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SYSTÈME POLITIQUE « BOÎTE NOIRE »

2.3.3.1 Théories de groupe

Bien qu‘ils ne fassent pas partie du modèle systémique, il est pertinent de faire une brève parenthèse sur trois théories de groupe à ce moment-ci de la description du modèle d‘Easton. La plupart des intrants susmentionnés sont des actes individuels. Toutefois, les individus augmentent leurs chances d‘obtenir la réponse souhaitée à leur demande s‘ils s‘organisent en groupes (Gagnon 1995: 65). Les théories de groupe se caractérisent par la primauté analytique qu‘elles accordent à ces collectifs d‘acteurs politiques (Howlett et Ramesh 1995: 22). Trois théories de groupes sont considérées comme incontournables en sciences politiques, à savoir les théories marxistes, la théorie élitiste et la théorie pluraliste. Ces théories diffèrent grandement les unes des autres, mais elles ont en commun le fait de rattacher le contenu des politiques publiques à une division quelconque de la société. Ainsi, les politiques publiques sont le reflet d‘une lutte des classes, des intérêts d‘une élite ou du rapport de force entre groupes d‘intérêts selon la théorie empruntée.

2.3.3.1.1 Théories de classe et théories marxistes

Plusieurs théories divisent la société en classes. Toutefois, la théorie marxiste est la plus représentative et la plus développée de ce courant (Howlett et Ramesh 1995: 22, voir aussi Morissette, 2006). Pour cette raison, nous nous limiterons à la description de cette dernière.

Plusieurs postulats marxistes ont été repris par le courant d‘économie politique critique en relations industrielles décrit plus haut. Pour cette raison, nous nous contenterons de rappeler que la théorie marxiste explique la société en tant que lutte entre deux classes (Gagnon, 1995 : 66-67; Morissette, 2006 : 64; Howlett et Ramesh, 1995 : 22) et que cette théorie postule que l‘État est au service de l‘élite économique (Godard, 1994 : 271; Lecours, 2002 : 3; Howlett et Ramesh, 1995 : 23).

La théorie marxiste en sciences politiques postule également que la liberté et l‘équité constituent les deux pôles d‘un continuum sur lequel chaque acteur politique doit se prononcer (Gagnon 1995: 68). Ce faisant, les acteurs se positionnent nécessairement par rapport à des valeurs. Les politiques publiques produites par ces acteurs reflètent alors la relation de pouvoir entre ces acteurs. Par extension, une politique axée sur des valeurs de liberté sera symptomatique d‘une classe capitaliste puissante. A contrario, une politique publique misant sur l‘équité sera indicatif d‘une classe ouvrière relativement forte.

Malheureusement, la théorie marxiste est peu loquace sur le processus par lequel se font les politiques publiques et sur les stratégies employées par les classes sociales pour arriver à leurs fins. Cette théorie a toutefois le mérite de mettre à l‘avant-plan les valeurs de liberté et d‘équité ainsi que l‘arbitrage à faire entre les deux. En effet, aucune politique publique ne peut échapper à ce dilemme (Gagnon 1995: 66, 68).

2.3.3.1.2 Théorie de l’élite

Les Marxistes étudient les classes sociales, les tenants de la théorie de l‘élite quant à eux, se concentrent sur un groupe en particulier : les élites. Ces élites possèdent « un nombre disproportionné de ressources » (Morissette 2006: 76). Cet avantage leur permet de contrôler le reste de la société tout en protégeant leurs propres intérêts. Ainsi, la société revêt la forme d‘une pyramide avec une minorité dirigeant les masses (Morissette, 2006 : 78; Gagnon, 1995 : 68; Giles, 1989 : 139).

1. « La société est divisée en deux groupes : une minorité qui détient le pouvoir (l‘élite) et les masses qui n‘ont pas de pouvoir. C‘est cette minorité qui contrôle la société, les masses ne participent pas aux décisions des politiques publiques.

2. Les membres de l'élite ne sont pas représentatifs des masses, ils proviennent de façon disproportionnée des échelons socio- économiques supérieurs.

3. L‘ascension des individus vers des positions d'élite est rare et nécessairement lente afin de maintenir la stabilité. Seuls les individus ayant assimilé les valeurs des élites pourront être admis à l‘intérieur de ce cercle fermé.

4. L‘élite partage les mêmes valeurs quant au système social et à la nécessité de préserver ce système.

5. Les politiques publiques ne reflètent pas les demandes de la masse, mais plutôt les valeurs de l‘élite. Les concessions envers la masse ne se font que pour assurer le statu quo. Ces concessions se font de manière incrémentielle plutôt que de manière révolutionnaire.

6. Les membres de l‘élite impliqués en politique sont peu influencés par les masses apathiques. L‘influence se fait donc du haut vers le bas et non du bas vers le haut » (Thomas R. Dye, 1972 cité dans Gagnon, 1995 : 69, ma traduction; voir aussi Morissette, 2006 : 78-80 et Giles, 1989 : 139-141).

