• Aucun résultat trouvé

Liste des sigles

SYSTÈME POLITIQUE « BOÎTE NOIRE »

2.3.4.2 Incrémentalisme et rationalité limitée

Malgré l‘attrait d‘en arriver à une décision purement rationnelle, les théoriciens en sciences politiques ont rapidement mis de côté l‘approche rationnelle pour développer des modèles plus près de la réalité. C‘est dans ce contexte que James March et Herbert Simon ont élaboré une solution de rechange à la rationalité pure qui reconnaît les limites imposées par les ressources et les habiletés humaines. Il s‘agit du concept de rationalité limitée (bounded

rationality). Cette notion suppose qu‘il est possible de prendre la décision la plus

rationnelle possible en dépit du temps, des informations et des habiletés intellectuelles limités (Birkland 2005: 216).

Charles Lindblom a repris la notion de rationalité limitée dans son célèbre article « The Science of ‗Muddling Through‘ » paru dans Public Administration Review en 1959. Cet article explique que « people make decisions in relatively small increments, rather than in big leaps » (Birkland 2005: 216). Lindblom nomme ce fait incrementalism ou successive

limited comparisons. L‘auteur oppose son modèle au modèle rationnel en se fondant sur la

métaphore de la branche et de la racine. Le modèle de la rationalité pure part de la racine (root) du problème pour prendre chaque nouvelle décision en matière de politiques publiques. Le modèle incrémentiel part de ce qui est déjà connu sans réinventer la roue à chaque fois. Autrement dit, les nouvelles décisions sont comme les branches qui poussent sur l‘arbre bien établi. Les postulats de l‘approche incrémentielle sont les suivantes :

1. « Selection of value goals and empirical analysis of the needed action are not distinct from one another but are closely intertwined.

2. Since means and ends are not distinct, means-ends analysis is often inappropriate or limited.

3. The test of a ―good‖ policy is typically that the various analysts find themselves directly agreeing on a policy (without their agreeing that it is the most appropriate means to an agreed objective).

4. Analysis is drastically limited:

ii) Important alternative potential policies are neglected iii) Important affected values are neglected

5. A succession of comparisons greatly reduces or eliminates reliance on theory » (Lindlom, 1959 cité dans Birkland, 2005: 217 et dans Gagnon, 1995: 49).

La théorie de Lindblom est très utile en science politique car elle permet de décrire à la fois le processus de politique publique et le processus de prise de décision. De plus, ces descriptions ont été validées empiriquement (Gagnon 1995; Birkland 2005). Ces connaissances permettraient aux différents acteurs désirant influencer les politiques publiques d‘adopter des stratégies en conséquence. Cependant, cette théorie est inadaptée pour les décisions plus importantes qui nécessitent un changement de cap majeur et pour lesquels des changements incrémentiels sont insuffisants (Gagnon 1995; Birkland 2005).

2.3.4.3 « Modèle des poubelles » de Cohen, March et Olson

Enfin, voyons rapidement le modèle des poubelles (garbage can model) développé par Michael Cohen, James March et Johan Olsen. Ce modèle n‘a pas connu la popularité des deux modèles décisionnels précédents, mais il a servi de précurseur à la théorie des courants multiples sur lequel nous avons fondé notre analyse des stratégies des acteurs vis- à-vis les politiques publiques de retraite. Pour cette raison, nous avons décidé de l‘inclure dans la présentation des théories expliquant le processus décisionnel (Birkland 2005: 218).

Cette théorie explique la prise de décision dans les anarchies organisées (organized

anarchies) à laquelle peut s‘apparenter le gouvernement. Trois éléments sont présents dans

ces anarchies organisées, soit les problèmes, les solutions et les participants. Ces trois éléments se côtoient constamment. Par exemple, des solutions cherchent des problèmes et vice versa et des participants cherchent à s‘impliquer dans l‘unification de ces problèmes et solutions. La présence simultanée des trois éléments crée une occasion de prendre une

décision. C‘est cette occasion que Cohen, March et Olsen appellent la poubelle d‘où le nom de la théorie (Birkland 2005: 218).

Cette théorie innove par rapport aux théories précédentes en précisant que les solutions ne suivent pas toujours chronologiquement les problèmes. Ce fait a d‘ailleurs été constaté maintes fois dans la réalité (Birkland 2005: 218). De plus, la théorie de Cohen, March et Olsen s‘applique aux décisions qui engendrent des changements qui se font abruptement contrairement à l‘approche incrémentielle qui ne pouvait expliquer ces décisions. Malheureusement, l‘approche des poubelles s‘applique difficilement à des milieux plus contraints, c‘est-à-dire des milieux moins anarchiques. Malgré tout, ce modèle est très intéressant pour notre sujet d‘étude car il insiste sur l‘importance de créer des opportunités, même si ce modèle ne précise pas quelle stratégie employer pour y arriver.

