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I. L'activité d'assistance téléphonique par "hot line" est une activité de service

I.2. Les déterminants de la conduite des dialogues

Parmi les études sur les différentes situations de dialogues, certaines mettent en évidence que l’évaluation des compétences de l’appelant est cruciale pour le traitement effectif du problème, autant dans les dialogues de renseignements

(Amalberti et al., 1984) que dans les dialogues de consultation (Cahour 1991, Falzon, 1989, De Medeiros, 1992).

L’étude d’Amalberti et collaborateurs s’intéresse aux stratégies de dialogue de secrétaires standardistes d’un centre médical, chargées de la prise de rendez vous pour les spécialistes du centre.

Leurs analyses indiquent que la conduite du dialogue par les secrétaires expérimentées est fondée sur un “modèle du client standard”, qui postule que l’appelant souhaite un rendez vous dans des délais aussi brefs que possible, et qu’il est assuré social. Ce modèle oriente l’interprétation des requêtes et donne lieu à des mécanismes d’accélération du dialogue dont la fonction est d’aboutir rapidement à une prise de rendez vous : l’opératrice propose d’emblée une date de rendez vous au client. Si le client réagit négativement, une nouvelle date sera envisagée. Si la date convient, la tâche est achevée avec un gain de temps important.

Les auteurs notent que cette stratégie est très efficace dans la plupart des cas, mais elle peut se heurter à des demandes inhabituelles et dans ce cas exiger des procédures de récupération. En outre, la comparaison de l’activité de deux opératrices - dont l’une est experte - montre l’importance de la pratique dans l’acquisition et la mise en œuvre de cette stratégie de conduite du dialogue.

Dans la même veine, les travaux de Falzon (1989) examinent une situation de consultation téléphonique dans laquelle des ingénieurs, spécialistes dans un type de matériel informatique, sont sollicités par des utilisateurs confrontés à des difficultés d’utilisation. À partir d’enregistrements des conversations téléphoniques puis d’auto-confrontation un mois plus tard, l’auteur met en évidence que la conduite du dialogue est fonction du niveau de compétence supposé de l’appelant, qui détermine les stratégies de dialogue de l’expert et guide ses hypothèses de diagnostic.

Pour un interlocuteur novice, l’expert, par un guidage opératif, prend rapidement le contrôle du dialogue et procède par un questionnement fermé appelant des réponses en “oui” ou “non”. En revanche, pour un interlocuteur jugé compétent, l’expert ne prend pas l’initiative, laissant l’appelant exposer son problème. En cas de nécessité, il pose des questions ouvertes. Le problème exprimé par un interlocuteur estimé peu compétent est évalué a priori comme peu complexe et connu, cependant que le problème formulé par un interlocuteur jugé compétent est envisagé comme complexe, voire inconnu de l’expert.

Cahour (1991) analyse les commentaires de dialogues téléphoniques d’ingénieurs experts dans un matériel informatique13. L’auteur montre que l’évaluation des connaissances de l’interlocuteur se réalise à deux niveaux. Au premier niveau, l’état des connaissances de l’appelant est identifié, visant à repérer les connaissances exactes des connaissances erronées ou lacunaires. Une évaluation de second niveau complète cette première évaluation, consistant

en une catégorisation du niveau de connaissances et du type de connaissances possédé par l’interlocuteur. L’évaluation de premier niveau requiert une expertise du domaine, elle est réalisée par comparaison des connaissances inférées de l’interlocuteur aux connaissances de l’expert. L’évaluation de second niveau repose à la fois sur l’expertise du domaine, et sur la pratique régulière de consultation avec des appelants aux niveaux et aux types de connaissances variés ; en d’autres termes sur l’expérience.

