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Chapitre III : De l'artefact dédié au travail coopératif à l'usage et

I. Une base d’information à vocation d’usage coopératif

I.3. Une nouvelle tâche et une définition structurelle du collectif

………… …… …… Niveau 1 : mot clé principal Niveau 2 : mot clé secondaire Niveau 3 : réponse type

Schéma n°7 : Organisation en trois niveaux de la base d’information

L’introduction de cet artefact engendre une nouvelle tâche dont l’analyse va permettre d’en cerner la nature ainsi que les exigences qui en découlent.

I.3. Une nouvelle tâche et une définition structurelle du collectif

Installée au poste de travail de chaque expert, cette base d’information est au départ vide de tout contenu. La tâche qui incombe aux experts est de collecter et organiser l’ensemble des réponses diffusées sur la hot line. On peut définir cette tâche comme une tâche conception qui articule deux niveaux :

- Le niveau des contenus de connaissances à intégrer : dans ce cas, s’agit-il d’intégrer les réponses données au téléphone dans leur totalité, ou bien certains éléments de réponse jugés pertinents ? selon quels critères ?

- Le niveau de l’organisation de ces connaissances : dans ce cas, s’agit-il de structurer les contenus selon la classification proposée ou bien différemment ? selon quels critères ?

En outre, ces deux niveaux de la conception convoquent deux temporalités différenciées :

- Au temps 1, il s’agit de définir les principes d’organisation des contenus de connaissances qui seront intégrés dans la base : une fois les principes définis et estimés stables, cette phase 1 de la conception s’achève ;

- Au temps 2, il s’agit de procéder à l’enrichissement des contenus au fur et à mesure, en fonction à la fois de l’évolution des produits et des offres (intégration des nouveautés, élimination des éléments obsolètes), et de l’évolution des questions et problèmes d’usage soulevés par les clients au travers des commerciaux sur les hot line. Notons que l’activité d’enrichissement est une condition d’existence de la base dont le principal pré requis est de contenir des informations à jour.

La phase 1 du processus de conception est circonscrite temporellement (temps 1), cependant que la seconde s’étend sur une temporalité plus étendue, qui est celle de la durée de vie de la base de connaissances conçue (temps 2).

On peut estimer a priori que dans les deux phases, le collectif se trouve sollicité et défini structurellement. En effet, une dépendance fonctionnelle est créée entre les productions individuelles : elle dépasse le simple partage de ressources, et renvoie au nécessaire partage d’un but commun dans la réalisation de la tâche (Schmidt, 1991, 1994).

De plus, et c’est une des particularités du travail collectif avec les systèmes informatiques, la coopération ici est médiée par un espace commun d’information (Bannon et Bodker, 1997). Cet espace, ainsi que définit par les auteurs, est à la fois ouvert, c’est-à-dire immergé dans les circonstances des situations de production des informations, et fermé, parce qu’organisant de façon permanente les informations selon des principes définis. Construire une base commune consiste à produire des connaissances dans une forme organisée à un moment donné, et à les réutiliser à un autre moment, qui peut être très éloigné. Dans ce cadre, l’accès au contexte de production, est une condition pour un usage effectif. La réutilisation de la base commune - pour consulter comme pour enrichir - suppose d’accéder aux principes qui sont à l’origine de l’organisation des contenus, les items définis dans la base, ne portent pas en “eux mêmes” le contexte de leur production.

Dans la situation que nous analysons, les experts à l’origine de la constitution de la base sont géographiquement proches. Nous verrons par la suite, une situation

d’usage, dans laquelle deux experts, à l’occasion de l’enrichissement du contenu de la base, vont confronter de visu leurs critères d’organisation des connaissances, qui sont divergents.

De cette interdépendance, découle une complexité, elle aussi nouvelle liée aux usages par le collectif. On trouve dans la littérature des travaux qui renseignent les dimensions individuelles et collectives d’utilisation d’outils par des collectifs de travail (Béguin 1994 ; Rabardel, Rogalski, Béguin, 1996).

Béguin s’est intéressé à l’introduction de la CAO, dans une entreprise d’ingénierie industrielle, et notamment à la réutilisation de fichiers informatiques par une équipe de dessinateurs (Béguin, 1994). Nous reportons les résultats qui sont centrés sur les modalités de la mise en commun des fichiers. Elle est réalisée à deux niveaux :

- Au niveau des contenus des documents graphiques par l’intégration des productions individuelles à la production finale : il s’agit du mécanisme qualifié d’intégration ;

- Au niveau de l’organisation des fichiers qui doivent être en adéquation avec les actions distribuées : il s’agit du mécanisme qualifié de coordination.

Au plan de la production, l’intégration permet de traiter l’interdépendance entre les productions distribuées et d’en assurer la cohérence, autorisant la réduction des coûts par la diminution des tâches de saisie, l’augmentation de la performance et de la fiabilité du système.

Au plan de l’activité des dessinateurs, la coordination est un facteur d’augmentation de la dépendance entre les opérateurs travaillant avec l’outil CAO. Elle concerne (1) l’intégration d’éléments et les ajustements de la structure qui peuvent être nécessaires, (2) les moyens de l’action, par la prise en compte des besoins d’autrui dans la définition des besoins propres et, (3) les conditions de l’action par la prise en compte dans l’action propre des conditions de l’action d’autrui.

La comparaison de deux situations de conception amène l’auteur à analyser les instruments partagés : dans une situation, la conception est réalisée sur écran, les documents sont ensuite imprimés et ils donnent lieu à échanges entre les dessinateurs projeteurs ; dans l’autre situation, la conception sur écran est réalisée sur une tablette à digitaliser qui comporte des symboles du graphisme technique - sans échanges directs entre les dessinateurs.