Précisons que la théorie de Lindblom ne s‘oppose pas fondamentalement à la théorie de Cohen, March et Olsen. Certes, la première explique des changements incrémentiels en fonction de ce qui est déjà connu, la seconde explique les changements de politiques publiques plus abruptes en fonction de circonstances précises. Or, il est légitime de penser que certaines décisions se prennent de manière incrémentielle alors que d‘autres se prennent suivant la théorie des poubelles. On peut s‘attendre à ce que le mode décisionnel varie en fonction de la nature de la décision (amélioration d‘un programme déjà bien implanté ou première implication gouvernementale?) et du niveau de prise de décision (qui prend la décision : le Premier ministre, un fonctionnaire, le parlement?). Des éléments de chacune de ces théories sont donc à retenir car ils pourraient expliquer les stratégies des divers acteurs.

2.3.5 Extrants

Les politiques publiques sont le résultat de cette décision. Les extrants peuvent être des lois, des règlements, des taxes, des subventions, des crédits d‘impôt, des frais aux usagers, des consultations publiques et la convocation de parties prenantes (delegated regulation) (Howlett et Ramesh 2003: 92; Royer 2006).

La théorie systémique d‘Easton réussit à situer les différents éléments intervenant dans les politiques publiques. Ainsi, nous ne pourrons ignorer le contexte dans lequel se déroule le processus de politique publique, ni les demandes faites par les multiples acteurs. Enfin, il sera nécessaire d‘étudier l‘acceptation des politiques déjà en vigueur pour connaître la légitimité qu‘a le système politique (Morissette 2006: 94). L‘approche d‘Easton est utile, mais ne parvient pas à expliquer le processus de transformation des intrants en extrants, c‘est-à-dire d‘ouvrir la boîte noire afin de comprendre le processus des politiques publiques.

Trois théories de groupe, à savoir le marxisme, l‘élitisme et le pluralisme, bonifient la théorie systémique car elles sont utiles pour comprendre comment s‘organise la société et l‘effet de cette organisation sur le contenu des politiques publiques. Par ailleurs, trois théories décrivant le processus décisionnel ont cherché à étoffer davantage la case « décision » de la théorie systémique. Une première théorie normative indiquait les étapes à suivre pour parvenir à une décision rationnelle. Les difficultés d‘application de ce modèle rationnel ont amené les politologues à chercher des explications plus empiriques du processus décisionnel. La théorie incrémentielle prévoit que les politiques publiques évoluent par petits pas. L‘explication de Cohen, March et Olsen prévoit plutôt que l‘évolution des politiques est circonstancielle, plusieurs éléments devant être réunis pour qu‘un changement se produise. Tous ces éléments, bien qu‘ils n‘interviennent pas

directement dans le processus d‘élaboration des politiques publiques, sont susceptibles de façonner les stratégies des acteurs. Ils devront donc se retrouver dans notre analyse.

La théorie systémique d‘Easton et les autres théories susmentionnées qui tentent de la compléter brossent le tableau sur lequel se déroulera le processus de politiques publiques. Or, aucune de ces théories n‘explique spécifiquement ce processus. On peut choisir d‘étudier ce processus par une approche institutionnaliste ou par une approche comportementale. De façon générale, les Institutionnalistes s‘intéressent aux composantes formelles et observables du gouvernement telles la structure formelle du pouvoir, les lois, la Constitution, etc. Pour eux, les politiques publiques sont le résultat bénin des règles et des procédures (Gerston 1997; Lecours 2002). Les théories institutionnalistes se déclinent en trois formes : l‘institutionnalisme historique, l‘institutionnalisme du choix rationnel et l‘institutionnalisme sociologique. Les comportementalistes, quant à eux, sont surtout préoccupés par ce que font les acteurs politiques. Ces théoriciens interprètent les politiques publiques comme étant le résultat du rapport de force entre les acteurs (Gerston 1997: 6). Les trois théories de groupe mentionnées précédemment sont des exemples de théories comportementalistes. Parmi les théories expliquant le processus des politiques publiques, les théories des coalitions plaidantes, de l‘équilibre ponctué et des courants multiples entrent dans la catégorie des théories comportementales. Avant de présenter chacune de ces théories, voyons le cadre conceptuel des étapes afin de mieux comprendre le processus de politiques publiques.