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IV. Analyser la constitution et la réutilisation d’instruments : problématique de

IV.2. Les questions de recherche

Nous avons construit ce travail de recherche à partir d’un questionnement général qui regarde les rapports entre la conception et l’usage. De façon plus précise, notre problématique examine deux questions : une question centrée sur la conception par les utilisateurs dans et pour l’usage, une seconde question intéressée par l’activité instrumentée d’utilisateurs.

Pour défricher ces questions, l’approche instrumentale va nous permettre d’aborder les usages en considérant, dans le même temps, les dimensions qui sont relatives aux sujets, au travers de l’identification des schèmes organisateurs des conduites, et les dimensions qui concernent les artefacts et leur usage, au travers de leur transformation de structure et de l’attribution de fonctions, mais aussi de l’utilisation préférentielle de parties d’artefacts au service de buts d’action particuliers.

De plus, la perspective d’une analyse dans les termes de genèse(s) instrumentale(s) va éclairer non seulement le rapport qui existe entre les formes organisées de l’action et l’appropriation d’artefacts par les individus et par les collectifs en instruments de leur activité, mais va également nous permettre d’instruire le processus de constitution d’un instrument, dont on peut penser qu’il est fait de points de rupture et de points de continuité, avant d’aboutir à une stabilisation.

La première thématique est celle de “la conception d’instruments par les utilisateurs par et dans l’usage aux plans individuel et collectif”

L’instrument est une entité intermédiaire entre le sujet et l’objet de son activité. Nous avons vu qu’il est à la fois un moyen de connaissance du réel, un moyen d’action et de transformation du réel, en ce sens, il est opératif et il prend en charge une partie de la tâche. Il est un moyen de régulation et de contrôle de

l’activité. Produit de l’activité humaine, l’instrument est social, porteur de contraintes d’usage, et de possibilités d’action (par élargissement et par réduction des actions possibles).

Dans une perspective d’action individuelle, nous questionnerons la nature du ou des rapport(s) qui sont établis entre les invariants qui structurent l’action, les schèmes, et les formes et les fonctions attribuées à l’artefact quand ils est institué en instrument de l’activité. Sachant que la constitution instrumentale de l’artefact occasionne une recomposition de l’activité, quelle est la nature de cette réorganisation? Y a-til congruence entre les formes de l’action individuelle et celles de l’instrument, ou bien est ce qu’elles divergent? Quelles explications peut-on apporter dans chacun des cas?

Dans une perspective d’action collective au travers d’instruments partagés, l’instrument médiatise le rapport entre le sujet et les autres sujets et leurs objets respectifs d’activité, mais il médiatise également le rapport des individus et des collectifs à un objet commun de l’activité, dans le cadre d’une activité collective. La question que nous examinerons concerne les formes d’organisation des activités collectives qui peuvent se créer autour de l’artefact, et le rapport entre les formes préexistantes d’organisation et les formes nouvelles susceptibles d’émerger dans l’usage. On peut penser en effet, que ces dispositifs s’insèrent dans des situations où les collectifs sont déjà formés et organisés selon des règles de fonctionnement qui répondent aux exigences de l’activité réalisée. Dès lors, plusieurs questions sont à éclairer. Quel rapport va s’établir entre les formes préexistantes d’organisation de l’activité collective et celles suscitées par l’appropriation de l’artefact? Quelles nouvelles formes d’organisation de l’activité collective instrumentée verront le jour? Quelles seront les fonctions qui seront attribuées à l’artefact lors de l’élaboration d’un instrument commun? Pour réaliser quelle activité?

Par ailleurs, si l’on considère les niveaux individuels et collectifs comme inextricablement liés et pour autant indépendants, on peut se demander comment, dans un artefact commun, seront articulées et coordonnées les activités et les productions individuelles à la production collective, dans l’institution et la pérennisation de l’instrument commun?

• La seconde thématique que nous nous proposons d’explorer dans cette recherche est celle de “l’activité instrumentée d’utilisateurs”.

L’activité est envisagée dans le rapport aux instruments élaborés, que l’on peut qualifier de rapport à l’utilisabilité des instruments.