Employer cette théorie pour comprendre le processus de politiques publiques implique qu‘il faille regarder deux dynamiques, soit la dynamique parmi l‘élite et la dynamique entre les masses et l‘élite. D‘une part, le consensus règne quant aux valeurs de base chez l‘élite. Comme mentionné plus haut, ces membres ont intérêt à ce que la pyramide sociale soit maintenue. Par conséquent, tout sujet pouvant porter atteinte au statu quo est évacué du débat public. D‘autre part, il y a néanmoins des divergences au sein de l‘oligarchie portant sur un nombre limité de sujets. Les politiques publiques seront donc le fruit du processus de

négociation et d‘accommodement parmi l‘élite et reflèteront le pouvoir de chacun de ces acteurs. La dynamique entre l‘élite et les masses est beaucoup plus simple : l‘influence se fait du haut vers le bas. Les institutions telles les élections donnent un semblant de démocratie, mais elles ne sont qu‘une coquille vide utilisées en tant que symbole. Ces institutions démocratiques sont effectivement des leurres laissant croire aux citoyens qu‘ils détiennent un certain pouvoir politique. Or, tout le contrôle repose entre les mains de l‘élite qui ignorent et manipulent les masses. Les politiques publiques en faveur des citoyens ne se font que lentement et in extremis pour rétablir la paix sociale et prévenir les révolutions (Giles 1989; Gagnon 1995).

La théorie de l‘élite est très pessimiste à l‘égard de la démocratie, mais elle se confirme néanmoins par des faits empiriques. Selon Gagnon :

« The electoral system in Canada and the parliamentary behaviour of Members of the House once elected (party solidarity) are notorious as a mechanism to deny the input of the population in the running of their own affairs. A direct consequence of this fact is that those who are elected have no obligation to implement whatever their vague electoral platform promised » (Gagnon 1995: 69).

Cette théorie a donc pour avantage d‘être partiellement vérifiée par les faits, surtout dans le contexte d‘un système parlementaire comme c‘est le cas au Canada selon Gagnon (1995: 70). Elle a également l‘avantage d‘attirer l‘attention sur les acteurs très puissants, dans ce cas-ci l‘élite, qui détermine l‘issue des politiques publiques. Connaître les membres de l‘élite canadienne et québécoise impliqués dans les politiques publiques de retraite, leurs ressources et les valeurs qui les motivent sera sans doute utile dans l‘analyse du contenu de ces politiques. Toutefois, cette théorie ne parvient pas à expliquer les stratégies des acteurs vis-à-vis l‘élaboration des politiques de retraite. De plus, elle minimise le pouvoir des personnes hors de l‘élite, mais qui jouent quand même un rôle non négligeable dans le

processus des politiques publiques. Ceux-ci peuvent user de ressources et de stratégies pour modifier la trajectoire des politiques (Morissette, 2006 : 102; Schattschneider, 1960).

2.3.3.1.3 Pluralisme politique

Le pluralisme politique était la doctrine dominante aux États-Unis dans les années 1950 et 1960 (Morissette, 2006 : 83; Godard, 1994 : 266). Elle se distingue du pluralisme en relations industrielles mentionné précédemment qui est essentiellement un phénomène britannique. Alors que le pluralisme en relations industrielles se concentre sur les groupes d‘intérêt dans la sphère des relations de travail, le pluralisme politique s‘intéresse à tous les groupes d‘intérêts impliqués dans les décisions politiques et ce, à tous les paliers de gouvernement. Malgré cette différence, les approches pluralistes américaine et britannique se fondent sur les mêmes principes.

Le pluralisme américain propose une solution aux masses sans voix de la théorie de l‘élite. En effet, le pluralisme postule que le pouvoir des individus augmente significativement s‘ils se regroupent. En s‘organisant en fonction de leurs intérêts communs, les individus seront mieux placés pour faire valoir leurs demandes auprès du gouvernement dans un contexte de rareté de ressources. Ainsi, le groupe d‘intérêt devient la courroie de transmission privilégiée par laquelle les individus auront accès aux différentes institutions du gouvernement. Les divers regroupements d‘intérêt ont également l‘avantage d‘agir comme contrepoids les uns aux autres et d‘empêcher une trop grande concentration du pouvoir entre les mains d‘une oligarchie (Gagnon, 1995 : 71; Morissette, 2006 : 83; Godard, 1994 : 266; Giles, 1989 : 135). Il est à noter qu‘un même individu peut être membre de plusieurs groupes simultanément. Ceci permet de réconcilier les conflits sociaux et d‘encourager la coopération entre les divers groupes d‘intérêt (Howlett et Ramesh 1995: 34).

