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C HAPITRE 1 U NE LECTURE THÉORIQUE À PLUSIEURS NIVEAU

2.2. La théorie des conventions

Cette école regroupe des auteurs suggérant un modèle des relations sociales visant à répondre à la problématique de la coordination des actions individuelles pour comprendre comment se constitue une action collective251.

247 Alchian A.A. (1950), « Uncertainty, evolution and economic theory », Journal of political economy, n°58, Pp.211-221.

248 Penrose E. (1952), « Biological analogies in the theory of the form », American EconomicRreview, vol.42. 249 Propos de Winter, cité par Coriat B et Weinstein O. (1995), Les nouvelles théories de l’entreprise, Livre de Poche, Pp.111-112.

250 Coriat B., Weinstein O. (1999), « Sur la théorie évolutionniste de la firme. Apports et apories », in Basle et alii. (1999), Approches évolutionnistes de la firme et de l’industrie. Théories et analyses empiriques, Paris, L’Harmattan.

Une brève lecture historique permettra de remonter aux bases de cette approche et d'en identifier les fondements.

L'économie des conventions s'est construite en opposition à l'économie néo-classique et ses extensions (théorie des coûts de transaction, théorie des contrats, théorie des incitations). Qualifiée de théorie standard (et de théorie standard étendue pour ses derniers développements), l'économie néo-classique fait l'objet d'une critique fondamentale puisque ses hypothèses centrales sont rejetées. L'économie des conventions remet en cause la modélisation de l'action économique des agents, telle qu'elle est pratiquée par les économistes.

Réfutant la vision d'un individu dégagé de son emprise sociale, l'économie des conventions refuse de considérer l'unicité des modes de coordination et tente de dépasser la simple représentation par le marché qui ignore toute autre forme de coordination de l'action économique. Pour les économistes des conventions, la coordination passe aussi par des règles, des institutions, des normes. Cependant, cette approche ne consiste pas à ajouter de nouveaux objets théoriques à la théorie standard. Plus fondamentalement, elle déplace l'axe d'analyse vers des entités plus fines, plus centrales parmi celles qui fondent le lien social et elle pose clairement la question de la frontière entre l'économie et la sociologie.

Jusqu’alors la sociologie constituait l'alternative à l'économie, au sens où elle appréhendait l'individu comme partie d'un tout, d'une structure qui déterminait de façon plus ou moins forte les comportements de l'individu. L'action économique n'est plus séparée de la société dans laquelle elle s'inscrit. Cependant, cette démarche n'en demeure pas moins critiquable par l'importance qu'elle donne aux structures dans les logiques d'action des individus : l'individu apparaît totalement déterminé, sans volonté. Représentative de cette approche holiste, la théorie de l'habitus de Bourdieu exprime parfaitement les limites de cette vision. Comme le montrent Boltanski et Thévenot (1987, 1991), dans ce modèle, l'acteur n'a pas le choix de sa stratégie et les structures objectives restent totalement extérieures à la conscience des agents qui les intériorisent.

Un des objectifs de la théorie des conventions est justement de redonner à l’individu la place qu’il avait perdue dans ces modèles sociologiques, sans toutefois lui accorder le primat comme dans l’économie néo-classique. Dès lors, si l'on se place dans la logique d'action des individus, il est difficilement concevable qu'il puisse exister une séparation absolue entre des dimensions qui seraient économiques et d'autres qui ne le seraient pas. L’individu appartient à plusieurs « mondes » (famille, entreprise, association, etc.), où prévalent diverses logiques qui s’entrecroisent dans le cours de l’action. Pour autant, il existe des formes de coordination où cette séparation entre ces différents « mondes » est socialement construite et apparaît comme une condition nécessaire de l'efficacité économique. L'inverse peut aussi être vrai : l'imbrication de plusieurs dimensions peut être à la base de l'efficacité productive.

C'est donc autour de cette double critique de l'économie et de la sociologie que l'économie des conventions va se construire. Grâce au concept de convention, elle va tenter d'échapper à la dialectique individualisme méthodologique / holisme. La théorie des conventions va se construire à partir d'hypothèses renouvelées.

En fait, ce corpus théorique s'intéresse à l'aspect informel de la structure organisationnelle en tentant de comprendre comment se formalise l'action entre les acteurs organisationnels relativement aux « conventions » passées entre eux. Autrement dit, le social se construit dans le choix de l'accord qui résulte d'une convention. Les comportements et actions dans l'organisation résultent d'arrangements et de contrats (souvent implicites) entre les acteurs. La plupart du temps, ces accords sont fondés sur des compromis permettant aux parties en présence de s'organiser au mieux252.