Il s’avère que les deux artefacts - le papier pour la situation 1 et la tablette pour la situation 2 - ont pour caractéristiques d’être mis en commun et d’être distribués : - Les documents papier sont mis à disposition de chacun, examinés et confrontés en vue d’effectuer des choix ; ils sont annotés suite aux décisions collectives, et rapportés au travail individuel ;

- La tablette à digitaliser est disponible à chaque poste de travail, elle est utilisée pour les opérations de structuration de fichier sur un mode automatisé.

Ces deux instruments ont une fonction de “médiation collaborative qui permet que soient garanties les conditions et les moyens de l’activité propre, elle rend possible un rapport à l’objet commun et ce faisant permet de réaliser une potentialité collective avec les autres avec qui on travaille” (Béguin, 1994 p.182). La gestion de l’intégration et de la coordination est différente selon l’instrument : dans la situation “papier”, la mise en commun par l’intégration et la coordination est réalisée de façon externe cependant que dans la situation ”tablette” elle sont prises en charge par le logiciel.

En outre, dans la situation “papier”, l’intégration et la coordination doivent être réalisées ensemble : les actions individuelles et collectives sont en étroite dépendance spatiale et temporelle. Dans la situation “tablette”, par contre, la production de fichiers peut être réalisée sur plusieurs semaines : l’action individuelle est autonome par rapport à l’action collective, affranchie des contraintes temporelles et spatiales. Le fichier produit requiert, en revanche, une organisation stable, utilisable pour tous les projets.

Ainsi, dans la situation analysée, l’actualisation de l’action collective repose sur l’intégration des productions respectives et la coordination c’est-à-dire l’organisation de l’activités des personnes. Elle est source de tensions, voire de conflits entre les dessinateurs. La résolution de cette tension peut prendre deux voies : par l’action avec une étroite dépendance spatiale et temporelle à l’action d’autrui, par le logiciel avec la nécessaire définition d’une forme invariante de fichier qui conduit à une transformation du processus de conception.

Comparons à présent la situation que nous analysons à celle étudiée par Béguin. Nous allons voir qu’il existe certaines différences.

Tout d’abord, la nature de la tâche qui détermine - en partie - le degré d’interdépendance entre les opérateurs n’est pas comparable. La conception d’une usine est un processus d’une grande complexité, envisagé par l’auteur comme un système de prise de décisions distribuées. En effet, un projet industriel fait intervenir de nombreux acteurs appartenant à différentes spécialités (génie civil, électricité, climatisation, tuyauterie…), chacun produisant des solutions techniques spécifiques dans l’objectif d’atteindre un but commun. L’auteur propose de distinguer deux niveaux d’interdépendance : celui des productions distribuées qui seront intégrées au fichier commun ; celui des activités distribuées qui nécessitent une coordination.

La production par les experts d’une base de connaissances collective crée une définition structurelle du collectif et engendre une interdépendance fonctionnelle. Elle résulte des contraintes de la tâche de collecte et d’organisation des savoirs individuels, tâche qui est insérée dans les autres tâches qui incombent aux experts. Pour autant cette nouvelle tâche est totalement indépendante des autres

tâches attribuées. Nous entendons par indépendance le fait que

l’accomplissement de l’une n’est pas dépendante de l’achèvement de l’autre : la réalisation de l’assistance téléphonique et la conception de la base commune ne

produisent pas des contraintes qui exigent une articulation de nature temporelle des productions distribuées.

L’interdépendance entre les experts résulte de la tâche nouvelle induite par l’introduction de l’outil, et ce, aux deux niveaux de conception : le niveau des contenus de connaissances à intégrer ; le niveau de l’organisation de ces contenus. Cette interdépendance constituée est manifeste dans les deux temps de la conception : lors de la définition des contenus à intégrer (temps 1) ; lors de l’enrichissement de ses contenus (temps 2).

De plus, il y a également interdépendance du fait de la réutilisation de la base par le collectif, notamment lors de sa consultation.

L’indépendance concerne les différentes tâches assignées aux experts : la consultation téléphonique n’est pas liée -au moins temporellement - à la conception de la base commune.

De façon similaire aux travaux de Béguin, on peut identifier deux niveaux d’interdépendance : le niveau des productions distribuées qui devront être intégrées dans la base commune, le niveau des activités distribuées qui vont exiger une coordination entre les experts.

Cependant, nous allons voir que la gestion de l’interdépendance induite par l’outil va achopper autant au niveau des productions distribuées qu’au niveau des activités distribuées : dans la situation à laquelle nous nous intéressons, les usages collectifs de la base - consultation et enrichissement des contenus - sont quasi inexistants et, pour les rares fois où ils apparaissent, sont conflictuels. Par ailleurs, les usages sont hétérogènes, allant d’une réelle appropriation - dont nous allons examiner les modalités - à des appropriations moins abouties, voire inexistantes. Notons que sur l’ensemble des experts, au moment de nos observations, deux d’entre eux s’étaient engagés dans un processus de conception d’une base individuelle. Ainsi, au sein de la base commune, différentes bases individuelles sont élaborées, elles portent sur des produits spécifiques.

Nous allons successivement considérer une situation d’usage de la base commune par le collectif, puis nous envisagerons le processus de conception. Cette situation d’usage apparaît féconde, elle permet de poser les problèmes de conception. C’est pourquoi nous l’examinerons en premier lieu.