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V. La conduite du dialogue en fonction des compétences requises par les

VI.3. Analyse de la structure des dialogues

Les interactions entre les experts et les demandeurs ont été codées à l’aide des indicateurs de relance [rel], reformulation [ref], réponse [rep], non réponse [non rep], et des indicateurs de contenu, formulation d’éléments contexte [C], formulation du problème [P].

Notons que nous visons à mettre en évidence des structures des dialogues et non pas à rendre compte de façon exhaustive de l’organisation structurale des dialogues15. C’est la raison pour laquelle nous nous intéressons ici uniquement aux échanges produits entre la formulation de la question et la production de la réponse.

Le tableau de la page suivante rend compte des structures des interactions des 51 dialogues, en fonction du type de question - QI et QN – pour les deux experts confondus. Nous illustrons les “boucles” qui peuvent exister dans les échanges, c’est-à-dire les relances successives de la part de l’expert, suite à la formulation par le demandeur d’éléments de contexte ou de problème, par des flèches.

15En effet, rappelons que l’analyse des dialogues que nous menons vise, avant tout, à rendre compte de l’organisation de l’activité principale des experts, qu’est l’assistance téléphonique, dans l’objectif d’éclairer une autre facette de leur activité que sont les modalités d’usage et de conception de bases d’informations dont ils disposent. En conséquence, l’analyse des dialogues ne saurait être considérée en dehors du rapport avec l’analyse des usages et de la conception des bases, que nous examinons dans le chapitre III.

Ce tableau met en évidence l’existence de structures d’interaction différenciées en fonction du type de question, question “Narrative” ou question “Interrogative”. Les questions narratives donnent lieu à des relances et/ou à des reformulations, cependant que les questions interrogatives donnent lieu majoritairement à des réponses de façon directe (rep).

On notera cependant, que pour 2 d’entre elles, une relance ou une reformulation est effectuée avant la réponse (P—rel/ref—P—rep).

Pour l’une d’entre elles, l’expert écoute la question du demandeur qui énonce un problème, c’est-à-dire une question directement compréhensible dans les termes de ses connaissances :

Demandeur :“Un client qui a un accès primaire et qui souhaite être dénuméroté, qu’est ce qu’on lui facture ?”. La relance effectuée consiste en une répétition d’un des éléments de la question : Expert : “dénuméroté…”, puis dans sa réponse, l’expert effectue une reformulation de redirection accompagnée d’une réponse de redirection : “j’en sais fichtre rien…c’est du réseau, c’est loin des liaisons // C. va se faire un plaisir//”.

La seconde question interrogative qui fait l’objet d’une relance, témoigne d’un déroulement de l’interaction qui est parent des deux premières : le demandeur exprime un problème :

D : ”j’étais en train de regarder là au niveau de la GTR, parce que je vois…est ce que pour les liaisons louées on peut le proposer ?”, l’expert effectue une relance qui consiste en une question, l’expert ne disposant pas des informations nécessaires pour répondre, demande à son interlocuteur : “pour les analogiques

?”, puis élabore sa réponse. Ces deux dialogues témoignent d’un fait intéressant : parmi les questions

interrogatives, la majorité d’entre elles semblent remplir les “conditions de forme et de contenu” permettant d’élaborer une réponse. Trois d’entre elles cependant indiquent qu’il peut exister plusieurs modalités de formulation du problème, qui ne sont pas adéquates pour l’élaboration d’une réponse.

Nous reviendrons sur ce point dans la seconde analyse que nous conduisons qui est intéressée par le processus d’élaboration du questionnement par les deux acteurs du dialogue ainsi que le processus d’élaboration de la réponse.

Nous allons pour l’instant examiner les structures d’interaction qui sont les plus présentes selon que la question est narrative ou interrogative.

• Pour les “questions narratives”, la structure d’interaction :

P

apparaît pour 84% des questions du corpus. Les questions narratives “QN” font l’objet de relances et/ou de reformulations qui ont pour fonction de les transformer en problèmes auxquels les experts seront à même de répondre ou pas, et ce par une réponse immédiate, différée ou par redirection pour les réponses effectives et, par une non réponse quand l’expert n’a pas les éléments d’informations nécessaires.

• Pour les questions interrogatives “QI”, la structure que l’on retrouve le plus souvent est :

P—rep

Elle est présente dans 80% des questions du corpus (20 questions sur 25).

Cela revient à considérer que les questions interrogatives, de par leur forme et leur contenu, conduisent directement à une réponse.

Les questions narratives, en revanche, exigent une ré élaboration en situation, qui vise à élucider la demande qui est à l’origine de l’appel, aboutissant à la formulation d’un problème qui est compréhensible dans les termes des connaissances des experts.

Ainsi que nous l’avions pressenti, les différentes modalités de l’expression des questions par les appelants hot line influencent la conduite du dialogue par les experts et la production de réponses.

Nous pouvons voir ici que la compétence des experts réside dans leur capacité à amener le demandeur à exprimer le problème qui motive son appel, c’est-à-dire à formuler la question précise à laquelle il souhaite qu’il soit fait réponse.

L’examen des structures des dialogues en fonction des deux types de questions “QN” et “QI” montre par ailleurs qu’il existe, au sein des différentes structures de dialogues, une sous structure commune quelque soit le type de question, et valable pour les deux experts dont nous analysons les dialogues. Il s’agit de la sous-structure :

P rep

C’est-à-dire que la question doit formuler un problème pour que la réponse soit élaborée. Derrière la trivialité apparente de ce résultat, il nous semble qu’une caractéristique de l’activité dans cette situation apparaît ici. Les questions des demandeurs, dont nous avons considéré qu’elles étaient complexes parce que non résolues après un premier filtre de traitement au niveau 1 d’assistance, sont formulées de façon variable et, dans le corpus analysé, se répartissent de façon quasi égale en deux types de questions.

