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II. L’assistance au travail coopératif : conception et usages

II.3. Les analyses d’usages

II.3.2. Les analyses d’usages en situation expérimentale

Dans les travaux que nous allons examiner, les dispositifs testés sont, soit des applications mono-utilisateurs qui ont fait l'objet d'une extension collecticielle, soit des applications conçues pour le travail coopératif.

Les principales critiques que reçoivent ces travaux sont d'isoler des individus en dehors des contextes de l'action, de construire des tâches dont la validité écologique n'est pas toujours attestée, de restreindre l'activité des sujets dans un protocole expérimental (Cardon, 1997), de définir des problèmes et des

environnements de réalisation des tâches dans des contextes non familiers (Bannon et Bodker, 1991).

Les nouvelles possibilités susceptibles de naître lors des usages de ces dispositifs ne semble pas être pris en compte dans ces expérimentations, qui s’intéressent plutôt à ce que l’outil ne supprime pas par rapport aux situations d’interaction naturelle. Les nouvelles possibilités sont, dans le meilleur des cas, signalées de façon “accessoire” (effet d’un système de diagnostic permettant de tracer véritablement des plans de coupe, donc de simuler alors que la situation naturelle ne le permet pas : Molenda et al. 1993).

Cela constitue, de notre point de vue, un centre d’intérêt majeur pour la recherche dans ce domaine.

Toutefois, il existe des travaux qui tentent de comprendre en quoi l’usage d’un nouvel outil va modifier l’activité d’un groupe. Olson et al. (1992), s’intéressent aux effets d’un outil d’assistance pour la collaboration en face à face : il s’agit d’un éditeur de textes collectif permettant le travail en simultané.

Cette étude a mis en situation des groupes travaillant avec un tableau blanc, du papier et des crayons (groupes contrôle), et des groupes travaillant avec un éditeur de textes (groupes expérimentaux). Les principaux résultats mettent en évidence une meilleure qualité des productions des groupes expérimentaux8; des différences dans le processus de conception, qui se traduisent par un moins grande exploration de l’espace de conception ainsi qu’un enchaînement aisé des différentes activités de conception, dans les situations expérimentales.

De la même façon, l’approche et le traitement du problème à résoudre -concevoir un plan d'un bureau de poste ouvert en permanence-, est différent selon les groupes. Les groupes expérimentaux rédigent au fur et à mesure, précocement et de façon entremêlée, tandis que les groupes contrôle font de l’écriture une étape finale.

Cet outil, qualifié de simple parce que n’imposant pas de processus particulier de structuration du travail et laissant toute liberté aux utilisateurs d’organiser leurs activités comme ils le souhaitent, permettrait un examen sélectif des idées clés de la conception. De plus, l’accès partagé à un espace de travail autoriserait le travail en parallèle dans des domaines et à des moments précis.

Par ailleurs, il a été observé dans les deux situations de l’expérience (contrôle et expérimentale), un plus grand nombre d’idées exprimées que d’idées conservées, ce qui semble être inhérent à tout processus de conception.

De façon générale, les collectifs - les groupes - qui prennent par aux expérimentations n’apparaissent pas définis dans leurs caractéristiques, nous

8 La qualité est mesurée au vu des documents finaux (longueur) et par l’examen quantitatif des activités au cours de la conception : formulation d’idées, d’alternatives, de critères de choix, écriture. Le temps passé, ainsi que l’occurrence de chaque type d’activité sont également examinés. Enfin, les discussions sont analysées en terme de sujets abordés (problème central ou plus auxiliaire par rapport à l’activité en cours) et de profondeur de leur exploration.

voulons dire par là que la composition des groupes n’est pas considérée comme une variable importante. Les travaux d’Harmon et al. (1995) rendent compte, cependant, d’importantes différences d’usage d’un média électronique selon que le groupe est ad hoc ou déjà formé. Les groupes déjà formés développeraient une plus grande facilité d’usage du média électronique que les groupes ad hoc, la connaissance mutuelle de chacun leur permettant de structurer l’interaction efficacement, à l’aide d’indicateurs visuels restreints, du moins sur des périodes de temps brèves.

Enfin, de nombreux travaux argumentent l’effet de réduction des contraintes sociales et hiérarchiques dû à l’usage d’outils collecticiels, et notamment des outils de communication médiatisée. Mc Guire et al. (1987) examinent l’influence de la communication médiatisée sur le groupe. Elle aurait pour effet de réduire les contraintes sociales et les normes, d’autoriser une plus large recherche d’information. Elle favoriserait, également, une participation plus égale des groupes (notamment les minorités), une plus grande créativité. La réduction de l’influence de la position formelle, c’est-à-dire hiérarchique, se traduirait par l’émergence plus aisée d’interactions basées sur les compétences des partenaires (Andriessen, 1991).