Pour Plane (2000)253 :

« le concept de convention provient de convenir et permet de coordonner des intérêts d'acteurs contradictoires, relevant de logiques d'action opposées, mais qui ont besoin d'être ensemble pour satisfaire leurs besoins ».

Ceci met en évidence que l'action isolée d'un ou plusieurs acteurs ne peut aboutir de manière satisfaisante sans le concours d'autres membres de l'organisation. De manière identique, les acteurs doivent trouver des compromis de façon à satisfaire à la fois leurs intérêts propres tout en parvenant à répondre à ceux de l'organisation.

Les théoriciens de la convention s'inscrivent dans les théories de l'acteur car ils soulignent que les justifications sont des construits sociaux.

La théorie des conventions permet de comprendre et d'identifier les nœuds de contrats qui constituent le construit social au sein de l'organisation.

Cette base théorique peut être rapprochée des travaux de Reynaud et de sa théorie de la régulation conjointe. Dans le sens où il identifie la structuration des jeux d'acteurs se basant sur la construction de règles au sein de l'organisation. Ces règles du jeu servent à construire l'action collective. Et Reynaud tente par sa théorie d'éclairer la façon dont les acteurs agencent les contraintes pour produire leurs propres règles.

Ces règles peuvent procurer à certains acteurs un pouvoir qu'ils n'ont pas dans la structure formelle. C'est-à-dire que leur place dans l'organigramme ne leur attribue pas un pouvoir spécifique, mais ils l'acquièrent de manière implicite par ces jeux de pouvoir, uniquement « visibles » ou plutôt « perceptibles » dans la structure informelle254.

Ces conventions et jeux de pouvoir au sein de l'organisation ne sont jamais acquis, mais perpétuellement en redéfinition. Les acteurs vont défendre leurs intérêts au mieux, mais cette structure informelle est beaucoup plus mouvante que la structure formelle. Tout processus de changement peut être l'occasion de larges mouvements de redéfinitions des conventions et zones de pouvoir. C'est pourquoi le changement est, dans certains cas, considéré comme un enjeu pour de nombreux acteurs organisationnels qui y voient une opportunité de gain de pouvoir. Parallèlement, il révèle des craintes auprès d’autres acteurs qui y voient une perte

252 R. Salais désigne une convention comme étant « un ensemble d'éléments qui, pour les participants à la

convention, vont ensemble et pour lesquels ils partagent un accord commun. La convention désigne un ensemble d'attentes réciproques sur les comportements et les compétences, élaboré comme allant de soi et pour aller de soi ».

253 Plane J.M. (2000), Théorie des organisations, Collection Les Topos, Paris, Dunod.

254 Crozier (Le phénomène bureaucratique, 1964) s'est intéressé à ce phénomène et précise que l'analyse des relations de pouvoir ne peut se limiter aux rapports hiérarchiques et réside dans la capacité des acteurs, quelle que soit leur place dans l'organisation, à repérer et à se saisir des sources d'incertitudes qui s'y trouvent pour chercher à exercer une influence sur les autres catégories professionnelles.

potentielle de leurs acquis (notamment en termes de pouvoir et de zones d’influence) dans l’organisation.

Ces modifications peuvent d’ailleurs entraîner de vives tensions entre les différents acteurs en présence.

Apparaît donc ici, grâce aux éclairages apportés par ces bases théoriques, l'importance du jeu des acteurs, de leurs comportements, et de leurs stratégies dans l'organisation, permettant la mise en place de règles et de conventions qui vont venir agir sur les modes de coordination dans la structure organisationnelle.

Ceci a le mérite de rendre manifeste le fait que parallèlement à ce qui est prescrit, d'autres formes d'ajustements s'établissent dont il faut tenir compte dans toute recherche de mise en œuvre de fonctionnement rationnel de l'organisation. Le plus souvent, la structuration et le fonctionnement des organisations vont devoir se baser sur des logiques de compromis. Et c'est justement ça que nous souhaitons mettre en exergue dans notre recherche.

Cependant, les compromis ne peuvent, à l'évidence, satisfaire correctement toutes les parties en présence. C'est pourquoi, émergent fréquemment des tensions au sein des organisations et des entités fonctionnelles, voire même entre ces entités, ou entre les membres organisationnels. La prise en compte de ces tensions exigent des managers une gestion et des compétences appropriées, qui va dans certains cas, les amener à devoir gérer des contradictions.