Par contraste avec la première interrogation, qui est centrée davantage sur le rapport à l’usage des instruments conçus, les questions que nous tenterons d’éclairer sont relatives aux usages finalisés d’un artefact qui est doté de

caractéristiques spécifiques qui en conditionnent en partie l’usage. En particulier, nous tenterons de comprendre l’effet d’une organisation donnée d’un artefact sur son utilisabilité ultérieure. Quel rapport s’établit entre les modes de fonctionnement qui sont requis par la tâche et l’activité réellement mise en œuvre? Quelles sont les modalités d’organisation de l’action qui peuvent naître lors de l’usage de cet artefact? Quelles caractéristiques de l’artefact, de la tâche influencent l’activité réalisée? Dans quel sens : d’une meilleure efficacité, d’une efficience accrue, ou bien au contraire dans un sens défavorable? Peut-on dégager des variables structurelles et fonctionnelles des artefacts qui sont pertinentes pour les usages futurs, par delà la spécificité des contenus manipulés ?

Pour examiner le premier thème, centré la conception d’instruments par les utilisateurs par et dans l’usage, nous avons entrepris une analyse de terrain, conduite dans un organisme d'assistance téléphonique "hot line", spécialisé dans le domaine des télécommunications.

Dans cette situation, des experts sont en contact avec des commerciaux pour les aider à répondre aux questions de clients qui sont utilisateurs de produits et d’offres qui sont vendus par cette entreprise.

Un système informatique d’aide au travail coopératif a été introduit auprès des experts. Il s’agit d’une base d’information dont la vocation principale est de permettre le regroupement et le partage des connaissances diffusées sur les hot lines, par l’ensemble des experts.

Les analyses portent, d'une part sur l’activité d'assistance téléphonique des experts, et, d'autre part, sur les modalités d'usage et d'élaboration des instruments qui sont conçus par les experts, à partir de l'artefact "base d'information" mis à leur disposition.

Ce double regard nous permet, dans un premier temps, d’identifier l’organisation de l’activité de dialogue téléphonique et de la mettre en rapport avec les données présentes dans la littérature sur le domaine, en l’occurrence il s’agit du secteur des relations de service.

Dans un deuxième temps, l’analyse des bases produites par deux experts, éclairée par les analyses des dialogues, autorise l’identification d’un rapport qui est établi entre les formes de l’action et les formes des instruments élaborés par les experts.

Sur les deux bases analysées, l’une était constituée, cependant que l’autre était en cours d’élaboration. Nous avons accédé à un moment du processus de genèse de cette base, et avons pu ainsi comprendre que ce rapport est l’objet d’un développement non linéaire et progressif, qui met en relation deux genèses, celle relative aux formes de l’action, celle relative aux formes de l’instrument, qui se nourrissent de façon réciproque tout en conservant leur propre indépendance.

L’investigation de la seconde question, intéressée par l’activité instrumentée d’utilisateurs, est réalisée à partir d’une situation expérimentale d’usage que nous avons conçue.

L'objectif de cette expérimentation est de mesurer l'effet des caractéristiques des instruments sur l'usage.

Cette expérimentation est construite à l'issue des résultats des analyses de terrain : à partir d'une analyse structurelle des bases produites par les experts en situation naturelle, nous avons élaboré des bases expérimentales dotés des caractéristiques des bases produites en situation professionnelle.

Pour développer une approche d'expérimentation qui n'ait pas les défauts attribuées aux expérimentations plus "classiques", nous avons cherché à créer une situation d'activité finalisée. Dans la situation créée, la tâche des sujets est de répondre à des questions en consultant une base d’information, qui contient les éléments permettant d’y répondre.

La suite de ce document est organisée ainsi. Nous allons renseigner la question de la conception d'instruments par les utilisateurs par et dans l’usage, au travers de deux analyses distinctes : l'une est centrée sur la mise en évidence des formes d'organisation de l'activité d'assistance téléphonique d'experts (chapitre II) ; la seconde examine les modalités d'usage et de conception d'instruments par les experts qui disposent d'un artefact dédié au travail coopératif (chapitre III). Ces deux analyses visent à mettre en évidence l'existence d'un lien entre les formes de l'action et celles qui sont attribuées aux instruments.