Anderson et al. (1993) se sont aussi intéressés à la communication - verbale et non verbale - dans une tâche de résolution de problème en coopération. Les dialogues s’avèrent d’autant plus longs que les sujets sont dans une situation où ils ne peuvent pas se voir. Ils bénéficient uniquement du canal de communication auditif. L’importance des concomitants non verbaux est ainsi soulignée : les regards participent à la régulation de l’interaction. Un phénomène intéressant est observé : il s’agit de la persistance de l’utilisation des regards dans les situations où la vision réciproque des partenaires est rendue impossible (séparation par une cloison par exemple). Ce phénomène a été également mis en évidence par Tang (1991), qui relate l’utilisation d’un logiciel de dessin : les sujets continuent à mimer des idées devant leur écran d’ordinateur alors que nul ne peut en bénéficier.

La question de l’effet du médium électronique sur les interactions des groupes soulève certaines questions qui prennent corps sous la forme d’un débat relativement vigoureux actuellement. L’objet des controverses est issu, en partie, de la divergence des résultats empiriques obtenus.

Un grand nombre de données empiriques argumentent pour un effet de réduction des normes sociales et des phénomènes de leadership, propre au médium électronique (Mc Guire et al., 1987, Lea et Spears, 1991). Les résultats de Sproull et Kiesler (1986), lors d’une étude de terrain sur l’usage du courrier électronique, indiquent également que cet outil minimise le poids des statuts hiérarchiques, donne lieu à une dé-inhibition des comportements et permet un échange dense d’informations.

Certains autres résultats expérimentaux mettent, en effet, en évidence des résultats d’une tout autre nature. Ainsi, Harmon et al. (1995), suite à deux longues études analysant l’impact d’un média électronique sur les performances de groupes, aboutissent à la conclusion qu’il n’y a pas d’effet du médium sur les performances des groupes, ni sur les phénomènes de leadership dans le sens d’une réduction en situation de communication médiatisée. De la même façon, aucune différence significative n’a pu être établie en fonction du type de tâche.

À l’issue de cette exploration des travaux relatifs à l’usage de collecticiels, un consensus se dégage relatif aux pratiques de coopération en situation réelle : elles reposent sur une imbrication étroite d’activités individuelles et coopératives, elles prennent appui sur de multiples supports artefactuels qui servent des fonctions conventionnelles de référence commune, ainsi que des fonctions de coordination des activités collectives.

Les analyses expérimentales d’usage font l’objet, d’une part de vive critiques relatives à une déréalisation de la situation et au statut des utilisateurs considérés comme des évaluateurs des systèmes, et d’autre part donnent lieu à des résultats divergents. Nous noterons, pour ce qui nous concerne, qu’elles échouent à comprendre les nouvelles fonctions qui sont attribuées aux artefacts de coopération, dans l’usage, ainsi que l’insertion fonctionnelle de ces outils dans le système d’instruments déjà existants.

Après avoir envisagé les propositions conceptuelles qui clarifient la notion de coopération, il est utile à présent d’identifier quelles sont les approches théoriques et méthodologiques en présence dans le champ du CSCW. Nous verrons que, bien que les auteurs se réunissent autour d’une problématique qui fait consensus “la coopération en situation de travail”, il est difficile de parler d’une unité de problématiques ou de méthodes au sein du champ. C’est la raison pour laquelle il apparaît pertinent de dresser un panorama des différentes approches, à l’issue duquel nous extrairons les dimensions qui les différencient.

Parmi les approches théoriques en présence, trois perspectives apparaissent actuellement être à l’origine des travaux développés9 : l’action située, la cognition distribuée et les théories de l’activité. Toutes trois proposent des voies alternatives aux modèles de la cognition humaine en tant que ”système de traitement de l’information”, qui sont développés dans les sciences cognitives, notamment en psychologie. Les voies que ces approches tracent élaborent des problématiques centrées sur la notion d'activité humaine. Elles plaident en faveur

9Nous nous appuyons, dans cette présentation, sur l’article de Nardi (1996) (Ed) : “Studying Context : A Comparison of Activity Theory, Situated Action Models and, Distributed Cognition “

Context and Consciousness, 69-102. The MIT Press, Cambridge, Massachussets, London,

d’une appréhension des pratiques humaines déployées dans le(s) contexte(s) de(s) situation(s), et envisagent l’étude de l’activité individuelle et collective.

Après une présentation des trois approches, nous pointerons les dimensions qui nous paraissent les différencier.