Bouzit (1995) a montré que le type de demande reçue par des agents oriente les stratégies de conduite du dialogue. La situation examinée est une situation d’accueil téléphonique à EDF-GDF, dans laquelle les interlocuteurs sont des clients multiples. Les appels reçus concernent des prises de rendez vous pour des poses de matériel, des problèmes de résiliation de contrat, ou encore de facturation. Pour les demandes d’ordre technique, l’agent guide de façon opérative le dialogue, procédant par des anticipations qui visent à aider le client à donner les informations nécessaires au traitement de sa demande, et par un questionnement fermé. Il s’agit d’une stratégie qui est comparable au “modèle du client standard” développée par les opérateurs observés par Amalberti et al. Toutefois, ainsi que le souligne l’auteur, cette stratégie développée pour ce type de demande est limitée à des séquences précises de traitement de la demande. D’autres types de demandes sont formulées aux agents. Il s’agit de demandes complexes, pour un diagnostic de panne ou pour un problème de facturation. Dans ces cas, l’agent ne prend pas immédiatement le contrôle du dialogue mais écoute la description qui est à l’initiative de l’appelant. Le diagnostic que porte l’agent consiste non seulement en la résolution du problème, mais aussi dans l’explication de la situation. Il comporte deux étapes : la première porte sur le diagnostic du problème ; la seconde est centrée sur la résolution du problème identifié. Pour ce type de demande, une des difficultés des agents réside dans l’identification du problème qui est à l’origine de l’appel. Cela se traduit notamment par des séquences de ratification de l’objet de l’appel de longue durée.

Nous soulignerons deux points essentiels que l’ensemble de ces travaux suggèrent. Le premier a trait aux compétences mises en œuvre ; le second concerne les déterminants des stratégies de conduite du dialogue mises en œuvre dans les différentes situations.

Ces études permettent de tracer les contours de la compétence des professionnels analysés. Elle est le fruit d’une construction historique qui fait intervenir et combine de nombreux paramètres, à savoir les connaissances techniques c’est-à-dire propres au domaine concerné, et les connaissances et savoir faire issus de la pratique de consultation (Cahour 1991, Falzon 1989). En considérant une temporalité plus étendue, c’est l’ensemble de l’expérience professionnelle antérieure qui, lors d’un changement de métier, est convoquée (Mayen 1997)

Le second point qui mérite attention, concerne les déterminants de la conduite du dialogue que l’on peut identifier. La relative similarité des demandes, dans certains dialogues de renseignement, autorise l’élaboration, au cours de la pratique, d’un modèle du client et de la demande formulée (Amalberti et al. 1984), qui a une fonction d’économie cognitive de par le guidage opératif du dialogue à l’initiative de l’agent qu’il permet. Dans d’autres situations de consultation, c’est au travers de l’identification des connaissances et compétences de l’interlocuteur que les experts élaborent des stratégies différenciées de conduite du dialogue, ainsi que le montrent Falzon et Cahour. Dans certains autres cas, la complexité et la variabilité des demandes ne donne pas lieu à l’élaboration d’un modèle de la demande et/ou de l’interlocuteur à partir de ses compétences supposées. Le traitement de ces demandes consiste en un diagnostic qui vise à identifier l’objet de l’appel puis, à rechercher la solution au problème identifié, ainsi que le montrent les travaux de Bouzit.

Ainsi, le type de dialogue ou le type de clientèle ne semble pas être les seuls facteurs qui influencent la conduite des dialogues par les professionnels : les demandes dans les dialogues de renseignements examinés par Bouzit, donnent lieu tantôt à des stratégies par guidage opératif à l’initiative de l’agent, tantôt à des diagnostics fondés sur la demande même : dans ces derniers cas, l’agent laisse à l’appelant l’initiative de description de sa situation problématique.

À la lumière de ces études, on peut envisager trois sortes de déterminants de la conduite du dialogue. Ce peut être à partir :

- Des connaissances supposées de l’appelant : elles vont déterminer la conduite du dialogue et orienter les hypothèses de diagnostic ;

- De la demande du client, à propos de laquelle un stéréotype à été construit au cours de l’expérience : ce dernier va déterminer des stratégies de gestion de l’interaction et autoriser l’anticipation de la requête ;

- De la complexité de la demande, qui va donner lieu à un diagnostic centré tout d’abord sur l’identification de l’objet à l’origine de l’appel, puis sur la recherche de solution au problème identifié.

Nous allons maintenant présenter la situation de terrain, objet de nos analyses de l’activité de consultation téléphonique, puis nous donnerons à voir les caractéristiques générales du matériau analysé, pour ensuite formuler l’hypothèse générale qui a guidé ces analyses. Cette hypothèse est élaborée à partir des éléments de littérature que nous avons consultés, ainsi que de la première connaissance de la situation professionnelle à laquelle nous nous intéressons.