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Chapitre 2 Recension des écrits

2.1 Théories en relations industrielles

2.1.1 Approche systémique ou théorie des systèmes

2.1.3.2 Approche stratégique française

L‘approche stratégique française, en se concentrant sur les acteurs dans l‘organisation se situe davantage dans le giron de la sociologie que dans celui des relations industrielles. Pour cette raison, Audet et Larouche (1988), ne considèrent pas cette approche comme une théorie en relations industrielles au sens strict. Malgré ce fait, nous croyons qu‘il est pertinent de traiter de cette approche ici, car elle fait ressortir la dynamique entre les acteurs sur le milieu du travail plutôt qu‘en tant qu‘agents économiques ou politiques.

Michel Crozier et Erhard Friedberg sont des représentants de l‘approche stratégique française. Comme l‘indique le titre de leur livre paru en 1977, ces sociologues s‘intéressent à L’acteur et le système. Dans leur perspective, les « acteurs sont dotés de rationalité, même si elle est limitée, ils sont autonomes et rentrent en interaction dans un système qui contribue à structurer leurs jeux » (Bernoux, 1985 :137; voir aussi Crozier et Friedberg, 1977 : 15). Cette conception volontariste de l‘acteur, par opposition à déterministe, classe résolument cette théorie dans le courant interactionniste. Outre l‘acteur, les tenants de l‘approche stratégique française s‘intéressent au système, c‘est-à-dire l‘organisation. Bernoux, en résumant la théorie de Crozier et Friedberg, définit l‘organisation comme :

« un construit humain ou d‘un ensemble humain structuré. Cet ensemble, composé de membres qui y développent des stratégies particulières, qui les structurent dans un ensemble de relations régulières soumises aux contraintes changeantes de l‘environnement, est donc en lui-même en mouvement permanent » (Bernoux 1985: 138).

Les définitions des deux volets de la théorie de Crozier et de Friedberg révèlent bien la dynamique entre l‘acteur et son organisation. D‘une part, des acteurs relativement libres interagissent et créent un système qui structurera leurs comportements (Bernoux 1985: 138). D‘autre part, les acteurs emploieront des stratégies pour contourner l‘effet contraignant du système. Pour étudier ces deux processus, Crozier et Friedberg ont

développé l‘analyse stratégique et l‘analyse systémique. L‘analyse systémique « est un modèle d‘analyse organisationnelle qui s‘articule autour de la compréhension des relations entre acteurs interdépendants. La conceptualisation de l'action collective se fait à travers l'analyse des systèmes d'action concrets » (Brouselle et Champagne 2004) qui seront décrits plus loin. Notons que l‘analyse systémique nécessite d‘analyser le tout autant que chacune des parties formant ce tout (Bernoux 1985: 141). L‘analyse stratégique, quant à elle, s‘intéresse aux stratégies employées par les acteurs. Pour ce faire, trois concepts interviennent, soit le système d‘action concret, les zones d‘incertitudes et le pouvoir.

D‘abord, le système d‘action concret correspond à « l‘ensemble des relations qui se nouent entre les membres d‘une organisation et qui servent à résoudre les problèmes concrets quotidiens » (Bernoux 1985: 167). Les réseaux qui se développent entre les individus se font en fonction des intérêts de ces derniers, mais aussi en fonction des contraintes de l‘environnement (Bernoux 1985: 138). Ces réseaux amènent une régulation des relations, mais aussi des alliances et des contraintes (Bernoux 1985: 145). Bernoux (1985) illustre ce phénomène par la division du travail négociée entre différents corps de métier au sein d‘une même organisation permettant à certains groupes de travailleurs d‘augmenter leur pouvoir sur les autres en échange de plus de temps libre.