La compétition des groupes d‘intérêt amène une plus grande démocratie, mais aussi plus de conflits entre les groupes. La tâche du gouvernement est alors de gérer ce conflit en : 1. « Establishing rules of the game in the group struggle

2. Arranging compromises and balancing interests 3. Enacting compromises in the form of public policy

4. Enforcing these compromises » (Thomas R. Dye, 1972 cité dans Gagnon, 1995 : 71, voir aussi Morissette, 2006 : 83; Godard, 1994 : 266; Giles, 1989 : 135).

Comme c‘était le cas pour les pluralistes britanniques, l‘État ici ne doit intervenir que pour rétablir l‘équilibre. Il doit éviter de s‘ingérer dans les négociations entre groupes d‘intérêt. La place est donc laissée à ces groupes pour qu‘ils négocient des arrangements mutuellement acceptables. Des développements récents dans la théorie pluraliste indiquent que ces groupes ne possèdent pas tous un pouvoir équivalent (Gagnon, 1995 : 72; Godard, 1994 : 266; Morissette, 2006 : 86; Giles, 1989 : 135). Leur « influence est déterminée par le nombre de membres, leur richesse, leur force organisationnelle (organizational strength), leur leadership, leur accès aux décideurs et leur cohésion interne » (Gagnon 1995: 72, ma traduction).

Le contenu des politiques publiques reflètera le rapport de force des divers groupes d‘intérêt. Dans la conception pluraliste, le jeu politique est un jeu à somme nulle : ce que l‘un gagne, l‘autre le perd. Ainsi, les groupes d‘intérêt insatisfaits du contenu des politiques publiques n‘auront qu‘à s‘allier à des groupes plus forts pour tenter de changer l‘issue de la joute politique (Gagnon 1995: 73). Soulignons que malgré la compétition, les divers groupes d‘intérêt adhèrent aux mêmes valeurs de base et que l‘équilibre est possible entre les différentes factions de la société (Morissette, 2006 : 85; Godard, 1994 : 266).

On a souvent critiqué la notion de neutralité de l‘État chère aux Pluralistes. En effet, l‘État semble plutôt agir en fonction de ses propres intérêts tel que démontré empiriquement par des auteurs matérialistes. D‘autres auteurs déplorent le fait que les Pluralistes américains négligent les valeurs (Gagnon 1995: 73) et le contexte environnemental (Morissette 2006: 103). Enfin, on critique également le fait que cette approche n‘explique pas le processus de négociation entre les acteurs (Gagnon 1995: 73). Certes, les Pluralistes affirment que la négociation est centrale aux politiques publiques, mais ils n‘élaborent pas sur les stratégies concrètes employées par les groupes de pression lors de ces négociations.

Dans un autre ordre d‘idée, plusieurs auteurs Canadiens soulignent que la théorie pluraliste s‘applique beaucoup mieux au contexte politique américain qu‘au système parlementaire de type « Westminster21 » en vigueur au Royaume-Uni, au Canada et en Australie, ce qui explique que l‘engouement pour cette théorie est limité aux États-Unis (Gagnon, 1995 : 73; Howlett et Ramesh, 1995 : 36).

Malgré tout, la théorie pluraliste en sciences politiques demeure un outil intéressant pour reconnaître les groupes d‘intérêts mettant de la pression sur les élus politiques, surtout dans le contexte politique américain. Le plus grand avantage de cette approche demeure toutefois l‘identification des sources de pouvoir de ces groupes d‘intérêts (Morissette 2006: 103).

21 Un système parlementaire de type « Westminster » se caractérise par le fait que les membres de l‘exécutif

sont choisis à même la branche législative du gouvernement qui est composée des députés. L‘exécutif demeure au pouvoir tant qu‘il a la confiance du législateur. Ce type de parlementarisme tire son nom du Parlement britannique, Westminster, où il a été mis en œuvre pour la première fois Howlett, M. P. et Ramesh, M. (2003). Studying public policy : policy cycles and policy subsystems - Second Edition. Toronto ; New York, Oxford University Press..

Il est à noter que ces théories jettent un éclairage intéressant sur les politiques publiques, mais elles ne parviennent pas à expliquer le processus par lequel ces groupes déterminent les politiques publiques.

2.3.4 Décision

Une politique publique est, par définition, une décision gouvernementale. Cette décision peut être prise par un individu ou par une institution; elle peut être simple ou complexe; elle peut être de faire quelque chose ou de ne pas faire quelque chose (Birkland 2005: 213).

La décision intervient après que des problèmes sociaux émergent et que des propositions de solutions sont mises de l‘avant. Les élus, les juges ou les fonctionnaires doivent alors décider quelle solution appliquer. Le modèle d‘Easton n‘explique pas cette étape dans le processus des politiques publiques. Toutefois, plusieurs théories, à la fois positives et normatives, pallient cette lacune en tentant d‘expliquer le comportement de ces décideurs. Nous avons retenu pour les fins de notre explication les trois plus populaires, soit l‘approche rationnelle, l‘approche incrémentielle et l‘« approche des poubelles » de March et Olson.