sont formulées majoritairement en termes de domaine et de problème particulier (36 sur 47). C’est-à-dire que, pour un grand nombre de questions, qu’elles aient subi ou pas de transformation dans le cours du dialogue, l’activité de réponse de l’expert vise à répondre au problème particulier identifié à l’intérieur d’un domaine plus général de problème. Ce résultat est en accord avec l’hypothèse que nous avions formulée concernant le processus de co-élaboration du questionnement jusqu’à la production de la réponse, qui procède par une spécification progressive que l’on peut détailler ainsi : une question doit exprimer un problème sinon elle subi des transformations dans le dialogue ; à un problème posé dans des termes généraux et spécifiques, l’expert répond de façon quasi systématique au problème spécifique qui a été formulé et/ou co-construit. Nous avons considéré que le domaine de problème devait faire l’objet d’un accord tacite entre les deux interlocuteurs. Si tel est le cas, il n’y sera pas fait référence dans le dialogue. Si ce n’est pas le cas, l’expert peut y faire référence, par une relance interrogative ou bien l’expliciter en tant que connaissance partagée dans sa réponse verbale.

L’analyse des dialogues que nous avons conduite était guidée par l’hypothèse que les caractéristiques des questions pouvaient influencer la conduite du dialogue et donner lieu à des mécanismes de co-élaboration du problème mis en œuvre par les deux acteurs du dialogue.

Ces analyses des dialogues nous ont permis de mettre en évidence une forme d’organisation de l’activité d’assistance chez les deux experts analysés.

Ce premier résultat est précieux au regard de notre questionnement initial qui est relatif aux liens pouvant exister entre les formes de l'activité et les formes des instruments que les experts élaborent dans le cadre de leur activité d’assistance. C’est l’objet du chapitre suivant que d’examiner la nature de l’articulation entre les formes invariantes qui organisent l’activité de dialogue et celles qui sont susceptibles d’émerger lors des usages de l’artefact, et de son institution en instrument de l’activité.

Cette analyse sera conduite du point de vue des usages par le collectif des experts de l’artefact “base d’information” dont ils disposent, et du point de vue de la conception de bases d’informations, qui sont élaborées individuellement dans la base commune.