La zone d‘incertitude réfère aux incertitudes avec lesquelles doivent composer les membres de l‘organisation. Dans la conception volontariste de l‘approche stratégique française, ces incertitudes ne sont pas subies par les acteurs. Plutôt, ces derniers intègrent les contraintes dans leurs stratégies. Ainsi, l‘incertitude devient une source d‘autonomie et de pouvoir. Ce pouvoir sera d‘autant plus important que l‘usage de l‘autonomie sera imprévisible (Bernoux 1985: 152). Par exemple, les travailleurs sur une chaîne de montage, malgré les importantes contraintes qui pèsent sur eux, détiennent tout de même une marge de manœuvre quant à l‘effort qu‘ils investissent dans leur travail au désarroi de leurs supérieurs. Par ailleurs, le

désarroi des supérieurs sera plus grand si les travailleurs décident de faire une grève imprévue. Dans ce cas-ci, l‘effort est une zone d‘incertitude qui est contrôlée, en partie, par les travailleurs au bas de l‘échelle (Bernoux 1985: 150-152).

Enfin, la notion de pouvoir est centrale à l‘analyse stratégique. Dans la conception de l‘approche stratégique française, le conflit est omniprésent dans les organisations. Ce conflit existe entre les individus, entre les groupes et entre les fonctions. Les conflits mettent en jeu le pouvoir, mais aussi « le besoin d‘un pouvoir régulateur de ces conflits » (Bernoux 1985: 156) afin d‘assurer le bon fonctionnement de l‘organisation. Autrement dit, parce que certaines personnes détiennent davantage de pouvoir, elles font en sorte que les autres acquiescent à leurs demandes, d‘où la définition du pouvoir retenue par Bernoux : « le pouvoir de A sur B est la capacité de A d‘obtenir que, dans la relation avec B, les termes de l‘échange lui soient favorables » (Bernoux, 1985 : 160, voir aussi Crozier et Friedberg, 1977 : 69). Ce pouvoir est tiré de quatre

« sources d‘incertitudes particulièrement importantes pour une organisation : celles découlant de la maîtrise d‘une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle; celles qui sont liées aux relations entre une organisation et son […] environnement; celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations; celles enfin qui découlent de l‘existence de règles organisationnelles générales » (Crozier et Friedberg 1977: 83).

En résumé, l‘analyse stratégique postule que tout membre d‘une organisation évaluera son pouvoir par rapport aux zones d‘incertitudes qui se présentent à lui. Ce membre construira alors des systèmes d‘action concrets pour régler des problèmes dans le fonctionnement de l‘organisation et agir en fonction de ses intérêts (Bernoux 1985: 168).

L‘approche stratégique française sert à expliquer les comportements des membres d‘une organisation. Il n‘est pas assuré que les leçons tirées des études empiriques réalisées par Crozier et Friedberg puissent s‘extrapoler au monde des politiques publiques. Toutefois, l‘existence de multiples sources de pouvoir et la dialectique entre environnement et acteur sont potentiellement utiles dans l‘étude des stratégies des acteurs vis-à-vis l‘élaboration des politiques publiques des régimes de retraite.

Les approches interactionnistes sont intéressantes pour notre sujet d‘étude, car elles se concentrent précisément sur les stratégies des acteurs. Ceci vient de la conception volontariste de la nature humaine de ces théories permettant de comprendre que les contraintes externes ne déterminent pas complètement les résultats. Plutôt, ce sont les acteurs qui réagissent à ces contraintes et adaptent leurs stratégies en conséquence pour atteindre leur but. En ce sens, les approches stratégiques, qu‘elles soient française ou américaine, comportent des éléments méritant d‘être incorporés à notre modèle d‘analyse. L‘approche américaine a, de plus, l‘avantage de tenir compte du contexte et de considérer plusieurs niveaux d‘analyse. Mais les stratégies décrites semblent difficilement s‘appliquer au niveau des politiques publiques. L‘approche française, quant à elle, rend moins compte de l‘environnement, mais cerne bien la notion du pouvoir et de ses sources.