• Aucun résultat trouvé

Liste des sigles

SYSTÈME POLITIQUE « BOÎTE NOIRE »

2.3.5.3 Théorie des coalitions plaidantes

La théorie des coalitions plaidantes (Advocacy Coalition Framework – ACF) développée par le politologue américain Paul Sabatier en 1988 postule que les acteurs, tels les lobbyistes, les fonctionnaires, les législateurs, les chercheurs et les journalistes, œuvrant dans un même domaine politique (policy domain) s‘unissent en fonction de leurs valeurs et croyances communes pour former des coalitions plaidantes (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 120). Le nombre de ces coalitions à l‘intérieur d‘un même domaine varie entre deux et quatre. Les membres des coalitions plaidantes « s‘engagent dans un effort concerté afin de traduire des éléments de leur système de croyances en une politique publique » (Morissette, 2006 : 129, voir aussi Birkland, 2005 : 226). Le schéma suivant illustre le processus des politiques publiques (policy process) décrit par Sabatier.

Figure 21 : Schéma de la théorie des coalitions plaidantes

Source : Morissette (2006: 128)

La théorie des coalitions plaidantes affirme qu‘il existe une dialectique entre les acteurs et la structure (Morissette 2006: 127). La structure prend la forme de deux séries de variables exogènes. Une première catégorie de variables regroupe les paramètres plus stables, dont les attributs de la problématique, la distribution des ressources naturelles, les valeurs et la structure constitutionnelle. La relative stabilité de ces variables fait en sorte que les coalitions plaidantes les incorporent peu à leurs stratégies. Ces coalitions chercheront plutôt à profiter d‘évènements externes pour atteindre leurs objectifs. Ces évènements sont des

Évènements externes

Paramètres

relativement stables Contraintes et

ressources des acteurs du sous-système

Sous-système politique

Coalition A Croyances Ressources Stratégies Coalition B Croyances Ressources Stratégies Médiateur politique

Décision des souverains

Programmes gouvernementaux

Résultat politique Impact politique

changements au niveau des conditions socioéconomiques, de l‘opinion publique et des coalitions gouvernantes ainsi que des politiques publiques provenant d‘autres sous- systèmes. Toutes ces variables créeront des contraintes et des opportunités pour les acteurs d‘un sous-système politique (Birkland, 2005 : 227; Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 : 121).

L‘ACF se concentre principalement sur les acteurs agrégés en coalitions plaidantes. Comme mentionné précédemment, ces coalitions sont formées d‘acteurs partageant les mêmes croyances (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 : 131 ; Morissette, 2006 : 129). Les croyances peuvent se situer à l‘un des trois niveaux suivants : les valeurs profondes (deep

core) représentées par le continuum liberté-égalité décrit par la théorie marxiste en sciences

politiques ; la perception des relations causales (policy core beliefs) indiquant la cause des problèmes sociaux et leur solution et, enfin, les aspects plutôt secondaires (secondary

aspects) tels l‘importance du problème et l‘instrument politique à privilégier. Précisons que

les coalitions se forment autour des croyances concernant les relations causales plutôt que les croyances profondes ou secondaires (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 122). Ces coalitions sont de deux sortes : celles dont les membres s‘unissent pour maximiser leur intérêt personnel, ce que Sabatier nomme les material groups et celles dont les membres s‘unissent pour défendre une idéologie particulière, soit les purposive groups (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 138).

Ainsi, les deux formes de coalitions ont des objectifs différents. Toutefois, l‘élément commun entre les deux est que les « coalitions seek to alter the behaviour of governmental institutions in order to achieve the policy objectives in their respective policy cores » (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 142). Pour ce faire, les coalitions emploient différentes stratégies en fonction des différentes tribunes (venues) qui leur sont accessibles. De nombreuses recherches empiriques employant cette théorie ont révélé que les coalitions avaient recours aux stratégies suivantes : convaincre le législateur de modifier son budget

par des plaidoyers ou par des contributions financières aux partis politiques; promouvoir la candidature de personnes qui leur sont favorables à certains postes clés; conscientiser les masses via les médias; modifier les comportements de groupes ciblés grâce à des manifestations et des boycottages; enfin, changer les perceptions des autres acteurs en disséminant des résultats de recherche (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 142).

Notons également que la théorie des coalitions plaidantes reconnaît l‘existence de médiateurs politiques (policy brokers). Cette deuxième catégorie d‘acteurs aide les coalitions plaidantes à atteindre un compromis mutuellement acceptable et, par le fait même, retrouver une certaine harmonie au sein du sous-système (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 : 122; Birkland, 2005 : 226).

Les politiques publiques (decisions by governmental authorities ou governmental

programs) résultent, d‘une part, de la compétition des coalitions et de l‘intervention des

médiateurs et, d‘autre part, de l‘apprentissage orienté vers les politiques (policy-oriented

learning) entre les coalitions. En effet, les coalitions changent leur façon de penser et d‘agir

à la suite d‘expériences vécues (Sabatier, 1988: 149 cité dans Morissette 2006: 130). Toutefois, les leçons apprises varieront d‘une coalition à l‘autre en fonction des croyances de chacune (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 145).

Les politiques publiques se concrétiseront au plan opérationnel par des règlements, des allocations de ressources et des affectations à des postes clés. Éventuellement, ces politiques auront des impacts sur la problématique visée par les politiques publiques ainsi que des effets secondaires. Ces effets se répercuteront en fin de compte sur les évènements externes et modifieront la structure politique (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 : 122 ; Birkland, 2005 : 227).

Cette théorie des coalitions plaidantes est très intéressante eu égard à notre objet et elle a maintes fois été validée empiriquement. De plus, les conclusions qu‘on peut en tirer sont généralisables aux pays membres de l‘OCDE incluant les pays fonctionnant sur un modèle parlementaire tel le Canada (Sabatier et Jenkins-Smith 1999: 151). Mentionnons que dans le domaine des relations industrielles, Lucie Morissette a eu recours à cette théorie pour étudier le processus de réforme de l‘article 45 du Code du travail au Québec (Morissette 2006). Par rapport à notre objet d‘étude, les différentes stratégies énumérées par Sabatier et Jenkins-Smith sont très pertinentes. De plus, prendre en compte les objectifs (matériels ou idéologiques) et les croyances des coalitions ainsi que l‘apprentissage inter-coalition devraient être inclus dans l‘analyse afin de bien comprendre les acteurs. L‘ACF est donc un modèle théorique fort intéressant pour comprendre l‘élaboration des politiques publiques. Par contre, nous choisissons de ne pas retenir ce modèle aux fins de notre recherche car il nous semble préférable d‘étudier les différents acteurs individuellement plutôt que d‘une manière agrégée via les coalitions. Nous croyons qu‘il y a beaucoup de variations possibles entre les différents acteurs et nous sommes intéressée à observer ces variations si elles existent.