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Chapitre 2 Recension des écrits

2.1 Théories en relations industrielles

2.1.4 Économie politique critique

L‘économie politique critique (ÉPC), ou l‘approche matérialiste ou radicale, est une école de pensée « d‘origine marxiste et très fortement britannique » (Audet et Larouche 1988: 22). Elle s‘intéresse à l‘organisation sociale de la production, sa distribution et ses conséquences pour l‘ensemble de la société (c‘est-à-dire aux relations économiques), mais aussi aux relations sociales. En fait, selon cette approche, les « relations économiques sont des relations sociales qui ne peuvent être isolées des relations de pouvoir et de privilège;

par conséquent, l‘analyse de la société doit prendre en compte la structure des classes sociales » (Giles et Murray 1997: 80). Ces relations économiques et sociales se concrétisent, entre autres, dans la relation d‘emploi où se rencontrent employeurs et employés (Giles et Murray 1997: 85). Cette relation d‘emploi se caractérise à la fois par le conflit et la coopération. D‘une part, les employeurs achètent le travail des employés ne possédant pas les moyens de production. Ceci entraîne une inégalité entre ces deux groupes : il se crée une classe de dominés obligée de vendre ses services à une classe dominante possédant les moyens de production. La classe d‘employeurs cherche à soutirer le plus d‘effort possible de la classe de travailleurs qui n‘a pas intérêt à fournir plus que le strict minimum pour conserver leur emploi et recevoir un salaire. Cette contradiction entre les intérêts des deux classes crée un antagonisme structuré et, par le fait même, un conflit perpétuel entre classes sociales. D‘autre part, la production nécessite la coopération entre ces classes. Cette coexistence de conflit et de coopération au sein de la relation d‘emploi mène à un équilibre fragile qui doit constamment être géré pour éviter que les tensions sous-jacentes n‘éclatent et ne cesse la production (Giles et Murray 1997: 82-83).

Cette fragilité de l‘équilibre distingue fondamentalement l‘ÉPC des écoles de pensée précédentes qui tiennent pour acquis « l‘ordre, le consensus, l‘intégration et la cohésion dans la société » (Audet et Larouche 1988: 7).

L‘approche ÉPC se distingue également par la place qu‘elle accorde à la relation d‘emploi dans la société. L‘approche systémique et l‘approche stratégique américaine ont tendance à isoler la relation d‘emploi de la sphère économique et politique alors que l‘approche objectiviste20, avec ses théories de moyenne portée ne s‘y intéresse pas. Les tenants de

20 L‘approche objectiviste « regroupe toutes les théories qui conçoivent le monde social comme s‘il s‘agissait

d‘un monde dit naturel tout en empruntant les méthodologies de recherche conséquentes » Audet, M. et Larouche, V. (1988). "Paradigmes, écoles de pensée et théories en relations industrielles." Relations industrielles/Industrial Relations 43(1): 28.

l‘approche radicale considèrent cette conception réductionniste et préfèrent situer la relation d‘emploi dans un contexte plus large (Giles et Murray 1997: 85). Bien que leur analyse se fasse principalement sur les lieux de travail, l‘approche ÉPC rend pertinente l‘étude de phénomènes politiques et économiques en relations industrielles (Hyman, 1975 cité dans Godard 1994: 269), les régimes de retraite par exemple. Selon leur analyse, les régimes de retraite actuels seraient une mesure pour limiter les conflits sociaux, s‘assurer de la coopération des travailleurs et maintenir le statu quo (Godard 1994: 261). Ainsi, l‘ÉPC est une seule approche possiblement pertinente en relations industrielles pour expliquer pourquoi ce régime existe. Malheureusement, l‘ÉPC n‘explique pas comment ce régime est apparu ni comment il évolue, soit notre objet de recherche.

Le rôle des acteurs est une dernière caractéristique de l‘économie politique critique pertinente par rapport à notre sujet d‘étude. Comme les approches systémique, stratégique américaine et pluraliste, les tenants de l‘approche matérialiste dénombrent trois acteurs : les employeurs, les travailleurs et le gouvernement. Ici, l‘employeur est responsable d‘« une certaine coordination sociale par une variété de mécanismes, dont le contrat d‘emploi » (Giles et Murray 1996: 83). Le syndicat, quant à lui, est un contrepoids au pouvoir des employeurs. Contrairement à la vision pluraliste, les syndicats sont perçus par les théoriciens de l‘économie politique critique « non comme des groupes d‘intérêt, mais plutôt comme des organisations intermédiaires fondées sur les classes sociales » (Giles et Murray 1997: 84, ma traduction). Mais, c‘est leur perspective du rôle de l‘État qui est particulièrement intéressante compte tenu de notre sujet d‘étude. L‘État est considéré comme un acteur neutre dans les approches systémique et pluraliste. Or, selon Giles et Murray dans l‘approche EPC :

« [l]e gouvernement n‘est pas un spectateur neutre ou un médiateur qui protège l‘intérêt public ou qui joue un rôle mystique d‘‗équilibrage‘, mais plutôt comme une série d‘institutions qui reflètent et renforcent les relations de pouvoir social – surtout (mais pas exclusivement) les relations de classe –

dans la société dans laquelle elle se retrouve » (Giles et Murray, 1997 : 84,

ma traduction, voir aussi Godard, 1994 : 270).

En suivant une telle logique dans l‘étude des politiques publiques de retraite, on s‘attendra à ce que les employeurs aient recours à des stratégies qui assureront une certaine coordination sociale, notamment en liant les pensions de retraite au contrat de travail. Pour leur part, les syndicats emploieront des stratégies pour contrebalancer le pouvoir des employeurs. Enfin, l‘État n‘agira pas de façon monolithique. Chaque institution en lien avec les régimes de retraite agira dans son propre intérêt. Ces actions se feront probablement dans le sens d‘un renforcement du pouvoir social actuel. Godard (1994) a d‘ailleurs illustré ce dernier point en relatant l‘action gouvernementale canadienne en relations industrielles sur une période de plus de cent ans. L‘auteur en arrive à la conclusion paradoxale que les gouvernements au Canada ont constamment modifié le statu quo afin de maintenir ce statu quo (Godard 1994: 259).