L'autre objectif poursuivi est d'identifier les caractéristiques structurelles et fonctionnelles des instruments élaborés, et leurs effets sur l'usage ultérieur. C'est l'objet du chapitre IV que de mesurer l'effet de ces caractéristiques sur l'usage, dans une situation expérimentale.

Enfin, le chapitre V est consacré à une discussion générale de nos résultats, puis à une conclusion, dans laquelle nous identifions les apports méthodologiques, théoriques et empiriques de notre travail.

CHAPITRE II

Formes d’organisation de l’activité d’assistance

téléphonique experte

Introduction

Dans la situation professionnelle examinée dans ce chapitre, des experts, depuis un organisme national d'assistance assurent une permanence téléphonique de type "hot line" auprès de commerciaux travaillant en agences, pour trouver des solutions à des problèmes d'ordre technique et commercial. Les commerciaux sont en contact avec des clients qui leurs soumettent des questions. La "hot line" constitue un service téléphonique, accessible aux commerciaux tous les jours ouvrables de la semaine, de 9 heures à 18 heures .

Dans cette situation, deux niveaux d'assistance sont distingués : les commerciaux situés au premier niveau recourent aux experts quand ils ne parviennent pas à répondre aux questions qu'ils reçoivent des clients. Les interactions entre les commerciaux et les experts, au second niveau, sont essentiellement téléphoniques. Les experts disposent de documentations techniques et informatiques concernant les produits et les offres proposées.

L'analyse de l'activité d'assistance téléphonique des experts que nous conduisons est orientée par un questionnement général qui est relatif aux liens qui peuvent exister entre les formes organisées de l'activité de dialogue et les formes des instruments, élaborés par les experts. En effet, les experts, dont l'activité principale consiste en une assistance téléphonique, disposent d'un artefact "base d'information" qui vise à aider le regroupement et le partage des connaissances au sein du collectif.

Les questions qui orientent l’analyse des dialogues conduite dans ce chapitre sont les suivantes : Y a-t-il des organisations de l’activité différenciées selon les experts ? Y a-t-il une organisation des dialogues commune, par delà les différences interindividuelles ? Quels en sont les déterminants ?

En conséquence l'analyse des dialogues ne vise pas à mettre en évidence l'organisation des interactions en tant que telles, mais davantage à identifier les organisateurs invariants de l'activité : les résultats obtenu dans ce chapitre seront mis en relation avec les analyses des usages et la conception d'instruments par les experts, conduite au chapitre III.

Le texte est organisé de la façon suivante.

Étant donné que l'activité professionnelle que nous analysons appartient aux relations de service, nous rendons compte de la littérature consacrée au secteur des services en première partie. Ce parcours bibliographique vise à clarifier les

caractéristiques principales des activités de service, ainsi que les déterminants à partir desquels les opérateurs gèrent les interactions, le plus souvent dialogales, avec le public, et organisent leur activité de façon stable.

Les deuxième et troisième parties du chapitre présentent le terrain de recherche, et rendent compte d'une première approche de l’activité de dialogue des experts. Nous formulons l'hypothèse générale qui va guider les analyses.

Les dimensions d’analyse ainsi que la méthodologie de codage du corpus font l’objet de la quatrième partie.

Nous présentons les résultats des analyses des dialogues, et mettons en évidence l’organisation invariante de l’activité de dialogue de deux experts, dans les cinquième et sixième parties du chapitre.

Nous clôturons ce chapitre par une synthèse des résultats obtenus, à l’issue de laquelle nous identifions les apports de l’analyse des dialogues conduite. Nous utiliserons ces résultats pour appréhender, au chapitre III, les modalités d’usage et d’élaboration instrumentale de l'artefact "base d’information" par les experts, dans le cadre de leur activité d’assistance téléphonique.

I. L'activité d'assistance téléphonique par "hot line" est une