Si l’on admet que l’échantillon d’analyse est suffisamment représentatif des dialogues, on peut considérer que les experts, face à la variabilité de formulation

des questions, développent une activité organisée de conduite du dialogue qui vise à obtenir une formulation selon des critères très précis. Dans les cas où le questionnement formule un problème, ces derniers élaborent une réponse. Dans les cas contraires, des mécanismes d’élaboration et d’élucidation de la demande sont mis en œuvre pour parvenir à l’expression d’un problème intelligible dans les termes de leurs connaissances.

C’est-à-dire que la forme de ce qui est énoncé ainsi que le contenu qui est exprimé, influencent l’activité des experts, qui pourront répondre directement, ou bien mettre en place des mécanismes de relance et de reformulation pour élucider le problème qui est à l’origine de l’appel.

Cette sous-structure “P—rep” se situe à l’articulation entre la phase de

formulation du problème et la phase de réponse, ainsi que figuré dans le schéma ci dessous :

Dialogue

Phase de formulation de la question Phase de réponse

rep P rep immédiate rep redirection non réponse QN QI rep différée rel/ref rel/ref

Schéma n°5 : structure d’interaction “P—rep” dans les dialogues

La sous structure “P—rep” est massivement présente dans les structures des dialogues mises à jour. Elle résulte pour une part importante des questions narratives “QN” d’une transformation, au travers du mécanisme de relance et de reformulation, dont nous avons examiné les modalités précédemment, et pour une part plus faible des questions interrogatives “QI”.

Elle existe d’emblée, pour une part importante des questions interrogatives “QI” : 20 “QI” sur 25 formulent directement un problème et ne font pas l’objet de relance.

Elle apparaît après des transformations dans le cours du dialogue, pour les questions narratives “QN”, et pour 2 questions interrogatives “QI”.

Les analyses rendent compte de plusieurs faits :

• Tout d’abord, il s’avère que les caractéristiques du questionnement du demandeur influencent la conduite du dialogue et la construction de la réponse par l’expert. L’analyse de la structure des interactions expert-demandeur rend compte d’un processus de co-construction du problème mis en œuvre par l’expert et le demandeur. La relance est, à ce titre, un mécanisme utilisé par l’expert pour amener le demandeur à expliciter un problème, dans le cas d'une question qui

exprime les éléments contextuels et/ou historiques de la situation, “QN”, et pour certaines questions interrogatives “QI”.

• Le second fait établit concerne l’apparition différenciée de la sous structure “P— rep” en fonction du type de question. Cela montre que le contenu de ce qui est exprimé et surtout le moment auquel il s’exprime dans le dialogue, influence la conduite du dialogue : une question doit exprimer un problème pour que la phase de réponse débute ; si le questionnement initial n’exprime pas un problème, il va subir les transformations nécessaires jusqu’à l’expression d’un problème.

• Enfin, et malgré les multiples sources de variabilité relatives à la fois aux différences interindividuelles ainsi qu’à des paramètres relatifs aux univers de compétences dont relèvent les questions abordés auparavant, la présence massive de cette sous structure d’interaction “P—rep”, éclaire la logique de l’activité des experts : la condition pour qu’une réponse soit élaborée réside dans sa formulation en tant que problème à résoudre.

Les questions interrogatives “QI”, qui expriment un problème et donnent lieu à une activité de relance, nous conduisent à penser qu’il pourrait exister des modalités différenciées dans l’expression d’un problème.

Pour éclairer ce point, nous allons examiner plus avant le processus d’élaboration du questionnement et de production de la réponse par l’expert. À partir de la connaissance de l’invariant structurel “P—rep” qui organise les dialogues, nous nous intéressons maintenant à l’élaboration dans le cours du dialogue du questionnement et de la réponse.

Ce faisant, nous pensons qu’il sera possible d’expliquer en quoi certaines questions de forme interrogative ne présentent pas les propriétés de contenu permettant l’élaboration d’une réponse directe, c’est-à-dire sans relance ou reformulation (les “QI” examinées auparavant).

Pour conduire cette analyse, nous nous appuyons sur les contenus verbaux développés par l’expert et le demandeur dans le dialogue.

Il ne s’agit pas ici de procéder à un codage des protocoles verbaux, mais d’identifier, dans les dialogues, les énoncés exprimant un problème, en respectant la chronologie de leur production : nous aurons ainsi accès au processus d’élaboration du problème à partir de la question initiale du demandeur, jusqu’à la production de la réponse par l’expert.

Les dialogues exploités sont ceux menés avec des questions relevant des compétences réelles des experts, relatives au connaissances du collectif et aux compétences du domaine : il s’agit des dialogues des univers de compétences 2 et 3.

Il apparaît peu pertinent d’analyser les dialogues dans lesquels les questions reçues sont situées hors des compétences réelles des experts : ils comprennent

une majorité de non réponses et ne donnent pas à voir le processus d’élaboration du problème et de production de la réponse.

Le matériel de l’analyse correspond à la somme des dialogues des univers de compétences 2 et 3 des deux experts, soit 48 dialogues. Un dialogue n’est pas exploitable, il traite de l’envoi d’un document. Le matériel est à présent de 47 dialogues, constitués de 26 questions narratives et 21 questions interrogatives. Le tableau ci dessous rend compte des effectifs à partir desquels nous menons l’analyse :

expert 1 expert 2

QN 18 8 26

QI 14 7 21

32 15 N=47

Tableau n°7 : répartition des dialogues des univers de compétences 2 et 3 en fonction du type de question